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Date : 20080430

Dossier : T-2131-06

Référence : 2008 CF 559

Ottawa, Ontario, le 30 avril 2008

En présence de L'honorable Orville Frenette 

 

ENTRE :

GILLES OUELLETTE

demandeur

et

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]                           Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de l’administration centrale de Service correctionnel Canada (le SCC), en date du 30 octobre 2006, de refuser le grief V30A00020878 du demandeur.

 

I. Les faits

 

 

[2]                           Le demandeur est détenu à l’établissement La Macaza (l’Établissement) depuis le mois d’avril 2003. Il a déposé un certain nombre de griefs en alléguant qu’il subit du harcèlement de la part d’un employé de l’Établissement, M. Sylvain Blais. La plupart de ses griefs ont été refusés. Un grief a été maintenu en partie, le grief V30A00017399, visant la décision du troisième palier à l’effet que M. Blais « n’a pas géré la situation de manière professionnelle, » mais que ses actions ne représentaient pas « un cas de harcèlement selon la définition de la politique en vigueur ». Un autre grief, concernant le délai d’enregistrement de la dernière plainte, a également été maintenu en partie, en reconnaissant que le délai était trop long, mais était dû à des circonstances incontrôlables.

 

[3]                           Le 25 janvier 2006, le demandeur a déposé le grief en cause au premier palier, soit devant le directeur du pénitencier, à la suite du transfert de son local de travail dans un autre bâtiment, où M. Blais ne travaille pas. Dans ce bâtiment, le demandeur allègue ne pas avoir accès à l’eau courante ou aux toilettes, et à de nombreux départements dont le local récréatif et social du groupe Vie, le gymnase, la bibliothèque, et l’office de rencontre du Groupe Option-Vie. Selon le demandeur, cela crée une ségrégation illicite. Le demandeur a prétendu, dans sa plainte au premier palier, que le transfert de local de travail confirme « les actions de harcèlement de M. Blais à l’égard de M. Ouellette. Pour en venir à son but, [M. Blais] a obtenu l’appui inconditionnel de son épouse la directrice adjointe Mme Bergevin. »

 

[4]                           Le directeur du pénitencier a refusé ce grief en notant que Mme Bergevin, comme sous-directrice de l’Établissement, avait à « prendre toutes les décisions requises inhérentes à ce poste. » À la lumière de la situation de conflit entre le demandeur et M. Blais, la direction de l’Établissement cherchait à trouver « une solution viable avec le moins de répercussions possibles. » Le directeur a noté aussi que le demandeur n’avait pas subi de perte salariale.

 

[5]                           Le demandeur a déposé son grief au deuxième palier, soit devant le responsable de la région, en alléguant que certains points spécifiques n’avaient pas été adressés au premier palier. En particulier, le demandeur a prétendu qu’il n’était pas dans une situation de conflit avec M. Blais, mais dans une situation où il subissait un harcèlement constant de la part de ce dernier, en coalition avec sa conjointe, Mme Bergevin.

 

[6]                           Le grief du demandeur fut rejeté au deuxième palier. Le responsable de la région a noté que certaines des allégations avaient déjà été soulevées dans les griefs V30A00017945 et V30A00017399. Concernant l’allégation de suspension, le responsable de la région a déterminé que la suspension nécessite une cessation de rémunération, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. Finalement, concernant les services auxquels le demandeur allègue ne pouvoir accéder, le responsable de la région a noté :

Vous avez accès aux services offerts aux autres détenus tous les soirs après 15 h et vous pouvez continuer à effectuer votre travail selon le nouvel horaire qui vous a été donné. Enfin, nous avons été avisés [par les autorités de l’Établissement] qu’advenant un conflit entre votre horaire de travail et l’accessibilité à certains services, d’autres mesures pourront être envisagées.

 

 

[7]                           Le demandeur a poursuivi son grief au troisième palier, devant le SCC, où il allègue que M. Blais, qui le harcèle depuis longtemps, voulait qu’il soit congédié de son emploi. Il en aurait donc parlé avec sa conjointe, Mme Bergevin, afin qu’elle rencontre le patron immédiat du demandeur pour l’influencer à cet effet. De plus, le demandeur allègue que Mme Bergevin voulait changer l’horaire de travail du demandeur, malgré les objections de son patron immédiat, pour finalement changé son local de travail afin de « soutenir coûte que coûte son conjoint. » Le demandeur réaffirme qu’il n’a pas accès à l’eau courante ou aux toilettes et qu’il ne peut pas profiter du son temps libre dans l’après-midi comme les autres détenus parce qu’il ne peut pas accéder au bâtiment où sont situées plusieurs activités récréatives. Le demandeur allègue à nouveau qu’il subit du harcèlement de la part de M. Blais, et que Mme Bergevin est en démontrée être dans un conflit d’intérêt.

 

[8]                           Le demandeur a ajouté d'autres allégations au grief dans un nouveau formulaire de plainte, mais, ces nouvelles allégations n’ayant jamais fait l’objet d’une étude au premier palier, elles ont été renvoyées à ce niveau.

 

 

[9]                           Suite à la réception d’un résumé administratif préparé par un analyste, le SCC a communiqué sa décision de refuser le grief du demandeur le 30 octobre 2006. Le SCC remarque que les allégations de harcèlement de la part de M. Blais avaient déjà été adressées au troisième palier, dans le grief V30A00017399.

 

[10]                       Quant aux nouvelles allégations, le SCC note que c’est à la Directrice de l’établissement, et non à la conjointe de l’employé visé, de prendre les décisions comme celle en question, et que cette dernière a l’autorité en vertu de l’article 4 du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, D.O.R.S./92-620, ainsi que d’une directive du Commissaire. Le SCC ajoute :

Bien que ce bâtiment [où le demandeur fait son travail] n’ait pas d’eau ni de toilettes, vous n’êtes pas le seul dans ces circonstances. […] Vous êtes à moins de deux cents pieds de votre unité pavillonnaire et vous n’avez qu’à fermer votre bureau pour vous rendre à votre unité afin d’accéder à l’eau et aux toilettes.

 

Pour ce qui est de vos allégations que vous n’avez pas accès aux activités récréatives, sociales et culturelles de l’établissement, la Directrice de l’établissement confirme le contraire. Vous avez accès à tous ces services après 15 heures, les soirées ainsi que toutes les fins de semaine.

 

Enfin, la Directrice de l’établissement tente activement de trouver une solution afin de pallier une situation potentiellement conflictuelle entre vous et un membre du personnel.

 

 

[11]                       Le demandeur a déposé une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale le 30 novembre 2006. Depuis ces évènements, il fut admis que l’employé Sylvain Blais est décédé. Il fut aussi établi que depuis le mois de décembre 2007, l’Établissement a un nouveau directeur et que les privilèges du demandeur lui ont été réaccordés.

 

[12]                       Mon collègue, monsieur le juge Yvon Pinard, dans une Ordonnance datée du 7 novembre 2007, a permis au demandeur de faire signifier et de déposer un mémoire des faits et du droit additionnel, portant strictement sur la question d’équité de la procédure en rapport avec la participation de Mme Bergevin aux décisions reliées à la tentative de solution du conflit entre le demandeur et M. Blais.

 

[13]                       Lors de l’audience au fond, le demandeur opinait que je devais réécouter l’enregistrement des pages tenus devant le juge Pinard. Il s’est mépris à ce sujet puisque l’ordonnance du juge Pinard énonce que le tout devait être repris par le juge au fond.

 

[14]                       Depuis l’ordonnance du juge Pinard, le défendeur a informé la Cour qu’une partie de l’information relative à l’implication de Mme Bergevin dans la décision ayant fait l’objet du grief devant le troisième palier, était inexacte.

 

 

[15]                       Le défendeur révèle que la décision a été initialement prise le ou vers le 18 janvier 2006 par la sous-directrice, Mme Bergevin, qui était alors directrice intérimaire de l’Établissement en l’absence du directeur.   

 

[16]                       Cette révélation va directement à l'encontre de la décision du troisième palier qui se lit comme suit :

[…] Vous faites allusion que la conjointe de l’employé visé, est responsable des décisions quant à votre horaire de travail ainsi que votre lieu de travail.

 

En consultation avec la Directrice de l’établissement, je peux vous assurer que c’est la direction de l’établissement qui prend ces décisions et non la conjointe de l’employé visé.

 

[Je souligne]

 

[17]                       En raison de ce qui précède, le défendeur reconnait que la décision du troisième palier des griefs, devrait être annulée. 

 

II. La question en litige

 

 

[18]                       Comme le défendeur a reconnu que la décision du troisième palier, quant à la participation de Mme Bergevin dans la décision ayant fait l’objet du grief du demandeur, est basé sur un renseignement inexact, la seule question à trancher dans le cadre de la présente demande est de savoir si la Cour a la compétence nécessaire pour accorder les réparations demandées par le demandeur.

 

III. L’analyse

 

[19]                       Dans la demande de contrôle judiciaire, les ordonnances suivantes ont été sollicitées :

a)      DE DÉCLARER NUL OU D’ANNULER la décision prise dans le grief no : V30A00020878.

b)      D’ORDONNER que l’office fédéral en cause, Le Service Correctionnel du Canada, cesse toutes les mesures restrictives imposées spécifiquement au demandeur depuis le dépôt de ce grief no. : V30A00020878.

c)      D’ÉLIMINER du dossier carcéral du demandeur tous les rapports reliés directement et/ou indirectement à ce grief suggérant et/ou laissant sous-entendre que le demandeur aurait mal agi dans cette affaire.

d)      D’ORDONNER que des sanctions sérieuses soient prise contre la partie défenderesse afin d’établir que toute forme d’harcèlement par un membre du S.C.C. ne sera jamais toléré par cet office fédéral.

e)      DE RECONNAÎTRE en tout et/ou en partie les abus d’autorité, le harcèlement causé au demandeur par les actions posées par les membres du Service Correctionnel du Canada, entre autres plus spécifiquement par Monsieur Sylvain Blais et sa conjointe Mme. Julie Bergevin. 

f)        DE S’ASSURER que les deux principales défendeurs, M. Sylvain Blais et sa conjointe Mme Julie Bergevin, travaillant au sein du Service Correctionnel du Canada, ne puisse plus travailler ensemble dans le même établissement afin d’éviter tous les futurs conflits d’intérêts engendrés par les décisions prises par cette directrice adjointe, Mme Julie Bergevin, concernant le comportement inadéquat de son époux M. Sylvain Blais.

g)      D’ORDONNER, si la cour l’estime indiqué, que cette demande de contrôle judiciaire soit instruite comme s’il s’agissait d’une action pour l’obtention d’une compensation en dommages et intérêts par le demandeur contre la partie défenderesse.

 

[20]           En outre, dans son mémoire de droit et de fait en date du 20 mars 2007, le demandeur ajoute des objets de demande additionnels. Entre autres, il demande à la Cour de spécifier aux autorités impliquées qu’il aura dorénavant les mêmes droits et privilèges que tous les autres résidents de l’Établissement, d’ordonner que des lettres soient écrites par Mme Bergevin et M. Blais dans lesquelles ils exprimeront leurs remords au demandeur, que Mme Bergevin et M. Blais soient suspendus de leur travail sans solde, et que les dommages et intérêts punitifs et exemplaires, ainsi qu’en compensation pour les frais postaux et cléricaux soient accordés au demandeur.

 

[21]           Je note que plusieurs autres réparations demandées dans le mémoire ne se retrouvaient pas dans la demande de contrôle judiciaire et donc, elles sont irrecevables devant cette Cour.

 

IV. La conversion d’une demande de contrôle judiciaire en une action sommaire

 

[22]           Le demandeur soumet que sa demande devrait être modifiée de façon à devenir une action sommaire dans laquelle il pourrait réclamer la somme de $50,000.00 en dommages-intérêts punitifs et exemplaires, vu les comportements des défendeurs. L’intimé s’oppose avec véhémence à ce changement, alléguant qu’il ne s’agit pas d’un cas exceptionnel justifiant un tel recours et qu’aucune preuve au dossier ne justifie les dommages-intérêts réclamés.

 


V. Le droit

[23]           L’article 18(4)(1) et (2) de la Loi sur les Cours fédérales ( L.R., 1985, ch. F-7 ) stipule :

Procédure sommaire d’audition

 

18.4 (1) Sous réserve du paragraphe (2), la Cour fédérale statue à bref délai et selon une procédure sommaire sur les demandes et les renvois qui lui sont présentés dans le cadre des articles 18.1 à 18.3.

 

Exception

 

(2) Elle peut, si elle l'estime indiqué, ordonner qu'une demande de contrôle judiciaire soit instruite comme s'il s'agissait d'une action.

Hearings in summary way

 

18.4 (1) Subject to subsection (2), an application or reference to the Federal Court under any of sections 18.1 to 18.3 shall be heard and determined without delay and in a summary way.

 

 

Exception

 

(2) The Federal Court may, if it considers it appropriate, direct that an application for judicial review be treated and proceeded with as an action.

 

[24]           Évidemment comme l’indique l’article 18, il s’agit d’une procédure exceptionnelle en général, mais surtout en l’espèce ou il n’y a aucune preuve tangible pouvant permettre d’établir le préjudice invoqué et surtout le quantum des dommages-intérêts réclamés.

 

[25]           Je note les mots de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Macinnis c. Canada (Procureur général), [1994] 2 C.F. 464, au par. 9 : « [e]n général, c’est seulement lorsque les faits, de quelque nature qu’ils soient, ne peuvent pas être évalués ou établis avec satisfaction au moyen d’un affidavit que l’on devrait envisager d’utiliser le paragraphe 18.4(2) de la Loi. » Dans la présente cause, je ne vois aucun problème relatif à l’établissement ou à l’évaluation des faits au moyen des affidavits qui justifierait un recours au paragraphe précité. 

 

[26]           Il faut conclure que la requête du demandeur, à ce sujet, est mal fondée en faits et en droit; elle doit donc être rejetée.

 

VI. Les autres conclusions recherchées

 

[27]           La compétence de la Cour dans les demandes de contrôle judiciaire est circonscrite aux pouvoirs énoncés au paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales. La Cour a le pouvoir de déterminer si le décideur à fait une erreur de fait ou de droit, et, si tel est le cas, d’annuler la décision et de renvoyer la question à l’office fédéral. Dans des cas exceptionnels, la Cour peut donner des directives quant à la nature de la décision à rendre (Rafuse c. Canada, 2002 FCA 31, [2002] A.C.F. no 91 (QL)), mais ce pouvoir est rarement exercé.  Il le sera, par exemple, en présence d’une question de droit pur, déterminante pur les fins de la cause, ou dans une instance où les preuves versées au dossier sont si concluantes qu’il n’y a qu’une seule conclusion possible (Simmonds c. Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.), 2006 CF 130, [2006] A.C.F. no 184 (QL), au para. 38).  À mon avis, ces facteurs ne sont pas présents en l’espèce.  

 

[28]           Le mécanisme du contrôle judiciaire permet à la Cour de vérifier la légalité de la décision contestée, non pas de substituer son opinion à celle du décideur original.

 

 


VII. Conclusion

 

 

[29]           Pour tous ces motifs, je suis d’avis qu’au-delà de l’annulation de la décision contestée, la Cour ne possède pas la compétence pour d’accorder toutes les ordonnances et toutes les réparations recherchées. La décision doit donc être annulée et l'affaire renvoyée au troisième palier, constitué d’un analyste et d’un décideur n’ayant pas été impliqués dans la première décision.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que

(1)   la décision rendue le 30 octobre 2006 au dossier V30A0020878 doit être annulée et l'affaire renvoyée au troisième palier, constitué d’un analyste et d’un décideur n’ayant pas été impliqués dans la première décision;

(2)   ce nouvel examen considère le fait que la décision centrale faisant l’objet du grief V30A00020878 a été prise par Mme Bergevin, soit la conjointe de l’employé visé par le conflit avec le demandeur;

(3)   autorise le demandeur de déposer des motifs supplémentaires devant le décideur qui entendra le grief;

(4)   rejette les autres conclusions de la demande; et

(5)   chaque partie assument ses dépens.

 

« Orville Frenette »

Juge suppléant

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-2131-06

 

INTITULÉ :                                       Gilles Ouellette

                                                            c.

                                                            PGC

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal, Québec

 

DATE DE L’AUDIENCE :               23 avril 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT PAR :                     FRENETTE J.S.

 

DATE DES MOTIFS :                      30 avril 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Gilles Ouellette, pour lui-même

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Éric Lafrenière

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Gilles Ouillette, non-représenté

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims,

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

                                                                             

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