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Date : 20080421

Dossier : IMM-2241-07

Référence : 2008 CF 509

Toronto (Ontario), le 21 avril 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE ZINN

 

 

ENTRE :

OSAMEDE JOE IDUGBOE

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu que M. Osamede Joe Idugboe n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention, ni celle de personne à protéger au sens de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

 

[2]               M. Idugboe a invoqué de nombreux arguments dans sa demande de contrôle judiciaire. Cependant, lors de sa plaidoirie, son avocat a mentionné que les erreurs alléguées pouvaient être  ramenées à trois volets. M. Idugboe affirme que la Commission a commis une erreur en concluant :

1.  qu’il n’avait pas de motifs de craindre d’être persécuté au Nigéria;

2.  qu’il n’avait pas réfuté la présomption selon laquelle il pouvait se prévaloir de la protection de l’État;

3.  que, de toute façon, il avait une possibilité de refuge intérieur au Nigéria.

 

[3]               Pour les motifs exposés ci‑après, je ne suis pas convaincu que la Commission ait commis une erreur comme l’allègue M. Idugboe, et, par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

I. LE CONTEXTE

 

[4]               M. Idugboe est un citoyen du Nigéria. Il travaillait pour Base Water Nigeria Ltd. à Warri, au Nigéria, en qualité de directeur des services financiers. Le 8 mai 2006, deux membres des Jeunes Ijaws, Lucky et Friday, ont communiqué avec lui et tenté de le soudoyer pour qu’il leur permette d’utiliser un camion‑citerne en vue de voler du pétrole des oléoducs de la région. M. Idugboe a refusé, mais il n’a fait part à personne de la proposition qui lui avait été faite.

 

[5]               La semaine suivante, M. Idugboe est allé au Bénin et à son retour, le 15 mai, il a appris que la police avait abattu Lucky et Friday le soir même. Ils auraient apparemment été surpris en train de siphonner du pétrole d’un oléoduc. Des membres des Jeunes Ijaws ont accusé M. Idugboe d’avoir fait part à la police de leur projet de saccager l’oléoduc. Ils ont donc considéré que M. Idugboe avait causé la mort de Lucky et de Friday. M. Idugboe a également découvert que la maison où il demeurait à l’époque avait été brûlée et que son ami, le propriétaire de la maison, avait été battu.

[6]               M. Idugboe est parti le soir même pour le Bénin, pour ensuite se rendre à Lagos au Nigéria. Pendant que M. Idugboe était au Bénin, il a reçu un appel de son ami de Wassi, qui avait été battu par des membres des Jeunes Ijaws, qui l’a avisé qu’il avait été forcé de révéler qu’il était chez son père au Bénin et qu’il avait divulgué l’adresse de son père. Il a également avisé M. Idugboe que les Jeunes Ijaws avaient juré de venger la mort de leurs amis et affirmé qu’ils étaient sans pitié envers ceux qui les dénoncent à la police. Il a recommandé à M. Idugboe de s’enfuir.

 

[7]               Son père, au Bénin, a par la suite reçu la visite de quelques membres des Jeunes Ijaws qui l’ont attaqué et qui lui ont dit qu’ils mettraient la main sur son fils.

 

[8]               Le père de M. Idugboe a parlé à un ami, agent de police au Bénin, au sujet des menaces proférées contre son fils, qui l’a avisé que la police était impuissante. Aucune plainte formelle n’a été faite auprès de la police ni par M. Idugboe, ni par son père. 

 

[9]               Après être demeuré à Lagos, au Nigéria, pendant environ un mois, M. Idugboe a fui au Canada où il a présenté une demande d’asile fondée sur ses opinions politiques.

 

II.  LA DÉCISION DE LA COMMISSION

 

[10]           Le tribunal a conclu que M. Idugboe n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention étant donné qu’il n’avait pas de motifs justifiant de craindre d’être persécuté au Nigéria. Le fondement de cette conclusion repose sur l’appréciation de la crédibilité de M. Idugboe, appréciation résumée dans le paragraphe qui suit, tiré de la décision contestée.

Le tribunal estime que les renseignements que le demandeur d’asile a omis de mentionner dans son formulaire de renseignements personnels (FRP) portent sérieusement atteinte à sa crédibilité. Le demandeur d’asile a omis de mentionner dans ses notes prises au point d’entrée (PDE) que Lucky et Friday avaient été tués, malgré le fait que sa demande d’asile reposait essentiellement sur les menaces à sa vie que les jeunes Ijaws auraient proférées à son endroit en guise de représailles après la mort de Lucky et Friday. Lorsqu’on lui a demandé d’expliquer pourquoi cet événement clé sur lequel reposait sa demande d’asile ne figurait pas dans ses notes prises au PDE, le demandeur d’asile a répondu qu’il aurait en effet dû le mentionner dans les notes en question, étant donné qu’il s’agissait d’un événement important. Il a par ailleurs indiqué, lors de son interrogatoire par la conseil, qu’il avait dit à l’agent d’immigration que des personnes avaient été tuées, tout en déclarant que l’agent en question n’avait pas noté l’information. Lorsqu’on lui a demandé d’expliquer pourquoi ses notes prises au PDE n’indiquaient nulle part que son père avait été attaqué par de jeunes Ijaws, mais qu’elles mentionnaient seulement que ce dernier avait été menacé, le demandeur d’asile a répondu avoir rapporté l’incident en question à l’agent d’immigration qui, encore une fois, ne l’aurait pas pris en note. Le tribunal juge invraisemblable que l’élément clé sur lequel reposait la demande d’asile (représailles à cause du décès de deux jeunes Ijaws) n’ait pas été consigné par les agents d’immigration dans les notes du demandeur d’asile prises au PDE, tout comme le fait que de jeunes Ijaws avaient attaqué son père au Bénin, lequel avait dû être hospitalisé. Le fait que ni les décès de Lucky et Friday ni l’attaque dont son père avait été victime aux mains de jeunes Ijaws n’ont été mentionnés dans ces notes prises au PDE amène le tribunal à tirer une inférence défavorable concernant la crédibilité du demandeur d’asile. Ce dernier a signé ses notes du PDE le 26 juin 2006.

 

[11]           La Commission a également conclu que M. Idugboe n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État.

 

[12]           Enfin, la Commission a conclu qu’il n’avait pas de motifs de craindre les Jeunes Ijaws partout au Nigéria et que, par conséquent, M. Idugboe avait une possibilité de refuge intérieur.

III.  LA CONCLUSION DE LA COMMISSION RELATIVE À LA CRÉDIBILITÉ

[13]           M. Idugboe a affirmé dans son témoignage qu’il avait dit à l’agent d’immigration qui avait rédigé les notes au point d’entrée que Lucky et Friday avaient été tués et que son père avait été battu. Le ministre soutient que les réponses données lorsque M. Idugboe a été interrogé sur ces questions n’ont pas été satisfaisantes ou vraisemblables. Il les a qualifiés de [traduction] « faibles et navrantes » et il a affirmé qu’il est [traduction] « impensable » que M. Idugboe n’ait pas mentionné les décès : Sahota c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1256.

 

[14]           En fait, selon le témoignage du demandeur, il a bien mentionné à l’agent d’immigration les décès et l’attaque subie par son père, mais il soutient que ses déclarations n’ont pas été consignées dans les notes rédigées au point d’entrée.

 

[15]           La Commission n’a pas omis de prendre en considération les explications données par M. Idugboe relativement aux omissions dans les notes prises aux points d’entrée, comme l’allègue M. Idugboe. En fait, elle n’a simplement pas été convaincue ou persuadée par ces explications.

 

 

[16]           Jusqu’à tout récemment, la norme applicable aux conclusions relatives à la crédibilité était la décision manifestement déraisonnable : Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 N.R. 315. Depuis que la Cour suprême du Canada a rendu l’arrêt  Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, la norme applicable est la raisonnabilité. Lors de l’évaluation de la raisonnabilité d’une conclusion relative à la crédibilité tirée par la Commission, nous devons suivre les observations que la Cour suprême du Canada a faites au paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir :

La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables.  Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables.  La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité.  Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à  l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[17]           Le demandeur a le fardeau d’établir que la conclusion tirée par la Commission ne pouvait être raisonnablement tirée. À mon avis, la Commission a justifié sa décision en énonçant, en termes clairs et univoques, les raisons pour lesquelles elle avait des réserves au sujet de l’explication que M. Idugboe avait donnée, selon laquelle il avait mentionné les faits importants dont il est question à l’agent d’immigration. La Commission a conclu qu’il était invraisemblable que l’agent d’immigration n’ait pas noté ces faits cruciaux relatifs aux décès de Lucky et Friday et à l’agression ultérieure subie par le père de M. Idugboe, dans les notes prises au point d’entrée si ces renseignements avaient réellement été fournis par M. Idugboe. La Commission a conclu que cela était invraisemblable, car cette preuve constitue le fondement même de la demande d’asile. En particulier, les décès des deux membres des Jeunes Ijaws constituent la justification même de l’allégation de M. Idugboe, selon laquelle sa vie est en danger.

 

[18]           Je ne suis pas convaincu que la conclusion tirée par la Commission était déraisonnable.

 

IV.  LA CONCLUSION DE LA COMMISSION RELATIVE À LA PROTECTION DE L’ÉTAT

[19]           Le demandeur ne s’est pas lui‑même adressé à la police au Nigéria. La preuve qu’il a déposée montre que c’est un agent de police, ami de son père, qui a affirmé que la police était impuissante, qu’elle avait reçu un certain nombre de plaintes de ce type et que la meilleure chose que pouvait faire le demandeur était de partir, car elle [traduction] « ne pouvait rivaliser avec les Jeunes Ijaws ».

 

[20]           La Commission a résumé le rapport de 2005 du ministère de l’Intérieur (Home Office) du Royaume-Uni dont elle disposait et a établi que des membres de groupes d’autodéfense qui ne sont pas reconnus officiellement commettent des violations des droits de la personne et sont à l’origine d’affrontements interethniques dans la région du delta où est située la ville de Warri. La Commission a reconnu que peu de personnes s’étant mis de tels groupes à dos tenteraient de se prévaloir de la protection de la police dans cette région.

 

[21]           Cependant, aucune preuve objective n’a été fournie par M. Idugboe pour établir que l’on défiait l’autorité de la police à d’autres endroits au Nigéria. À mon avis, bien que le demandeur ait pu avoir une opinion subjective selon laquelle il ne pourrait se prévaloir de la protection de l’État nulle part au Nigéria, la conclusion de la Commission selon laquelle l’opinion du demandeur n’avait aucun fondement objectif était raisonnable selon la preuve dont elle disposait.

[22]           La seule preuve objective déposée par le demandeur, à l’exception du rapport de 2005 du ministère de l’Intérieur du Royaume-Uni, montre que son père, au Bénin, a demandé une fois à un ami s’il était possible de se prévaloir de la protection de l’État; cela n’est pas suffisant pour établir, selon la prépondérance de la preuve, que le demandeur n’aurait pas pu se prévaloir de la protection de l’État ailleurs au pays. À la lumière du rapport, il était loisible à la Commission de conclure que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption selon laquelle il était possible de se prévaloir de la protection de l’État à l’extérieur de la région du delta.

 

V.  LA CONCLUSION DE LA COMMISSION RELATIVE À LA POSSIBILITÉ D’UN REFUGE INTÉRIEUR ADÉQUAT

[23]           Pour se prévaloir de l’article 97 de la LIPR, le demandeur d’asile ne peut pas avoir de possibilité de refuge intérieur; la Cour d’appel fédérale a conclu que cela faisait aussi intrinsèquement partie de la définition de « réfugié » énoncée à l’article 96 de la LIPR : Rasaratnam c. Canada (Ministre de l’Emploi et de la Citoyenneté), [1992] 1 C.F. 706.

 

[24]           La Commission a conclu que M. Idugboe aurait pu se rendre soit à Lagos, soit à Abjua, deux grandes villes où il aurait pu être protégé des Jeunes Ijaws. La Commission a admis que M. Idugboe ne devrait pas avoir à aller dans le Nord du Nigéria, car la charia y est appliquée et les chrétiens tel M. Idugboe n’y sont pas bien traités. Elle a également conclu que les Jeunes Ijaws se trouvaient en grande majorité dans la région du delta, où le demandeur aurait pu légitimement craindre pour sa sécurité.

 

[25]           Selon la preuve dont elle disposait, il était loisible et raisonnable que la Commission tire la conclusion selon laquelle il y avait des régions au Nigéria où M. Idugboe pourrait raisonnablement demeurer en sécurité. M. Idugboe n’a tout simplement pas déposé d’éléments de preuve réfutant cette présomption. La conclusion de la Commission n’était donc pas déraisonnable.

 

[26]           L’avocat de M. Idugboe a soutenu que les seuls endroits sûrs au Nigéria étaient éloignés des grands centres, où M. Idugboe aurait été incapable d’exercer son métier, qui ne peut s’exercer que dans les grandes villes et non à la campagne. Il a allégué que ces possibilités de refuge intérieur étaient déraisonnables.

 

[27]           À mon avis, on trouve une réponse complète à l’allégation de l’avocat de M. Idugboe dans l’arrêt Ranganathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 164, au paragraphe 15, rendu par la Cour d’appel fédérale.

Selon nous, la décision du juge Linden [Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 589], pour la Cour d'appel, indique qu'il faille placer la barre très haut lorsqu'il s'agit de déterminer ce qui est déraisonnable. Il ne faut rien de moins que l'existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité d'un revendicateur tentant de se relocaliser temporairement en lieu sûr. De plus, il faut une preuve réelle et concrète de l'existence de telles conditions. L'absence de parents à l'endroit sûr, prise en soi ou conjointement avec d'autres facteurs, ne peut correspondre à une telle condition que si cette absence a pour conséquence que la vie ou la sécurité du revendicateur est mise en cause. Cela est bien différent des épreuves indues que sont la perte d'un emploi ou d'une situation, la diminution de la qualité de vie, le renoncement à des aspirations, la perte d'une personne chère et la frustration des attentes et des espoirs d'une personne.

[Non souligné dans l’original.]

 

[28]           Même si le demandeur aurait eu de la difficulté à trouver dans d’autres régions du Nigéria un emploi qui convient à son instruction et à ses compétences, il n’y a aucune preuve au dossier qui établisse que sa vie ou sa sécurité aurait été menacée dans ces régions.

 

 

VI.  QUESTION CERTIFIÉE

 

[29]           L’avocat du demandeur a proposé que la Cour certifie la question suivante : [traduction] « La perte d’occasions d’emploi d’un demandeur d’asile est‑elle un élément à considérer lors de l’évaluation de la raisonnabilité de la possibilité de refuge intérieur? »

 

[30]           À mon avis, le droit à ce sujet est bien établi par le passage de la décision Ranganathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 164, reproduit précédemment; par conséquent, la question proposée ne constitue pas une question grave de portée générale.


JUGEMENT

 

 

LA COUR STATUE :

 

 

1.                  que la demande de contrôle judiciaire est rejetée;

 

 

2.                  qu’il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

 

 

   

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                IMM-2241-07

 

 

INTITULÉ :                                                               OSAMEDE JOE IDUGBOE c. MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 14 AVRIL 2008

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                      LE JUGE ZINN

 

 

DATE DES MOTIFS :                                              LE 21 AVRIL 2008    

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mbong Elviran Akinyemi                                               POUR LE DEMANDEUR

 

Stephen H. Gold                                                                                                                       POUR LE DÉFENDEUR

                       

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mbong Elviran Akinyemi                                               POUR LE DEMANDEUR

Avocat

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                         POUR LE DÉFENDEUR 

Sous‑procureur général du Canada

 

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