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Date : 20080418

Dossier : IMM-3814-07

Référence : 2008 CF 508

Toronto (Ontario), le 18 avril 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE ZINN

 

 

ENTRE :

MADELEINE MAHMOUDIAN

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Madeleine Mahmoudian a épousé Babak Pajouhi par procuration le 4 décembre 2004. Elle sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu qu’elle n’avait pas établi, selon la prépondérance de la preuve, que le mariage était authentique.

 

[2]               L’article 4 du Règlement de l’immigration et de la protection des réfugiés, DORS/2002-227, prévoit ce qui suit :

 

 

Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait, le partenaire conjugal ou l’enfant adoptif d’une personne si le mariage, la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux ou l’adoption n’est pas authentique et vise principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la Loi.

 

For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common-law partner, a conjugal partner or an adopted child of a person if the marriage, common-law partnership, conjugal partnership or adoption is not genuine and was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under the Act.

 

I.  LE CONTEXTE

 

[3]               Mme Mahmoudian a rencontré son époux Babak Pajouhi en Iran en 2001, où les deux ont travaillé un an ensemble comme concepteurs graphiques. Mme Mahmoudian était étudiante à temps plein, mais elle travaillait aussi à temps partiel. Les deux sont restés en contact socialement après la fin du contrat qu’elle avait conclu avec l’entreprise. En janvier 2004, M. Pajouhi a proposé à Mme Mahmoudian de l’épouser. Après quatre mois de fréquentations, des cérémonies de fiançailles ont été tenues en présence de la famille et des amis.

 

[4]               Au moment de ses fiançailles, Mme Mahmoundian était en voie d’être parrainée au Canada par sa sœur, à titre d’enfant à charge de sa mère. Sa sœur a appris qu’en raison du mariage Mme Mahmoundian ne serait pas admissible à un parrainage dans cette catégorie en raison de la définition de l’expression « enfant à charge » qui figure dans le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, mais que ses fiançailles ne poseraient pas de problème.

 

[5]               Mme Mahmoudian et M. Pajouhi ne se sont mariés qu’après que cette dernière ait obtenu le droit d’établissement au Canada le 25 novembre 2004. Le mariage a été célébré par procuration le 4 décembre 2004 et, le 1er janvier 2005, Mme Mahmoudian a commencé à remplir les formalités requises pour parrainer son époux afin qu’il soit admis au Canada. Elle s’est rendue en Iran en mars 2005 et a passé un mois auprès de son époux et de sa famille. Elle a aussi rendu visite à ce dernier en janvier 2006. À ni l’une ni l’autre de ces deux occasions une cérémonie de mariage officielle n’a-t-elle eu lieu parce que la mère de Mme Mahmoudian voulait que sa famille soit présente et que, en raison de ce que cela coûterait pour que toute la famille se déplace en Iran, cela rendait les choses trop difficiles.

 

[6]               M. Pajouhi a été interrogé à Téhéran le 25 septembre 2005. Selon les notes prises à cette occasion, il a déclaré que lorsqu’il a rencontré Mme Mahmoudian celle-ci n’était pas étudiante; elle travaillait à temps plein et elle a continué à le faire jusqu’à son départ pour le Canada. Lorsqu’il a été confronté à la déclaration de Mme Mahmoudian selon laquelle elle étudiait à temps plein durant ce temps et ne travaillait qu’à temps partiel, il a donné un certain nombre d’explications avant de finir par dire : [traduction] « J’ignore tout de sa situation. »

 

[7]               Le 14 novembre 2005, l’agent des visas a décidé que M. Pajouhi était interdit de territoire au titre de la catégorie du regroupement familial, car le mariage n’était pas authentique.

 

[8]               Mme Mahmoudian a interjeté appel devant la Section d’appel de l’immigration, qui a instruit l’affaire le 26 janvier 2007. Comme l’a signalé avec raison le tribunal, il s’agissait d’un appel de novo. Le tribunal a entendu les témoignages de Mme Mahmoudian, de M. Pajouhi et de la sœur de Mme Mahmoudian.

 

[9]               La Section d’appel de l’immigration (la SAI) a relevé un certain nombre de contradictions dans le témoignage de Mme Mahmoudian et celui de M. Pajouhi. Les deux contradictions que les avocats ont identifiées avec raison comme étant les plus préoccupantes du point de vue de la SAI étaient la question du manque de connaissance de M. Pajouhi à propos de la situation de son épouse sur le plan du travail et des études, et la contradiction dans leur témoignage au sujet du temps passé ensemble en Iran en 2005, après le mariage par procuration. Comme l’a indiqué la Commission, il s’agissait là de la « contradiction au cœur » de l’appel.

 

II.  LA DÉCISION

 

[10]           Les avocats des deux parties ont reconnu que la présente demande est principalement de nature factuelle, et les deux ont pris un temps considérable pour guider la Cour dans son examen de la transcription de l’instance tenue devant la SAI, en faisant ressortir les témoignages pertinents.

 

[11]           Les deux avocats se sont reportés à l’arrêt que la Cour suprême a rendu récemment dans l’affaire Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 C.S.C. 9 (Dunsmuir), relativement au fait que la norme de contrôle applicable est maintenant celle de la décision raisonnable. Le ministre a également laissé entendre que la norme de la « raisonnabilité » dont il est question dans l’arrêt Dunsmuir doit être interprétée dans le contexte du libellé explicite du paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales.

 

[12]           En fin de compte, je n’ai pas à traiter de cette question car, selon moi, quelle que soit la norme que l’on applique, la Commission n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle.

 

[13]           En ce qui concerne la preuve relative au manque de connaissance de l’époux à propos de la situation de son épouse sur le plan de l’emploi et des études, l’avocate de Mme Mahmoudian s’est fondée sur le témoignage de la sœur de la demanderesse voulant que les hommes iraniens se soucient peu des études que font les femmes et que, de ce fait, le manque de connaissance de l’époux à cet égard ne soit pas surprenant. L’avocate a également fait valoir que la Commission s’était fondée dans une trop large mesure sur ce que M. Pajouhi savait à l’époque où il s’était initialement entretenu avec l’agent des visas, plutôt que sur le témoignage qu’il avait fourni quelques mois plus tard à la Commission.

 

[14]           En novembre 2005, lors de son entretien avec l’agent des visas, l’époux avait déclaré que son épouse travaillait à plein temps lorsqu’ils s’étaient rencontrés en 2001, et qu’elle n’était pas étudiante. Cet entretien a eu lieu quelque quatre ans après que les deux se soient rencontrés, et ils étaient fiancés depuis un an et demi, période au cours de laquelle ils disaient avoir souvent passé du temps ensemble.

 

[15]           En janvier 2007, l’époux a déclaré devant la Commission que son épouse travaillait à temps partiel et étudiait à temps plein quand ils s’étaient rencontrés en 2001, et qu’elle avait continué de le faire jusqu’à ce qu’elle parte pour le Canada.

 

[16]           Quand on lui a demandé ce qu’il voulait dire par le fait de travailler « à temps plein », l’époux a répondu qu’il parlait d’une personne qui travaillait tous les jours, de neuf heures à cinq heures. Son épouse a toutefois déclaré qu’elle ne travaillait que quelques heures par jour lorsqu’ils travaillaient ensemble en 2001, et tous deux ont dit avoir travaillé dans le même bureau pendant plus d’un an.

 

[17]           La Commission a jugé insatisfaisante l’explication de M. Pajouhi quant à la confusion de ses réponses sur la situation de son épouse. Plus précisément, la Commission a déclaré : « il n’est pas crédible qu’une personne ne cherche pas à connaître la raison pour laquelle sa future épouse est considérée être un enfant à charge, si, à sa connaissance, il s’agit d’une adulte travaillant à temps plein comme conceptrice ». Autrement dit, la Commission a jugé inconcevable que M. Pajouhi ne sache pas, au moment de son entretien en novembre 2005, que son épouse étudiait à temps plein et travaillait à temps partiel depuis au moins 2001. À mon avis, d’après le dossier, cette conclusion n’était pas déraisonnable.

 

[18]           Comme je l’ai mentionné plus tôt, il ressort des motifs de la Commission que le témoignage contradictoire qui a été jugé essentiel aux conclusions défavorables quant à la crédibilité a trait aux détails du lieu et de la durée du séjour du couple quand Mme Mahmoudian a rendu visite à son époux en mars 2005 pour la première fois, après leur mariage par procuration. Le commissaire du tribunal a décrit la contradiction en ces termes :

L’appelante a très clairement indiqué que son retour en Iran, en mars 2005, visait une longue lune de miel d’un mois en Iran, que le couple a passé ensemble, soit entre huit et dix jours à la villa de Babak et le reste du temps à Téhéran. Elle a confirmé cette déclaration en contre-interrogatoire, affirmant qu’elle a séjourné au domicile de Babak et qu’ils ont passé du temps à la villa dans le Nord. Dans son témoignage, le demandeur a déclaré qu’ils ont fait un voyage dans le Nord du pays, où les siens possèdent une villa, et qu’ils y sont demeurés en compagnie de sa famille. Invité à préciser s’ils avaient séjourné ailleurs, il a répondu par la négative, indiquant qu’ils sont toujours demeurés en compagnie de sa famille, parce que son épouse n’avait pas beaucoup de temps en Iran, de sorte qu’ils sont demeurés à la villa pendant trois à quatre semaines.

 

 

[19]           La demanderesse signale que la réponse de M. Pajouhi, à savoir qu’ils n’avaient pas séjourné ailleurs, a été donnée quand on lui a demandé s’ils avaient vécu [traduction] « ailleurs qu’à la maison ou à la villa de ses parents ». Au dire de l’avocate, le témoignage de M. Pajouhi n’est pas nécessairement incompatible avec celui de la demanderesse.

 

[20]           À mon avis toutefois, il ressort clairement de la transcription qu’il a été demandé précisément à chacun combien de temps ils avaient passé à la villa; la demanderesse a répondu qu’il s’agissait de huit à dix jours, tandis que son époux a répondu qu’il s’agissait de trois ou quatre semaines. Malgré les interprétations imaginatives de l’avocate, je suis d’avis que les réponses sont manifestement contradictoires et pouvaient donc raisonnablement permettre de conclure que la preuve n’était pas digne de foi.

 

[21]           La Commission a déclaré que le fondement de sa conclusion concernant cette contradiction était un élément essentiel de la conclusion défavorable quant à la crédibilité.

Je ne peux concilier cette divergence avec l’idée qu’il s’agit d’un mariage authentique entre deux jeunes personnes enfin réunies après avoir traversé de difficiles fréquentations prolongées […]

 

[22]           À mon avis, il était loisible à la Commission d’évaluer la situation de cette façon. Elle n’a pas examiné la preuve à la loupe; elle était plutôt en présence d’une contradiction flagrante dans le témoignage de l’époux et celui de l’épouse au sujet d’un fait dont on aurait pu raisonnablement s’attendre à ce qu’il soit concordant si le mariage avait été authentique.

 

[23]           La Commission a fondé sa conclusion quant à la crédibilité sur les deux contradictions relevées, de même que sur d’autres contradictions moins importantes dans le témoignage de l’époux et celui de l’épouse.

 

[24]           La conclusion de la Commission selon laquelle il ne s’agissait pas d’un mariage authentique s’inscrit dans l’éventail des issues acceptables que décrit la Cour suprême dans l’arrêt Dunsmuir, précité, eu égard à la preuve soumise à la Commission et, à mon avis, la décision n’est pas susceptible de contrôle.

 

[25]           La demanderesse demandait au départ les dépens afférents à la demande, mais cette demande n’a pas été poursuivie à l’audience.

 

[26]           Pour les motifs qui précèdent, je rejette la demande. Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé de question de portée générale à certifier. Je conclus, au vu des faits de l’espèce, qu’aucune question de cette nature ne peut être certifiée.
JUGEMENT

 

 

LA COUR ORDONNE :

1.      La présente demande est rejetée;

2.      Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

  « Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-3814-07

 

 

INTITULÉ :                                                   MADELEINE MAHMOUDIAN

                                                                        c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                        ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 14 AVRIL 2008

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE ZINN

 

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                                   LE 18 AVRIL 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Melissa Melvin                                                  POUR LA DEMANDERESSE

 

Negar Hashemi                                     POUR LE DÉFENDEUR

                       

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Green & Spiegel LLP                                       POUR LA DEMANDERESSE

Avocats

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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