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Date : 20080430

Dossier : DES-2-08

Référence : 2008 CF 560

Ottawa (Ontario), le 30 avril 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

 

MOHAMMED MOMIN KHAWAJA

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Dans les motifs de la décision rendus le 7 mai 2007 et les ordonnances publique et confidentielle modifiées rendues le 28 mai 2007, la Cour s’est penchée sur une demande présentée par le procureur général du Canada relativement à des renseignements figurant dans deux avis lui ayant été signifiés conformément au paragraphe 38.01(1) de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. 1985, ch. C-5 (la Loi), dans le cadre de la procédure pénale principale intentée contre le défendeur : Canada (Procureur général) c. Khawaja, 2007 CF 490, [2007] A.C.F. no 622.

[2]               Les ordonnances publique et confidentielle modifiées du 28 mai 2007 ont été portées en appel par le procureur général et ont fait l’objet d’un appel incident interjeté par le défendeur. Dans une décision rendue le 31 octobre 2007, la Cour d’appel fédérale a accueilli en partie l’appel interjeté par le procureur général et a rejeté l’appel incident. La Cour d’appel a conclu que la divulgation de certains renseignements mentionnés dans le résumé descriptif des documents figurant dans l’Annexe « A » de l’ordonnance confidentielle modifiée serait préjudiciable ou potentiellement préjudiciable aux intérêts protégés par l’article 38 de la Loi, et qu’elle n’avait pas été autorisée. La Cour d’appel a donc accueilli l’appel dans la mesure nécessaire pour remplacer l’Annexe « A » originale par une annexe modifiée assujettie aux mêmes conditions que cette dernière : Canada (Procureur général) c. Khawaja, 2007 CAF 342, [2007] A.C.F. no 1473.

 

[3]               Il s’agit d’une nouvelle demande présentée en vertu du paragraphe 38.04(1) de la Loi, visant l’obtention d’une ordonnance sur la divulgation de renseignements à l’égard desquels l’avocat du Service des poursuites pénales du Canada dans l’affaire R. c. Khawaja, dont est saisie la Cour supérieure de justice de l’Ontario, a signifié un avis au procureur général du Canada conformément au paragraphe 38.01(1). La demande a originairement été déposée le 1er février 2008, mais des versions modifiées de celle-ci ont été déposées le 27 février 2008 et le 18 avril 2008.

 

[4]               L’avis de demande modifié porte sur quatre avis envoyés au procureur général par la poursuite, datés du 19 décembre 2007, du 1er février 2008, du 19 février 2008 et du 2 avril 2008. Pour ce qui est de chacun de ces avis, le procureur général a avisé la poursuite de sa décision de ne pas autoriser la divulgation de certains renseignements mentionnés dans les avis et d’autoriser la divulgation du fait qu’une demande avait été présentée à la Cour fédérale en vertu de l’article 38.04 de la Loi.

 

[5]               Dans une ordonnance datée du 8 février 2008, dans laquelle M. Khawaja a officiellement été nommé défendeur, il a été jugé qu’une audience serait nécessaire. Le demandeur a été autorisé à signifier un avis de la procédure au juge du procès à la Cour supérieure de justice de l’Ontario, et une date a été fixée pour le dépôt et la signification par le demandeur de toute preuve publique et pour le dépôt de toute preuve confidentielle qu’il voulait présenter. Le demandeur a déposé et signifié la preuve par affidavit publique le 15 février 2008 et le 27 février 2008. Il a déposé la preuve par affidavit confidentielle (ex parte) à ces mêmes dates et également le 11 avril 2008.

 

[6]               Une série de téléconférences ont eu lieu en présence des avocats des parties afin que les parties discutent des questions préliminaires et de la procédure à suivre dans le cadre de la présente demande. L’avocat du défendeur a présenté une requête visant la nomination d’un ami de la cour qui assisterait la Cour dans la préparation des audiences ex parte sur la preuve et qui participerait à celles-ci. M. Leonard Shore, c.r., a été nommé ami de la cour par une ordonnance rendue le 3 avril 2008. Il a eu accès à chacun des documents en litige et a contre-interrogé chaque témoin produit par le demandeur pendant les audiences ex parte tenues les 15 et 18 avril 2008.

 

[7]               Comme il a été indiqué à la Cour dans les affidavits du 15 février 2008, la demande portait sur douze documents ayant été rassemblés aux fins de divulgation suivant le prononcé des décisions dans la demande précédente. Onze documents additionnels font l’objet des affidavits du 27 février 2008 et neuf documents figurent comme pièces dans les affidavits du 11 avril 2008. Les renseignements que le procureur général voulait protéger avaient été recueillis par la Gendarmerie royale du Canada (la GRC).

 

[8]               Au cours des audiences, un témoin a désigné certains renseignements qui n’avaient plus à être protégés. De plus, une agence étrangère a consenti à ce que soient divulgués certains renseignements qui avaient été communiqués sujets à une réserve. Dans une lettre datée du 29 avril 2008, l’avocat du demandeur a informé la Cour que le procureur général avait autorisé la divulgation de renseignements additionnels. Des copies non expurgées des pages en question ont été signifiées au défendeur et déposées auprès de la Cour le même jour. Par conséquent, l’étendue des renseignements que la Cour devait examiner en l’espèce a été réduite.

 

[9]               Un critère à trois volets est appliqué pour décider si la Cour doit confirmer la décision du procureur général de ne pas autoriser la divulgation : Canada (Procureur général) c. Ribic, 2003 CAF 246, [2003] A.C.F. no 1964. Le premier volet consiste à déterminer si les renseignements visés sont pertinents quant à la procédure principale. Lorsque cette procédure est de nature pénale, comme en l’espèce, le critère de la pertinence équivaut au critère préliminaire peu élevé qui s’applique à l’obligation continue de divulgation de la poursuite à l’accusé, comme l’a énoncé la Cour suprême dans l’arrêt de principe R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326, [1991] A.C.S. no 83.

 

[10]           En l’espèce, la poursuite a jugé que les documents en litige devaient être divulgués, suivant le critère de l’arrêt Stinchcombe, puisqu’ils n’étaient pas manifestement non pertinents et qu’ils pouvaient être utiles à la défense. Cependant, le juge désigné qui procède à l’examen des renseignements que le procureur général veut protéger suivant l’article 38 doit lui-même juger de la pertinence des renseignements quant à la procédure pénale principale.

 

[11]           Une grande partie des autres renseignements que le procureur général veut protéger constitue des renseignements administratifs internes tels que les noms et les numéros de téléphone des employés, les numéros de dossier, et des références à des systèmes et à des banques de données. On fait référence ici et là à des agences étrangères et aux termes classifiés qu’elles utilisent. Il existe certains renseignements qui pourraient indiquer ou tendre à indiquer un intérêt continu des enquêteurs envers d’autres personnes, groupes ou questions. Des lettres d’agences étrangères contiennent des réserves quant à une divulgation ultérieure. Ces lettres sont expurgées en tout ou en partie.

 

[12]           Plusieurs des documents portent sur les enquêtes menées par la GRC, sur directive de la Cour, relativement à ces agences étrangères, dans le cadre de la demande précédente fondée sur l’article 38 visant à déterminer si ces agences consentaient à la divulgation de leurs renseignements. Le contenu de ces lettres est en grande partie clair compte tenu des passages non expurgés.

 

[13]           Certains documents portent sur les entrevues d’une personne qu’ont menées le F.B.I et le personnel des enquêtes de la US Navy. La Cour a été informée que ni la poursuite ni la défense n’ont l’intention d’assigner cette personne comme témoin. Quoi qu’il en soit, toutes les déclarations de cette personne ont été fournies à la défense sous une forme non expurgée. Les passages expurgés relatifs à cette personne se trouvent dans les lettres accompagnant la transmission des déclarations à la GRC et la communication des noms des agents chargés des entrevues. Les lettres mêmes ne contiennent rien qui pourrait être utile à la défense. Elles sont expurgées suivant la pratique, à la demande de l’agence dont elles proviennent, compte tenu de la règle applicable aux tiers. Certains des passages expurgés de ces lettres ont maintenant été divulgués.

 

[14]           Suivant un examen attentif de ces documents avec l’aide de l’ami de la cour et compte tenu de la preuve présentée et des observations entendues ex parte, je suis convaincu que les renseignements que le procureur général veut maintenant protéger ne seraient pas utiles à la défense dans le cadre de la procédure pénale principale et ne satisfont pas au critère préliminaire peu élevé de la pertinence. Si j’avais jugé nécessaire de passer au prochain volet de l’analyse, j’aurais peut‑être conclu que le procureur général ne s’était pas acquitté du fardeau d’établir que la divulgation de certains des renseignements expurgés aurait été préjudiciable aux intérêts protégés. Comme je l’ai souligné précédemment, il tend à y avoir une expurgation excessive de renseignements anodins dans ce genre d’affaires.

 

[15]           Toutefois, ayant conclu que les renseignements expurgés ne sont pas pertinents, la Cour n’a pas à se pencher sur les deuxième et troisième volets de l’analyse. Je vais confirmer la décision du procureur général de ne pas autoriser la divulgation de ces renseignements.

 

[16]           Des éléments de preuve ont été présentés indiquant que des renseignements avaient été divulgués par inadvertance à l’avocat du défendeur dans plusieurs des documents lui ayant été communiqués par la poursuite. Ces renseignements et les sept documents dans lesquels ils figurent sont énumérés dans un tableau joint à un affidavit ex parte déposé le 15 février 2007. Par suite d’un examen de ces renseignements, je suis convaincu qu’il n’y a eu aucun abandon intentionnel de privilège par le procureur général et que les renseignements en cause sont potentiellement préjudiciables. Quoi qu’il en soit, ces renseignements ne sont pas pertinents quant à la procédure pénale principale. Par conséquent, je vais ordonner qu’ils soient protégés de toute divulgation ultérieure.

 

[17]           En me prononçant sur la demande précédente, j’ai jugé opportun d’établir une annexe détaillée pour les parties, énumérant les documents, la nature des renseignements en cause, le type de demande et la décision quant à la divulgation. Comme le contenu des documents actuels est en grande partie clair et non expurgé, et que la décision repose entièrement sur la pertinence, je ne vois aucune raison de faire la même chose en l’espèce. Cependant, comme je l’ai indiqué dans la demande précédente, je resterai saisi de l’affaire au cas où l’une ou l’autre des parties aurait besoin que soient clarifiés les présents motifs ou l’ordonnance.

 

[18]           Je tiens à souligner la démarche constructive adoptée par les deux avocats et par les témoins dans le cadre de la présente demande. Les témoignages étaient bien préparés, complets et francs. L’avocat du procureur général a préparé et a présenté la preuve d’une façon efficace et compétente. L’ami de la cour, M. Shore, a procédé à un examen attentif en vue de repérer tout passage expurgé qui aurait pu être pertinent quant à la procédure principale. Toutes ces personnes ont facilité considérablement la tâche de la Cour.

 

 

 

 

 

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande est accueillie et la décision du procureur général du Canada de ne pas autoriser la divulgation des renseignements qui ont fait l’objet d’avis envoyés par l’avocat du Service des poursuites pénales du Canada en date du 19 décembre 2007, du 1er février 2008, du 19 février 2008 et du 2 avril 2008, conformément au paragraphe 38.01(1) de la Loi sur la preuve au Canada, est confirmée.
  2. Les renseignements divulgués par inadvertance à l’avocat du défendeur, décrits au paragraphe 16 des motifs de la présente ordonnance, ne feront l’objet d’aucune autre divulgation. L’avocat du procureur général fournira des copies expurgées des pages en question à l’avocat du défendeur pour remplacer celles dont il dispose actuellement.
  3. La Cour restera saisie de l’affaire en attendant l’issue de la procédure principale, et les avocats des parties pourront lui demander en tout temps par écrit de clarifier la présente ordonnance, sur avis à l’autre partie.
  4. Le dossier ayant trait à l’audience doit être gardé dans un lieu interdit au public, conformément à l’article 38.12 de la Loi.
  5. L’ordonnance du 3 avril 2008 demeure valide en ce qui concerne le paiement des honoraires et des débours raisonnables de l’ami de la cour.

 

 

 

  1. Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Isabelle D’Souza, LL.B., M.A.Trad. jur.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                              DES-2-08

 

INTITULÉ :                                             LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                  c.

                                                                  MOHAMMAD MOMIN KHAWAJA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                       OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                     LES 15 ET 18 AVRIL 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                             LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :                   LE 30 AVRIL 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Derek Rasmussen

 

POUR LE DEMANDEUR

Leonard Shore, c.r.

AMI DE LA COUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DEMANDEUR

Greenspon, Brown & Associates

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

Leonard Shore, c.r.

AMI DE LA COUR

 

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