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Date : 20080423

Dossier : IMM-3703-07

Référence : 2008 CF 533

Ottawa (Ontario), le 23 avril 2008

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE DAWSON

 

ENTRE :

 

XIU JIE ZHANG

 

demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]        La présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie au motif que les conclusions défavorables tirées par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) n’étaient pas adéquatement étayées par la preuve. Par conséquent, les conclusions ne satisfont ni à la norme de contrôle applicable, la raisonnabilité, ni à la norme établie par l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7.

 

[2]        Tirer une conclusion est une question de logique. Comme l’a affirmé la Cour suprême de Terre‑Neuve (la Cour d’appel) dans l’arrêt Osmond c. Terre‑Neuve (Workers’ Compensation Commission) (2001), 200 Nfld. & P.E.I.R. 203, au paragraphe 134 :

                        [traduction]

Faire une déduction équivaut à un raisonnement par lequel une conclusion de fait est tirée en tant que conséquence logique d’autres faits établis par la preuve. La conjecture, par contre, est simplement hypothèse ou supposition; il y a une faille dans le raisonnement, d’un point de vue logique, pour partir d’un fait et en venir nécessairement à la conclusion que l’on veut établir. La conjecture, contrairement à la déduction, nécessite un acte de foi.

 

[3]        La même cour a expliqué autrement la différence entre la déduction et la conjecture :

                        [traduction]

La déduction est différente de la conjecture. Elle doit être étayée par certains faits établis et être estimée probable dans les circonstances.

 

Voir :  Terre‑Neuve (Workers’ Compensation Commission) c. Miller (2001), 199 Nfld. & P.E.I.R. 186, au paragraphe 11 (C.A. T.-N.).

 

[4]        Dans la présente affaire, la Commission a été saisie de la demande d’asile de Mme Zhang. Elle a affirmé dans son témoignage qu’elle est une adepte du Falun Gong et que, par conséquent, elle craint d’être persécutée dans la République populaire de Chine (la Chine).

 

[5]        La Commission a conclu que Mme Zhang n’était pas une adepte du Falun Gong et qu’elle ne l’avait jamais été. La Commission a tiré cette conclusion pour les motifs suivants :

1.                  Premièrement, la Commission a tiré une conclusion défavorable du manque apparent de connaissances de Mme Zhang concernant le livre Neuf commentaires sur le Parti communiste chinois (les Neuf commentaires), au sujet duquel, a noté la Commission, Mme Zhang avait été interrogée. La Commission a estimé inexacte les réponses de Mme Zhang, dont l’affirmation (exacte) selon laquelle le livre commente la corruption au sein du Parti communiste chinois. Selon la Commission, si Mme Zhang croyait aux principes universels de vérité, de compassion et de tolérance, elle aurait reconnu qu’elle n’avait pas lu le livre plutôt que de fabriquer une réponse.

 

2.                  Deuxièmement, pour appuyer la première conclusion, la Commission a tiré une conclusion défavorable du fait que Mme Zhang a utilisé son propre passeport authentique pour quitter la Chine. Elle a mis l’accent sur le témoignage de Mme Zhang selon lequel, alors qu’elle passait trois points de contrôle à l’aéroport de Beijing, le passeur lui avait dit que son nom « n’a[vait] pas fait l’objet d’une vérification dans le système informatique » et qu’il avait versé des pots-de-vin « aux agents des douanes ». La Commission a déterminé que la preuve documentaire mentionne qu’une personne qui quitte la Chine doit passer par au moins trois points de contrôle et que son passeport est contrôlé par les agents des douanes pour vérifier si elle est recherchée par le Bureau de la sécurité publique. La Commission a écrit ce qui suit : « [la demanderesse] a ajouté ignorer combien de personnes ce dernier avait dû soudoyer. Je rejette cette explication. Bien qu’il y a certainement un problème de corruption en République populaire de Chine, je trouve invraisemblable que le passeur puisse avoir été en mesure de verser des pots-de-vin à des centaines d’agents des douanes, étant donné qu’il était impossible de savoir à l’avance quel agent de la police de frontière serait en service ce jour-là ou vers quelle file d’attente la demandeure d’asile (et le passeur) allaient être dirigés. »

 

[6]        Bien que cela ne constitue pas une conclusion essentielle, la Commission a également souligné que Mme Zhang a été incapable de montrer une connaissance approfondie du Zhuan Falun, livre concernant le Falun Gong. Cependant, la Commission a bien reconnu que Mme Zhang avait été capable d’énumérer les sujets dont traite chaque chapitre du livre.

 

[7]        Enfin, la Commission a bien accepté que Mme Zhang avait été capable de répondre à un certain nombre de questions relatives au Falun Gong, de faire la démonstration d’un exercice du Falun Gong et de réciter quelques versets propres au Falun Gong. Cependant, la Commission a conclu que les connaissances de Mme Zhang auraient très bien pu être acquises au Canada en vue de préparer sa demande.

 

[8]        Pour ce qui est de la première conclusion tirée par la Commission, les Neuf commentaires ne constitue pas une publication du Falun Gong. La Commission n’explique pas pourquoi il est logique de conclure qu’une personne n’est pas une adepte du Falun Gong en raison de son incapacité à répondre à des questions concernant les Neuf commentaires. L’avocat du ministre a été incapable de fournir quelque preuve que ce soit qui établirait un lien entre les Neuf commentaires et les adeptes du Falun Gong. Cette conclusion n’était donc pas adéquatement étayée par la preuve.

 

[9]        En ce qui concerne la deuxième conclusion, le ministère de l’Intérieur du Royaume‑Uni a décrit dans le Country Report de 2005 relatif à la Chine [traduction] « plusieurs rôles très spécialisés » au sein du réseau des passeurs, dont les fonctionnaires corrompus. Le rapport mentionne ce qui suit :

                        [traduction]

Les fonctionnaires corrompus sont les autorités en Chine, et dans de nombreux pays de transit, qui sont payées pour aider les immigrants illégaux chinois. Certains fonctionnaires agissent non seulement en qualité d’aide, mais également en qualité de membres ou de partenaires importants au sein des organisations de passeurs. Les personnes qui faisaient partie de grandes organisations de passeurs ont souvent mentionné que des fonctionnaires chinois locaux étaient à la tête de leur organisation.

 

[10]      La réponse à la demande d’information numéro CHN36091.EF (le 6 février 2001) décrit les mesures de sécurité et de contrôle des sorties à l'aéroport de Beijing dans les termes suivants :

                        [traduction]

En théorie, les documents de voyage devraient être vérifiés à deux reprises et, si la personne se rend au Canada, à trois reprises. Les documents doivent être vérifiés par le transporteur aérien lorsque le passager s'enregistre pour son vol et ensuite par l'inspecteur à la frontière lorsque le passager est au contrôle des sorties. Pour les vols directs à destination du Canada, les documents de voyage doivent être vérifiés par le transporteur aérien à la porte d'embarquement.

Le système de contrôle des sorties de l'aéroport de Beijing est informatisé et tous les noms doivent être vérifiés à l'aide de ce système. Toutefois, comme pour tout système, des erreurs peuvent se produire ou des noms peuvent être entrés incorrectement, donc les personnes recherchées en Chine ne devraient pas pouvoir quitter le pays, mais cela peut se produire.

 

[11]      En raison de la preuve susmentionnée, je conclus que la Commission a fait une conjecture lorsqu’elle a conclu qu’il y avait possiblement des centaines de fonctionnaires à soudoyer. Un seul fonctionnaire ayant accès au système informatique suffirait.

[12]      En ce qui concerne ses connaissances relatives au Zhuan Falun, Mme Zhang a expliqué quelle partie du livre est la plus importante pour elle et énuméré les sujets dont traite chaque chapitre du livre. La transcription ne fait état d’aucune autre question que la Commission aurait posée à Mme Zhang au sujet du Zhuan Falun. La Commission se devait de poser plus de questions avant de conclure que, selon la preuve dont elle disposait, Mme Zhang n’avait pas montré une connaissance approfondie du Zhuan Falun.

 

[13]      Enfin, il est possible que Mme Zhang ait acquis ses connaissances du Falun Gong au Canada. Il est tout aussi possible que ses connaissances du Falun Gong aient été acquises en Chine. Il n’y a aucun fait établi, et certainement aucun mentionné par la Commission, selon lequel la Commission pouvait conclure qu’il était plus probable que les connaissances de Mme Zhang avaient été acquises au Canada. La conclusion selon laquelle la Commission a rejeté le témoignage de Mme Zhang concernant ses connaissances du Falun Gong constituait donc une conjecture parce que non étayée par la preuve. Selon la preuve, il était possible, sans que ce fût établi comme probable, que Mme Zhang ait acquis ses connaissances du Falun Gong au Canada.

 

[14]      Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

 

[15]      Les avocats n’ont proposé aucune question aux fins de certification, et je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie et que la décision de la Section de la protection des réfugiés datée du 21 août 2007 est par la présente infirmée.

 

2.                  L’affaire est renvoyée à un tribunal de la Section de la protection des réfugiés différemment constitué pour qu’il statue à nouveau sur elle en conformité avec les présents motifs.

 

 

 

« Eleanor R. Dawson »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-3703-07

 

INTITULÉ :                                                   XIU JIE ZHANG

 

                                                                        c.

 

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 17 AVRIL 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LA JUGE DAWSON

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 23 AVRIL 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Leonard H. Borenstein                                      POUR LA DEMANDERESSE

 

Bernard Assan                                                  POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lewis & Associates                                          POUR LA DEMANDERESSE

Avocats

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                             POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada

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