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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20080418

Dossier : T-1336-06

Référence : 2008 CF 493

Ottawa (Ontario), le 18 avril 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O’KEEFE

 

 

ENTRE :

FÉDÉRATION CANADIENNE

DES ÉTUDIANTES ET ÉTUDIANTS

 

demanderesse

 

et

 

CONSEIL DE RECHERCHES

EN SCIENCES NATURELLES ET EN GÉNIE DU CANADA

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

LE JUGE O’KEEFE

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, et visant une décision du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG ou le défendeur), datée du 15 juin 2006, confirmant une décision datée du 13 décembre 2005 selon laquelle le CRSNG ne prendrait aucune mesure additionnelle quant à une plainte d’inconduite en recherche déposée par la Fédération canadienne des étudiantes et étudiants (la demanderesse) contre l’Université de Toronto (l’Université).

 

[2]               La demanderesse sollicitait les mesures suivantes :

            1.         une ordonnance :

                        a)         annulant la décision du CRSNG, communiquée dans sa lettre du 15 juin 2006, de refuser de demander à l’Université de mener une enquête et de l’informer de son résultat;

                        b)         renvoyant la décision au CRSNG afin que celui‑ci la réexamine conformément aux instructions que la Cour estime appropriées;

            2.         une ordonnance de la nature d’un mandamus enjoignant au CRSNG de demander à l’Université :

                        a)         de mener une enquête sur la plainte de la demanderesse et de l’informer du résultat;

                        b)         de mener cette enquête conformément aux « Procédures de traitement des allégations d’inconduite » décrites dans le Cadre de référence pour l’examen inter-conseils des politiques institutionnelles concernant l’intégrité dans la recherche du Conseil (le Cadre de référence);

            3.         une ordonnance lui accordant les dépens de la présente demande.

 

Le contexte

 

[3]               Aux fins du contexte, la demanderesse est une organisation qui milite pour une éducation postsecondaire de grande qualité, accessible et financée par des fonds publics au Canada, et pour la liberté universitaire. Le CRSNG est un organisme fédéral chargé de financer la recherche au Canada et de veiller à ce que les fonds de recherche qu’il gère soient utilisés avec intégrité et de manière responsable. La recherche en cause en l’espèce, « Wiarton Water Distribution System Monitoring Study » (l’étude Wiarton), a été effectuée du 19 juin au 28 août 2000 par un certain nombre de professeurs d’université, dont deux de l’Université. Règle générale, le CRSNG verse des fonds de recherche à l’Université en vertu d’un protocole d’entente où sont incorporés par renvoi plusieurs énoncés de politique. L’énoncé de politique intitulé Politique inter‑conseils sur l’intégrité dans la recherche et les travaux d’érudition (la Politique inter‑conseils) est particulièrement pertinent en l’espèce. Cette politique exige que, lorsqu’il reçoit une plainte d’inconduite dans la recherche, le CRSNG demande que l’université concernée fasse enquête et lui transmette une copie du rapport d’enquête.

 

[4]               Dans une lettre datée du 14 juillet 2004 et adressée au CRSNG, Christopher Radziminski a déposé une plainte officielle contre l’Université relativement, entre autres, à une recherche discutable effectuée à l’Université pendant l’étude Wiarton. M. Radziminski alléguait plus précisément que, dans leurs conclusions publiées dans le Journal of Environmental Engineering and Science, les chercheurs de l’étude Wiarton avaient mentionné qu’[traduction] « aucune plainte concernant le goût ou l’odeur n’a été déposée par les clients pendant la période visée par l’étude », alors qu’en fait il y en a eu. Dans sa lettre, M. Radziminski a demandé que le CRSNG mène rapidement une enquête complète sur les cas d’inconduite qui seraient survenus pendant l’étude Wiarton.

 

[5]               Le CRSNG a répondu à la plainte de M. Radziminski par une lettre datée du 9 août 2004, dans laquelle il écrivait qu’il [traduction] « ne pouvait pas considérer que la Politique inter‑conseils s’appliquait dans ce cas ». M. Radziminski a ensuite écrit au CRSNG, le 27 août 2004, afin d’obtenir des éclaircissements. Dans la réponse qu’il lui a envoyée le 22 septembre 2004, le CRSNG a écrit qu’il avait examiné les questions soulevées par M. Radziminski et avait conclu qu’elles n’étaient pas visées par la Politique inter‑conseils.

 

[6]               Il appert que M. Radziminski s’est alors tourné vers la demanderesse. Dans une lettre adressée au CRSNG le 19 juillet 2005, la vice‑présidente nationale de la demanderesse, Angela Regnier, a demandé à celui‑ci de communiquer à l’Université les allégations précises d’inconduite dans la recherche concernant l’étude Wiarton et d’exiger de l’Université qu’elle fasse enquête. Le 10 août 2005, le CRSNG a écrit à l’Université afin d’obtenir une réponse aux allégations de la demanderesse, sans cependant demander à l’Université de faire enquête. Le 18 octobre 2005, la demanderesse a transmis d’autres prétentions au CRSNG et a demandé qu’une réponse substantielle soit apportée à sa lettre du 19 juillet 2005. Le 8 novembre 2005, le CRSNG a demandé de nouveau une réponse à l’Université. Celle‑ci a fait parvenir sa réponse au CRSNG et à la demanderesse le 21 novembre suivant.

 

[7]               Le 2 décembre 2005, la demanderesse a écrit au CRSNG pour lui faire savoir qu’elle réagirait aux conclusions de l’Université et au défaut de celle‑ci de répondre à ses préoccupations particulières. Le 13 décembre 2005, le CRSNG a répondu à la demanderesse que, dans sa réponse, l’Université avait répondu de manière appropriée à toutes les questions et préoccupations qu’elle avait soulevées. La demanderesse a assuré le suivi de l’affaire avec le CRSNG dans une lettre datée du 11 janvier 2006, lors d’une rencontre tenue le 11 avril 2006 et dans une lettre datée du même jour. Le 15 juin 2006, le CRSNG a écrit à la demanderesse qu’il n’avait rien à ajouter aux réponses qui lui avaient été données. Le 26 juillet 2006, la demanderesse a déposé la présente demande de contrôle judiciaire.

 

Les motifs de la décision

 

[8]               L’intégralité de la décision du CRSNG se trouve dans une lettre qu’il a envoyée à la demanderesse le 15 juin 2006 :

[traduction]

 

Madame Regnier,

 

M. Fortier m’a demandé de répondre à votre lettre du 11 avril 2006. Je m’excuse d’avoir tardé à le faire.

 

Le CRSNG constate que vous soulevez, dans votre récente lettre, des questions que vous avez posées dans vos lettres précédentes et auxquelles le CRSNG a répondu.

 

Après avoir examiné votre récente lettre à la lumière de l’ensemble du dossier, le CRSNG souhaite vous faire savoir que nous n’avons rien à ajouter aux réponses que nous vous avons déjà données.

 

Je vous remercie pour votre lettre et vous prie d’agréer, Madame, l’expression de mes meilleurs sentiments.

 

La secrétaire,

Martine Dupré

 

[9]               Les [traduction] « réponses que nous vous avons déjà données » dont il est question ci‑dessus comprennent deux lettres qui revêtent une importance particulière en l’espèce.

 

[10]           La première lettre est celle envoyée à M. Radziminski par le CRSNG le 22 septembre 2004, dans laquelle ce dernier concluait que les allégations d’inconduite dans la recherche soulevées par M. Radziminski en rapport avec l’étude Wiarton n’étaient pas visées par la Politique inter‑conseils et qu’il n’avait manifestement aucun rôle à jouer à l’égard de ces allégations.

 

[11]           La deuxième lettre est celle envoyée à la demanderesse par le CRSNG le 13 décembre 2005, dans laquelle celui‑ci concluait :

  • que l’enquête sur les allégations d’inconduite était conforme aux attentes décrites dans la Politique inter‑conseils, dans le protocole d’entente et dans le Cadre de référence;
  • que la politique sur l’éthique de l’Université, intitulée Faculty of Applied Sciences and Engineering, Framework on Ethics, satisfaisait, pour la plus grande partie, aux exigences de la Politique inter‑conseils, du protocole d’entente et du Cadre de référence;
  • que l’évaluation effectuée par le comité d’éthique de la recherche et son approbation étaient conformes aux responsabilités de l’établissement qui sont décrites dans le protocole d’entente.

 

[12]           Le CRSNG a conclu que, [traduction] « à la lumière de ce qui précède, le CRSNG est convaincu que l’Université a répondu de manière appropriée à toutes les questions et préoccupations soulevées dans les lettres que vous avez envoyées au CRSNG ».

 

Les questions en litige

 

[13]           La demanderesse a soumis les questions suivantes à la Cour :

            1.           Manquement à une obligation légale

                          a.          Le CRSNG a-t-il commis une erreur de droit en refusant d’exiger de l’Université qu’elle fasse enquête sur des allégations précises d’inconduite dans la recherche?

                          b.         Le CRSNG a-t-il commis une erreur susceptible de contrôle en rejetant la plainte de la demanderesse?

            2.           Équité procédurale

                          a.         Le CRSNG a-t-il contrevenu aux règles de l’équité procédurale en n’informant pas la demanderesse du fondement factuel ou juridique de sa décision?

                          b.         Le CRSNG a-t-il contrevenu aux règles de l’équité procédurale dans le cadre de son enquête sur la plainte de la demanderesse?

                          c.         La manière dont le CRSNG a traité la plainte fait‑elle naître une crainte raisonnable de partialité?

 

[14]           Le défendeur a soumis les questions préliminaires suivantes à la Cour :

            1.           La demanderesse a-t-elle qualité pour déposer la présente demande?

            2.           Dans l’affirmative, des parties de l’affidavit déposé par la demanderesse au soutien de sa demande devraient‑elles être radiées au motif qu’elles ne sont pas pertinentes, qu’elles ne sont pas importantes ou qu’elles ne sont pas appropriées pour une autre raison?

 

[15]           Je reformulerais les questions de la façon suivante :

      1.         Questions préliminaires :

                  a.         La demanderesse a-t-elle qualité pour déposer la présente demande?

                  b.         Le cas échéant, des parties de l’affidavit déposé par la demanderesse au soutien de sa demande devraient‑elles être radiées?

      2.         Erreurs susceptibles de contrôle :

                  a.         Quelle est la norme de contrôle qui s’applique?

                  b.         Le CRSNG a-t-il commis une erreur de droit en refusant d’exiger de l’Université qu’elle fasse enquête sur des allégations précises d’inconduite dans la recherche?

                  c.         Si les obligations incombant au CRSNG aux termes de la Politique inter‑conseils ne s’appliquaient pas, l’examen de la plainte effectué par celui‑ci était‑il tout de même raisonnable?

      3.         Équité procédurale :

                  a.           Quelles sont les exigences de l’équité procédurale en l’espèce?

                  b.           Le CRSNG a-t-il manqué à l’équité procédurale en n’informant pas la demanderesse du fondement factuel ou juridique de sa décision?

                  c.           Le CRSNG a-t-il manqué à l’équité procédurale en n’informant pas la demanderesse du processus de traitement de la plainte qu’il entendait suivre?

                  d.           La manière dont le CRSNG a traité la plainte fait‑elle naître une crainte raisonnable de partialité?

 

Les prétentions de la demanderesse

 

[16]           La demanderesse a d’abord traité de la question de savoir si le CRSNG a commis une erreur de droit en ne prenant aucune mesure additionnelle après avoir reçu le rapport de l’Université. Elle a soutenu que c’est la norme de la décision correcte qui s’applique à cet égard. Selon elle, cette question a trait à l’étendue de la compétence du CRSNG en matière d’allégations d’inconduite en milieu universitaire et les questions de compétence sont habituellement des questions de droit (Murdoch c. Canada (Gendarmerie royale du Canada), 2005 CF 420, au paragraphe 14).

 

[17]           La demanderesse a ensuite traité de la relation entre le CRSNG et l’Université. Elle a soutenu que, suivant le protocole d’entente conclu entre l’Université et le CRSNG, les deux parties sont tenues de se conformer à la Politique inter‑conseils. Cette politique énonce les obligations et les responsabilités de chacune des deux parties. En particulier, l’Université doit promouvoir l’intégrité dans la recherche et l’érudition et enquêter sur tous les cas éventuels d’inconduite, alors que le CRSNG est tenu de voir à ce que les fonds qu’il gère soient utilisés selon les principes les plus stricts d’intégrité, de reddition de comptes et de responsabilité et de demander à un établissement qui serait concerné par une allégation d’inconduite dans la recherche de mener une enquête et de l’informer du résultat de celle‑ci. La demanderesse a fait valoir que, aux termes de la Politique inter‑conseils, l’inconduite est tout geste ou action non conforme à l’intégrité. Selon elle, la Politique inter‑conseils confère un rôle fondamental et essentiel au CRSNG au regard des allégations d’inconduite dans la recherche qu’il reçoit. À son avis, le CRSNG doit intervenir au regard d’une plainte seulement si c’est lui qui a versé les fonds de recherche. Elle a fait valoir qu’il suffit, pour que le CRSNG intervienne, qu’il y ait une [traduction] « preuve d’inconduite », laquelle est facile à faire. La demanderesse a soutenu que, lorsque cette preuve est faite, le CRSNG doit demander que l’établissement concerné effectue une enquête et l’informe du résultat et que cette enquête doit être conforme aux exigences du CRSNG en matière de procédure concernant les enquêtes sur des allégations d’inconduite dans la recherche.

 

[18]           La demanderesse soutenait que la plainte exposée dans la lettre du 19 juillet 2005 était visée par la Politique inter‑conseils. Selon elle, la technologie faisant l’objet des allégations d’inconduite constituait le fondement de la subvention de 25 000 $ versée à l’Université par le CRSNG en 2003. La demanderesse prétendait que le CRSNG avait commis une erreur en n’exigeant pas de l’Université qu’elle effectue une enquête sur le contenu des allégations et en lui demandant plutôt de répondre aux questions et préoccupations plus larges soulevées par la demanderesse. Le CRSNG a ainsi commis une erreur en statuant sur les allégations de la demanderesse même si celles‑ci ne relevaient pas de sa compétence.

 

[19]           La demanderesse a ensuite soutenu que le CRSNG a commis une erreur susceptible de contrôle en rejetant sa plainte. Elle a fait valoir que c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique dans ce cas. La loi habilitante du CRSNG ne renferme aucune disposition privative et ne confère aucun droit d’appel. La question en litige est une question de fait qui n’exige aucune expertise particulière. Les questions soulevées sont de nature quasi juridique et ne sont pas fondées sur des politiques et, finalement, la décision qui sera rendue à l’égard de la question en litige aura valeur de précédent.

 

[20]           La demanderesse a soutenu que le CRSNG ne pouvait pas rejeter ses allégations car il disposait d’une preuve écrasante de la description délibérément erronée de la réponse publique à l’étude Wiarton parue dans la littérature spécialisée. Elle a soutenu également que, vu le contexte et la gravité de ses allégations, celles‑ci auraient dû faire l’objet d’une analyse complète et minutieuse de la part du CRSNG. Elle a fait valoir que le CRSNG avait plutôt fait montre d’indifférence à l’égard d’une question de santé publique importante au Canada et utilisé une méthode discutable de surveillance de l’argent des contribuables qu’il gérait par l’entremise de ses subventions et bourses de recherche. Selon la demanderesse, la réponse du CRSNG était tout simplement déraisonnable et non étayée par la preuve dont celui‑ci disposait.

 

[21]           La demanderesse a aussi soulevé trois questions concernant l’équité procédurale. Selon elle, les circonstances exigent un degré élevé d’équité procédurale en l’espèce étant donné que, dans les faits, la décision du CRSNG de ne prendre aucune mesure additionnelle relativement à une allégation d’inconduite en milieu universitaire règle sa plainte (Herbert c. Canada (Commission des droits de la personne) (1998), 156 D.L.R. (4th) 539 (C.A.F.)). En outre, la procédure étant de nature accusatoire, elle exige une norme rigoureuse d’équité procédurale (Downing c. Graydon et al. (1978), 92 D.L.R. (3d) 355, aux pages 370, 374 et 377 (C.A. Ont.)).

 

[22]           En premier lieu, la demanderesse a soutenu que le CRSNG a contrevenu aux règles de l’équité procédurale en ne l’informant pas du fondement factuel ou juridique de sa décision. Le CRSNG a privé la demanderesse de la possibilité de formuler des observations sur la preuve produite par l’Université, malgré le fait qu’il savait que la demanderesse voulait le faire. La demanderesse a aussi soutenu que les représentants du CRSNG ne connaissaient pas bien les allégations et n’étaient pas préparés lorsqu’ils se sont présentés à une rencontre entre les parties et l’Université le 11 avril 2006. Selon la demanderesse, un plaignant a le droit d’être informé des faits et des règles de droit sur lesquels repose la décision rendue relativement à sa plainte et d’y répondre (Selvarajan c. Race Relations Board, [1976] 1 All E.R. 12, à la page 19 (C.A.), cité dans Irvine c. Canada (Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1987] 1 R.C.S. 181, au paragraphe 54). La demanderesse a prétendu également que le CRSNG n’a pas traité des allégations précises dans sa décision, concluant plutôt que l’étude Wiarton ne possédait pas les caractéristiques nécessaires pour qu’il exerce les fonctions en matière de surveillance qui sont décrites dans la Politique inter‑conseils.

 

[23]           La demanderesse a ensuite prétendu, au regard de l’équité procédurale, que le CRSNG a contrevenu aux règles de l’équité procédurale dans le cadre de l’enquête qu’il a menée sur sa plainte. Selon elle, jamais le CRSNG ne l’a informée de la procédure qu’il entendait suivre relativement aux allégations d’inconduite dans la recherche. La demanderesse a soutenu que la Politique inter‑conseils prévoit la procédure applicable et que le CRSNG ne s’y conforme pas s’il n’indique pas aux parties intéressées quelle procédure il va suivre. La demanderesse a rappelé qu’« un plaignant a le droit de connaître à la fois les règles du jeu et la substance de la preuve qui se trouve devant la Commission » (Mercier c. Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 3 C.F. 3, au paragraphe 16 (C.A.)).

 

[24]           Finalement, la demanderesse a soutenu que les règles de justice naturelle n’ont pas été respectées car elle avait droit à une audience devant un tribunal désintéressé. Elle a fait valoir qu’elle avait droit à un décideur impartial à l’étape de l’enquête comme à l’étape de la décision. Selon elle, la norme qui s’applique à l’étape de l’enquête en ce qui concerne l’impartialité est l’ouverture d’esprit, c’est‑à‑dire la question de savoir si la question a été tranchée au préalable (Reimer c. Saskatchewan (Human Rights Commission), [1992] S.J. No. 547, au paragraphe 8 (C.A. Sask.)). La demanderesse a soutenu que le dossier du CRSNG ne montre pas que les allégations ont fait l’objet d’une enquête indépendante. Il semble plutôt que la responsabilité a été transférée à l’Université. Le CRSNG a simplement accepté les conclusions de l’Université, sans aucune hésitation. En outre, la demanderesse a prétendu que le CRSNG a rejeté rapidement les allégations et n’était pas préparé à répondre à ses questions. Selon elle, ces faits révèlent une fermeture d’esprit étonnante et fait naître une crainte raisonnable de partialité. Quant à la question de la partialité à l’étape de la décision, la demanderesse a soutenu que le critère approprié consiste à se demander si la conduite du décideur fait naître une crainte raisonnable de partialité (Newfoundland Telephone Co. c. Terre‑Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities) (1992), 4 Admin L.R. (2d) 121, à la page 134 (C.S.C.)). Selon la demanderesse, le CRSNG s’en est remis au comité d’enquête du doyen de l’Université pour sa décision et ses motifs et la composition de ce comité, sa motivation et ses actions ont fait naître une crainte raisonnable de partialité. Plus particulièrement, la demanderesse a souligné que le comité du doyen avait été formé à la demande de l’un des professeurs soupçonnés d’inconduite; ce comité était composé de deux personnes seulement et ces personnes ne possédaient aucune expertise dans le domaine concerné et venaient de la faculté des sciences appliquées et de génie.

 

Les prétentions du défendeur

 

[25]           Le défendeur a prétendu que la demanderesse n’a pas la qualité nécessaire pour déposer la présente demande en vertu de l’article 18.1 des Lois sur les Cours fédérales, précitée, et qu’il faut, en conséquence, que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire et lui reconnaisse la qualité pour agir dans l’intérêt public (Sierra Club du Canada c. Canada, [1999] 2 C.F. 211 (1re inst.), au paragraphe 22). Le critère consiste alors à se demander : 1) si le litige pose une question sérieuse ou réglable par voie judiciaire; 2) si la demanderesse a un intérêt véritable dans l’issue ou l’objet du litige; et 3) s’il existe des personnes autres que la demanderesse qui sont plus directement touchées et dont on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’elles saisissent la justice des questions que soulève la demanderesse. Le défendeur a fait valoir que de simples questions d’interprétation administrative ne sont pas des « questions sérieuses » (Harris c. Canada, [2000] A.C.F. no 729, aux paragraphes 51 et 52 (C.A.)). Selon lui, il faut, pour savoir s’il existe un « intérêt véritable », déterminer 1) si l’intérêt de la demanderesse dans les questions de droit est intimement lié à ses objectifs généraux et 2) si la demanderesse possède « les connaissances spécialisées, la compréhension et la perspective » nécessaires pour contribuer de manière constructive à la résolution des questions en litige ou a des « antécédents dans la défense de l’intérêt général » au regard de ces questions (Sierra Club du Canada, précitée, aux paragraphes 58 et 66). Le défendeur a fait valoir que les objectifs généraux de la demanderesse ne sont pas liés à la vérification de la qualité de l’eau potable, mais à la promotion des intérêts des étudiants. Il a ajouté que la demanderesse n’avait aucun antécédent dans la défense de l’intérêt général en matière de qualité de l’eau. Finalement, il a prétendu qu’il existe de nombreuses organisations environnementales, municipales, industrielles et techniques qui ont un intérêt plus direct dans les questions en litige en l’espèce et dont on pourrait raisonnablement s’attendre à ce qu’elles saisissent la justice de ces questions.

 

[26]           Le défendeur a soutenu que, si la qualité pour agir est reconnue à la demanderesse, une partie importante de l’affidavit que celle‑ci a déposé au soutien de sa demande (l’affidavit de Mme Regnier) devrait être radiée car elle comprend des documents qui ne font pas partie du dossier certifié du tribunal. Selon lui, les paragraphes de l’affidavit de Mme Regnier qui sont fondés sur le contenu de ces documents devraient aussi être radiés. Le défendeur a soutenu que d’autres parties de l’affidavit de Mme Regnier devraient être radiées car elles renferment une preuve par ouï‑dire. Ce serait le cas en particulier des paragraphes 14 à 22, qui contiennent des renseignements généraux sur la carrière universitaire, les recherches et la thèse de M. Radziminski, et des paragraphes 26 à 43 et 45 à 53, qui renferment des renseignements sur la plainte initiale déposée par M. Radziminski auprès de l’Université de Toronto et sur la plainte qu’il a déposée à l’Université d’Indiana. Le défendeur a fait valoir que, contrairement à ce qu’indique le paragraphe 21 de l’affidavit de Mme Regnier, M. Radziminski a amplement eu la possibilité de produire un affidavit pouvant faire l’objet d’un contre‑interrogatoire utile. Il a fait valoir également que les paragraphes 10 à 12, 64 et 67 de l’affidavit de Mme Regnier, qui portent sur des points non pertinents, devraient être radiés. Finalement, il a soutenu que les paragraphes 19, 20, 21, 58, 59, 74, 80, 81 et 82 devraient aussi être radiés car ils renferment des opinions et des affirmations exigeant une expertise dans le domaine de la désinfection de l’eau potable, des systèmes de salubrité de l’eau, de la chloration ainsi que des propriétés chimiques du chlore et de ses effets sur la santé. Or, selon le défendeur, Mme Regnier n’a aucune expertise dans ces domaines.

 

[27]           En ce qui concerne la norme de contrôle, le défendeur a fait valoir que la Loi sur le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie, L.R.C. 1985, ch. N‑21 (la loi habilitante du CRSNG) ne prévoit expressément aucun droit d’appel et ne renferme aucune disposition privative. Le CRSNG est un organisme de financement spécialisé qui possède de l’expérience en ce qui concerne les relations avec les établissements universitaires et leurs méthodes. Le défendeur a soutenu que la loi habilitante du CRSNG vise à établir un organisme administratif ayant pour mission de promouvoir et de soutenir la recherche dans le domaine des sciences naturelles et du génie et que, à cette fin, le CRSNG doit exercer un contrôle financier efficace, tout en prenant soin de ne pas restreindre l’indépendance des chercheurs. Finalement, il a prétendu que la question de savoir si le CRSNG a exercé correctement son pouvoir discrétionnaire est une question de fait à laquelle s’applique la norme de contrôle de la décision manifestement déraisonnable, et que la conclusion du CRSNG selon laquelle la plainte relative à l’étude Wiarton n’entraînait pas l’application des politiques pertinentes est une question mixte de droit et de fait assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable.

 

[28]           Le défendeur a soutenu que le CRSNG n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle en ne prenant aucune mesure additionnelle. Selon lui, la demanderesse ne comprend pas bien les exigences imposées au CRSNG par la Politique inter‑conseils. Il a fait valoir que, aux termes de celle‑ci, le CRSNG doit transmettre la plainte à l’université visée, étudier le rapport de l’université et envisager les sanctions qu’il convient d’imposer s’il y a effectivement eu inconduite. Le défendeur a soutenu que, de toute façon, la plainte de la demanderesse n’a pas entraîné l’application de la politique pertinente. À son avis, le pouvoir du CRSNG d’insister auprès d’un établissement universitaire pour qu’il effectue une enquête sur une prétendue inconduite est fondé sur son rôle en matière de financement. Or, en l’espèce, le CRSNG n’a pas financé l’étude Wiarton. Le défendeur a soutenu également que la demanderesse n’alléguait pas dans sa plainte qu’il y avait eu [traduction] « inconduite dans la recherche » au sens défini par l’Université. Selon lui, le prétendu défaut de faire référence, dans certaines publications, à des éléments de preuve soi‑disant contraires est différent de la [traduction] « falsification délibérée », du [traduction] « plagiat », du [traduction] « manquement à l’obligation de confidentialité » ou de la [traduction] « fraude » qui constitue une « inconduite ». Finalement, il a fait valoir que les allégations relatives à l’[traduction] « intégrité de la recherche » n’exigent pas que le CRSNG intervienne.

 

[29]           Au sujet du contenu de l’équité procédurale, le défendeur a fait les observations suivantes. En ce qui concerne la ressemblance entre le processus et un processus judiciaire, il a soutenu que le CRSNG n’est pas chargé de rendre une décision finale concernant une plainte, mais de transmettre la plainte à l’établissement universitaire concerné pour que celui‑ci fasse rapport. Comme il ne s’agit pas d’un processus décisionnel, la norme d’équité qui s’applique est moins rigoureuse. En ce qui concerne la nature du régime prévu par la loi, le fait que celle‑ci ne confère pas un droit d’appel permet de croire qu’elle confère des pouvoirs administratifs et non pas judiciaires, de sorte que l’équité exigée est moindre. Le défendeur a aussi prétendu que la demande n’est pas au cœur du mandat ou de l’expertise de la demanderesse et que les intérêts touchés sont indirects. Il a souligné que rien ne permettait de s’attendre à ce que le CRSNG confère des droits à la demanderesse en matière de procédure. Finalement, il a prétendu que la loi habilitante du CRSNG ne prévoit pas une procédure particulière qui doit être suivie lorsque ce dernier détermine si une plainte ou un rapport qui lui est transmis par un établissement universitaire doit être accepté ou rejeté, ou si des renseignements additionnels doivent être demandés à leur sujet, de sorte que la Cour doit faire preuve de retenue. Le défendeur a soutenu que ces facteurs indiquent qu’un degré moindre d’équité procédurale est exigé.

 

[30]           En ce qui concerne l’allégation de la demanderesse selon laquelle le CRSNG ne l’a pas informée du fondement factuel et juridique de sa décision, le défendeur a fait valoir que, compte tenu du rôle limité du CRSNG et des facteurs décrits dans Baker, la procédure suivie satisfaisait aux exigences de l’équité. Le défendeur a soutenu que le plaignant était au courant de la situation et qu’il a été informé des mesures prises par le CRSNG. Le défendeur a fait valoir que la réponse de l’Université avait été transmise à la demanderesse. Il a ajouté que la décision n’a pas eu pour effet d’empêcher que les chercheurs fassent l’objet d’un examen minutieux étant donné qu’il ne lui incombait pas de rejeter la plainte, mais plutôt de la transmettre à l’établissement universitaire pour examen et de recevoir le rapport. Il a affirmé que, de toute façon, l’établissement universitaire lui‑même n’est pas à l’abri d’un examen minutieux puisqu’une partie intéressée pourrait demander le contrôle judiciaire de sa décision ou intenter des poursuites civiles contre lui.

 

[31]           En ce qui concerne le prétendu défaut d’informer la demanderesse de la procédure, le défendeur a fait valoir que le protocole d’entente prévoit des lignes directrices qui sont souples et qui exigent que les plaintes d’inconduite soient transmises à l’établissement universitaire concerné, qu’un rapport soit préparé et que ce rapport soit examiné par le CRSNG. En l’espèce, cette procédure a été suivie et il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale.

 

[32]           Selon le défendeur, l’allégation de crainte raisonnable de partialité n’est pas fondée. Le critère relatif à la crainte raisonnable de partialité consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique » (Canada (Procureur général) c. Fetherston, 2005 CAF 111, au paragraphe 34). À son avis, ce critère est souple et doit être adapté à la nature du décideur. Le défendeur a prétendu que l’allégation selon laquelle aucune enquête indépendante n’avait été effectuée traduit une mauvaise compréhension de son rôle. En ce qui concerne les allégations selon lesquelles il a rejeté rapidement la plainte et n’était pas préparé lors d’une rencontre avec la demanderesse, le défendeur a fait valoir que la demanderesse n’avait pas manifesté à l’avance son désir de discuter du fond de sa plainte lors de cette rencontre et que, de toute façon, il a tenu compte de la lettre lorsqu’il a rendu la décision faisant l’objet du présent contrôle.

 

L’analyse et la décision

 

[33]           1.         Les questions préliminaires

                        a.           La demanderesse a-t-elle qualité pour déposer la présente demande?

            Le défendeur a soutenu que la demanderesse n’a pas qualité, en vertu du paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales, précitée, pour déposer la présente demande et ne peut se voir conférer la qualité pour agir dans l’intérêt public. Le paragraphe 18.1(1) de la Loi prévoit ce qui suit :

18.1(1) Une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par le procureur général du Canada ou par quiconque est directement touché par l’objet de la demande.

18.1(1) An application for judicial review may be made by the Attorney General of Canada or by anyone directly affected by the matter in respect of which relief is sought.

 

 

[34]           Le défendeur a fait valoir que la demanderesse ne prétend pas que ses droits ou ceux de ses membres sont « directement touché[s] » par la décision en question; en conséquence, elle doit convaincre la Cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire et de lui reconnaître la qualité pour agir dans l’intérêt public. Je suis d’accord avec le défendeur. La demanderesse prétend que le CRSNG n’a pas suivi la procédure obligatoire de traitement des plaintes. Elle ne prétend pas que ses droits ou ceux de ses membres sont directement touchés ou qu’un « dommage spécial » est causé. En conséquence, il incombe à la demanderesse de convaincre la Cour qu’il convient de lui reconnaître la qualité pour agir dans l’intérêt public (Sierra Club du Canada, précitée, au paragraphe 24).

 

[35]           Il est bien établi que le critère relatif à la qualité pour agir dans l’intérêt public comporte trois éléments : 1) le litige pose une question sérieuse ou réglable par voie judiciaire; 2) le demandeur a un intérêt véritable dans l’objet du litige; 3) il y a une autre manière raisonnable et efficace de soumettre les questions en litige aux tribunaux (Thorson c. Canada (Procureur général), [1975] 1 R.C.S. 138; Canada (Ministre de la Justice) c. Borowski, [1981] 2 R.C.S. 575; Conseil canadien des Églises c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 236; Sierra Club du Canada, précitée). L’analyse du premier élément – l’existence d’une question sérieuse ou réglable par voie judiciaire – comprend « tant l’importance des questions soulevées que la probabilité que la demande soit accueillie » (Sierra Club du Canada, précitée, au paragraphe 38). Le défendeur a fait valoir que, selon Harris, précité, une simple question d’interprétation administrative n’est pas une question sérieuse ou réglable par voie judiciaire. Bien que je souscrive au principe de droit, je ne crois pas qu’il s’applique en l’espèce. À mon avis, les questions soulevées par la demanderesse ne sont pas des questions d’interprétation administrative, mais des questions touchant le pouvoir conféré par la loi au CRSNG d’enquêter sur des plaintes. La demanderesse prétend que les conditions préalables à l’application de l’obligation imposée au CRSNG par la Politique inter‑conseils d’exiger de l’Université qu’elle fasse enquête existaient. À mon avis, il s’agit d’une question touchant le pouvoir conféré au CRSNG par la loi, et non simplement d’une question d’interprétation administrative. Les questions en litige sont sérieuses. En ce qui concerne la probabilité que la demanderesse ait gain de cause, je suis convaincu, après avoir examiné les documents, qu’une telle probabilité existe.

 

[36]           Pour ce qui est du deuxième élément – un intérêt véritable dans l’objet du litige – il faut tenir compte des facteurs suivants : 1) l’intérêt de la demanderesse dans les questions en litige est‑il intimement lié à ses objectifs généraux et 2) la demanderesse possède‑t‑elle une expertise ou des antécédents dans la défense de l’intérêt général dans le domaine en question (Sierra Club du Canada, précitée, au paragraphe 66)? Après avoir examiné ces facteurs, je suis convaincu que la demanderesse satisfait à cet élément du critère. Les objectifs généraux de la demanderesse comprennent la promotion des intérêts des étudiants et la demanderesse a démontré que les intérêts de ses membres incluent l’intégrité des établissements universitaires et la protection des personnes et organismes qui dénoncent l’inconduite dans la recherche. La demanderesse a aussi démontré qu’elle avait été active dans le passé au regard de ces questions. Comme l’indique l’affidavit de Mme Regnier qui a été déposé au soutien de la demande, l’organisation demanderesse a, dans le passé, publiquement soutenu des chercheurs qui s’étaient exprimés en faveur de l’intégrité de la recherche, fait des pressions pour que des lois et des politiques protégeant les dénonciateurs soient adoptées et appuyé le financement public de la recherche. À mon avis, l’organisation a démontré un intérêt suffisant dans les questions pour intenter la présente action.

 

[37]           Le troisième et dernier élément du critère relatif à l’intérêt public consiste à se demander s’il y a un demandeur qui convient davantage. À cette fin, la Cour doit déterminer s’il « existe d’autres personnes qui sont plus directement touchées que [la demanderesse] et dont on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’elles engagent une procédure pour contester la mesure administrative en question » (Sierra Club du Canada, précitée, au paragraphe 69). Le défendeur a nommé un certain nombre d’organisations environnementales et municipales qui, selon lui, sont plus directement touchées. Je conviens que ces organisations et leurs membres ont un intérêt dans la question de savoir s’il y a eu inconduite dans l’étude Wiarton, mais l’importance de leur intérêt est comparable à celui de la demanderesse qui cherche à assurer l’intégrité dans la recherche universitaire. Le défendeur ne démontre pas que ces organisations ont intenté des poursuites judiciaires sur la question. En conséquence, j’estime que la demanderesse a satisfait à la condition et que la qualité pour agir dans l’intérêt public devrait lui être reconnue.

 

[38]           b.         Dans l’affirmative, des parties de l’affidavit déposé par la demanderesse au soutien de sa demande devraient‑elles être radiées?

            Le défendeur a présenté trois demandes différentes concernant la radiation d’éléments de preuve sous forme d’affidavit. Premièrement, il a prétendu que la demanderesse cherchait à s’appuyer sur des documents dont ne disposait pas le CRSNG au moment où la décision a été prise et que, en conséquence, ces documents et les renvois à ceux‑ci contenus dans l’affidavit de Mme Regnier devaient être radiés. Il a fait valoir que les documents avaient été produits relativement au fond de la demande et non relativement aux prétentions de la demanderesse concernant la procédure.

 

[39]           J’ai examiné les documents énumérés à l’annexe A du mémoire des faits et du droit du défendeur et je conviens que, à l’exception de quelques‑uns, ils ne font pas partie du dossier du tribunal. J’ai constaté plus particulièrement que les documents suivants qui sont mentionnés à l’annexe A se trouvent dans le dossier du tribunal :

Description dans l’annexe A

Emplacement dans le dossier certifié du tribunal

No 20 : Lettre de C. Radziminski datée du 31 janvier 2003 donnant son consentement – Q 176 et 177

Onglet 1

No 28 : Défense conjointe – Q 187

Onglet 2

No 51 : Lettre des résidents datée d’août 2000, adressée au maire et au conseil municipal

Onglet 1

No 51 : Lettres à l’éditeur publiées dans le Wiarton Echo

Onglet 1

No 72 : Texte publié par l’Université de Toronto en 2003, intitulé « University of Toronto Engineering Experts Available to Comment on National Engineering week (NEW), March 1-9, 2003 »

Onglet 1

 

[40]           La Cour a récemment, dans Vennat c. Canada (Procureur général), [2006] A.C.F. no 1251, aux paragraphes 43 à 45, examiné la question de la radiation d’éléments de preuve dont ne disposait pas le décideur lorsqu’il avait rendu sa décision :

43     En règle générale, au stade du contrôle judiciaire, seule la preuve à partir de laquelle la décision dont le contrôle est demandé doit être considérée (voir Smith c. Canada, 2001 CAF 86). Il en est ainsi parce que la demande de contrôle judiciaire « ne vise pas à permettre de déterminer si la décision de l’office en question est absolument correcte, mais plutôt si l’office avait raison, compte tenu du dossier dont il disposait » (Chopra c. Canada (Conseil du Trésor), [1999] A.C.F. No. 835, au para. 5).

 

44     Exceptionnellement, la Cour peut prendre connaissance de documents qui n’existaient pas au moment de la demande de contrôle judiciaire, lorsque des questions d’équité procédurale ou de compétence sont en jeu (McFadyen c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 360, aux paras. 14 et 15; Ordre des architectes de l’Ontario c. Association of Architectural Technologists of Ontario, [2003] 1 C.F. 331, au para. 30 (C.A.F.)). Des questions de cette nature sont en jeu en l’espèce.

 

45     Cependant, pour être admise à titre exceptionnel, la preuve qui n’était pas disponible au décideur doit servir à démontrer qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale, et non à démontrer que le demandeur a raison sur le fond. Si cette règle n’était pas suivie, le demandeur pourrait introduire indirectement une preuve nouvelle sur le fond, ce qui reviendrait à faire de la demande de contrôle judiciaire une instance de novo. Autrement dit, il suffirait d’invoquer l’équité procédurale pour transformer une demande de contrôle judiciaire en procès de novo.

 

 

[41]           À mon avis, c’est ce que la demanderesse a essentiellement fait en l’espèce. La présente affaire ne fait pas partie des circonstances exceptionnelles dans lesquelles une exception à la règle générale est justifiée. Aussi, je suis d’avis de faire droit à la demande du défendeur et de radier tous les documents mentionnés, sauf ceux qui font partie du dossier certifié du tribunal et qui figurent dans le tableau ci‑dessus. Je suis d’avis de radier également les paragraphes suivants de l’affidavit de Mme Regnier dans la mesure où ils sont fondés sur des documents dont le tribunal ne disposait pas :

paragraphes 5, 8, 11 à 20, 23 à 25, 36, 38 à 43, 46 à 53, 56, 59 à 61, 64 à 68, 70, 72 à 83, 88 à 92, 103 à 108, 111 et 112.

 

[42]           Deuxièmement, le défendeur a prétendu que certains paragraphes de l’affidavit de Mme Regnier sont du ouï‑dire. Selon lui, la demanderesse n’est pas visée par l’exception relative à la preuve par ouï‑dire dans les affidavits. Les paragraphes en question doivent donc être radiés. Le défendeur conteste plus précisément les paragraphes traitant de la carrière universitaire, des recherches et de la thèse de M. Radziminski (paragraphes 14 à 22), de la plainte déposée au départ par celui‑ci auprès de l’Université de Toronto (paragraphes 26 à 43 et 45 à 53) et de ses assertions de fait concernant l’étude Wiarton (paragraphes 46 à 64).

 

[43]           À mon avis, il est nécessaire de souligner l’importance de la réparation demandée par la demanderesse. La jurisprudence indique que la radiation de certains paragraphes de l’affidavit est une réparation qui devrait être accordée avec parcimonie et seulement dans les cas où elle est justifiée dans l’intérêt de la justice (Armstrong c. Canada (Procureur général), [2005] A.C.F. no 1270, au paragraphe 40). Des renseignements généraux pourraient être utiles au juge et ne devraient pas être radiés, sauf si un préjudice pourrait être causé au défendeur (Armstrong, précitée).

 

[44]           L’article 81 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, prévoit que « [l]es affidavits se limitent aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle, sauf s’ils sont présentés à l’appui d’une requête, auquel cas ils peuvent contenir des déclarations fondées sur ce que le déclarant croit être les faits, avec motifs à l’appui ». La Cour d’appel fédérale a toutefois statué, dans Éthier c. Canada (Commissaire de la GRC), [1993] 2 C.F. 659, qu’il faut utiliser une approche fondée sur des principes, dont les principaux sont la fiabilité de la preuve et sa nécessité. Le défendeur a prétendu que la preuve par ouï-dire contenue dans l’affidavit de Mme Regnier constitue les renseignements fournis par M. Radziminski et que ce dernier a eu suffisamment de temps pour produire un affidavit entre juin et le 18 octobre 2006, avant son départ pour l’Afrique. Mme Regnier indique, au paragraphe 21 de son affidavit, que M. Radziminski [traduction] « n’est pas disponible pour fournir à la Cour un affidavit contenant ces renseignements puisqu’il est occupé à faire ses derniers préparatifs en vue de son départ pour l’Afrique, où il travaillera pendant le reste de 2006 et une grande partie de 2007 ». Je conviens avec la demanderesse que M. Radziminski n’était pas disponible. En outre, je suis d’avis que la demanderesse a démontré que la preuve produite est assez fiable étant donné qu’elle émane de M. Radziminski lui‑même, lequel possède une certaine expertise dans le domaine et n’a pas été mêlé aux circonstances de la présente affaire. Je suis d’accord avec le défendeur lorsqu’il dit que ces renseignements ne respectent peut‑être pas la « règle de la meilleure preuve », mais cette règle a trait au poids de la preuve et non à son admissibilité (Lumonics Research Ltd. c. Gould, [1983] 2 C.F. 360 (C.A.)).

 

[45]           Le défendeur prétend finalement, en ce qui concerne l’affidavit de Mme Regnier, que certains paragraphes portent sur des points non pertinents (paragraphes 10 à 12, 64 et 67) et que d’autres renferment des opinions et des assertions faisant appel à une expertise que Mme Regnier ne possède pas (paragraphes 19 à 21, 58, 59, 74 et 80 à 82). Bien que je tienne compte de la prétention du défendeur, je crois qu’aucun préjudice ne lui sera causé si la preuve est admise. La question de l’absence d’expertise de la déposante aura une incidence sur le poids qu’il convient d’accorder à la preuve. Compte tenu, de nouveau, de l’importance de la réparation demandée, je suis d’avis de rejeter la demande du défendeur.

 

[46]           2.         Les erreurs susceptibles de contrôle

    1. Quelle est la norme de contrôle qui s’applique?

              La demanderesse a soutenu que c’est la norme de contrôle de la décision correcte qui doit s’appliquer à la question de savoir si les obligations incombant au CRSNG en vertu de la Politique inter‑conseils s’appliquaient. Selon elle, le CRSNG doit traiter sa plainte de manière raisonnable même si ces obligations ne s’appliquaient pas. De son côté, le défendeur a soutenu que les normes de contrôle qui s’appliquent sont, respectivement, celle de la décision manifestement déraisonnable et celle de la décision raisonnable. Analysant la norme de contrôle qui s’applique aux faits en l’espèce, je constate ce qui suit :

  • la loi habilitante du CRSNG ne renferme aucune disposition privative et ne prévoit pas expressément un droit d’appel. Ce facteur est donc neutre;
  • le CRSNG possède de l’expertise en ce qui concerne les relations avec les établissements universitaires, leurs politiques et leurs méthodes. Il possède aussi l’expertise nécessaire pour gérer des fonds de recherche publics et veiller à ce que ceux‑ci soient utilisés avec intégrité et de manière responsable. Ces facteurs appellent une grande retenue;
  • l’objet de la loi habilitante du CRSNG est la gestion des fonds publics consacrés à la recherche dans les domaines des sciences naturelles et du génie, ce qui exige du CRSNG qu’il trouve un juste équilibre entre les intérêts du grand public, des établissements universitaires et des chercheurs. Cette polycentricité appelle une grande retenue;
  • la question de savoir si les obligations du CRSNG s’appliquaient est une question mixte de droit et de fait car elle exige que le CRSNG applique ses politiques à l’ensemble des faits qu’il connaissait. Je souligne que les obligations sont prévues par une politique et non par une loi;
  • la question de savoir si le CRSNG a examiné la plainte de manière raisonnable est une question mixte de droit et de fait.

 

[47]           En conclusion, je suis d’avis que c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique aux deux questions soulevées.

 

[48]           b.         Le CRSNG a-t-il commis une erreur susceptible de contrôle en concluant que la plainte de la demanderesse ne faisait pas entrer en jeu les obligations qui lui incombaient en vertu de la Politique inter‑conseils?

              La relation entre l’Université et le CRSNG est régie par le protocole d’entente. Le paragraphe 5.4 de ce document, intitulé « Intégrité dans la recherche et les travaux d’érudition », prévoit :

L’Établissement et les Organismes s’engagent à respecter les normes les plus rigoureuses en matière d’intégrité dans la recherche et les travaux d’érudition. Bien qu’il revienne principalement aux chercheurs d’observer des normes rigoureuses d’intégrité, de reddition de comptes et de responsabilité, les Établissements et les Organismes ont un rôle à jouer en instaurant un cadre propice à l’atteinte de cet objectif. Par conséquent, les Parties conviennent d’adhérer aux lignes directrices énoncées à l’annexe 4.

 

L’annexe 4 prévoit :

Pour être admissibles à des fonds de recherche, les Établissements doivent avoir mis en vigueur une politique d’intégrité qui est conforme à la Politique inter-conseils.

 

[49]           La partie de la Politique inter‑conseils en cause en l’espèce est celle qui concerne les obligations des conseils de financement de la recherche, plus particulièrement celle d’ordonner à une université de faire enquête sur des allégations d’inconduite. La Politique inter‑conseils indique :

Si un Conseil ou l’un de ses comités d’examen par les pairs découvre des preuves d’inconduite dans le cadre du processus d’examen par les pairs, le Conseil en question demandera aux établissements concernés d’ouvrir une enquête et de l’informer du résultat.

 

Les Conseils [sic] demandent aux établissements qui ont mené des enquêtes sur des allégations d’inconduite dans le cadre de recherches qu’ils financent, de leur faire parvenir le rapport ou les résultats. Après examen du rapport, ils peuvent demander des éclaircissements ou, s’il y a lieu, des informations supplémentaires.

 

[50]           Je suis d’accord avec les parties lorsqu’elles disent que l’obligation du CRSNG de « demand[er] aux établissements concernés d’ouvrir une enquête et de l’informer du résultat » ne s’applique que lorsque 1) l’inconduite alléguée a trait à des projets de recherche financés par le CRSNG et 2) le CRSNG (ou l’un de ses comités d’examen par les pairs) découvre des preuves d’inconduite.

 

[51]           Les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si la recherche a été financée par le CRSNG en l’espèce. Selon la demanderesse, le prix Synergie pour l’innovation de 25 000 $ a été attribué par le CRSNG à l’Université de Toronto et à ERCO Mondial pour la technologie à l’égard de laquelle l’inconduite dans la recherche aurait été commise. Pour sa part, le défendeur a produit un affidavit du directeur de la Division de chimie, de génie et des sciences mathématiques de la Direction des subventions de recherche et bourses du CRSNG, Serge Villemure, dans lequel ce dernier déclare :

[traduction] J’ai examiné les dossiers pertinents du CRSNG qui ont trait au financement accordé par ce dernier à MM. Andres, Karney et Gagnon à l’époque en question. Selon ce qu’indiquent les rapports subséquents sur le financement et d’autres documents faisant état des activités en question aux moments pertinents, des fonds n’ont pas été demandés pour le projet. Des projets connexes relatifs à l’eau potable réalisés à d’autres endroits ou portant sur d’autres sujets connexes ont été financés par le CRSNG, mais pas le projet Wiarton décrit par Mme Regnier. Selon les renseignements dont disposait le CRSNG, rien n’indique que les fonds qu’il a octroyés ont été utilisés pour ces projets.

 

[52]           En ce qui concerne la prétention de la demanderesse, le fait que la technologie constituant la base du projet de recherche a peut‑être été financée par le CRSNG ne signifie pas nécessairement que le projet de recherche lui‑même l’a été. À mon avis, cette affirmation est étayée par l’affidavit de M. Villemure. Comme M. Villemure occupait le poste de directeur de la division de recherche concernée au sein de la Direction des subventions de recherche et bourses du CRSNG, j’accorde une grande importance à son témoignage. En conclusion, je suis d’avis que les conditions préalables au financement n’étaient pas remplies, de sorte que le CRSNG n’avait pas l’obligation de demander à l’Université de faire enquête. En conséquence, je statue que la conclusion du CRSNG selon laquelle la Politique inter‑conseils ne s’appliquait pas à l’étude Wiarton était raisonnable.

 

[53]           c.         Si les obligations incombant au CRSNG aux termes de la Politique inter‑conseils ne s’appliquaient pas, l’examen de la plainte effectué par celui‑ci était‑il tout de même raisonnable?

              La demanderesse a soutenu que, même si les obligations incombant au CRSNG en vertu de la Politique inter‑conseils ne s’appliquaient pas, le CRSNG avait l’obligation, après avoir accepté la plainte, de la traiter de manière raisonnable. Elle a prétendu essentiellement que la décision du CRSNG de ne prendre aucune mesure additionnelle relativement à la plainte était déraisonnable. De son côté, le défendeur a soutenu que le CRSNG n’était pas tenu de mener sa propre enquête sur la plainte et que, de toute façon, sa décision de ne prendre aucune mesure additionnelle relativement à celle‑ci était raisonnable.

 

[54]           Ayant examiné la loi habilitante du CRSNG ainsi que les politiques pertinentes, je conviens avec le défendeur que le CRSNG n’est pas tenu d’effectuer sa propre enquête relativement à la plainte. L’esprit de la Politique inter‑conseils exige que le CRSNG transmette les plaintes aux établissements concernés; ce n’est que lorsque les conditions préalables sont remplies qu’une enquête est nécessaire. Je ne suis pas d’accord avec la demanderesse quand elle dit que, en raison de son rôle en matière de promotion de l’intégrité de la recherche, le CRSNG doit enquêter sur la plainte. Le libellé de la politique n’appuie pas une telle affirmation.

 

[55]           Quoi qu’il en soit, j’estime que le CRSNG a traité la plainte de la demanderesse de manière raisonnable. Le CRSNG a transmis la plainte à l’Université et a demandé des observations générales et une réponse. Lorsqu’il a reçu le rapport, le CRSNG était convaincu que l’Université avait répondu correctement aux questions et a conclu qu’il ne prendrait aucune mesure additionnelle. Cette décision était raisonnable et je ne vois aucune raison de la modifier.

 

[56]           3.         L’équité procédurale

                        a.           Quelles sont les exigences de l’équité procédurale en l’espèce?

              Comme la Cour suprême du Canada l’a dit dans Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, aux paragraphes 21 à 28, « la notion d’équité procédurale est éminemment variable et son contenu est tributaire du contexte particulier de chaque cas ». Appliquant les facteurs décrits dans Baker, précité, je constate les faits suivants.

 

[57]           Le processus prévu par la Politique inter‑conseils est très différent d’un processus judiciaire. La Politique inter‑conseils exige clairement du CRSNG qu’il transmette à l’établissement visé les plaintes qu’il reçoit et qu’il lui demande de mener une enquête et de lui remettre une copie du rapport d’enquête. Il incombe à l’établissement de faire enquête et de prendre la décision finale sur l’inconduite. Le protocole d’entente conclu entre les parties exige aussi que l’établissement ait mis en place un processus d’enquête conforme aux normes énoncées dans la Politique inter‑conseils. Il est vrai que le CRSNG peut infliger des sanctions en cas d’inconduite, mais la décision finale concernant la plainte d’inconduite appartient à l’établissement. Le CRSNG ne soupèse pas la preuve et n’apprécie pas le bien‑fondé des prétentions de chaque partie. Le processus n’est pas judiciaire ni quasi judiciaire.

 

[58]           En ce qui concerne le régime législatif, l’article 4 de la loi habilitante du CRSNG prévoit que ce dernier a le pouvoir de « promouvoir et de soutenir la recherche dans le domaine des sciences naturelles et du génie, à l’exclusion des sciences de la santé » et de « conseiller le ministre, en matière de recherche, sur les questions que celui-ci a soumises à son examen ». Cette loi ne dit rien quant aux méthodes et au processus précis que le CRSNG doit utiliser lorsqu’il exerce ses pouvoirs; ces méthodes et processus sont plutôt décrits dans les lignes directrices, les politiques et les protocoles d’entente conclus par le CRSNG.

 

[59]           Pour ce qui est de l’importance de la décision pour la personne touchée, je crois que la demanderesse a un intérêt dans le maintien de l’intégrité universitaire, mais cet intérêt n’est pas différent de celui du grand public. À mon avis, les droits et les intérêts de la demanderesse ne sont pas directement touchés.

 

[60]           Compte tenu de la Politique inter‑conseils, les personnes et organisations se trouvant dans la situation de la demanderesse ont raison de s’attendre à ce que leur plainte soit transmise à l’établissement concerné pour enquête. À mon avis, il n’y a aucune raison légitime de s’attendre à ce que le CRSNG enquête et statue lui‑même sur une allégation d’inconduite.

 

[61]           En ce qui concerne la procédure, le législateur a conféré au CRSNG le pouvoir discrétionnaire de choisir sa propre procédure de traitement des plaintes d’inconduite en milieu universitaire. En conclusion, je suis d’avis que ces facteurs n’exigent pas un degré élevé d’équité procédurale.

 

[62]           b.         Le CRSNG a-t-il manqué à l’équité procédurale en n’informant pas la demanderesse du fondement factuel ou juridique de sa décision?

              Selon la demanderesse, le CRSNG a manqué à l’équité procédurale en ne lui donnant pas la possibilité de répondre au rapport de l’Université avant qu’il rende sa décision. Le défendeur a fait valoir que la prétention de la demanderesse est fondée sur une mauvaise compréhension du rôle du CRSNG.

 

[63]           Le CRSNG a indiqué clairement dans sa décision que la plainte concernant l’étude Wiarton ne faisait pas entrer en jeu les obligations qui lui incombent en vertu de la Politique inter‑conseils. À mon avis, le CRSNG n’agissait pas en vertu de cette politique lorsqu’il a transmis la plainte à l’Université. Je ne suis toutefois pas d’accord avec la demanderesse lorsqu’elle dit que, comme il a accepté la plainte et l’a transmise à l’Université, le CRSNG devait lui accorder tous les droits en matière de procédure qui peuvent être exercés dans le cadre d’un processus décisionnel. À mon avis, la seule obligation qui incombait au CRSNG était de transmettre à la demanderesse la réponse de l’Université et d’expliquer pourquoi les obligations que lui impose la Politique inter‑conseils ne s’appliquaient pas. C’est exactement ce que le CRSNG a fait. Étant donné que j’ai déjà décidé que les exigences en matière de procédure dans ces circonstances sont peu rigoureuses, je crois qu’il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale. Je suis donc d’avis de ne pas accueillir le contrôle judiciaire pour ce motif.

 

[64]           c.         Le CRSNG a-t-il manqué à l’équité procédurale en n’informant pas la demanderesse du processus de traitement de la plainte qu’il entendait suivre?

              La demanderesse a prétendu que le CRSNG a manqué à l’équité procédurale en dérogeant à sa [traduction] « procédure normale » et en ne l’informant pas de la nouvelle procédure d’examen de la plainte. À mon avis, cette prétention n’est pas fondée. La procédure qui a été suivie était quasiment identique à celle prévue par la Politique inter‑conseils. La seule différence résidait dans le fait que le CRSNG n’a pas ordonné à l’Université de faire enquête, mais lui a demandé une réponse. La demanderesse a été informée que la plainte avait été transmise à l’Université et qu’une réponse avait été demandée. En outre, lorsque la réponse de l’Université n’a pas été reçue dans les délais impartis, le CRSNG a fait savoir à la demanderesse que, dès qu’il la recevrait, il la lui transmettrait. La demanderesse a été tenue informée de ce qui se passait. Compte tenu du degré peu élevé d’équité procédurale exigé en l’espèce, j’estime qu’il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale.

 

[65]                d.       La manière dont le CRSNG a traité la plainte fait‑elle naître une crainte raisonnable de partialité?

              La demanderesse a soutenu que le comité d’enquête de l’Université a fait naître une crainte raisonnable de partialité et que, comme le CRSNG s’est contenté d’accepter la conclusion de l’Université, sa décision a aussi fait naître une telle crainte. Elle a soutenu également que la manière dont le CRSNG a traité la plainte a donné lieu à une crainte raisonnable de partialité car le CRSNG savait que la demanderesse voulait répondre aux conclusions de l’Université.

 

[66]           En ce qui concerne la partialité qui aurait entaché l’enquête selon la demanderesse, celle‑ci a mal compris le rôle du CRSNG. Selon la Politique inter‑conseils, c’est à l’Université qu’il incombe de déterminer s’il y a eu inconduite dans la recherche. Si aucune inconduite n’est constatée, le CRSNG n’a plus aucun rôle à jouer. La seule décision du CRSNG avait trait à l’application des obligations qui lui incombent en vertu de la Politique inter‑conseils. En l’espèce, le CRSNG a décidé – une décision que j’ai jugée raisonnable précédemment – que ses obligations ne s’appliquaient pas. À mon avis, la demanderesse aimerait que la Cour reconnaisse que le CRSNG devait approuver ou rejeter la conclusion de l’Université selon laquelle aucune inconduite n’avait été commise. Or, ce rôle n’existe tout simplement pas. En conséquence, je rejette la prétention de la demanderesse selon laquelle le CRSNG s’en est simplement remis à l’avis de l’Université concernant l’absence d’inconduite.

 

[67]           Je ne suis pas non plus d’accord avec la demanderesse lorsqu’elle prétend que la conduite du CRSNG a fait naître une crainte raisonnable de partialité à l’étape de la décision. Étant donné que j’ai déjà conclu que les exigences minimales en matière d’équité procédurale qui s’appliquent en l’espèce ne garantissent pas une réponse à la demanderesse, je ne pense pas que les actes du CRSNG ont fait naître une crainte raisonnable de partialité.

 

[68]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée, les dépens étant accordés au défendeur.

 


JUGEMENT

 

[69]           LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée, les dépens étant accordés au défendeur.

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


ANNEXE

 

Dispositions législatives pertinentes

 

Les dispositions législatives pertinentes sont reproduites dans la présente annexe.

 

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7

 

18.1(1) Une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par le procureur général du Canada ou par quiconque est directement touché par l’objet de la demande.

 

18.1(1) An application for judicial review may be made by the Attorney General of Canada or by anyone directly affected by the matter in respect of which relief is sought.

 

 

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 

 

81.(1) Les affidavits se limitent aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle, sauf s’ils sont présentés à l’appui d’une requête, auquel cas ils peuvent contenir des déclarations fondées sur ce que le déclarant croit être les faits, avec motifs à l’appui.

 

(2) Lorsqu’un affidavit contient des déclarations fondées sur ce que croit le déclarant, le fait de ne pas offrir le témoignage de personnes ayant une connaissance personnelle des faits substantiels peut donner lieu à des conclusions défavorables.

 

81.(1) Affidavits shall be confined to facts within the personal knowledge of the deponent, except on motions in which statements as to the deponent’s belief, with the grounds therefor, may be included.

 

 

(2) Where an affidavit is made on belief, an adverse inference may be drawn from the failure of a party to provide evidence of persons having personal knowledge of material facts.

 

 

 

 

 

 

Loi sur le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie, L.R.C. 1985, ch. N-21

 

4.(1) Le Conseil a pour mission :

 

a) de promouvoir et de soutenir la recherche dans le domaine des sciences naturelles et du génie, à l’exclusion des sciences de la santé;

 

b) de conseiller le ministre, en matière de recherche, sur les questions que celui-ci a soumises à son examen.

 

 

(2) Dans l’exécution de sa mission, le Conseil peut :

 

 

 

a) utiliser, dans le cadre de la présente loi, les crédits qui lui sont affectés par le Parlement et les recettes provenant de ses activités;

 

 

 

b) à son appréciation, publier, vendre et diffuser par tout autre moyen des données scientifiques, techniques ou d’érudition relatives à ses travaux.

 

4.(1) The functions of the Council are to

 

(a) promote and assist research in the natural sciences and engineering, other than the health sciences; and

 

 

(b) advise the Minister in respect of such matters relating to such research as the Minister may refer to the Council for its consideration.

 

(2) The Council, in carrying out its functions under subsection (1), may

 

 

(a) expend, for the purposes of this Act, any money appropriated by Parliament for the work of the Council or received by the Council through the conduct of its operations; and

 

(b) publish and sell or otherwise distribute such scholarly, scientific and technical information relating to the work of the Council as the Council considers necessary.

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                        T-1336-06

 

INTITULÉ :                                                       FÉDÉRATION CANADIENNE DES ÉTUDIANTES ET ÉTUDIANTS

                                                                            c.

CONSEIL DE RECHERCHES EN SCIENCES NATURELLES ET EN GÉNIE DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                               LE 30 OCTOBRE 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                             LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                                     LE 18 AVRIL 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

David Fewer

 

                  POUR LA DEMANDERESSE

John S. Tyhurst

 

                  POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Fewer & Company

Ottawa (Ontario)

 

                  POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

                  POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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