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Federal Court

 

Cour fédérale

 

Date : 20080423

Dossier : T-67-06

Référence : 2008 CF 409

 

ENTRE :

DUANE EDWARD WORTHINGTON et

HELEN CHARLOTTE WORTHINGTON

 

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE O’KEEFE

[1]               La Cour statue sur une demande présentée en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, en vue d’obtenir le contrôle judiciaire d’une décision en date du 24 octobre 2005 par laquelle une analyste de cas a refusé la demande de citoyenneté canadienne présentée par Duane Edward Worthington en vertu de l’article 3 de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29, (la Loi sur la citoyenneté ou la Loi). Bien que Duane Edward Worthington et sa mère adoptive, Helen Charlotte Worthington, soient tous les deux inscrits comme demandeurs au dossier, je ne désignerai que Duane Edward Worthington comme « demandeur » par souci de simplicité.

 

[2]               Le demandeur sollicite les mesures suivantes :

a)      l’annulation de la décision rendue le 24 octobre 2005 par l’analyste de cas;

b)      une ordonnance de la nature d’un bref de mandamus enjoignant au Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration de reconnaître et d’attribuer la citoyenneté canadienne au demandeur;

c)      un jugement déclarant l’alinéa 3(1)e) de la Loi inconstitutionnel en raison de son incompatibilité avec l’article 15 de la Charte des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11 (la Charte);

d)      à titre subsidiaire, que la Cour interpole les mots « ou est adoptée » immédiatement après le mot « naît » à l’alinéa 5(1)b) de la Loi sur la citoyenneté canadienne (abrogée) de 1947 (l’ancienne Loi) et immédiatement avant le mot « hors » et que la Cour ordonne que le reste de cet article soit interprété avec les adaptations nécessaires;

e)      les dépens extrajudiciaires.

 

Contexte

 

[3]               Né aux États-Unis le 9 mars 1961, le demandeur, Duane Edward Worthington, est un citoyen américain. Il a été adopté par Frank Edward Worthington (Bud Worthington) et par Helen Charlotte Worthington le 20 mars 1962. Les parents adoptifs du demandeur sont des résidents des États-Unis, mais ils sont tous les deux nés en Colombie-Britannique. Le demandeur purge présentement une peine d’emprisonnement de 425 mois dans un pénitencier fédéral à sécurité moyenne aux États-Unis pour des infractions liées à des stupéfiants et à des armes qui ont été commises aux États-Unis.

 

[4]               En 2002, le demandeur s’est renseigné auprès de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC ou le Ministère) au sujet de la possibilité de demander la citoyenneté canadienne en invoquant son adoption par ses parents canadiens. En réponse à cette demande de renseignements, on a remis au demandeur une formule de demande de certificat de citoyenneté présentée à l’extérieur du Canada en vertu de l’article 3 et une formule de demande en vue d’obtenir la citoyenneté canadienne en vertu de l’article 5 de la Loi.

 

[5]               Le 4 juillet 2002, le demandeur a présenté une demande de certificat de citoyenneté présentée à l’extérieur du Canada en vertu de l’article 3 de la Loi (la première demande). Il a réclamé la citoyenneté en invoquant le fait qu’il était né hors du Canada, dans les liens du mariage, d'un père canadien, entre le 1er janvier 1947 et le 14 février 1977. Le 30 août 2002, le demandeur a reçu une lettre de l'agent principal des programmes du Consulat (l’agent des programmes) l’informant que la demande qu’il avait présentée en vertu de l’article 3 de la Loi n’était pas valide étant donné qu’il était l’enfant adoptif de parents canadiens (l’article 3 ne s’applique qu’aux enfants biologiques). On lui a fait savoir que, dans le cas d’un enfant adoptif, la demande de citoyenneté canadienne devait être présentée en vertu du paragraphe 5(1) de la Loi.

 

[6]               Le 11 septembre 2002, le demandeur a donc soumis une demande en vertu du paragraphe 5(1) de la Loi. Dans une lettre datée du 30 décembre 2002, le Ministère a informé le demandeur qu’il ne pouvait donner suite à sa demande au motif que seules les personnes qui ont le statut de résidents permanents au Canada peuvent obtenir la citoyenneté en vertu du paragraphe 5(1) de la Loi. Dans cette lettre, le Ministère invitait par ailleurs le demandeur à signer et à dater la « demande de désistement » jointe à la lettre. À la suite du refus du demandeur de se désister de sa demande fondée sur le paragraphe 5(1), le Ministère a converti cette demande en une demande visée au paragraphe 5(4). Le paragraphe 5(4) porte sur le pouvoir discrétionnaire du gouverneur en conseil d’ordonner au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration d’attribuer la citoyenneté à toute personne qu’il désigne.

 

[7]               Le 3 juillet 2003, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration de l’époque, Denis Coderre, a informé le demandeur de son refus de lui attribuer la citoyenneté canadienne en vertu du paragraphe 5(4) de la Loi. Saisie d’une demande de contrôle judiciaire de cette décision présentée en novembre 2004 (Worthington c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1546), la juge Layden-Stevenson, de notre Cour, a renvoyé l’affaire au ministre pour qu’il prenne une nouvelle décision, sous réserve de certaines conditions.

 

[8]               L’affaire a été réexaminée et, dans une lettre datée du 25 novembre 2005, le demandeur a été informé par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration de l’époque, Joe Volpe, que sa demande avait été refusée. Le 28 décembre 2005, le demandeur a saisi notre Cour d’une demande de contrôle judiciaire de la décision du ministre. Cette demande porte le numéro de dossier T‑2295‑05.

 

[9]               Dans l’intervalle, le demandeur a soumis le 17 juin 2004 une autre demande de certificat de citoyenneté présentée à l’extérieur du Canada en vertu de l’article 3 de la Loi (la seconde demande). La demande de citoyenneté du demandeur s’appuyait sur la citoyenneté de son père adoptif, Bud Worthington, étant donné que ses parents étaient mariés au moment de l’adoption de M. Worthington. Le demandeur a joint à sa demande des copies du certificat de naissance de son père et de sa mère, des documents ayant trait à son adoption, le certificat de mariage de ses parents adoptifs et la carte de résident étranger des États-Unis de sa mère adoptive. Par lettre datée du 21 août 2004, le demandeur a été avisé que sa demande avait été reçue. On trouvait la phrase suivante dans cette lettre : [traduction] « Nous allons maintenant procéder à l’examen de la demande et des documents et nous communiquerons avec vous pour tout complément d’information, le cas échéant. »

 

[10]           Dans une lettre datée du 24 octobre 2005, Mme Campbell, analyste de cas à CIC (l’analyste de cas) a informé le demandeur que sa demande avait été rejetée. Cette décision a fait l’objet de la demande de contrôle judiciaire en l’espèce.

 

Motifs de la décision de la Commission

 

[11]           Dans sa décision du 24 octobre 2005, l’analyste de cas a refusé la demande de certificat de citoyenneté présentée par le demandeur à l’extérieur du Canada en vertu de l’article 3 de la Loi. Comme cette décision est très brève, je la reproduis ci-dessous :

[traduction]

 

M. Worthington,

 

La présente fait suite à votre « Demande de certificat de citoyenneté présentée à l’extérieur du Canada en vertu de l’article 3 (preuve de citoyenneté) », qui a été déposée le 17 juin 2004.

 

Les enfants nés à l’étranger qui sont adoptés par un citoyen canadien ne sont pas admissibles à la citoyenneté aux termes de l’alinéa 3(1)e) et du paragraphe 4(3) de la Loi sur la citoyenneté. L’alinéa 3(1)e) de la Loi sur la citoyenneté exige que l’intéressé ait été habile, au 14 février 1977, à devenir citoyen aux termes de l’alinéa 5(1)b) de l’ancienne Loi. Or, vous n’avez pas soumis d’éléments de preuve tendant à démontrer que vous remplissiez les conditions prévues à cet alinéa.

 

Je tiens par ailleurs à signaler que les pièces que vous avez soumises à l’appui de votre demande sont insuffisantes pour démontrer que vos parents étaient des citoyens canadiens au moment de votre adoption.

 

Compte tenu des facteurs précités, vous ne remplissez pas les conditions requises pour avoir droit, en vertu du paragraphe 4(3), à un enregistrement différé pour l’application de l'alinéa 3(1)e) de la Loi sur la citoyenneté.

 

Veuillez agréer, Monsieur, l’expression de nos sentiments distingués.

 

Nicole Campbell

Analyste par int.

Révision des cas – Citoyenneté

Questions à trancher

 

[12]           Le demandeur a soumis les questions litigieuses suivantes à notre examen :

            1.         Quelle est la norme de contrôle judiciaire applicable?

            2.         Les demandeurs pouvaient-ils légitimement s’attendre à ce que l’on communique avec eux pour obtenir des renseignements complémentaires comme on le leur avait promis?

            3.         Dans l’affirmative, serait-il logique de renvoyer l’affaire pour réexamen, compte tenu de la position constante du défendeur que les enfants adoptifs ne peuvent présenter une demande de citoyenneté par filiation en vertu de l’alinéa 3(1)e), ainsi que des refus répétés du défendeur?

            4.         Est-il exact de dire, sur le plan légal, que le concept de « citoyenneté canadienne » n’existait pas avant 1947?

            5.         Le père adoptif était-il un citoyen canadien? Le défendeur est-il irrecevable à contester la citoyenneté canadienne du père adoptif du demandeur? La question est-elle chose jugée?

            6.         Même si la Cour n’est pas convaincue que son père adoptif possède la citoyenneté canadienne, M. Worthington peut-il présenter une demande de citoyenneté par filiation par l’entremise de sa mère?

            7.         L’alinéa 3(1)e) viole-t-il en tout ou en partie le paragraphe 15(1) de la Charte, dans la mesure où il crée une distinction qui a pour effet non seulement de priver d’un bénéfice  ceux qui cherchent à obtenir la citoyenneté canadienne en se fondant sur leur adoption par des parents canadiens  mais aussi de leur imposer des obligations plus onéreuses que celles qui sont imposées aux personnes qui demandent la citoyenneté canadienne en se fondant sur leur filiation biologique avec leurs parents canadiens? Dans l’affirmative, l’alinéa 3(1)e) est-il sauvegardé par l’article premier de la Charte?

 

[13]           Le défendeur a soumis à notre examen la question préliminaire suivante :

            1.         L’affidavit de Sonia Kociper soumis par le demandeur contrevient-il à l’article 81 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, et devrait-on par conséquent l’évaluer avec prudence et lui accorder une valeur minimale?

 

[14]           Je reformulerais comme suit les questions en litige :

I. Questions préliminaires

a)      L’affidavit de Sonia Kociper soumis par le demandeur contrevient-il à l’article 81 des Règles des Cours fédérales?

II. Questions ayant trait au contrôle judiciaire

a)      Quelle est la norme de contrôle judiciaire appropriée?

b)      Le demandeur pouvait-il légitimement s’attendre à ce que l’analyste de cas communique avec lui si elle avait besoin de renseignements complémentaires? A-t-il été frustré dans cette attente légitime?

c)      Le demandeur pouvait-il légitimement s’attendre à ce qu’en soumettant une copie du certificat provincial de naissance de son père canadien adoptif, il satisfasse à son obligation de prouver la citoyenneté canadienne de son père adoptif? A-t-il été frustré dans cette attente légitime?

d)      L’analyste de cas a-t-elle commis une erreur en concluant qu’elle ne disposait pas d’éléments de preuve suffisants de la citoyenneté des parents du demandeur?

III. Questions procédurales

a)      La question de la citoyenneté des parents du demandeur est-elle chose jugée?

b)      Le défendeur est-il irrecevable à contester la citoyenneté des parents?

c)      Serait-il utile de renvoyer l’affaire pour qu’elle soit réexaminée?

IV. Questions constitutionnelles

a)      L’alinéa 3(1)e) viole-t-il l’article 15 de la Charte?

b)      Peut-il être sauvegardé par application de l’article premier de la Charte?

c)      Quelle est la réparation appropriée?

V. Dépens

a)      La Cour devrait-elle adjuger les dépens extrajudiciaires au demandeur?

 

[15]           Je vais résumer les observations des parties sous les rubriques suivantes :

I. Questions préliminaires

a) Affidavit de Sonia Kociper

II. Questions ayant trait au contrôle judiciaire

a) Norme de contrôle

b) Attente légitime no1

c) Attente légitime no2

d) Conclusion erronée au sujet de l’insuffisance de la preuve

III. Questions procédurales

a) Chose jugée

b) Irrecevabilité

c) Renvoi de l’affaire pour réexamen

IV. Questions constitutionnelles

a) Article 15

b) Article 1

c) Réparations

V. Dépens

a) Dépens extrajudiciaires

 

Prétentions et moyens du demandeur

 

[16]           I.  Questions préliminaires

 a) Affidavit de Sonia Kociper

              Suivant le demandeur, le défendeur conteste l’affidavit de Sonia Kociper que le demandeur a produit au soutien de sa demande en affirmant qu’il constitue du ouï-dire. Le demandeur affirme que toutes les affirmations contenues dans l’affidavit sont fondées sur la connaissance personnelle que la déclarante a acquise en examinant les pièces documentaires, connaissance confirmée par les pièces à l’appui jointes à l’affidavit. Le demandeur affirme qu’il n’y a pas violation de l’article 81 des Règles des Cours fédérales.

 

[17]           II.  Questions ayant trait au contrôle judiciaire

a) Norme de contrôle

              Le demandeur affirme que la norme de contrôle judiciaire appropriée est celle de la décision correcte, car la Cour est appelée à décider si la décision de l’analyste de cas est conforme aux dispositions législatives applicables et à la Charte (Taylor c. Canada, [2006] A.C.F. no 1328, aux paragraphes 35 et 36).

 

[18]           b)  Attente légitime no 1

              Le demandeur affirme que la doctrine des attentes légitimes s’applique lorsque, dans ses motifs, le décideur reproche au demandeur de ne pas avoir fourni certains éléments de preuve sans l’aviser qu’il courait des risques relativement à cette question (Veres c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 124). Suivant le demandeur, la présente affaire suscitait deux attentes légitimes distinctes.

 

[19]           Tout d’abord, le demandeur affirme qu’il pouvait légitimement s’attendre à ce que l’analyste de cas communique avec lui si des renseignements complémentaires étaient nécessaires. À l’appui de cet argument, le demandeur invoque les documents suivants :

(1)   La lettre accusant réception de sa demande du 21 août 2004, dans laquelle on trouve les passages suivants : [traduction] « nous communiquerons avec vous si nous avons besoin d’autres renseignements » et [traduction] « vous devriez recevoir votre nouveau certificat de citoyenneté d’ici deux ou trois mois si aucun autre renseignement n’est requis »;

(2)   Les Guides opérationnels de CIC, et plus précisément le manuel qui accompagne l’article 3, dans lequel on trouve les mentions suivantes : « Des documents supplémentaires pourraient vous être demandés pendant le traitement de la demande » et « Dans ce cas, nous communiquerons avec vous pour obtenir d’autres renseignements ou vous demander d’autres documents »;

(3)   Le CP 10 (intitulé « Preuve de citoyenneté ») traite, à la section 11.5, de l’enregistrement différé d’une naissance. On y trouve ce qui suit : « Le CTD de Sydney contactera le client pour toute documentation additionnelle requise. »

 

[20]           Le demandeur affirme qu’on n’a jamais communiqué avec lui pour obtenir un complément d’information, ce qui l’a amené à penser qu’il avait fourni suffisamment de renseignements. Il affirme en conséquence qu’en refusant sa demande en invoquant l’insuffisance de la preuve, l’analyste de cas n’a pas répondu à ses attentes légitimes.

 

[21]           c) Attente légitime no 2

            La seconde attente légitime était fondée sur le fait que plusieurs des documents de CIC prévoyaient qu’il suffisait de produire une copie du certificat de naissance provincial canadien du père adoptif pour établir la citoyenneté canadienne de ce dernier. Le demandeur a cité les documents suivants à l’appui de cet argument :

(1)   Le CP 12 (intitulé « Documents ») traite,  à la section 1.3, des « documents servant à établir la citoyenneté ». Il précise que « le certificat de naissance provincial canadien » fait partie des documents acceptables;

(2)   Le CP 4 (intitulé « Attribution de la citoyenneté ») qui, à la section 5, porte sur les documents servant à établir la citoyenneté d’un parent, précise que « les documents acceptables comme preuve de citoyenneté des parents sont les suivants : […] le certificat de naissance d'un parent, confirmant que le parent est né au Canada »;

(3)   Le manuel de CIC régissant les demandes présentées en vertu de l’article 3, à la rubrique « Les documents que vous devez annexer au formulaire » précise ce qui suit : [traduction] « Si vous êtes né(e) à l’extérieur du Canada d’un parent canadien avant le 15 février 1977, vous devez nous faire parvenir : […] une preuve du fait que votre père naturel était citoyen canadien au moment de votre naissance, comme le certificat de naissance canadien ou le certificat de citoyenneté canadienne de vos parents. »

 

[22]           Le demandeur affirme qu’il a produit le certificat de naissance provincial canadien de son père adoptif comme preuve de la citoyenneté de ce dernier. Le demandeur ajoute qu’en refusant sa demande pour cause d’insuffisance de la preuve, l’analyste de cas n’a pas répondu à ses attentes légitimes.

 

[23]           d) Conclusion erronée au sujet de l’insuffisance de la preuve

            Le demandeur signale que l’alinéa 3(1)e) de la Loi reconnaît la qualité de citoyen à toute personne née à l’étranger qui était habile, au 14 février 1977, à devenir citoyen aux termes de l’alinéa 5(1)b) de l’ancienne Loi, c’est-à-dire dont le père était citoyen canadien, à condition que la naissance de l’enfant ait été enregistrée dans les deux ans ou dans le délai prorogé que le ministre peut autoriser. Le demandeur fait observer que l’ancienne Loi définissait comme suit le citoyen canadien de naissance à son alinéa 4(1)a) : « Une personne, née avant le 1er janvier 1947, est citoyen canadien de naissance […] lorsqu'elle est née au Canada ou sur un navire canadien et n'était pas devenue étrangère avant le 1er janvier 1947. » De plus, l’article 2 de la Loi concernant la citoyenneté, la nationalité et la naturalisation, ainsi que le statut des étrangers, L.R.C. 1952, ch. 33, définissait l’étranger comme une « personne qui n’est pas un citoyen canadien, un citoyen du Commonwealth, un sujet britannique ou un citoyen de la République d’Irlande ». Le demandeur fait valoir que, suivant ces définitions, son père était effectivement un citoyen canadien de naissance lors de la naissance du demandeur. L’analyste de cas a par conséquent commis une erreur en concluant qu’elle ne disposait pas de suffisamment d’éléments de preuve pour établir la citoyenneté canadienne de son père.

 

III. Questions procédurales

 

[24]           a) Chose jugée

            Le demandeur affirme que la question de la citoyenneté de ses parents est chose jugée comme l’a admis l’analyste de cas dans les observations suivantes :

(1)   Note de service adressée au ministre le 12 juin 2003 dans laquelle il était écrit : [traduction] « M. Worthington a été adopté à la naissance par des parents qui étaient des citoyens canadiens de naissance. Même s’ils ont tous les deux résidé aux États-Unis pendant un certain temps, ni l’un ni l’autre de ses parents n’a jamais acquis la citoyenneté américaine »;

(2)   Note de service adressée au ministre le 30 mai 2005 dans laquelle il était écrit : [traduction] « M. Worthington a été adopté à la naissance par des parents qui étaient des citoyens canadiens de naissance. Ils sont demeurés des résidents permanents des États‑Unis et ne sont pas devenus des citoyens américains »;

Affidavit souscrit le 31 mars 2004 dans lequel l’analyste de cas déclare ce qui suit : [traduction] « Le demandeur n’était pas un résident permanent et il n’a jamais vécu au Canada. Il était donc inhabile à devenir citoyen aux termes du paragraphe 5(1). Toutefois, compte tenu de son statut d’enfant adoptif de citoyens canadiens […] »

[25]           Par ailleurs, la juge Layden-Stevenson de notre Cour avait déjà reconnu la citoyenneté de ses parents dans le jugement Worthington, précité, au paragraphe 1 :

M. et Mme Worthington sont inscrits sur le certificat de naissance de Duane en tant que père et mère. Frank Worthington, qui est depuis décédé, était citoyen canadien, étant né à Grand Forks (Colombie-Britannique). Mme Worthington, qui est née à Sandon, en Colombie-Britannique, est aussi une citoyenne canadienne. M. et Mme Worthington étaient tous deux domiciliés aux États-Unis mais ni l'un ni l'autre n'a jamais obtenu la citoyenneté américaine.

 

 

[26]           Suivant le demandeur, comme il a déjà été jugé que ses parents ont la citoyenneté canadienne, la question est maintenant chose jugée.

 

[27]           b) Irrecevabilité

            Le demandeur affirme que le défendeur est irrecevable à alléguer que la citoyenneté de ses parents est différente de celle qui a été décidée (Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Lidder, [1992] A.C.F. no 212 (C.A.F.)). Le demandeur soutient que les conditions d’application de l’irrecevabilité précisées dans l’arrêt Bande indienne de Blueberry River c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien) (C.A.), 2001 CAF 67, [2001] 4 C.F. 451, sont réunies dans le cas qui nous occupe : la question de la citoyenneté de ses parents a été tranchée aux termes d’un jugement définitif, les parties sont les mêmes et la conclusion sur laquelle on cherche à fonder l'irrecevabilité constitue un aspect essentiel du jugement rendu.

 

[28]           c) Renvoi de l’affaire pour réexamen

            Le demandeur affirme qu’il serait inutile de renvoyer l’affaire pour qu’elle soit réexaminée parce que le défendeur a constamment adopté le point de vue que les enfants adoptifs de parents canadiens ne peuvent présenter une demande de citoyenneté par filiation en vertu de l’alinéa 3(1)e) de la Loi. Le demandeur signale par ailleurs que le ministre a eu, à cinq reprises, l’occasion de trancher la question, mais qu’il a toujours refusé de le faire. Dans le jugement Popov c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 75 F.T.R. 90, à la page 93, notre Cour a jugé qu’il n’était pas nécessaire de renvoyer l’affaire pour qu’une nouvelle décision soit rendue lorsqu’elle est convaincue que cette mesure ne serait pas vraiment utile. Le demandeur affirme donc que la mesure que notre Cour doit prendre consiste à rendre une ordonnance de la nature d’un bref de mandamus.

IV. Questions constitutionnelles

 

[29]           À titre subsidiaire, le demandeur soutient qu’il peut présenter une demande de citoyenneté canadienne par filiation par le biais de sa mère. Il explique que, bien qu’aux termes de l’alinéa 3(1)e), les demandes de citoyenneté fondées sur la filiation maternelle ne s’appliquent qu’aux enfants nés hors des liens du mariage, cet article viole la Charte. Le demandeur signale que, dans l’arrêt McKenna c. Canada (Procureur général), [1999] 1 C.F. 401 (C.A.), la Cour d’appel fédérale a statué que l’alinéa 3(1)e) de la Loi actuelle est à première vue discriminatoire et que la seule question qu’il reste à trancher est celle de la justification par application de l’article premier de la Charte.

 

[30]           a) Article 15

            Le demandeur passe ensuite à l’examen de la constitutionnalité de l’alinéa 3(1)e). Pour ce qui est de la première condition, celle relative à la différence de traitement, le demandeur explique que les enfants biologiques nés à l’étranger de parents canadiens ont automatiquement droit à la citoyenneté canadienne, tandis que les enfants nés à l’étranger et adoptés par des parents canadiens sont assujettis à un régime d’attribution discrétionnaire de la citoyenneté. En ce qui concerne le motif analogue sur lequel la discrimination est fondée, le demandeur signale que les tribunaux ont déjà décidé que l’adoption est un motif de discrimination analogue aux motifs énumérés. Le demandeur poursuit en examinant la question de savoir si les dispositions législatives en question ont un objet ou un effet discriminatoires au sens de la garantie d’égalité. Le demandeur invoque l’arrêt McKenna, précité, pour faire observer que, bien qu’on assiste à une évolution marquée vers l’égalité entre les enfants biologiques et les enfants adoptifs, il existe encore un certain stigmate social et que la façon dont les enfants adoptés sont traités au Canada dans le contexte de la citoyenneté vient du passé.

 

[31]           b) Article premier

            Le demandeur reconnaît que les objectifs visés par les dispositions contestées ─ donner accès à la citoyenneté tout en s'assurant de l'engagement des intéressés envers le Canada et en préservant la sécurité de ses citoyens ─ sont suffisamment urgents et réels pour justifier la limitation d'un droit garanti par la Charte. Il affirme cependant que les dispositions législatives en cause ne satisfont pas au critère du lien rationnel. Il précise que la question à trancher n’est pas de savoir si l’obligation de prêter serment et de se soumettre à une enquête de sécurité sont des moyens rationnels de s’assurer que les objectifs précités sont atteints, mais bien de savoir si le fait d’astreindre seulement les enfants adoptifs à ces exigences constitue un moyen rationnel. Le demandeur affirme qu’il n’existe tout simplement pas de lien rationnel. Il ajoute que l’alinéa 3(1)e) porte gravement atteinte à son droit à l’égalité garanti par la Charte. Le demandeur ajoute que des obligations comme celle exigeant que l’intéressé ait plus de 18 ans au moment de l’adoption ou que l’adoption soit dans l’intérêt supérieur de l’enfant constitueraient des atteintes aux droits du demandeur qui se justifieraient plus facilement. Le demandeur affirme que ces conditions permettraient également d’empêcher ce qu’on est convenu d’appeler les « adoptions de convenance » et qu’elles tiendraient compte des besoins des enfants se trouvant dans la même situation que lui.

 

[32]   c) Réparations

          Le demandeur explique qu’au vu de l’ensemble des faits de l’espèce, toutes les conditions préalables à respecter pour avoir droit à un bref de mandamus sont réunies (Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 C.F. 742 (C.A.)) :

(1)   Le demandeur s’est conformé à toutes les obligations réglementaires auxquelles la présentation de sa demande fondée sur l’article 3 était assujettie, ce qui a créé une « obligation légale d'agir à caractère public » selon laquelle le ministre doit traiter sa demande de manière non discriminatoire;

(2)   Cette obligation existe envers le demandeur;

(3)   Compte tenu des moyens qu’il tire de la Constitution, le demandeur a droit à la citoyenneté;

(4)   La seule autre réparation consisterait à renvoyer l’affaire pour réexamen, ce qui ne serait d’aucune utilité;

(5)   L’ordonnance sollicitée aura une incidence sur le plan pratique, puisqu’elle reconnaît un droit garanti par la Constitution;

(6)   En vertu de l’equity, rien n’empêche de reconnaître un droit garanti par la Constitution;

(7)   La prépondérance des inconvénients favorise la reconnaissance de la situation historiquement défavorisée des enfants adoptifs et le redressement de cette situation;

(8)   Le ministre n’a aucun pouvoir discrétionnaire en la matière.

 

V. Dépens

 

[33]           a) Dépens extrajudiciaires

            Le demandeur réclame les dépens extrajudiciaires. Dans le jugement Koehler c. Établissement de Warkworth, (1991), 45 F.T.R. 87 (C.F. 1re inst.), la Cour fédérale a condamné le défendeur à payer sur-le-champ les dépens extrajudiciaires. Dans cette affaire, le demandeur avait été victime d’un déni de justice naturelle de la part du tribunal administratif malgré le fait que celui‑ci avait reçu des directives de notre Cour trois mois plus tôt sur les règles de droit applicables. Le demandeur s’était fondé sur le fait que le défendeur avait multiplié les requêtes en prorogation de délai, n’avait pas communiqué toutes les pièces comme il le devait et avait présenté des requêtes inutiles.

 

Prétentions et moyens du défendeur

 

I. Questions préliminaires

 

[34]           a) Affidavit de Sonia Kociper

            Suivant le défendeur, il est évident que, dans son affidavit, Sonia Kociper, avocate associée du cabinet dont le demandeur a retenu les services, ne s’en tient pas aux faits dont elle a une connaissance personnelle, comme l’exige l’article 81 des Règles des Cours fédérales. Les renseignements contenus dans cet affidavit constituent essentiellement du ouï-dire par nature, de sorte qu’on devrait évaluer cet affidavit avec prudence et lui accorder une valeur minimale.

II.   Questions ayant trait au contrôle judiciaire

 

[35]           a) Norme de contrôle

            Le défendeur affirme que la norme de contrôle judiciaire appropriée dans le cas des questions d’interprétation des lois et de la Charte est celle de la décision correcte (Dr. Q. c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, au paragraphe 41). La norme de contrôle judiciaire appropriée dans le cas des conclusions de fait est celle de la décision manifestement déraisonnable (Keeprite Workers’ Independent Union c. Keeprite Productions Ltd. (1980), 29 O.R. (2d) 513 (C.A.)).

 

[36]           b)  Attente légitime no 1

            En ce qui concerne l’argument du demandeur suivant lequel il pouvait légitimement s’attendre à ce que l’analyste de cas communique avec lui si des renseignements complémentaires étaient nécessaires, le défendeur affirme que cet argument est mal fondé. Le défendeur fait observer qu’il ressort à l’évidence des Guides des politiques que c’est au demandeur qu’il incombe de démontrer qu’il a le droit d’être reconnu comme citoyen canadien. Il n’y a rien dans les Guides qui permettrait de penser qu’il y a un déplacement du fardeau de la preuve qui ferait en sorte qu’il incomberait aux autorités de la citoyenneté de chercher à obtenir les renseignements nécessaires pour appuyer la demande du demandeur (Ayyalasomayajula c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 248; Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., 2001 CSC 44). Le défendeur cite le chapitre CP-10, où l’on trouve l’affirmation suivante : « Il incombe au demandeur d’obtenir l’information nécessaire des autorités du pays concerné. »

 

[37]           c) Attente légitime no 2

            En ce qui concerne l’argument du demandeur suivant lequel il pouvait légitimement s’attendre à ce qu’une copie du certificat de naissance provincial canadien de ses parents adoptifs soit une preuve suffisante pour établir la citoyenneté canadienne, le défendeur affirme que cet argument est également mal fondé. Le défendeur affirme que le demandeur n’a pas démontré qu’il ne pouvait s’attendre à ne pas avoir à établir les éléments essentiels de sa cause. Le défendeur soutient qu’aucun représentant du gouvernement canadien n’a jamais laissé entendre au demandeur qu’il lui suffisait de produire le certificat de naissance de ses parents pour établir la citoyenneté de ces derniers. Le défendeur rappelle que les Guides des politiques ne renferment que des indications sur la documentation « minimale » requise pour établir la citoyenneté canadienne. Les Guides de politiques en question ne sauraient d’aucune façon susciter des attentes légitimes.

 

[38]           d) Conclusion erronée au sujet de l’insuffisance de la preuve

            Le défendeur affirme qu’on ne peut nullement qualifier de manifestement déraisonnable la décision de l’analyste de cas suivant laquelle il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer que les parents du demandeur avaient la citoyenneté canadienne au moment de l’adoption du demandeur, compte tenu des facteurs suivants :

  • Les parents adoptifs auraient pu être des citoyens américains par filiation à la naissance par le biais de leurs parents américains;
  • Le père adoptif se présentait au grand public comme étant un citoyen américain;
  • Le seul élément de preuve qui a été produit pour établir la citoyenneté du père adoptif, ainsi que de la mère adoptive, était un certificat de naissance provincial canadien.

 

[39]           Le défendeur rappelle par ailleurs que l’alinéa 4(1)a) de l’ancienne Loi prévoyait que toute personne née avant le 1er janvier 1947 était citoyen canadien de naissance « lorsqu'elle » était née au Canada ou sur un navire canadien et n'était pas devenue « étrangère » avant le 1er janvier 1947. Comme l’analyste de cas disposait de faits qui permettaient de penser que le père adoptif du demandeur pouvait être un « étranger », sa décision n’était pas manifestement déraisonnable.

III. Questions procédurales

 

[40]           a)  Chose jugée

            Le défendeur affirme que la question de la citoyenneté canadienne des parents du demandeur n’est pas chose jugée. Premièrement, le défendeur soutient que rien ne permet de penser qu’un représentant du gouvernement canadien a laissé entendre au demandeur lors de l’examen de sa demande que ses parents adoptifs avaient la citoyenneté canadienne. Deuxièmement, le défendeur affirme que notre Cour ne s’est jamais prononcée sur la question de la citoyenneté des parents adoptifs du demandeur. Enfin, le défendeur affirme que les déclarations inexactes qui ont été faites par un représentant du gouvernement dans le cadre du premier contrôle judiciaire ont été faites de bonne foi et étaient secondaires par rapport aux questions litigieuses que la Cour était appelée à trancher.

 

[41]           b) Irrecevabilité

            Suivant le défendeur, le principe d’irrecevabilité ne s’applique pas, car on ne saurait permettre qu’il entrave la bonne administration de la justice.

 

[42]           c) Renvoi de l’affaire pour réexamen

            Le défendeur affirme que, si la Cour conclut qu’il existait des attentes légitimes, la mesure à prendre consisterait à faire droit à la demande de contrôle judiciaire sur ce moyen et à renvoyer l’affaire pour qu’elle soit réexaminée sur cette question, sans aborder la question constitutionnelle.

 

IV. Questions constitutionnelles

 

[43]     a) Article 15

            Le défendeur affirme que le demandeur n’a pas la qualité nécessaire pour introduire une contestation fondée sur la Charte étant donné qu’il n’a pas prouvé que son père adoptif était un citoyen canadien au moment de sa naissance ou de son adoption. Il n’aurait donc pas droit à la citoyenneté en vertu de l’article 3 même si cet article était jugé inconstitutionnel. Le défendeur soutient également que l’argument du demandeur qu’il peut présenter une demande de citoyenneté par filiation en se fondant sur la citoyenneté de sa mère est mal fondé étant donné qu’aucune décision n’a encore été rendue au sujet de la citoyenneté de sa mère. Le défendeur signale par ailleurs que la Cour suprême a jugé que les droits garantis à l’article 15 de la Charte sont de nature personnelle (R c. Swain, [1991] 1 R.C.S. 933). Le défendeur fait valoir que le demandeur n’a pas encore démontré qu’il avait un lien personnalisé avec un des motifs prévus à l’alinéa 3(1)e) de la Loi qui lui permettrait de revendiquer la citoyenneté parce qu’il est nécessaire de conclure que son père ou sa mère avait effectivement la citoyenneté canadienne au moment de sa naissance ou de son adoption.

 

[44]     Le défendeur signale par ailleurs que le demandeur invite la Cour à appliquer la Charte rétroactivement, un procédé que la Cour suprême du Canada a écarté (Benner c. Canada (Secrétaire d’État), [1997] 1 R.C.S. 358). Le défendeur affirme que, ce dont le demandeur se plaint, ce sont les conséquences découlant de l’ancienne Loi, et non de la Loi sur la citoyenneté actuelle. Le  défendeur établit une distinction entre la présente espèce et l’affaire Benner, précitée, en faisant valoir que cette dernière portait sur une contestation de la constitutionnalité de la Loi sur la citoyenneté de 1977, et non sur la Loi sur la citoyenneté de 1947.

 

[45]                                                                                                                                          Le défendeur affirme que le demandeur fait reposer sa thèse presque exclusivement sur des moyens de droit tirés de l’arrêt Benner, précité, de la Cour suprême, et de l’arrêt McKenna, précité, de la Cour d’appel. Suivant le défendeur, la Cour ne peut connaître de cette contestation fondée sur la Charte car elle repose sur un vide factuel et légal, ce qui aurait pour effet de banaliser la Charte.

[46]     Le défendeur s’est ensuite demandé s’il y avait eu contravention à l’article 15 de la Charte. Le défendeur affirme que, bien que l’alinéa 3(1)e) ne traite pas tout le monde sur un pied d’égalité, il ne donne pas pour autant lieu à une différence de traitement fondée sur des caractéristiques personnelles. Le défendeur signale que la catégorie de personnes qui ne tombent pas sous le coup de l’alinéa 3(1)e) est vaste et diversifiée. Le défendeur ajoute que le groupe de comparaison proposé par le demandeur ne tient tout simplement pas. Le défendeur explique qu’on ne peut comparer « les enfants étrangers qui sont adoptés à l’étranger par des Canadiens résidant à l’étranger » aux « enfants étrangers nés de Canadiens résidant à l’étranger » parce que ces groupes ne se trouvent pas dans la même situation en raison du fait que l’adoption est une procédure prévue par la loi. Les enfants étrangers sont pour la plupart des citoyens de leur pays par la naissance, sous réserve des lois de ces pays, y compris celles ayant trait à l’adoption. Qui plus est, attribuer automatiquement la citoyenneté risquerait de faire perdre leur citoyenneté aux enfants adoptifs nés à l’étranger, étant donné que la double citoyenneté n’est pas encore reconnue par tous les États. Le défendeur ajoute qu’on ne peut présumer que la procédure d’adoption est la même partout, ou encore que le Canada reconnaît toutes les adoptions faites à l’étranger. Le Canada a un intérêt légitime à protéger l’intérêt supérieur de l’enfant et à empêcher les « adoptions de convenance ». Le défendeur ajoute que les enfants étrangers adoptés hors du Canada par des Canadiens ont des besoins spéciaux dont le législateur fédéral a cherché à tenir compte dans la Loi sur la citoyenneté.

 

[47]     b) Article premier

            Le défendeur fait valoir que la Loi sur la citoyenneté est le mécanisme qu’a retenu le législateur fédéral pour s’assurer qu’il existe un certain lien entre le Canada et ses citoyens. La Loi prévoit par ailleurs clairement que les enfants nés à l’étranger et qui sont adoptés par des citoyens canadiens se voient accorder la citoyenneté par le mécanisme d’« attribution » prévu à l’article 5 de la Loi. Le défendeur a énuméré un certain nombre de préoccupations urgentes et réelles, notamment le souci d’assurer l’intérêt supérieur de l’enfant et d’empêcher les « adoptions de convenance » et la nécessité de remplir les obligations internationales contractées par le Canada, notamment aux termes de la Convention deLa Haye sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale.

 

[48]     Le défendeur affirme qu’il existe un lien rationnel entre les moyens législatifs choisis et la réalisation de l’objectif visé : les mesures législatives garantissent que l’on tient compte de l’intérêt supérieur de l’enfant adoptif et elles empêchent les adoptions internationales abusives visant à faciliter l’immigration. Le défendeur ajoute que le régime actuel correspond à une réalité pratique : alors que les provinces sont chargées de l’adoption, c’est le gouvernement fédéral qui est le mieux placé pour vérifier l’authenticité d’une adoption.

 

[49]     Le défendeur affirme également que l’argument du demandeur suivant lequel l’alinéa 3(1)e) a pour effet de « porter gravement atteinte » à ses droits méconnaît totalement les dispositions de l’article 5 de la Loi relatives à l’« attribution de citoyenneté ». Les tribunaux ne devraient pas conclure qu'une loi a une portée trop générale simplement parce qu'on peut songer à une solution de rechange beaucoup moins attentatoire (RJR MacDonald Inc. c. Canada (P.G.), [1995] 3 R.C.S. 199). Le défendeur signale par ailleurs qu’à la différence de celui qui existe dans d’autres pays, le régime canadien est qualifié de modèle « de plein droit » et non de modèle « discrétionnaire » comme celui qui existe dans des pays comme la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne. De plus, les États‑Unis ont un système qui ressemble à celui du Canada étant donné que les enfants adoptés à l’étranger doivent quand même se soumettre aux formalités du Service américain de la Citoyenneté et de l’Immigration.

 

[50]     Enfin, le défendeur affirme que les effets préjudiciables causés par l’obligation faite aux enfants en question de demander la citoyenneté par le truchement des dispositions de l’article 5 relatives à l’« attribution de citoyenneté » sont minimes par rapport aux objectifs importants que le régime actuel vise. Le défendeur ajoute que cela est d’autant plus vrai si l’on tient compte du fait que près de 90 p. 100 des visas concernant des enfants nés à l’étranger et adoptés ou à adopter par des Canadiens sont habituellement accordés. De plus, à leur arrivée au Canada, ces enfants sont habiles à devenir citoyens en vertu de l’article 5 de la Loi.

 

[51]     c) Réparations

            Le défendeur affirme que le demandeur n’a pas suggéré de solution pour corriger la situation. Le défendeur affirme également que le demandeur n’a pas droit à un bref de mandamus étant donné que le défendeur a agi conformément à la loi en refusant la demande. Le défendeur fait en outre observer que le jugement déclaratoire réclamé équivaudrait à demander l’invalidation de l’alinéa 3(1)e) sans citer de disposition qui permettrait au demandeur d’obtenir la citoyenneté pour les motifs qu’il invoque. Interpoler des mots à l’alinéa 5(1)b) de l’ancienne Loi sur la citoyenneté de 1947 constitue une application rétroactive de la Charte, un procédé qui n’est tout simplement pas permis.

 

V. Dépens

 

[52]     a) Dépens extrajudiciaires

            Le défendeur affirme que le demandeur n’a pas démontré qu’il avait droit à quelques dépens que ce soit ou encore que la Cour devrait lui adjuger les dépens extrajudiciaires.

 

Analyse et décision

 

I. Questions préliminaires

 

[53]      a)         L’affidavit de Sonia Kociper soumis par le demandeur contrevient-il à l’article 81 des Règles des Cours fédérales?

            Le défendeur affirme que l’affidavit souscrit à l’appui de sa demande par Sonia Kociper, avocate associée du cabinet qui représente le demandeur, viole l’article 81 des Règles des Cours fédérales. Je tiens à signaler que la réponse qui sera donnée à cette question n’est pas préjudiciable à la présente demande de contrôle judiciaire, car la plus grande partie des renseignements communiqués par Sonia Kociper dans son affidavit se retrouvent également dans l’affidavit souscrit par Duane Edward Worthington ainsi que dans le dossier certifié du tribunal. J’estime toutefois qu’il est nécessaire d’examiner l’argument soulevé par le défendeur.

 

[54]      L’article 81 des Règles des Cours fédérales exige essentiellement que le déclarant s’en tienne aux faits dont il a une connaissance personnelle. Dans l’arrêt Moldeveanu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1999), 1 Imm. L.R. (3d) 105, la Cour d’appel fédérale a jugé que les faits qui ne figurent pas au dossier et dont le demandeur avait une connaissance personnelle ne peuvent être mis en preuve par le biais de l’affidavit souscrit par un  tiers qui n’est pas personnellement au courant de ces faits, au risque de porter atteinte au principe de la connaissance personnelle.

 

[55]      Le demandeur est bien au courant de cette exigence. En fait, dans le jugement Worthington, précité, notre Cour a déclaré, sous la plume de la juge Layden-Stevenson, au paragraphe 26 :

 

 

L'affidavit qui a été produit à l'appui de la demande est celui de l'avocat du cabinet qui représente les demandeurs. Bien que cette lacune ne porte pas nécessairement un coup fatal à la demande de contrôle judiciaire, en l'espèce, elle constitue une nette violation de l'article 81 des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, modifiées (les Règles). Le déclarant n'a en effet pas une connaissance personnelle d'une grande partie des faits qu'il relate dans son affidavit.

 

[56]      Après avoir examiné l’affidavit de Sonia Kociper, je suis d’avis que la situation soumise à la Cour est la même que celle qui existait dans l’affaire précitée.

 

[57]      En conséquence, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que l’affidavit doit être évalué avec prudence et qu’on doit dans l’ensemble lui accorder une valeur minimale.

 

II. Questions ayant trait au contrôle judiciaire

 

[58]      a)         Quelle est la norme de contrôle judiciaire appropriée?

            Les questions d’équité procédurale sont assujetties à la norme de contrôle de la décision correcte. Il en va de même pour les questions relatives à la Charte. Pour ce qui est de la question de savoir si l’analyste de cas a commis une erreur en concluant qu’elle ne disposait pas de suffisamment d’éléments de preuve pour se prononcer sur la citoyenneté des parents adoptifs du demandeur, il nous faut appliquer l’analyse relative au contrôle judiciaire pour déterminer la norme de contrôle judiciaire appropriée.

 

[59]      La Loi sur la citoyenneté ne renferme pas de clause privative. Il s’agit donc d’un facteur neutre.

 

[60]      Quant à la nature de la question, il s’agit en l’espèce de savoir si l’analyste de cas a commis une erreur en concluant qu’elle ne disposait pas de suffisamment d’éléments de preuve pour se prononcer sur la citoyenneté des parents adoptifs du demandeur. Je suis d’avis que la question de savoir s’il y a suffisamment d’éléments de preuve pour pouvoir trancher la question est une question mixte de fait et de droit, qui commande un degré de retenue modéré.

[61]      L’expertise des analystes de cas consiste à analyser les éléments de preuve qui leur sont soumis à l’appui des demandes de citoyenneté et de prendre les décisions que la Loi les oblige à prendre. La question de savoir si les éléments de preuve dont ils disposent sont suffisants pour leur permettre de prendre une décision est une question qui relève directement de l’expertise des analystes de cas en matière de citoyenneté. Ce facteur commande un degré de retenue plus élevé.

 

[62]      Quant à l’objet de la Loi et de l’article en cause, dans le jugement Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 410, au paragraphe 20, la Cour a expliqué que la Loi sur la citoyenneté est une loi concernant « les conditions d'attribution de la citoyenneté et les formalités à suivre à cet égard, la perte de la citoyenneté et la réintégration dans la citoyenneté, et les mesures applicables lorsque des questions de sécurité nationale sont en jeu ». L'article 3 de la Loi a pour objet d’attribuer automatiquement la citoyenneté aux personnes qui remplissent les conditions légales prévues à cet article.

 

[63]      Je suis d’avis que c’est la norme de contrôle judiciaire de la décision raisonnable qui s’applique lorsqu’il s’agit de savoir s’il existe suffisamment d’éléments de preuve pour rendre une décision.

 

[64]      b)         Le demandeur pouvait-il légitimement s’attendre à ce que l’analyste de cas communique avec lui si elle avait besoin de renseignements complémentaires? A-t-il été frustré dans cette attente légitime?

            Le demandeur affirme qu’il s’attendait légitimement à ce que l’analyste de cas communique avec lui si elle avait besoin de renseignements complémentaires pour compléter l’examen de sa demande. Dans l’arrêt Syndicat canadien des employés de la fonction publique c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] A.C.S. nº 28, au paragraphe 131, la Cour suprême du Canada a exposé comme suit la règle de l’expectative (ou attente) légitime :

La règle de l’expectative légitime est « le prolongement des règles de justice naturelle et de l’équité procédurale » : Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C.‑B.), [1991] 2 R.C.S. 525, p. 557.  Elle s’attache à la conduite d’un ministre ou d’une autre autorité publique dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire — y compris les pratiques établies, la conduite ou les affirmations qui peuvent être qualifiées de claires, nettes et explicites — qui a fait naître chez les plaignants (en l’espèce, les syndicats) l’expectative raisonnable qu’ils conserveront un avantage ou qu’ils seront consultés avant que soit rendue une décision contraire.  Pour être « légitime », une telle expectative ne doit pas être incompatible avec une obligation imposée par la loi. Voir : Assoc. des résidents du Vieux St‑Boniface Inc. c. Winnipeg (Ville), [1990] 3 R.C.S. 1170; Baker, précité; Mont‑Sinaï, précité, par. 29; Brown et Evans, op. cit., par. 7:2431.  Lorsque les conditions d’application de la règle sont remplies, la cour peut accorder une réparation procédurale convenable pour répondre à l’expectative « légitime ».

 

Dans une lettre du 21 août 2004 accusant réception de la demande du demandeur, le Centre de traitement des demandes de CIC à Sydney précisait ce qui suit :

[traduction]

 

[…] on communiquera avec vous, si nécessaire, pour obtenir d’autres renseignements.

 

 

 

[65]      Il s’agit là, à mon avis, d’une promesse claire, nette et absolue que le représentant officiel du gouvernement prendrait une mesure déterminée si de plus amples renseignements s’avéraient nécessaires. Cette promesse touchait à la procédure, et non au fond. Il semble par ailleurs qu’il existe des éléments de preuve suivant lesquels le demandeur s’est fié à cette promesse à son détriment.

 

[66]      Le défendeur affirme que la présumée promesse ne peut être acceptée puisque les Guides des politiques en matière de citoyenneté indiquent clairement que c’est au demandeur qu’il incombe de démontrer qu’il a le droit d’être reconnu comme citoyen canadien. Le défendeur affirme en outre que le fonctionnaire n’a pas l’obligation d’informer le demandeur de la solidité de sa demande. À l’appui de ces arguments, le défendeur invoque les décisions Ayyalasomayajula, précitée, et Danyluk, précitée. À mon avis, ces décisions ne sont pas comparables car ni l’une ni l’autre ne porte sur le principe des attentes légitimes.

 

[67]      Bien que je convienne qu’il incombe au demandeur de fournir des documents suffisants, j’estime que la promesse susmentionnée ne va pas nécessairement à l’encontre de ce fardeau de la preuve. Il incombe au demandeur de fournir des documents suffisants, mais si l’analyste de cas a besoin de plus de renseignements pour rendre sa décision, il doit communiquer avec le demandeur, si l’on se fie à la promesse susmentionnée. J’estime en conséquence que le demandeur pouvait légitimement s’attendre à ce que l’on communique avec lui si l’on avait besoin de renseignements complémentaires. L’analyste a par la suite fait défaut de répondre à cette attente légitime lorsqu’elle a décidé de refuser d’attribuer la citoyenneté en invoquant le manque de renseignements. Il y a lieu d’accueillir la demande de contrôle judiciaire sur ce moyen.

[68]     c)         Le demandeur pouvait-il légitimement s’attendre à ce qu’en soumettant une copie du certificat provincial de naissance de son père canadien adoptif, il satisfasse à son obligation de prouver la citoyenneté canadienne de son père adoptif? A-t-il été frustré dans cette attente légitime?

            Ayant exposé les conditions prévues par la loi pour que le principe des attentes légitimes s’applique, je vais maintenant évaluer le second moyen que le demandeur tire des attentes légitimes. Le demandeur affirme que les Guides des politiques en matière de citoyenneté lui donnaient des raisons de penser qu’il suffisait de produire une copie du certificat de naissance provincial canadien de son père adoptif pour satisfaire automatiquement à l’obligation relative à l’établissement de la citoyenneté canadienne de son père. Le demandeur cite plus précisément les documents suivants à l’appui de cet argument :

            (1)  Le CP 12 (intitulé « Documents ») traite,  à la section 1.3, des « documents servant à établir la citoyenneté ». Il précise que « le certificat de naissance provincial canadien » fait partie des documents acceptables;

            (2)  Le CP 4 (intitulé « Attribution de la citoyenneté ») qui, à la section 5, porte sur les documents servant à établir la citoyenneté d’un parent, précise que « les documents acceptables comme preuve de citoyenneté des parents sont les suivants : […] le certificat de naissance d'un parent, confirmant que le parent est né au Canada »;

            (3)  Le manuel de CIC régissant les demandes présentées en vertu de l’article 3, à la rubrique « Les documents que vous devez annexer au formulaire » précise ce qui suit : [traduction] « Si vous êtes né(e) à l’extérieur du Canada d’un parent canadien avant le 15 février 1977, vous devez nous faire parvenir : […] une preuve du fait que votre père naturel était citoyen canadien au moment de votre naissance, comme le certificat de naissance canadien ou le certificat de citoyenneté canadienne de vos parents. »

 

[69]      À mon avis, ces extraits donnent aux personnes qui demandent la citoyenneté de solides indications sur les documents que CIC juge acceptables. Je n’irais cependant pas jusqu’à dire que ces indications permettent légitimement de s’attendre à ce qu’en soumettant un des documents énumérés, la preuve de citoyenneté sera automatiquement établie. Si tel était le cas, il ne serait pas nécessaire pour les analystes de cas de rendre des décisions discrétionnaires une fois les documents soumis. J’estime en outre que la promesse qui aurait été faite en l’espèce créerait un droit substantiel et non un droit procédural. Aucune attente légitime n’a donc été créée sur ce fondement.

 

[70]      d)         L’analyste de cas a-t-elle commis une erreur en concluant qu’elle ne disposait pas d’éléments de preuve suffisants pour prouver la citoyenneté des parents du demandeur?

            Le demandeur admet que la seule pièce qu’il a déposée pour établir la citoyenneté canadienne de son père adoptif était un certificat de naissance provincial canadien. Parmi les renseignements dont l’analyste de cas disposait, mentionnons plusieurs indices permettant de penser que le père adoptif du demandeur ne répondait peut-être pas à la définition de citoyen canadien de l’ancienne Loi, comme l’exigeait l’alinéa 3(1)e). Je constate plus précisément qu’à la différence de ce qu’il a fait dans le cas de sa mère adoptive, le demandeur n’a pas produit la carte de résident étranger des États-Unis de son père. Il était par ailleurs précisé dans la demande que le père adoptif du demandeur résidait aux États-Unis. Compte tenu des éléments de preuve dont disposait l’analyste de cas, j’estime qu’il était raisonnable de sa part de conclure qu’elle ne disposait pas de suffisamment d’éléments de preuve pour être en mesure de prendre une décision.

 

III. Questions procédurales

 

[71]      a)      La question de la citoyenneté des parents du demandeur est-elle chose jugée?

            Le demandeur affirme que la question de la citoyenneté de ses parents est chose jugée. Le défendeur écarte cette prétention en faisant valoir que, dans la décision Worthington, précitée, la Cour a peut-être tenu de bonne foi des propos au sujet de la citoyenneté des parents du demandeur, mais qu’elle n’a aucunement tranché la question. Bien que, dans cette décision, en expliquant les faits, la Cour ait effectivement affirmé que les parents du demandeur étaient des citoyens canadiens, il ne s’agit pas de la question que la Cour était appelée à trancher, de sorte que le principe de la chose jugée ne s’applique pas.

 

[72]      b)      Le défendeur est-il irrecevable à contester la citoyenneté des parents?

            Le demandeur soutient que le défendeur est irrecevable à contester la citoyenneté de ses parents. La première condition de l’irrecevabilité est que la question ait déjà été tranchée aux termes d’un jugement définitif (Bande indienne de Blueberry River, précité). Ayant conclu que la question de la citoyenneté des parents du demandeur n’est pas chose jugée, je dois également rejeter cet argument. Les conditions de l’irrecevabilité ne sont pas réunies.

 

[73]      c)      Serait-il utile de renvoyer l’affaire pour qu’elle soit réexaminée?

            Le demandeur explique qu’il ne serait d’aucune utilité de renvoyer l’affaire pour qu’elle soit réexaminée, parce que le défendeur a constamment adopté le point de vue que le demandeur, en tant qu’enfant adoptif de parents canadiens, ne peut présenter une demande de citoyenneté par filiation en vertu de l’article 3 de la Loi sur la citoyenneté. Le défendeur n’est pas de cet avis; il affirme que, si une erreur justifiant notre intervention a été commise, la réparation appropriée consiste à ordonner le renvoi de l’affaire pour qu’une nouvelle décision soit rendue.

 

[74]      Bien que la procédure habituellement suivie lorsque la Cour conclut à l’existence d’une erreur justifiant l’infirmation de la décision visée par la demande de contrôle judiciaire consiste à renvoyer l’affaire pour qu’elle soit réexaminée, notre Cour s’est écartée de cette façon de procéder dans certaines circonstances. Ainsi, dans le jugement Popov, précité, notre Cour a jugé qu’il n’était pas nécessaire d’ordonner le renvoi de l’affaire en vue de son réexamen lorsqu’elle est convaincue que cette mesure ne serait pas vraiment utile. Dans le jugement Abasalizadeh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. no 1714, au paragraphe 24, notre Cour a fait observer ce qui suit : « La jurisprudence montre que lorsqu'il y a eu un manquement à la justice naturelle ou à l'équité procédurale, une décision peut être maintenue dans un cas où le décideur aurait été tenu par la loi de rejeter la demande selon la preuve dont il disposait. »

 

[75]      Malgré ma conclusion qu’une erreur justifiant notre intervention a effectivement été commise (étant donné que l’analyste de cas n’a pas répondu à la première attente légitime du demandeur), je ne vois pas l’utilité de renvoyer l’affaire pour réexamen sans se prononcer sur la contestation de la constitutionnalité des dispositions législatives en cause. Bien que la question de la citoyenneté des parents du demandeur n’ait pas encore été tranchée, il n’en demeure pas moins que le Ministère a adopté le point de vue que le demandeur ne peut présenter une demande de citoyenneté en vertu de l’article 3 de la Loi du fait de son statut d’enfant adoptif. Ainsi, même si, à l’issue du réexamen, le père est jugé être un citoyen canadien, sa demande sera quand même rejetée. Je vais donc procéder à l’examen de la contestation de la constitutionnalité.

 

IV. Questions constitutionnelles

 

[76]      Avant de déterminer si l’alinéa 3(1)e) de la Loi viole l’article 15 de la Charte, je vais d’abord examiner la question de la qualité pour agir et celle de la rétroactivité que le défendeur a soulevées.

 

Qualité pour agir

[77]      Le défendeur affirme que le demandeur n’a pas la qualité nécessaire pour contester la constitutionnalité de l’alinéa 3(1)e) de la Loi. Plus précisément, le défendeur souligne que le demandeur n’a pas encore convaincu l’analyste de cas que ses parents sont des citoyens canadiens, comme l’exige l’alinéa 3(1)e) de la Loi. Bien que je convienne avec le défendeur que le demandeur n’a pas satisfait aux exigences de l’alinéa 3(1)e) de la Loi, j’estime néanmoins que le demandeur a qualité pour contester la constitutionnalité de la loi.

 

[78]      La demande présentée par le demandeur en vertu de l’article 3 a été rejetée par l’analyste de cas au motif que le demandeur était l’enfant adoptif de parents canadiens et qu’il ne pouvait donc pas présenter de demande de citoyenneté en vertu de l’article 3 de la Loi. J’estime en conséquence que le demandeur a déjà subi un préjudice en raison de cet article du fait que sa demande de citoyenneté a été rejetée du fait de son statut d’enfant né à l’étranger dont les parents adoptifs sont canadiens.

 

Rétroactivité de la Charte

 

[79]      Le défendeur affirme également que la contestation que le demandeur fonde sur la Charte obligerait la Cour à appliquer la Charte rétroactivement. Voici en quels termes la Cour suprême du Canada s’est expliquée, au sujet de l’application rétroactive de la Charte, dans l’arrêt Benner, précité, au paragraphe 45 :

La question à trancher consiste donc à caractériser la situation : s’agit‑il réellement de revenir en arrière pour corriger un événement passé, survenu avant que la Charte crée le droit revendiqué, ou s’agit‑il simplement d’apprécier l’application contemporaine d’un texte de loi qui a été édicté avant l’entrée en vigueur de la Charte?

 

[80]      L’alinéa en litige dans le cas qui nous occupe est l’alinéa 3(1)e), mais il incorpore par renvoi l’alinéa 5(1)b) de l’ancienne Loi. L’alinéa 3(1)e) est ainsi libellé :

3. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, a qualité de citoyen toute personne :

 

[…]

 

e) habile, au 14 février 1977, à devenir citoyen aux termes de l’alinéa 5(1)b) de l’ancienne loi.

 

 

[81]      Le sous-alinéa 5(1)b)(i) de l’ancienne Loi disposait :

5.(1) Une personne, née avant le 1er janvier 1947, est citoyen canadien de naissance :

 

[…]

 

b) si elle naît hors du Canada ailleurs que sur un navire canadien, et si

 

(i)  son père ou, dans le cas d’un enfant né hors du mariage, sa mère, à la naissance de ladite personne, est citoyen canadien en raison de sa naissance au Canada […]

 

 

 

[82]      À mon avis, l’alinéa 3(1)e) ─ et, par renvoi, le sous-alinéa 5(1)b)(i) de l’ancienne Loi ─ continuent à établir une distinction illicite dans le cas des enfants adoptifs de parents canadiens. Bien que le sous-alinéa 5(1)b)(i) ait été édicté avant la Charte, ce que le demandeur lui reproche, c’est le fait qu’il s’applique toujours. Je ne crois pas que le demandeur souhaite que la Cour applique la Charte rétroactivement. Je vais donc passer à l’examen de la contestation constitutionnelle.

 

[83]      a)         L’alinéa 3(1)e) viole-t-il l’article 15 de la Charte?

            Avant d’amorcer mon analyse de l’article 15, je crois qu’il est nécessaire de formuler quelques commentaires au sujet de l’arrêt McKenna, précité. Cette affaire portait sur un demandeur canadien dont les deux filles adoptives nées à l’étranger s’étaient vu refuser la citoyenneté au motif qu’elles n’étaient pas des résidentes permanentes contrairement à ce qu’exigeait l’alinéa 5(2)a). Le demandeur soutient que les articles 3 et 5 de la Loi sur la citoyenneté soumettaient ses enfants adoptifs à un traitement discriminatoire pour l’application de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Le fond du problème était que, comme l’attribution automatique de la citoyenneté prévue par l’article 3 ne s’appliquait pas aux enfants adoptifs, ces derniers étaient forcés de présenter leur demande en vertu de l’article 5, qui exige que le demandeur ait le statut de résident permanent. La Cour d’appel fédérale a statué que ces dispositions étaient discriminatoires au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Le demandeur soutient que, dans l’arrêt McKenna, précité, la Cour d’appel fédérale a estimé que l’article 3 de la Loi était à première vue discriminatoire. Bien que je convienne que l’article 3 a effectivement été jugé discriminatoire, je constate que l’affaire McKenna ne portait pas sur l’application de la Charte. J’estime donc nécessaire de procéder à une analyse en bonne et due forme de l’article 15.

 

[84]      Dans l’arrêt Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497, la Cour suprême du Canada a énoncé le critère à trois volets suivant pour déterminer si une disposition législative viole l’article 15 de la Charte :

1.            La loi en cause a-t-elle pour objet ou pour effet d’imposer une différence de traitement entre le demandeur et d’autres personnes?

 

OU

 

omet‑elle de tenir compte de la situation défavorisée dans laquelle le demandeur se trouve déjà dans la société canadienne?

 

2.            Le demandeur fait‑il l’objet d’une différence de traitement fondée sur un ou plusieurs des motifs énumérés ou des motifs analogues?

 et

 

3.            les dispositions législatives en question ont-elles un objet ou un effet discriminatoires au sens de la garantie d’égalité?

 

 

Groupes de comparaison

 

[85]      Le demandeur affirme que les groupes de comparaison appropriés sont les enfants biologiques nés à l’étranger de citoyens canadiens ainsi que les enfants nés à l’étranger qui ont été adoptés par des citoyens canadiens. Le défendeur rejette le groupe de comparaison proposé par le demandeur parce que ces groupes ne se trouvent pas dans la même situation en raison du fait que l’adoption est une procédure prévue par la loi. Autrement dit, les enfants adoptifs sont assujettis aux lois du pays où ils sont nés, y compris celles ayant trait à la citoyenneté et à l’adoption. Malgré ces observations, j’accepte les groupes de comparaison proposés par le demandeur.

 

Différence de traitement

 

[86]      Aux termes de la Loi, les enfants biologiques sont habiles à devenir citoyens en vertu de l’article 3, tandis que les enfants adoptifs ne peuvent demander la citoyenneté en vertu de cet article et doivent présenter leur demande conformément à l’article 5. Aux termes de l’article 3 de la Loi, le demandeur est « réputé » avoir la qualité de citoyen, tandis qu’en vertu de l’article 5, la citoyenneté lui est « attribuée ». L’existence de processus distincts en ce qui concerne la présentation et le traitement des demandes de citoyenneté permet de toute évidence de conclure que la loi établit une distinction formelle fondée sur une caractéristique personnelle, en l’occurrence le fait d’être un enfant biologique ou d’être un enfant adoptif. À sa face même, la loi prévoit donc une différence de traitement, de sorte qu’il n’est pas nécessaire d’examiner les conséquences de la loi. Comme j’ai conclu qu’il existe une différence de traitement fondée sur une caractéristique personnelle, il n’est pas nécessaire de se demander si la loi omet de tenir compte de la situation défavorisée dans laquelle le demandeur se trouve déjà dans la société canadienne (arrêt Law, précité).

 

Motif énuméré ou motif analogue

 

[87]      Dans l’affaire Grismer c. Première Nation Squamish, 2006 CF 1088, notre Cour s’est penchée sur les critères de ce qui constitue un motif analogue tels qu’ils ont été définis dans l’arrêt Corbière c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord), [1999] 2 R.C.S. 203. Notre Cour a estimé que la situation d’enfants adoptifs constituait un motif analogue. Pour rendre sa décision, la Cour a expliqué ce qui suit, au paragraphe 46 de l’arrêt Grismer :

Un enfant ne peut pas changer sa situation d’enfant adoptif. Il s’agit donc bien d’un trait caractéristique immuable. La situation des enfants qui ont été adoptés après avoir atteint l’âge adulte est elle aussi immuable quelle que soit la manière dont on interprète ce terme. La situation d’enfants adoptifs, qui est celle des demanderesses, constitue donc un motif analogue.

 

J’estime que ce raisonnement s’applique au cas qui nous occupe. Les conditions à remplir pour pouvoir conclure à l’existence d’un motif analogue sont réunies.

 

Objet ou effet discriminatoire

 

[88]      Une différence de traitement ne constitue pas nécessairement de la discrimination au sens de l’article 15 de la Charte. Le critère applicable consiste à se demander si une personne raisonnable, se trouvant dans des circonstances semblables à celles du demandeur, et compte tenu de tous les facteurs contextuels entourant la question, arriverait à la conclusion que les dispositions contestées, par leur objet ou par leur effet, portent atteinte à la dignité du demandeur (arrêt Grismer, précité, au paragraphe 48). On peut tenir compte des facteurs contextuels suivants pour déterminer si une disposition législative porte atteinte à l’article 15 de la Charte (arrêt Law, précité, au paragraphe 88) :

1.         La préexistence d’un désavantage, de stéréotypes, de préjugés ou de vulnérabilité subis par la personne ou le groupe en cause;

 

2.         La correspondance, ou l’absence de correspondance, entre le ou les motifs sur lesquels l’allégation est fondée et les besoins, les capacités ou la situation propres au demandeur ou à d’autres personnes;

 

3.         L’objet ou l’effet d’amélioration de la loi contestée eu égard à une personne ou un groupe défavorisés dans la société;

 

4.         La nature et l’étendue du droit touché par la loi contestée. 

 

[89]      La situation défavorisée dans laquelle se trouvent les enfants adoptifs a été analysée à fond par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt McKenna, précité. Dans cet arrêt, le juge Linden a tenu, aux paragraphes 26 et 27, les propos suivants que j’estime particulièrement éclairants pour trancher le présent litige :

D'une façon générale, l'historique montre que par le passé, on estimait que les enfants adoptés étaient un « second choix », et que les parents adoptifs n'étaient pas de « véritables » parents. Cependant, au cours des dernières années, il y a eu une évolution marquée et une attitude plus sensible et plus humaine a été adoptée. Dans de nombreux domaines, le droit a commencé à traiter les parents adoptifs et les enfants adoptés avec autant de respect que leurs homologues non adoptés. En droit du travail, un grand nombre des avantages qui étaient autrefois accordés uniquement aux parents biologiques sont maintenant également reconnus aux parents adoptifs. Comme nous le verrons, les enfants adoptés sont maintenant traités à peu près de la même façon que les enfants biologiques. Tout stigmate social qui existe encore nous vient du passé et des anciennes attitudes.

La façon dont les enfants adoptés sont traités au Canada dans le contexte de la citoyenneté nous vient également du passé. Il est intéressant de noter qu'ailleurs, les droits des enfants adoptés ont également évolué en faveur de ceux-ci. Selon le droit américain et le droit britannique, les citoyens qui résident à l'étranger peuvent utiliser une procédure accélérée en vue de demander la citoyenneté pour leurs enfants adoptés nés à l'étranger. Aucun de ces régimes n'exige que l'enfant adopté soit admis à titre d'immigrant et se fasse naturaliser. Le droit britannique permet aux citoyens du pays d'inscrire à titre de citoyens leurs enfants adoptés mineurs nés à l'étranger sans aucune exigence médicale et sans aucune exigence relative à la résidence. Les dispositions du droit britannique sont de nature discrétionnaire, mais aux États-Unis, la citoyenneté doit être attribuée à l'enfant adopté si le parent ou le grand-parent satisfait aux exigences relatives à la résidence. Chaque pays impose ses propres restrictions, mais dans tous les cas, celles-ci sont moins strictes qu'en droit canadien. Le Canada insiste pour que l'enfant adopté à l'étranger par un citoyen satisfasse aux mêmes exigences rigoureuses que les autres ressortissants étrangers.

 

 

Dans cet arrêt, le juge Linden était dissident. Toutefois, au paragraphe 77, le juge Robertson, qui écrivait au nom de la majorité, a souscrit aux conclusions du juge Linden au sujet de l’adoption.

 

[90]      J’estime que la situation décrite dans l’arrêt précité correspond encore à la réalité dans le cas qui nous occupe. Certes, des progrès ont été accomplis, mais la Cour ne peut ignorer la situation défavorisée dans laquelle se trouvent encore les enfants adoptifs au sein de la société canadienne.

 

[91]      En ce qui concerne la correspondance entre le motif analogue invoqué et la situation ou les besoins propres au groupe visé, j’estime que ce lien existe. Les enfants adoptifs nés à l’étranger ont un besoin spécial, en l’occurrence celui de se voir reconnaître une citoyenneté comparable à celle de leurs parents canadiens.

 

[92]      Pour ce qui est du troisième facteur contextuel de l’arrêt Law, précité, la loi contestée n’a pas d’objet ou d’effet d’amélioration en ce qui concerne une personne ou un groupe plus défavorisés de la société.

 

[93]      Pour examiner la nature et l’étendue du droit touché par la loi contestée, je trouve utile de citer les propos tenus par la Cour suprême dans l’arrêt M. c. H., [2004] A.C.S. no 23, [1999] 2 R.C.S. 3, au paragraphe 72 :

S’appuyant sur les motifs du juge L’Heureux‑Dubé dans Egan, précité, le juge Iacobucci a dit qu’on ne pouvait évaluer pleinement le caractère discriminatoire d’une différence de traitement sans vérifier si la distinction en question restreint l’accès à une institution sociale fondamentale, si elle compromet un aspect fondamental de la pleine appartenance à la société canadienne ou si elle a pour effet d’ignorer complètement un groupe particulier. 

 

 

[94]      À mon avis, la citoyenneté constitue à la fois une institution sociale fondamentale et un aspect fondamental de la pleine appartenance à la société canadienne. Le droit en jeu en ce qui concerne le demandeur et les autres enfants nés à l’étranger qui ont été adoptés par un parent canadien revêt une importance critique si l’on souhaite leur pleine intégration dans la société canadienne. Comme la Cour l’a déclaré dans le jugement Taylor, précité, au paragraphe 263 :

La citoyenneté n’est pas seulement une définition  légale; c’est aussi l’illustration de la façon dont une personne est traitée dans une société donnée. Par conséquent, la citoyenneté est le statut le plus élevé qu’un État peut conférer à ses ressortissants.

 

 

[95]      Après avoir examiné tous les facteurs contextuels pertinents énumérés dans l’arrêt Law, précité, je conclus que le troisième volet du critère de l’arrêt Law est satisfait. Les dispositions législatives contestées sont discriminatoires au sens des garanties d’égalité prévues par la Charte. À mon avis, l’alinéa 3(1)e) de la Loi sur la citoyenneté est discriminatoire à l’endroit des enfants nés à l’étranger qui sont adoptés par des citoyens canadiens en leur refusant la possibilité d’être « réputés » avoir la qualité de citoyen en vertu de l’article 3 du fait de leur statut d’enfant adoptif.

 

[96]      a)         Peut-il être sauvegardé par application de l’article premier de la Charte?

            Pour être considérée comme étant justifiée dans le cadre d’une société libre et démocratique par application de l’article premier, une violation de la Charte doit satisfaire au critère suivant (Egan c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 513) :

1.         L’objectif législatif est-il urgent et réel?

 

2.         Le moyen utilisé pour atteindre l’objectif législatif est-il raisonnable et peut-il se justifier dans une société libre et démocratique?

 

a)         la violation des droits doit avoir un lien rationnel avec l’objectif législatif;

 

b)         la disposition contestée doit porter le moins possible atteinte au droit garanti par la Charte;

 

c)         il doit y avoir proportionnalité entre l’effet de la mesure et son objectif de sorte que l’atteinte au droit garanti ne l’emporte pas sur la réalisation de l’objectif législatif.

 

 

Objectif législatif urgent et réel

 

 

[97]      Le demandeur admet que les dispositions contestées visent un objectif urgent et réel. Selon lui, les objectifs visés par les dispositions contestées consistent à donner accès à la citoyenneté tout en s'assurant de l'engagement des intéressés envers le Canada et en préservant la sécurité de ses citoyens. Le défendeur fait valoir que l’objectif général que visait le législateur fédéral en édictant la Loi sur la citoyenneté était de prévoir un mécanisme assurant un lien entre le Canada et ses citoyens. Le défendeur relève également un certain nombre d’autres objectifs urgents et réels visés par la Loi, tels que s’assurer de tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant adoptif, empêcher les « adoptions de convenance » et respecter les obligations internationales du Canada. À mon avis, ces objectifs répondent facilement au critère préliminaire peu exigeant du premier volet du critère et on peut légitimement les qualifier d’objectifs urgents et réels.

 

 

Lien rationnel

 

[98]      Le demandeur affirme qu’il n’y a pas de lien rationnel entre, d’une part, l’objectif consistant à donner accès à la citoyenneté tout en s'assurant de l'engagement des intéressés envers le Canada et en préservant la sécurité de ses citoyens et, d’autre part, le fait d’obliger uniquement les enfants adoptifs, et non les enfants biologiques, à demander la citoyenneté par le biais du pouvoir discrétionnaire prévu à l’article 5. Pour le défendeur, il existe un lien rationnel entre, d’une part, le fait d’obliger les enfants nés à l’étranger et adoptés par des Canadiens à demander la citoyenneté en vertu de l’article 5 et, d’autre part, les objectifs législatifs consistant à s’assurer de tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant adoptif, à empêcher les « adoptions de convenance » et à respecter les obligations internationales du Canada.

 

[99]      Après avoir examiné attentivement les arguments des deux parties, je suis d’avis qu’il existe effectivement un lien rationnel. Le fait que l’article 5 de la Loi « attribue » la citoyenneté aux enfants nés à l’étranger qui sont adoptés à l’étranger par des citoyens canadiens permet au gouvernement canadien de s’assurer qu’il s’agit d’une adoption authentique et que l’on tient compte de l’intérêt supérieur de l’enfant avant de lui attribuer la citoyenneté. Comme le défendeur le signale, dans certains cas, l’attribution automatique de la citoyenneté canadienne à un enfant né à l’étranger pourrait faire perdre à ce dernier la citoyenneté de son pays d’origine. Par ailleurs, le caractère discrétionnaire de l’article 5 aide le gouvernement canadien à respecter ses engagements internationaux. Plus précisément, la Convention de La Haye sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale, qui oblige les États signataires à tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant, empêche les abus en matière d’adoption internationale et confirme la validité du consentement à l’adoption. Enfin, il existe aussi un lien rationnel entre, d’une part, le fait d’obliger les personnes se trouvant dans la situation du demandeur à demander la citoyenneté canadienne conformément à l’article 5 et, d’autre part, l’intérêt du Canada à empêcher les « adoptions de convenance ».

 

Atteinte minimale

 

[100]    Le demandeur soutient qu’en lui refusant la possibilité d’être « réputé » avoir la qualité de citoyen par le biais d’une demande fondée sur l’article 3, le législateur fédéral porte gravement atteinte à son droit à l’égalité garanti par la Charte. Pour le défendeur, en affirmant que l’article 3 a pour effet de « porter gravement atteinte » à ses droits, le demandeur méconnaît les dispositions de l’article 5 de la Loi relatives à l’« attribution de citoyenneté ». Le défendeur signale par ailleurs à l’attention de la Cour la situation qui existe dans d’autres pays. À son avis, la procédure à suivre au Canada pour obtenir la « naturalisation » et pour se voir octroyer la citoyenneté correspond davantage à un modèle « de plein droit » qu’au modèle « discrétionnaire » adopté par des pays comme la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne. 

 

[101]    Je relève qu’il n’est pas nécessaire que le législateur utilise le moyen le moins attentatoire pour atteindre ses objectifs législatifs. Dans l’arrêt Libman c. Québec (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 569, au paragraphe 59, la Cour suprême du Canada a reconnu que les tribunaux doivent faire preuve d’une grande retenue face aux choix du législateur :

Notre Cour a déjà souligné à plusieurs reprises que, dans les domaines sociaux, économiques ou politiques où le législateur doit concilier des intérêts différents afin de choisir une politique parmi plusieurs qui pourraient être acceptables, les tribunaux doivent faire preuve d’une grande retenue face aux choix du législateur en raison de sa position privilégiée pour faire ces choix.

 

 

[102]    J’estime toutefois qu’on ne saurait affirmer que le régime actuel porte atteinte de façon minimale aux droits des enfants nés à l’étranger qui ont été adoptés par des parents canadiens.

 

[103]    Du fait que la citoyenneté automatique prévue à l’article 3 leur est refusée, les demandeurs visés sont forcés de demander la citoyenneté en vertu de l’article 5. Bien qu’avant que la Cour fédérale ne rende sa décision dans l’affaire McKenna, précitée, cette interdiction obligeait en principe les intéressés à demander la citoyenneté en vertu du paragraphe 5(1), le Ministère a depuis adopté une mesure intérimaire concernant les personnes adoptées par un citoyen canadien hors du Canada (CP 01-05). Cette mesure intérimaire est une politique administrative visant à faciliter l’attribution de la citoyenneté en vertu du paragraphe 5(4) à des personnes adoptées à l’extérieur du Canada par des citoyens canadiens résidant à l’étranger. Pour l’essentiel, dans le but d’échapper à la condition relative à la résidence permanente énoncée au paragraphe 5(1), les enfants nés à l’étranger qui ont été adoptés par des citoyens canadiens pourraient présenter une demande en vertu du paragraphe 5(4). Il convient toutefois de signaler que, contrairement au paragraphe 5(1), le paragraphe 5(4) est un disposition discrétionnaire; autrement dit, l’attribution de la citoyenneté en vertu de ce paragraphe relève entièrement du pouvoir discrétionnaire du ministre.  Ainsi, le préjudice causé par l’article 3 découle du fait que les demandes de citoyenneté présentées par des enfants nés à l’étranger qui sont adoptés par des citoyens du Canada et qui ne sont pas des résidents permanents du Canada sont assujettis au pouvoir discrétionnaire que le paragraphe 5(4) confère au ministre. À mon avis, il ne s’agit pas là d’une atteinte minimale car ces personnes sont totalement à la merci du ministre.

 

[104]    Je suis d’accord avec le demandeur pour dire qu’un régime législatif qui serait moins attentatoire et qui, partant, serait davantage approprié, serait celui qui conférerait au ministre le pouvoir obligatoire d’attribuer la citoyenneté dès lors que certaines conditions sont réunies. Ainsi, une disposition prévoyant que le ministre « attribue la citoyenneté » à l’enfant mineur adopté par un Canadien à condition qu’il ait été établi que l’adoption est dans l’intérêt supérieur de l’enfant et qu’il s’agit d’une adoption légale et non d’une adoption de convenance. Cette disposition permettrait d’atteindre les objectifs urgents et réels de la loi sans emporter le préjudice créé par l’incertitude suscitée par le caractère purement discrétionnaire du paragraphe 5(4). J’estime donc que le régime actuel ne porte pas atteinte de façon minimale aux droits du groupe des demandeurs et je conclus qu’il ne satisfait pas au critère de l’arrêt Oakes.

 

[105]    La réparation appropriée est précisée dans le jugement que j’ai rendu dans la présente affaire.

 

V.  Dépens

 

[106]    a)         La Cour devrait-elle adjuger les dépens extrajudiciaires au demandeur?

            Le demandeur réclame les dépens extrajudiciaires. Il se fonde sur le jugement Koehler, précité, dans lequel la Cour avait condamné le défendeur à payer sur-le-champ les dépens extrajudiciaires au motif que le demandeur avait été victime d’un déni de justice naturelle de la part du tribunal administratif malgré le fait que celui‑ci avait reçu des directives de la Cour trois mois plus tôt sur les règles de droit applicables. À mon avis, les faits de la présente espèce ne se comparent pas à ceux de l’affaire McKenna, dans laquelle notre Cour ne s’est d’ailleurs pas prononcée sur la question en litige dans le cas qui nous occupe puisque les dispositions législatives étaient contestées, non pas en vertu de la Charte, mais de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

 

[107]    Aux termes de l’article 400 des Règles des Cours fédérales, notre Cour jouit d’un pouvoir discrétionnaire absolu en matière d’adjudication des dépens. Le paragraphe 400(3) renferme une liste de facteurs dont la Cour peut tenir compte pour adjuger les dépens. Mentionnons les facteurs suivants :

(1) la conduite d’une partie qui a eu pour effet d’abréger ou de prolonger inutilement la durée de l’instance;

(2)  le défaut de la part d’une partie de signifier une demande de reconnaître des faits ou des documents ou de reconnaître ce qui aurait dû être admis;

(3)  la question de savoir si une mesure prise au cours de l’instance, selon le cas, était inappropriée, vexatoire ou inutile, a été entreprise de manière négligente, par erreur ou avec trop de circonspection.

 

[108]    Le demandeur fait observer que le défendeur a multiplié les requêtes en prorogation de délai, n’a pas communiqué toutes les pièces comme il le devait et a présenté des requêtes inutiles. Après examen des observations des parties, je suis d’avis qu’il n’y a pas lieu d’accorder de dépens extrajudiciaires.

 

[109]    Les dépens de la présente demande sont adjugés au demandeur.

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Mario Lagacé, jurilinguiste


ANNEXE

 

Dispositions législatives pertinentes

 

Les dispositions législatives pertinentes sont reproduites dans la présente section.

 

Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29 :

 

3.(1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, a qualité de citoyen toute personne:

 

a) née au Canada après le 14 février 1977;

 

 

b) née à l’étranger après le 14 février 1977 d’un père ou d’une mère ayant qualité de citoyen au moment de la naissance;

 

 

 

c) ayant obtenu la citoyenneté — par attribution ou acquisition — sous le régime des articles 5 ou 11 et ayant, si elle était âgée d’au moins quatorze ans, prêté le serment de citoyenneté;

 

 

 

d) ayant cette qualité au 14 février 1977;

 

 

e) habile, au 14 février 1977, à devenir citoyen aux termes de l’alinéa 5(1)b) de l’ancienne loi.

 

 

 

. . .

5.(1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois:

 

a) en fait la demande;

 

 

b) est âgée d’au moins dix-huit ans;

 

c) est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante:

 

 

(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

 

 

 

 

 

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

 

 

 

 

 

d) a une connaissance suffisante de l’une des langues officielles du Canada;

 

e) a une connaissance suffisante du Canada et des responsabilités et avantages conférés par la citoyenneté;

 

f) n’est pas sous le coup d’une mesure de renvoi et n’est pas visée par une déclaration du gouverneur en conseil faite en application de l’article 20.

 

(1.1) Est assimilé à un jour de résidence au Canada pour l’application de l’alinéa (1) c) et du paragraphe 11(1) tout jour pendant lequel l’auteur d’une demande de citoyenneté a résidé avec son époux ou conjoint de fait alors que celui-ci était citoyen et était, sans avoir été engagé sur place, au service, à l’étranger, des forces armées canadiennes ou de l’administration publique fédérale ou de celle d’une province.

 

(2) Le ministre attribue en outre la citoyenneté:

 

a) sur demande qui lui est présentée par la personne autorisée par règlement à représenter celui-ci, à l’enfant mineur d’un citoyen qui est résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés;

 

b) sur demande qui lui est présentée par la personne qui y est autorisée par règlement et avant le 15 février 1979 ou dans le délai ultérieur qu’il autorise, à la personne qui, née à l’étranger avant le 15 février 1977 d’une mère ayant à ce moment-là qualité de citoyen, n’était pas admissible à la citoyenneté aux termes du sous-alinéa 5(1)b)(i) de l’ancienne loi.

 

 

 

 

 

(3) Pour des raisons d’ordre humanitaire, le ministre a le pouvoir discrétionnaire d’exempter:

 

a) dans tous les cas, des conditions prévues aux alinéas (1)d) ou e);

 

b) dans le cas d’un mineur, des conditions relatives soit à l’âge ou à la durée de résidence au Canada respectivement énoncées aux alinéas (1)b) et c), soit à la prestation du serment de citoyenneté;

 

 

c) dans le cas d’une personne incapable de saisir la portée du serment de citoyenneté en raison d’une déficience mentale, de l’exigence de prêter ce serment.

 

 

(4) Afin de remédier à une situation particulière et inhabituelle de détresse ou de récompenser des services exceptionnels rendus au Canada, le gouverneur en conseil a le pouvoir discrétionnaire, malgré les autres dispositions de la présente loi, d’ordonner au ministre d’attribuer la citoyenneté à toute personne qu’il désigne; le ministre procède alors sans délai à l’attribution.

3.(1) Subject to this Act, a person is a citizen if

 

 

 

(a) the person was born in Canada after February 14, 1977;

 

(b) the person was born outside Canada after February 14, 1977 and at the time of his birth one of his parents, other than a parent who adopted him, was a citizen;

 

(c) the person has been granted or acquired citizenship pursuant to section 5 or 11 and, in the case of a person who is fourteen years of age or over on the day that he is granted citizenship, he has taken the oath of citizenship;

 

(d) the person was a citizen immediately before February 15, 1977; or

 

(e) the person was entitled, immediately before February 15, 1977, to become a citizen under paragraph 5(1)(b) of the former Act.

 

. . .

5.(1) The Minister shall grant citizenship to any person who

 

 

(a) makes application for citizenship;

 

(b) is eighteen years of age or over;

 

(c) is a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his or her application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

 

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and

 

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

 

(d) has an adequate knowledge of one of the official languages of Canada;

 

(e) has an adequate knowledge of Canada and of the responsibilities and privileges of citizenship; and

 

(f) is not under a removal order and is not the subject of a declaration by the Governor in Council made pursuant to section 20.

 

(1.1) Any day during which an applicant for citizenship resided with the applicant’s spouse who at the time was a Canadian citizen and was employed outside of Canada in or with the Canadian armed forces or the federal public administration or the public service of a province, otherwise than as a locally engaged person, shall be treated as equivalent to one day of residence in Canada for the purposes of paragraph (1)(c) and subsection 11(1).

 

(2) The Minister shall grant citizenship to any person who

 

(a) is a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, and is the minor child of a citizen if an application for citizenship is made to the Minister by a person authorized by regulation to make the application on behalf of the minor child; or

 

(b) was born outside Canada, before February 15, 1977, of a mother who was a citizen at the time of his birth, and was not entitled, immediately before February 15, 1977, to become a citizen under subparagraph 5(1)(b)(i) of the former Act, if, before February 15, 1979, or within such extended period as the Minister may authorize, an application for citizenship is made to the Minister by a person authorized by regulation to make the application.

 

(3) The Minister may, in his discretion, waive on compassionate grounds,

 

 

(a) in the case of any person, the requirements of paragraph (1)(d) or (e);

 

(b) in the case of a minor, the requirement respecting age set out in paragraph (1)(b), the requirement respecting length of residence in Canada set out in paragraph (1)(c) or the requirement to take the oath of citizenship; and

 

(c) in the case of any person who is prevented from understanding the significance of taking the oath of citizenship by reason of a mental disability, the requirement to take the oath.

 

(4) In order to alleviate cases of special and unusual hardship or to reward services of an exceptional value to Canada, and notwithstanding any other provision of this Act, the Governor in Council may, in his discretion, direct the Minister to grant citizenship to any person and, where such a direction is made, the Minister shall forthwith grant citizenship to the person named in the direction.

 

 

Loi sur la citoyenneté canadienne, L.C. 1946, ch. 15 (abrogée) :

 

5. Une personne, née après l’entrée en vigueur de la présente loi, est citoyen canadien de naissance

 

a) Si elle naît au Canada ou sur un navire canadien; ou

 

b) Si elle naît hors du Canada ailleurs que sur un navire canadien, et si

 

(i)  son père ou, dans le cas d’un enfant né hors du mariage, sa mère, à la naissance de ladite personne, est citoyen canadien en raison de sa naissance au Canada ou sur un navire canadien, ou parce qu’il lui a été accordé un certificat de citoyenneté ou du fait d’avoir été citoyen canadien lors de la mise en vigueur de la présente loi, et si

 

(ii) le fait de sa naissance est inscrit à un consulat ou au bureau du Ministre, dans les deux années qui suivent cet événement ou au cours de la prorogation que le Ministre peut autoriser, dans des cas spéciaux, en conformité des règlements.

5.  A person, born after the commencement of this Act, is a natural-born Canadian citizen:-

 

(a) if he is born in Canada or on a Canadian ship; or

 

(b) if he is born outside of Canada elsewhere than on a Canadian ship, and

 

i.  his father, or in the case of a child born out of wedlock, his mother, at the time of that person’s birth, is a Canadian citizen by reason of having been born in Canada or on a Canadian ship, or having been granted a certificate of citizenship or having been a Canadian citizen at the commencement of this Act, and

 

ii. the fact of his birth is registered at a consulate or with the Minister, within two years after its occurrence or within such extended period as may be authorized in special cases by the Minister, in accordance with the regulations.

 

 

 

 

Charte des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11 :

 

1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.

 

15. (1) La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques.

1. The Canadian Charter of Rights and Freedoms guarantees the rights and freedoms set out in it subject only to such reasonable limits prescribed by law as can be demonstrably justified in a free and democratic society.

 

 

 

15. (1) Every individual is equal before and under the law and has the right to the equal protection and equal benefit of the law without discrimination and, in particular, without discrimination based on race, national or ethnic origin, colour, religion, sex, age or mental or physical disability.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T-67-06

 

INTITULÉ :                                                   DUANE EDWARD WORTHINGTON et

                                                                        HELEN CHARLOTTE WORTHINGTON

                                                                        c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                        ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Les 18 et 19 septembre 2007

                                                                        et le 27 novembre 2007

                                                                       

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                                  le 23 avril 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Ali Amini

 

POUR LES DEMANDEURS

A. Leena Jaakkimainen

Lisa Hutt

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Amini Carlson s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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