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Date : 20080424

Dossier : IMM-4058-07

Référence : 2008 CF  535

Ottawa (Ontario), le 24 avril 2008

En présence de Monsieur le juge Harrington

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

Demandeur

 

et

 

 

 

BETY PLAISIR

 

défenderesse

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Lorsque Bety Plaisir a revendiqué pour la première fois son statut de réfugié devant la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, le Tribunal a conclu que celle-ci était inadmissible en raison de l’existence de motifs raisonnables de croire qu’elle était coupable, par complicité d’association, de crimes contre l’humanité ou d’agissements contraires aux buts et principes des Nations Unies et donc, qu'elle était exclue de la protection offerte "au réfugié au sens de la Convention" par les paragraphes 1Fa) et c) de la Convention. Lorsqu’elle a porté cette décision devant cette Cour en demandant le contrôle judiciaire, madame la juge Tremblay-Lamer a accueilli sa demande et a retourné l’affaire à la SPR pour rédétermination par un tribunal différemment constitué.

 

[2]               Lorsque la SPR a été saisie de ce dossier pour la deuxième fois, le Tribunal a conclu que madame Plaisir était une réfugiée au sens de la Convention et non pas exclue par les paragraphes 1Fa) et c) de la Convention. Le Ministre, à son tour, demande maintenant le contrôle judiciaire de cette décision. La Cour va accueillir sa demande et retourner le tout à la SPR pour encore une autre redétermination par un tribunal différemment constitué.

 

[3]               Bety Plaisir est une citoyenne d’Haïti qui faisait partie de la Police nationale haïtienne dans l’unité spécialisée du « Corps d’intervention et de maintien de l’ordre » (CIMO). Elle a fait partie de cette unité de septembre 2002 à juillet 2005 incluant son année de formation avant d’entrer en fonction. Elle est arrivée au Canada en août 2005 et elle a demandé l’asile alléguant une crainte bien fondée de persécution en raison de son groupe social, la famille. Elle a indiqué craindre les partisans de l’ex-président Aristide, responsables de sa torture, de son viol et du meurtre de son père. Selon cette dernière, ces actes ont été commis car elle est perçue comme membre actif d’un groupe s’opposant à l’ex-président Aristide, le groupe « 184 ».

 

[4]               Dans la décision Plaisir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2007 CF 264, [2007] A.C.F. no 391, madame la juge Tremblay-Lamer a examiné la jurisprudence relative aux circonstances dans lesquelles une personne peut être coupable de complicité par association. Entre autres, elle a indiqué aux paragraphes 20 et 21 que :

[20]      La simple appartenance à une organisation impliquée dans la perpétration de crimes internationaux ne permet pas d’invoquer l’exclusion du demandeur […], sauf si l’existence même de cette organisation vise des fins limitées et brutales […].

 

[21]           Cependant, l’association avec une organisation responsable de crimes internationaux peut emporter complicité si l’intéressé a personnellement ou sciemment participé à ces crimes, ou les a sciemment tolérés […].

 

J’ai moi-même abordé ce point plus récemment dans la décision Varela c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 436.

 

[5]               Après avoir effectué un examen approfondi du dossier, la juge Tremblay-Lamer a accueilli la demande de contrôle judiciaire. Elle a indiqué au paragraphe 34 de sa décision :

[34]      En résumé, l’analyse faite par la SPR des activités de CIMO était déficiente et ne suffisait à démontrer que cette organisation commettait régulièrement et continûment des crimes contre l’humanité. De plus, les motifs de sa décision n’établissent pas qu’elle a considéré les facteurs nécessaires pour déterminer si la demanderesse était complice par association.

 

[6]               Cette fois ci, le Tribunal a conclu que : a) Madame Plaisir s’est associée volontairement à la police; b) elle ne pouvait ignorer la violence policière; et c) qu’elle n’était pas étrangère aux violations des droits de la personne commises par la police, bien que celles-ci soient moins sérieuses que ce qui était énoncé dans les médias.

 

[7]               Le Tribunal était d’avis que madame Plaisir ne pouvait pas ignorer le contexte d’oppression et qu’elle ne s’est pas distancée du CIMO. En fait, elle a choisi un poste auprès du CIMO expressément pour concilier son travail avec ses études. Pour cette raison, «le Tribunal en conclut que la demandeure avait la connaissance requise de l’existence des crimes commis par la police et particulièrement par le CIMO ».

 

[8]               Le Ministre prétend qu’à la lumière de ces remarques, on aurait dû s’attendre à la conclusion selon laquelle madame Plaisir remplissait les critères de complicité par association à des crimes contre l’humanité. Après tout, elle faisait partie du personnel du CIMO et, malgré le fait qu’elle était au courant de ce que l’organisation faisait, elle n’avait pas rétracté ses services. Mais, le Tribunal a plutôt conclu que le Ministre n’avait pas établi qu’elle avait commis personnellement des crimes contre l’humanité ou qu’elle les avait appuyés de façon active, ni que le CIMO était une organisation visant des fins limitées et brutales.

 

[9]               Cette analyse du Tribunal est complètement insuffisante. D’abord, les motifs pour une telle volte-face ne sont pas fournis dans la décision. L'obligation de motiver une décision est une exigence d'équité procédurale, R. c. Sheppard, [2002] A.C.S. no 30, [2002] 1 R.C.S. 869, North c. West Region Child and Family Services Inc., 2007 CAF 96, [2007] A.C.F. no 400. Le Ministre avait droit à des motifs expliquant le raisonnement du Tribunal.

 

[10]           Deuxièmement, puisque le dossier devant le Tribunal indiquait clairement que certains des membres du CIMO ont abusé des droits humains, le développement de l’organisation, s’il y en a eu un, n’a pas été pris en considération. Par exemple, le Tribunal a fait confiance aux rapports qui précédaient  la période d’emploi de madame Plaisir avec le CIMO. En outre, quand elle s’est associée avec le CIMO, le Président Aristide était au pouvoir et il a quitté Haïti au moment où madame Plaisir avait complété environ la moitié de la durée de son emploi  L’importance de ce fait, et son effet sur le CIMO et sur la situation de madame Plaisir n’ont pas été abordés.

 

[11]           La demande de contrôle judiciaire sera accordée.

 

ORDONNANCE

 

Pour les motifs susmentionnés;

LA COUR ORDONNE que :

1.                  La demande d’autorisation et de contrôle judiciaire soit accordée.

2.                  Le dossier soit retourné au tribunal pour redétermination par un tribunal différemment constitué.

3.                  Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER:                                          IMM-4058-07

 

 

INTITULÉ :                           LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE  L’IMMIGRATION

et

 

BETY PLAISIR

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal, Québec

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 15 avril 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE                Monsieur le juge Sean J. Harrington

ET ORDONNANCE :

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 24 avril 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Me Michèle Joubert                                          POUR LE DEMANDEUR

 

Me Luc R. Desmarais                                       POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Michèle Joubert                                          POUR LE DEMANDEUR

Ministère fédéral de la Justice

Montréal, Québec

                                                                         

 

Me Luc R. Desmarais  

Montréal, Québec                                            POUR LA DÉFENDERESSE

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