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Date : 20080416

Dossier : IMM-4082-07

Référence : 2008 CF 494

Montréal (Québec), le 16 avril 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LAGACÉ

 

 

ENTRE :

GURDIAL SINGH

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               En vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 13 août 2007 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), dans laquelle la Commission a conclu qu’il n’avait ni la qualité de « réfugié au sens de la Convention », ni celle de « personne à protéger » du fait de sa religion au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

 

Le contexte

[2]               Le demandeur est un sikh qui résidait dans la ville de Saiflabad, qui se trouve dans l’État du Penjab, en Inde. Il allègue craindre d’être persécuté par la police au motif que, à tort, elle le croit être un militant.

 

[3]               On trouve à Saiflabad un temple sikh historique (un gurdwara). Cette ville est également l’hôte de célébrations mensuelles de l’anniversaire de naissance du 6e guru, et elle est visitée par des pèlerins et d’autres croyants. Le demandeur allègue qu’il a été arrêté en même temps que trois jeunes au gurdwara en juillet 2003, alors qu’il était en train d’en expliquer l’histoire à des visiteurs. Il affirme avoir été torturé pendant sa détention et avoir dû recevoir des traitements donnés par un médecin privé. Il soutient également avoir été libéré seulement après le paiement d’un pot‑de‑vin.

 

[4]               Le demandeur allègue qu’il a également eu des démêlés avec la police lors des festivités de mars 2004, parce qu’il transportait à l’aide de son tracteur des visiteurs qui se rendaient au temple et en partaient. Il soutient que deux jeunes sikhs ont sauté de la remorque et sont partis en courant lorsqu’il a ralenti près d’un commissariat de police, en raison de quoi, allègue‑t‑il, il a été interrogé et accusé de collaborer avec des militants, ce qu’il nie. Il affirme que, de nouveau, il a été torturé, qu’il a dû recevoir des traitements médicaux et a été libéré seulement après le paiement d’un pot‑de‑vin. La police l’a obligé à se présenter au commissariat une fois par mois.

 

[5]               Le demandeur soutient que, par la suite, un chef de village lui a conseillé d’aller voir un avocat pour intenter des poursuites contre la police, mais que la police l’a appris et que, en avril 2005, elle l’a arrêté et torturé de nouveau. Encore une fois, il affirme qu’il a été libéré seulement après le paiement d’un pot‑de‑vin et qu’il a dû recevoir des traitements médicaux à sa sortie.

 

[6]               Le demandeur soutient ensuite qu’il a fui le Penjab pour aller demeurer chez un oncle dans l’Uttar Pradesh. Il affirme que des agents de police ont pris d’assaut sa maison dans le Penjab le 1er juin 2005 et dit à sa mère et à son épouse que des militants avaient avoué qu’il cachait leurs armes dans le temple. Le fils aîné du demandeur a alors été arrêté, et il a été contraint de révéler les allées et venues de son père. La maison de l’oncle du demandeur a par la suite été prise d’assaut par la police alors que le demandeur était par hasard à l’extérieur.

 

[7]               Après, l’oncle du demandeur a refusé de laisser le demandeur demeurer avec lui plus longtemps et il l’a amené à Delhi pour organiser une rencontre avec un agent de voyage. Les documents de voyage n’ont pas pu être préparés pour sa femme et ses enfants. Alors qu’il attendait que ses préparatifs de voyages soient achevés, M. Singh a appris que des agents de police avaient encore pris d’assaut la maison de son oncle, qui a été menacé d’être arrêté et torturé s’il omettait de les aviser de tout étranger qui arrivait chez lui.

 

[8]               Le demandeur est arrivé au Canada le 21 juillet 2005, et il soutient que des membres de sa famille en Inde lui ont affirmé que la police le cherchait toujours et qu’elle les harcelait.

 


La décision de la Commission

[9]               La Commission a conclu que le demandeur n’avait ni la qualité de « réfugié au sens de la Convention », ni celle de « personne à protéger ». La Commission a tiré cette conclusion en raison  d’importantes faiblesses relevées à l’égard d’éléments essentiels du récit du demandeur, qui ont donc miné sa crédibilité.

 

Les questions en litige

[10]           La présente affaire soulève deux questions :

a.       La Commission a‑t-elle commis une erreur dans l’appréciation de la preuve?

b.      La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant qu’il existait une possibilité de refuge intérieur (PRI) sûr pour le demandeur?

 

La norme de contrôle

[11]           La norme de contrôle applicable aux décisions de la Commission est la raisonnabilité, sauf en ce qui concerne les erreurs de droit qui doivent être contrôlées selon la décision correcte (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9).

 

Analyse

[12]           La décision de la Commission est fondée sur une évaluation factuelle de la crédibilité du demandeur. Étant donné que la Commission jouit de connaissances spécialisées, elle a toute la compétence nécessaire pour apprécier la preuve et la véracité des allégations du demandeur.

 

[13]           Selon le paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir, précité, « [l]a cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité.  Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à  l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit »; et, au paragraphe 49, la cour mentionne que « [l]a déférence inhérente à la norme de la raisonnabilité implique donc que la cour de révision tienne dûment compte des conclusions du décideur ».

 

[14]           Le demandeur invite la Cour à substituer sa décision à celle de la Commission relativement au poids et à la crédibilité que l’on doit donner à la preuve qu’il a déposée. La Cour va décliner cette invitation et limiter son rôle au contrôle de la raisonnabilité de la décision de la Commission selon le critère établi par l’arrêt Dunsmuir, précité. 

 

[15]           La décision de la Commission, selon laquelle le demandeur n’avait ni la qualité de « réfugié au sens de la convention », ni celle de « personne à protéger », découle de conclusions de fait défavorables qui ont miné, selon elle, la crédibilité du demandeur de la façon suivante :

 

a.       Lorsqu’il a été interrogé quant aux trois moments précis où la police de Saiflabad l’a arrêté, torturé et libéré, le demandeur a consulté la 31e question de son Formulaire de renseignements personnels (le FRP) pour répondre [traduction] « de 1984 à aujourd’hui », alors que son FRP mentionne que ses démêlés avec la police ont eu lieu en juillet 2003, mars 2004 et avril 2005;

b.       L’allégation selon laquelle il était menacé en raison de sa prétendue association avec les militants sikhs est contredite par la preuve documentaire objective qui mentionne la disparition du militantisme sikh dans le Penjab;

 

c.       L’allégation selon laquelle il avait eu l’intention de déposer une plainte contre la police à la suite du conseil que lui avait donné un chef de village a été jugée invraisemblable et, par conséquent, elle discrédite les allégations concernant les circonstances et les dates précises des arrestations et des libérations; 

 

d.      Enfin, en se fondant sur la preuve documentaire objective, le tribunal a conclu que M. Singh, contrairement à son allégation, disposait d’une PRI sûr ailleurs en Inde.

 

[16]           La Commission avait la compétence pour apprécier la crédibilité du demandeur et pour tirer des conclusions relatives aux contradictions relevées entre son témoignage concernant la situation actuelle en Inde et la preuve documentaire objective. Elle avait le droit de se fonder sur la preuve documentaire plutôt que sur le témoignage du demandeur. Elle n'avait aucune obligation générale de préciser expressément les éléments de preuve documentaire sur lesquels elle s’était fondée (Zhou c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1087 (C.A.F.) (QL).

 

[17]           La Commission n’était pas obligée de s’en tenir à la preuve déposée par le demandeur et elle était justifiée de se fonder sur ses propres sources de preuves qu’elle a jugées plus crédibles et qui mentionnaient la disparition du militantisme sikh dans le Penjab. Il est vrai que le document duquel la Commission a tiré les extraits qu’elle a cités n’étaient pas dans le dossier du tribunal, mais il se trouvait dans le dernier index relatif à la documentation qui avait été déposé, ce qui constitue une mention suffisante de la source du renseignement sur lequel s’est fondée la Commission pour trancher la question, comme l’a établi la Cour dans la décision Victorov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 900 (C.F. 1re inst.) (QL), paragraphe 10.

 

[18]           De plus, il n’y a aucune preuve en l’espèce montrant que la Commission n’a pas pris en compte ou a négligé la preuve déposée par le demandeur, laquelle renferme en majeure partie des articles de journaux révélant que la police avait arrêté ou essayé d’arrêter des personnes accusées d’être des militants dans le Penjab. Le fait que la Commission n’a pas mentionné la preuve du demandeur dans sa décision ne veut pas dire qu’elle n’en a pas tenu compte. La Commission, en l’espèce, a tout simplement privilégié sa propre preuve, objective et plus fiable, celle du demandeur renfermant principalement des articles de journaux sur des incidents ponctuels, articles qui ne décrivent pas nécessairement la situation générale dans le Penjab quant à la disparition du militantisme sikh.

 

[19]           En tant que tribunal spécialisé, la Commission doit se voir accorder une grande latitude concernant les conclusions relatives à la crédibilité et aux faits telles que celles en l’espèce. Si la Commission ne croit pas le demandeur, comme c’est de toute évidence le cas ici, elle n’a pas nécessairement l’obligation, comme l’allègue le demandeur en l’espèce, d’apprécier la preuve contradictoire qui va directement à l’encontre des éléments essentiels de telles conclusions. Le fait que la Commission n’a pas apprécié la preuve contradictoire en l’espèce ne signifie pas qu’elle n’en a pas tenu compte; cela signifie seulement qu’elle a privilégié une preuve plus fiable.

 

[20]           Pour ces motifs, la Cour conclut que la Commission n’a pas commis d’erreur en omettant de d’énoncer de façon plus explicite les motifs de sa conclusion selon laquelle la preuve et le témoignage du demandeur n’étaient ni pertinents, ni crédibles. Dès que la Commission a conclu comme elle l’a fait en l’espèce clairement – en ne donnant aucune crédibilité à la preuve du demandeur – les motifs sont implicites.

 

[21]           Le demandeur soutient également que la Commission a commis une erreur en concluant qu’il existait une PRI sûr en Inde. Une fois que la Commission a conclu que les allégations du demandeur selon lesquelles il serait un « réfugié au sens de la Convention » ne sont pas crédibles, elle n’est pas tenue d’effectuer l’analyse concernant l’existence d’une PRI sûr. Cette conclusion, par ailleurs, découle probablement du témoignage du demandeur où il a affirmé qu’il ferait face à des difficultés partout en Inde étant donné que le nom de son village et la langue qu’il parle, le penjabi, figurent sur sa carte d’identité. Le demandeur affirme qu’en raison de ces renseignements, la police le retrouverait et qu’elle continuerait à le persécuter, et ce, même s’il admet qu’aucun mandat d’arrestation n’a encore été lancé contre lui.

 

[22]           La Commission a examiné l’allégation de crainte de persécution et affirmé que la preuve citée dans la décision à l’encontre du demandeur montre que ses craintes étaient sans fondement. La Commission a traité de cette question et elle n’était pas tenue d’accepter le témoignage du demandeur relativement à cette question. À la suite du témoignage du demandeur et de l’appréciation de la crédibilité et de la véracité de l’allégation, la Commission a également affirmé qu’elle estimait que le demandeur n’avait pas le profil d’un militant.

 

[23]           Le demandeur affirme que la Commission a commis une erreur dans l’évaluation de son profil, car elle s’est fondée sur sa propre impression plutôt que de se mettre à la place de ses persécuteurs, les agents de police. Il soutient également que la Commission a omis d’apprécier la preuve qu’il avait déposée, laquelle traite précisément de l’absence de PRI pour lui en Inde. Cependant, dès que la Commission a conclu que le demandeur n’était pas un « réfugié au sens de la Convention », elle n’était pas tenue de continuer et de tirer une conclusion relative à la PRI. La Commission a effectivement tiré une conclusion relative à la PRI, mais cela n’est d’aucune aide au demandeur.

 

[24]           Le défendeur réplique en affirmant qu’il incombait au demandeur d’établir l’existence d’une PRI et qu’il était loisible à la Commission de conclure que le demandeur ne s’était pas acquitté de ce fardeau. De même, il est de jurisprudence constante que, en l’absence d’importants indices du contraire, la Commission est présumée avoir tenu compte de l’ensemble la preuve dont elle disposait.

 

[25]           La Cour est incapable de trouver quelque erreur que ce soit en l’espèce relativement à l’extrait de preuve documentaire cité dans la décision, lequel « répond amplement aux difficultés [que le demandeur] a soulevé ». D’une part, le demandeur ne s’est pas acquitté de son fardeau : il n’a pas convaincu la Commission qu’il n’existait pas de PRI sûr pour lui en Inde, et, d’autre part, la Cour conclut que la preuve justifiait la conclusion tirée par la Commission relativement à cette question. Par conséquent, la Cour, qui doit faire preuve de retenue envers la décision d’un tribunal spécialisé, n’interviendra pas sur cette question.

 

[26]           À la suite de l’examen de la preuve et des arguments des deux parties concernant toutes les questions soulevées, la Cour conclut que la décision de la Commission « [appartient] aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » et qu’il n’a pas été prouvé que cette décision était déraisonnable. Pour ces motifs, la Cour rejettera la demande.

 

[27]           La Cour convient avec les parties qu’il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

 

 

 

 


JUGEMENT

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR STATUE que la demande est rejetée.

 

 

« Maurice E. Lagacé »

Juge suppléant

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-4082-07

 

INTITULÉ :                                                   GURDIAL SINGH c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 28 MARS 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE LAGACÉ

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 16 AVRIL 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jean-François Bertrand

 

POUR LE DEMANDEUR

Christine Bernard

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Bertrand, Deslauriers

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Québec

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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