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Date : 20080422

Dossier : T-1365-06

Référence : 2008 CF 520

Ottawa (Ontario), le 22 avril 2008

En présence de madame la juge Heneghan

 

 

ENTRE :

 

PAUL LENZEN

demandeur

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.  Introduction

 

[1]               M. Paul Lenzen (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire de la décision datée du 5 juillet 2006 par laquelle le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) (le Tribunal) a statué que le demandeur avait droit aux deux cinquièmes d’une pension d’invalidité, mais que les trois cinquièmes restants ne seraient pas accordés parce que les facteurs de l’âge, du poids et de l’évolution naturelle d’une affection préexistante - la spondylite ankylosante (la SA) – sont responsables de l’invalidité dont il souffre actuellement.

 

[2]               Le demandeur sollicite une ordonnance annulant la décision du Tribunal ainsi qu’une nouvelle décision sur son droit à pension.

 

II.  Le contexte

 

[3]               Le demandeur est un ancien membre de la Gendarmerie royale du Canada (la GRC). Il a joint les rangs de cette dernière en novembre 1977 et en a été membre jusqu’au 22 octobre 2002, date de son renvoi pour raisons d’ordre médical. Durant sa période de service, il a été victime de trois accidents, soit deux accidents de la route : une collision frontale le 29 novembre 1977, et une autre collision violente, le 13 janvier 1987, suivis d’une collision entre deux embarcations à moteur le 3 août 1991.

 

[4]               Le 3 décembre 1991, le demandeur a présenté une demande de pension. Un résumé médical, daté du 8 décembre 1993, a été établi. Ce document indique que sa demande est fondée sur deux affections : la SA et une maladie discale lombaire (la MDL). Il fait un bref survol de l’état physique du demandeur depuis la date de son enrôlement dans la GRC en novembre 1977 jusqu’en décembre 1992. Il y est fait mention des accidents de la route de novembre 1977 et de janvier 1987, de même que de l’accident de navigation d’août 1991.

 

[5]               Dans une décision datée du 18 avril 1994, la Commission canadienne des pensions a rejeté la demande de pension au motif que la preuve ne montrait pas que les lésions [traduction] « subies durant la période de service seraient assez importantes pour causer ou aggraver l’état de santé allégué ».

 

[6]               Le résumé médical fait état de rapports obtenus en 1992 du Dr Fagnou, spécialiste en médecine interne et en rhumatologie. Selon ce dernier, le demandeur souffre de SA. Dans son rapport daté du 10 décembre 1992, il indique que [traduction] « un accident ne cause pas cette maladie » et précise que les symptômes de la maladie peuvent être [traduction] « exacerbés par une lésion de la colonne vertébrale ».

 

[7]               Le demandeur a demandé que la décision initiale soit révisée et il a obtenu une décision d’un comité d’examen, rendue le 23 mars 1995. Dans cette décision, le comité d’examen lui accordait le droit au cinquième d’une pension et concluait qu’il souffrait d’une invalidité à 40 %.

 

[8]               Le comité d’examen a traité des deux affections (SA et MDL) ensemble, à la demande du conseiller qui représentait le demandeur à l’audience. Le comité d’examen a fait mention de l’accident de navigation survenu en 1991 sur la rivière Bow, à Cochrane (Alberta). Dans le dernier paragraphe de sa décision, le comité d’examen déclare ceci :

[traduction]

Le comité a porté une attention soutenue au témoignage du demandeur, M. Lenzen, ainsi qu’aux documents qui lui ont été soumis et aux arguments du conseiller. La nature professionnelle des activités exercées au moment où certains des accidents sont survenus n’est pas tout à fait claire, mais il est évident que le résultat d’un accident a mené à un autre et que le gendarme Lenzen a subi au dos un traumatisme considérable durant sa période de service dans la GRC, et le comité d’examen statuera en sa faveur.

 

[9]               Le demandeur a interjeté appel de la décision du comité d’examen auprès du Tribunal. Dans sa décision, datée du 1er février 1996, le Tribunal a passé en revue le sommaire de la preuve soumise au comité d’examen. Il a fait mention de l’accident de la route de novembre 1977, de l’accident de la route de janvier 1987, ainsi que de l’accident de navigation d’août 1991. Il a exprimé l’avis que [traduction] « le nombre d’incidents déclarés qui ont affecté le dos de l’appelant sont mineurs, sans gravité et sans conséquence, ainsi qu’il est indiqué dans le résumé médical, et [que] l’état de santé allégué lui-même est de nature génétique; l’état de santé n’est pas attribuable à la période de service au sein de la Gendarmerie royale du Canada ». Le Tribunal a néanmoins confirmé que le droit au cinquième d’une pension était [traduction] « une reconnaissance juste, adéquate et appropriée » de l’aggravation susceptible d’avoir été causée par les incidents survenus au cours de la période de service.

 

[10]           Le Tribunal a aussi pris en considération la MDL du demandeur en tant que fondement d’un droit à pension. Il a conclu que cette affection était causée par la SA et que le droit au cinquième d’une pension que le comité d’examen avait accordé pour les deux affections était approprié. Le Tribunal a confirmé la décision du comité d’examen.

[11]           Quelques années après avoir pris sa retraite de la GRC pour raisons d’ordre médical, le demandeur a demandé que l’on réexamine son droit à pension. Par une lettre datée du 13 mai 2005, l’avocat du demandeur a fait savoir que son client sollicitait un réexamen de son droit à pension, en application de l’article 82 de la Loi sur les pensions, L.R.C. 1985, ch. P-6, pour cause de nouveaux éléments de preuve. La lettre exposait des observations, présentées pour le compte du demandeur, à propos des nouveaux éléments de preuve, lesquels consistaient en des rapports médicaux émanant de deux médecins, Ian Scott et Sharmila Kulkarni.

 

[12]           Le Dr Scott avait été consultant médical en services de santé auprès de la GRC avant le renvoi du demandeur de la GRC, en 2002. À cette époque, en raison d’une apparence de conflit entre sa fonction de consultant médical auprès de la GRC et le statut qu’avait le demandeur en tant que membre de la GRC, le Dr Scott n’était pas habilité à fournir un avis médical au soutien de la demande de droit à pension du demandeur.

 

[13]           Cependant, après avoir pris sa retraite à titre de consultant médical auprès de la GRC en 2003, le Dr Scott a fourni un rapport daté du 13 février 2004 qui était fondé sur un examen qu’il avait fait des rapports d’accident, relevés d’accidents, dossiers médicaux et fichiers du personnel de la GRC, pour la période de 1978 à 2002. Le Dr Scott a reconnu qu’il n’effectuait pas un examen médical indépendant complet et a recommandé que le demandeur obtienne auprès d’un physiatre une [traduction] « autre évaluation complète de l’incapacité ». À cet égard, le demandeur a obtenu un rapport de la Dre Kulkarni, spécialiste en médecine physique, et ce rapport est daté du 13 décembre 2004.

 

[14]           D’après le dossier du Tribunal et l’affidavit que le demandeur a déposé en l’espèce, une audience a été tenue le 23 mai 2006 à la demande de ce dernier en vue d’un réexamen de la décision que le Tribunal avait rendue le 1er février 1996. Les observations présentées par le demandeur à l’appui de sa demande de réexamen pour cause de nouveaux éléments de preuve mentionnaient clairement qu’il ne contestait pas le constat de son invalidité à 40 %, mais plutôt le constat selon lequel il n’avait droit qu’au cinquième d’une pension pour ce pourcentage d’invalidité.

 

[15]           Dans sa décision du 23 mai 2006, le Tribunal a d’abord traité de la demande du demandeur concernant le réexamen de la décision du 1er février 1996, au motif que celui-ci avait [traduction] « des éléments de preuve nouveaux et importants » dont on pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’ils modifient son droit à pension. Selon la décision, deux pièces ont été produites : R1-L1 et R1-L2. La pièce R1-L1 comportait un affidavit signé par le demandeur le 29 décembre 2005, de même qu’une lettre de son avocat, datée du 13 mai 2005. L’affidavit incluait quatre annexes, A à D. L’annexe C était un rapport médical daté du 13 février 2004 et émanant du Dr Ian Scott, et l’annexe D, un rapport médical daté du 22 octobre 2004 et provenant de la Dre Sharmila Kulkarni.

 

[16]           Au nombre des documents constituant la pièce R1-L1 figuraient des lignes directrices rédigées par Anciens combattants Canada en mai 2002 concernant le droit à pension des personnes atteintes de SA. Ces lignes directrices sont intitulées « Lignes directrices sur l’admissibilité au droit à pension ». Dans sa demande de réexamen de son droit à pension, le demandeur, par l’entremise de son avocat, a demandé que ces lignes directrices soient prises en considération lors du réexamen de sa demande de majoration de son droit à pension.

 

[17]           La pièce R1-L2 consistait en un rapport de collision, un rapport d’accident de véhicule moteur de la GRC concernant l’accident de la route survenu en 1987 ainsi qu’un rapport d’accident de véhicule moteur de la GRC concernant la collision d’embarcations d’août 1991. Il semble que les documents constituant la pièce R1-L2 ont été présentés par l’avocat, pour le compte du demandeur, après l’audience du 23 mai 2006, et qu’ils étaient accompagnés d’une lettre datée du 23 mai 2006.

 

[18]           Dans sa décision, le Tribunal n’a traité que de la demande de réexamen. Il a conclu que la preuve présentée pour le compte du demandeur satisfaisait au [traduction] « critère à quatre volets des nouveaux éléments de preuve formulé dans MacKay », et [il a] porté une attention particulière aux opinions du Dr Scott et de la Dre Kulkarni ainsi qu’aux rapports d’accident ». Le Tribunal a ensuite procédé à une audience de réexamen complète.

 

[19]           Le Tribunal a passé en revue les faits concernant les accidents survenus en 1977, en 1987 et en 1991. Il a présenté un résumé des plaintes et des symptômes que le demandeur avait présentés entre le 1er décembre 1977 et le mois de novembre 2002. Il a signalé qu’en novembre 2002, on [traduction] « savait » que le demandeur souffrait de SA.

 

[20]           Le Tribunal a fait état de divers rapports médicaux, mentionnant tout d’abord le rapport du Dr Fagnou daté du 22 octobre 1992. Il a aussi fait mention d’un rapport, du Dr Fundytus, daté du 10 décembre 1992. Le Tribunal a reconnu le rapport du Dr Scott, daté du 13 février 2004, et l’avis de ce dernier selon lequel [traduction] « le principal facteur étiologique dans l’entrave à la fonction [du demandeur] est imputable aux caractéristiques des forces d’impact » que le demandeur avait subies dans les divers accidents, et le Tribunal a conclu que [traduction] « les faits du présent dossier ne semblent pas corroborer une aggravation marquée ».

 

[21]           Sous la rubrique [traduction] « Décision », le Tribunal a conclu qu’il n’y avait pas de nouveaux éléments de preuve au sujet de l’accident survenu en 1977. Il a dit qu’il lui était impossible de [traduction] « conclure au vu de la preuve » que cet accident était directement lié au service du demandeur dans la GRC.

 

[22]           Le Tribunal a ensuite déclaré que les deux premiers accidents, soit les deux accidents de la route survenus en 1977 et 1987, semblaient être la cause de [traduction] « lésions résolutives des tissus mous ». Il a fait mention de l’avis de la Dre Kulkarni selon lequel l’accident survenu en 1987 avait [traduction] « considérablement aggravé » la SA. Il a ajouté que les Drs Fagnou, Fundytus et Scott partageaient cet avis. En fin de compte, le Tribunal a dit qu’il était [traduction] « raisonnable de conclure » que l’accident de la route survenu en 1987 avait causé une aggravation permanente de la SA dont souffrait le demandeur. Il a conclu en même temps que seul l’accident de la route survenu en 1987 avait été [traduction] « établi comme ayant un lien avec le service ».

 

[23]           Le Tribunal a ensuite examiné l’accident de navigation survenu en août 1991. Il a dit que le rapport d’accident daté du 6 septembre 1991 indiquait que le demandeur avait [traduction] « convenu d’utiliser le « jet boat » durant ses temps libres (surtemps volontaire) ». Le Tribunal a également déclaré que le demandeur et d’autres [traduction] « sont partis à un moment donné de leur propre initiative et ont commencé leur propre activité récréative de course ».

 

[24]           Le Tribunal a cité un extrait du rapport d’accident de la GRC concernant l’accident survenu en août 1991 et dans lequel l’agent enquêteur concluait que le demandeur n’était [traduction] « pas entièrement responsable de cette collision ». Se fondant sur son interprétation du rapport d’accident, le Tribunal a conclu que le demandeur [traduction] « n’était pas en train d’exercer ses fonctions de la GRC au moment précis où l’accident de navigation a eu lieu ».

 

[25]           En fin de compte, le Tribunal a conclu qu’il devait se concentrer sur l’accident de la route survenu en 1987 pour évaluer la demande de réexamen fondée sur de nouveaux éléments de preuve. Au dire du Tribunal, l’accident a [traduction] « aggravé [l’état du demandeur] à un degré modéré ». Le Tribunal a majoré le droit à pension du demandeur à deux cinquièmes et a refusé les trois cinquièmes restants pour les [traduction] « motifs de l’âge, du poids et de l’évolution naturelle de la SA préexistante qui serait fort probablement apparue même sans le traumatisme subi en 1987 ».

 

III.  Les observations

i)       Le demandeur

 

 

[26]           Le demandeur soutient que le Tribunal a commis plusieurs erreurs au moment de rendre sa décision. Le Tribunal, estime-t-il, a commis une erreur en tirant une conclusion quant à l’effet de son poids sur ses limites physiques, et ce, sans lui donner la possibilité de traiter de ce facteur, ce qui est contraire à la décision MacKay c. Canada (Procureur général) (1997), 129 F.T.R. 286, ou alors sans obtenir son propre avis médical, comme l’autorise l’article 38 de la Loi sur le TACRA. À cet égard, le demandeur se fonde sur la décision rendue dans Rivard c. Procureur général du Canada (2001), 209 F.T.R. 43 (1re inst.).

 

[27]           Le demandeur soutient que le Tribunal a commis une autre erreur en concluant qu’il n’était pas en service quand l’accident de 1991 est survenu. Ce faisant, le Tribunal a évalué ce qu’il avait fait ce jour-là isolément du cadre général de son emploi. Se fondant sur la décision rendue dans Wannamaker c. Procureur général du Canada (2006), 289 F.T.R. 298 (C.F.), le demandeur dit que cette approche du Tribunal était erronée.

 

[28]           Le demandeur prétend que le Tribunal a tiré une conclusion manifestement déraisonnable en concluant que l’accident de 1991 [traduction] « aurait été considéré mineur » par rapport à son état. Cette conclusion, ajoute-t-il, est contraire aux avis exprimés dans les nouveaux éléments de preuve médicaux.

 

[29]           Le demandeur conteste la conclusion du Tribunal selon laquelle l’accident de navigation survenu en 1991 était attribuable à [traduction] « l’activité récréative de course ». La preuve, dit-il, n’étaye pas cette conclusion. En outre, il n’a pas eu la possibilité de répondre à la conclusion du Tribunal selon laquelle il n’était pas en service quand l’accident de navigation de 1991 est survenu. Cette absence de possibilité de réponse est contraire à la décision que la Cour a rendue dans MacKay.

 

[30]           Enfin, le demandeur soutient qu’étant donné que le Tribunal n’a pas tiré de conclusion défavorable quant à la crédibilité, il a commis une erreur en omettant de tirer des conclusions favorables, conformément aux articles 3 et 39 de la Loi, comme il est indiqué dans la décision MacKay.

 

ii)      Le défendeur

 

 

[31]           Pour sa part, le défendeur soutient que les conclusions tirées par le Tribunal ne sont pas manifestement déraisonnables et qu’une intervention judiciaire est injustifiée.

 

III.  Analyse

 

[32]           La première question dont il faut traiter est la norme de contrôle applicable. Selon l’arrêt récent de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, les décisions qui émanent de décideurs administratifs doivent être contrôlées selon la norme de la décision correcte ou la norme de la décision raisonnable.

 

[33]           En l’espèce, le Tribunal avait à réexaminer l’évaluation d’un droit à une pension d’invalidité. Il s’agit essentiellement d’un travail factuel qui obligeait le Tribunal à soupeser la preuve qui lui était soumise, eu égard aux exigences de la Loi. C’est la norme de la décision raisonnable qui s’appliquera.

 

[34]           Le droit qu’a le demandeur de demander une pension d’invalidité découle de la Loi sur la pension de retraite de la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. 1985, ch. R-11, dont l’article 32 prévoit ce qui suit :

 

32. Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, une compensation conforme à la Loi sur les pensions doit être accordée, chaque fois que la blessure ou la maladie — ou son aggravation — ayant causé l’invalidité ou le décès sur lequel porte la demande de compensation était consécutive ou se rattachait directement au service de l’intéressé dans la Gendarmerie, à toute personne, ou à l’égard de celle-ci :

 

a) visée à la partie VI de l’ancienne loi à tout moment avant le 1er avril 1960, qui, avant ou après cette date, a subi une invalidité ou est décédé;

 

b) ayant servi dans la

Gendarmerie à tout moment après le 31 mars 1960 comme contributeur selon la partie I de la présente loi, et qui a subi une invalidité avant ou après cette date, ou est décédée.

 

32. Subject to this Part, an award in accordance with the Pension Act shall be granted to or in respect of

 

(a) any person to whom Part VI of the former Act applied at any time before April 1, 1960 who, either before or after that time, has suffered a disability or has died, or

 

(b) any person who served in the Force at any time after March 31, 1960 as a contributor under Part I of this Act and who has suffered a disability, either before or after that time, or has died,

 

in any case where the injury or disease or aggravation thereof resulting in the disability or death in respect of which the application for the award is made arose out of, or was directly connected with, the person’s service in the Force.

 

 

[35]           Sa demande de prestations de pension a d’abord été présentée en vertu de la Loi sur les pensions, L.R.C. 1985, ch. P-6. L’article 2 de cette loi, qui se lit comme suit, est pertinent :

 

2. Les dispositions de la présente loi s’interprètent d’une façon libérale afin de donner effet à l’obligation reconnue du peuple canadien et du gouvernement du Canada d’indemniser les membres des forces qui sont devenus invalides ou sont décédés par suite de leur service militaire, ainsi que les personnes à leur charge.

2. The provisions of this Act shall be liberally construed and interpreted to the end that the recognized obligation of the people and Government of Canada to provide compensation to those members of the forces who have been disabled or have died as a result of military service, and to their dependants, may be fulfilled.




[36]           L’évaluation que fait le Tribunal des éléments de preuve doit être guidée par la Loi sur le TACRA. Les articles 3 et 39 de cette loi sont pertinents dans ce contexte et libellés ainsi :

 

3. Les dispositions de la présente loi et de toute autre loi fédérale, ainsi que de leurs règlements, qui établissent la compétence du Tribunal ou lui confèrent des pouvoirs et fonctions doivent s’interpréter de façon large, compte tenu des obligations que le peuple et le gouvernement du Canada reconnaissent avoir à l’égard de ceux qui ont si bien servi leur pays et des personnes à leur charge.

3. The provisions of this Act and of any other Act of Parliament or of any regulations made under this or any other Act of Parliament conferring or imposing jurisdiction, powers, duties or functions on the Board shall be liberally construed and interpreted to the end that the recognized obligation of the people and Government of Canada to those who have served their country so well and to their dependants may be fulfilled.

 

39. Le Tribunal applique, à l’égard du demandeur ou de l’appelant, les règles suivantes en matière de preuve :

a) il tire des circonstances et des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possible à celui-ci;

b) il accepte tout élément de preuve non contredit que lui présente celui-ci et qui lui semble vraisemblable en l’occurrence;

c) il tranche en sa faveur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande.

39. In all proceedings under this Act, the Board shall

(a) draw from all the circumstances of the case and all the evidence presented to it every reasonable inference in favour of the applicant or appellant;

 

(b) accept any uncontradicted evidence presented to it by the applicant or appellant that it considers to be credible in the circumstances; and

(c) resolve in favour of the applicant or appellant any doubt, in the weighing of evidence, as to whether the applicant or appellant has established a case.

 

 

[37]           Le Tribunal était saisi d’une demande de réexamen. Le paragraphe 32(1) de la Loi sur le TACRA porte sur les procédures de réexamen et prévoit ce qui suit :

 

 

32. (1) Par dérogation à l’article 31, le comité d’appel peut, de son propre chef, réexaminer une décision rendue en vertu du paragraphe 29(1) ou du présent article et soit la confirmer, soit l’annuler ou la modifier s’il constate que les conclusions sur les faits ou l’interprétation du droit étaient erronées; il peut aussi le faire sur demande si l’auteur de la demande allègue que les conclusions sur les faits ou l’interprétation du droit étaient erronées ou si de nouveaux éléments de preuve lui sont présentés.

32. (1) Notwithstanding section 31, an appeal panel may, on its own motion, reconsider a decision made by it under subsection 29(1) or this section and may either confirm the decision or amend or rescind the decision if it determines that an error was made with respect to any finding of fact or the interpretation of any law, or may do so on application if the person making the application alleges that an error was made with respect to any finding of fact or the interpretation of any law or if new evidence is presented to the appeal panel.

 

 

[38]           Selon diverses interprétations des articles 3 et 39 de la Loi sur le TACRA, une personne qui demande une prestation doit présenter suffisamment de preuves pour établir un lien de causalité entre la lésion ou l’invalidité dont elle souffre et sa période de service. Ces dispositions législatives ne dispensent pas la personne qui demande une pension d’invalidité en vertu de la Loi de l’obligation de produire des éléments de preuve suffisants pour répondre aux exigences relatives à l’octroi d’une telle pension. À cet égard, je me réfère aux décisions Hall c. Canada (Procureur général) (1998), 152 F.T.R. 58, conf. par (1993), 250 N.R. 93 (C.A.F.), Tonner c. Canada (Ministre des Anciens combattants) (1995), 96 F.T.R. 146, conf. par [1996] A.C.F. no 825 (C.A.F.), et MacKay.

 

[39]           Dans la présente affaire, je suis convaincue que le Tribunal a tiré des conclusions de fait déraisonnables à l’égard des points suivants : le fait que le poids du demandeur avait une incidence sur son droit à pension, la qualification des circonstances de l’accident survenu en 1991, qui constituerait principalement une activité [traduction] « récréative », la conclusion selon laquelle le demandeur n’était pas en service le 3 août 1995, et la conclusion selon laquelle l’accident de 1991 n’avait eu que peu de conséquences pour le demandeur.

 

[40]           Le poids du demandeur a été mentionné dans des rapports médicaux antérieurs, mais pas comme un facteur à l’origine de ses symptômes de limites physiques. À cet égard, je me réfère au rapport en date du 22 octobre 1992 du Dr Fagnou. Le poids n’est pas mentionné comme un facteur contributif dans la décision antérieure du comité d’examen datée du 23 mars 1995, ni dans la décision que le Tribunal a rendue le 1er février 1996. En fait, le poids n’est mentionné qu’en passant dans le sommaire médical établi en 1994, à la page 251 du dossier du Tribunal.

 

[41]           Si le poids était un facteur important que le Tribunal devait prendre en considération à la suite d’une demande de réexamen présentée en vertu de l’article 32 de la Loi, le demandeur aurait dû, selon moi, avoir la possibilité d’en traiter. Le fait de ne pas avoir donné cette possibilité équivaut à un manquement à l’équité procédurale.

 

[42]           Par ailleurs, le Tribunal avait le choix, en application de l’article 38 de la Loi, d’obtenir son propre avis médical sur la question. Il ne l’a pas fait. Il n’était pas autorisé à substituer son propre avis, à défaut d’une preuve concernant le rapport entre un prétendu excès de poids et l’invalidité du demandeur. Comme l’a conclu la Cour dans la décision Rivard, au paragraphe 40, il n’est pas présumé que le Tribunal possède une expertise quelconque en matière médicale.

 

À mon avis, le fait que l'article 38 de la LTAC permette au Tribunal de faire appel à un expert en ce qui concerne toute question médicale est une indication que le Tribunal n'a pas d'expertise particulière dans le domaine de la médecine. Ceci a été reconnu par la jurisprudence, au départ dans l'affaire Moar c. Canada (Procureur général) (1995), 103 F.T.R. 314 (1re inst.). La conclusion du juge Heald dans Moar, supra a été reproduite à plusieurs reprises, entre autres dans l'affaire Weare c. Canada (Procureur général) (1998), 153 F.T.R. 75 (1re  inst.). Je reprends les propos du juge MacKay dans cette affaire, aux paragraphes 14 et 15 :

 

En vertu de l'article 38 de la Loi [la LTAC], le Tribunal peut chercher à obtenir des avis médicaux indépendants quant à toute question dont il est saisi. Le juge Heald, dans l'arrêt Moar c. Canada (Procureur général) [(1995), 103 F.T.R. 314 à la p. 316], qui commentait une disposition semblable, le paragraphe 10(3) de la Loi sur le Tribunal d'appel des anciens combattants, à présent abrogée, et son importance quant à la retenue dont la Cour doit faire preuve à l'égard de la décision du Tribunal, a fait la remarque suivante :

 

Il est indiscutable que l'affaire en instance met en jeu des questions médicales. Le paragraphe 10(3) de la Loi sur le Tribunal d'appel des anciens combattants habilite celui-ci à requérir l'avis d'un expert médical indépendant dans toute matière soumise à sa juridiction. J'en conclus que le Tribunal ne bénéficie pas de la retenue dont les instances judiciaires font habituellement preuve à l'égard des tribunaux spécialisés en raison de leur expertise dans leur domaine de compétence.

[…]

 

[43]           J’examinerai maintenant le fait que le Tribunal a rejeté l’accident de navigation survenu en 1991 en tant que fondement de la demande de droit à pension du demandeur. Comme je l’ai mentionné plus tôt, le Tribunal a tiré trois conclusions précises : le fait que le demandeur [traduction] « n’était pas de service », le fait que l’accident était survenu pendant une [traduction] « activité récréative » et, enfin, le fait qu’il n’exécutait pas une activité relevant de la GRC à ce moment-là. La preuve sur laquelle le Tribunal s’est fondé pour tirer ses conclusions n’était pas les nouveaux éléments de preuve médicaux soumis, mais un rapport d’accident daté du 6 septembre 1991. Il semble que le Tribunal ait interprété le rapport d’accident établi le 6 septembre 1991 pour tirer ses conclusions.

 

[44]           À mon avis, le Tribunal a commis une erreur en procédant ainsi. Tout d’abord, ce rapport d’accident n’est pas un élément de preuve « nouveau » dont il est question au premier volet du critère analysé dans la décision MacKay, au paragraphe 23. Il en est question dans le sommaire médical qui a été établi en décembre 1993, en tant que pièce no 19, à la page 252 du dossier du Tribunal. Deuxièmement, le demandeur n’a pas indiqué que ce rapport d’accident faisait partie des « nouveaux éléments de preuve » dans sa demande de réexamen, qui est formulée dans sa lettre du 13 mai 2005.

 

[45]           Le critère relatif aux nouveaux éléments de preuve est exposé dans la décision MacKay, au paragraphe 23 :

 

Toutefois, je suis convaincu que le rapport du Dr Murdoch constitue de « nouveaux éléments de preuve » aux fins de l'article 111. Le requérant a énoncé le critère applicable pour déterminer s'il s'agit de « nouveaux » éléments de preuve en citant l'arrêt Palmer et Palmer c. La Reine, [1980], 1 R.C.S. 759, à la page 775 (ci-après Palmer) :

 

                    [...] Les principes suivants se dégagent :

 

1)      On ne devrait généralement pas admettre une déposition qui, avec diligence raisonnable, aurait pu être produite au procès, à condition de ne pas appliquer ce principe général de matière [sic] aussi stricte dans les affaires criminelles que dans les affaires civiles; voir McMartin c. La Reine, [1964] R.C.S. 484.

 

2)      La déposition doit être pertinente, en ce sens qu'elle doit porter sur une question décisive ou potentiellement décisive quant au procès.

 

3)      La déposition doit être plausible, en ce sens qu'on puisse raisonnablement y ajouter foi, et

 

elle doit être telle que si l'on y ajoute foi, on puisse raisonnablement penser qu'avec les autres éléments de preuve produits au procès, elle aurait influé sur le résultat.

 

[46]           En outre, le rapport d’accident en question ne dit pas que le demandeur n’était pas de service. Il indique plutôt que ce dernier avait accepté d’utiliser l’embarcation de la police pendant qu’il était en [traduction] « surtemps volontaire ». Le rapport ajoute aussi que [traduction] « tout le personnel en uniforme (GRC et Service de la pêche et de la faune ) était donc en service et portait un uniforme convenable ».

 

[47]           Le texte du rapport d’accident de la GRC contredit la conclusion du Tribunal selon laquelle le demandeur n’était pas de service. Le Tribunal fonde prétendument sa conclusion sur ce rapport. Selon moi, il a tiré une conclusion déraisonnable à cet égard.

 

[48]           Dans le même ordre d’idées, le Tribunal a commis une erreur en concluant que le demandeur s’adonnait à une [traduction] « activité récréative » le 3 août 1991. Ce n’est pas ce que dit le rapport d’accident de la GRC. Ce rapport traite de la responsabilité de la collision et conclut que les personnes qui étaient aux commandes des deux embarcations étaient fautifs.

 

[49]           De plus, le Tribunal s’est fondé prétendument sur ce rapport d’accident pour conclure que le demandeur n’était pas en service pour la GRC quand l’accident de navigation est survenu le 3 août 1991. À mon avis, cette conclusion est déraisonnable. Le rapport d’accident ne dit pas que le demandeur n’était pas en service pour la GRC. Rien ne prouve que du surtemps volontaire est du surtemps non rémunéré. Le fait qu’il soit indiqué [traduction] « uniforme convenable » dans le rapport d’accident n’étaye pas les conclusions du Tribunal.

 

[50]           Enfin, le Tribunal a commis une erreur en omettant de prendre en considération les nouveaux éléments de preuve médicaux relatifs à l’accident de 1991. Même s’il n’a pas expliqué pourquoi il avait considéré les rapports médicaux des Drs Scott et Kulkarni comme des « nouveaux éléments de preuve », au sens du cadre analysé dans la décision MacKay, le Tribunal, après l’avoir fait, était tenu de tirer « les conclusions les plus favorables possible » au demandeur, ainsi qu’il est dit dans la décision MacKay, au paragraphe 31.

 

[51]           Il semble que le Tribunal a considéré un rapport d’accident préexistant, dont disposaient les décideurs précédents, comme fondement pour réviser les conclusions de fait relatives au statut de travail du demandeur en août 1991.

 

[52]           Je suis persuadée qu’il convient de faire droit à la présente demande de contrôle judiciaire. Le Tribunal a tiré des conclusions déraisonnables. Il a omis de donner au demandeur la possibilité de présenter des observations sur les nouveaux éléments de preuve médicaux. Il a omis de soupeser les nouveaux éléments de preuve d’une manière conforme aux articles 3 et 39 de la Loi sur le TACRA. Il a omis d’appliquer la jurisprudence pertinente.

 

[53]           Par conséquent, la présente demande est accueillie et l’affaire est renvoyée à une formation différemment constituée du Tribunal pour nouvelle décision. Le demandeur aura droit à ses dépens, qui seront taxés.


 

JUGEMENT

 

            La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à une formation différemment constituée du Tribunal pour nouvelle décision. Le demandeur aura droit à ses dépens, qui seront taxés.

 

 

« E. Heneghan »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.

 


 

 

 

 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T-1365-06

 

INTITULÉ :                                                   PAUL LENZEN

                                                            c.
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             CALGARY (ALBERTA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 2 OCTOBRE 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LA JUGE HENEGHAN

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                                   LE 22 AVRIL 2008       

                                                           

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jillian Frank

 

POUR LE DEMANDEUR

David J. Stam

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Heenan Blaikie LLP

Calgary (Alberta)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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