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Date : 20080422

Dossier : T-1337-07

Référence : 2008 CF 524

Ottawa (Ontario), le 22 avril 2008

En présence de Monsieur le juge Harrington

 

Entre :

RICHARD JOSEPH DONOVAN

 

demandeur

 

et

 

 

 

Sa Majesté la reine

 

défenderesse

 

 

motifs de l’ordonnance et ordonnance

 

[1]               La mort et les impôts sont deux choses assurées. Les montants déductibles du revenu ne le sont pas. Le présent contrôle judiciaire d’une décision de la Commission canadienne des droits de la personne de ne pas enquêter sur le sort de M. Donovan se fonde sur la Loi de l’impôt sur le revenu.

 

[2]               M. Donovan et son épouse se sont séparés en 1990 et ont plus tard divorcé. Ils avaient la garde conjointe de leur fils selon un partage égal du temps. Au départ, M. Donovan a été en mesure de réclamer des paiements de pension alimentaire pour enfants et un crédit d’impôt alors connu comme l’équivalent du montant pour conjoint. Toutefois, ces crédits ont été refusés pour les années d’imposition 1998, 1999 et 2000. M. Donovan s’est opposé aux refus. L’affaire s’est rendue à la Cour canadienne de l’impôt.

 

[3]               En rejetant son appel des cotisations en question, le juge Hershfield a reconnu que M. Donovan avait la double obligation de subvenir aux besoins de son fils à la fois lorsqu’il était avec lui et lorsqu’il était avec son ancienne épouse. L’obligation relative à la pension alimentaire pour enfants faisait l’objet d’un jugement de la Cour du Banc de la Reine du Manitoba. Toutefois, depuis avril 2007, aucune obligation ne donne lieu à un allégement fiscal. Le juge Hershfield a statué que le paragraphe 118(5) de la Loi de l’impôt sur le revenu, joint en annexe à la présente ordonnance, s’appliquait. À première vue, le paragraphe est clair et non ambigu lorsqu’il déclare qu’aucun montant ne peut être déduit dans la situation de M. Donovan.

 

[4]               Toutefois, M. Donovan a soutenu que le paragraphe 118(5) violait ses droits garantis par la Charte, plus particulièrement le paragraphe 15(1) qui prévoit ce qui suit :

15. (1) La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques.

 15. (1) Every individual is equal before and under the law and has the right to the equal protection and equal benefit of the law without discrimination and, in particular, without discrimination based on race, national or ethnic origin, colour, religion, sex, age or mental or physical disability.

 

 

 

 

[5]               Après un examen complet de la jurisprudence, le juge Hershfield a exprimé l’opinion que, même si certains pouvaient penser que le paragraphe 118(5) de la Loi de l’impôt sur le revenu était erroné du point de vue social, il ne violait pas la Charte. Essentiellement, la politique du Parlement, telle qu’elle était exprimée dans la loi, exerçait une discrimination à l’encontre de M. Donovan relativement à sa capacité de payer. Une telle distinction n’est pas illicite. Ses motifs ont pour référence Donovan c. Canada, 2005 CCI 667, [2006] 1 C.T.C. 2041, [2006] A.C.I. no 494.

 

[6]               M. Donovan n’a pas interjeté appel de cette décision. Il a plutôt déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne parce qu’un crédit d’impôt pour les années 1998 à 2004 lui avait été refusé. Selon le fondement de la plainte, l’Agence du revenu du Canada avait exercé de la discrimination à son encontre en raison de son sexe, de sa situation de famille ou de son état matrimonial. L’enquêtrice a informé M. Donovan qu’elle recommanderait à la Commission de ne pas faire enquête puisque la discrimination alléguée n’était pas visée par la Loi canadienne sur les droits de la personne. Le traitement fiscal défavorable dont il faisait l’objet était fondé sur sa capacité de payer, non pas sur sa situation de famille ou son état matrimonial.

 

[7]               La Commission a dûment refusé de faire enquête. Elle s’est appuyée sur l’alinéa 41(1)c) de la Loi qui prévoit ce qui suit :

41. (1) Sous réserve de l’article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants :

 

[…]

c) la plainte n’est pas de sa compétence;

 

 

41. (1) Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that

 

[…]

(c) the complaint is beyond the jurisdiction of the Commission;

Elle a déclaré que [traduction] « la discrimination alléguée n’est pas liée à un motif de distinction illicite prévu par la Loi canadienne sur les droits de la personne. »

 

LA Question en litige

[8]               La seule question en litige consiste à déterminer le degré de déférence qui doit être manifesté envers la Commission, compte tenu de son refus de faire enquête sur la plainte de M. Donovan au motif qu’elle n’était pas de sa compétence. La décision du juge Hershfield, maintenant les cotisations établies en application de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 1998, 1999 et 2000, n’est pas en cause. Elle est définitive et exécutoire. De même, je ne suis pas saisi de la Charte, du moins pas directement.

 

analyse

[9]               À la suite de l’arrêt rendu par la Cour suprême le mois dernier dans l’affaire Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] A.C.S. no 9, il existe maintenant deux normes de contrôle judiciaire de base : la norme de la décision correcte et la norme de la décision raisonnable simpliciter. La norme dépend largement de la question en litige, à savoir s’il s’agit d’une question de droit, d’une question mixte de droit et de fait ou d’une pure question de fait. En règle générale, mais pas toujours, les questions de droit sont examinées selon la norme de contrôle de la décision correcte. En effet, l’alinéa 18.1(4)c) de la Loi sur les Cours fédérales prévoit que la Cour peut accorder la mesure sollicitée si elle est convaincue que l’office fédéral en cause « […] a rendu une décision ou une ordonnance entachée d’une erreur de droit, que celle-ci soit manifeste ou non au vu du dossier ».

 

[10]           Comme l’a souligné la juge Deschamps dans ses motifs concordants dans l’arrêt Dunsmuir, précité, il existe certainement des cas dans lesquels l’office fédéral ou le tribunal possède une plus grande expertise que la Cour pour interpréter sa propre loi. Une indication de l’intention du Parlement est l’existence ou non d’une clause privative dans la loi. La Loi canadienne sur les droits de la personne ne contient pas une telle clause.

 

[11]           Ce qui est en cause en l’espèce, c’est la compétence de la Commission canadienne des droits de la personne et l’interprétation de la loi. Il s’agit de questions juridiques et elles devraient être examinées selon la norme de contrôle de décision correcte, comme l’a déclaré le juge Russell dans la décision Société du musée canadien des civilisations c. Alliance de la fonction publique du Canada (Section locale 70396), 2006 CF 703, 294 F.T.R. 163.

 

LA Loi canadienne sur les droits de la personne

[12]           Tel que l’énonce l’article 2, la Loi a pour objet de compléter la législation canadienne en donnant effet, dans le champ de compétence du Parlement du Canada, au principe suivant : le droit de tous les individus, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l’égalité des chances d’épanouissement et à la prise de mesures visant à la satisfaction de leurs besoins, indépendamment des considérations fondées, entre autres, sur le sexe, l’état matrimonial et la situation de famille. La Loi a créé à la fois la Commission canadienne des droits de la personne et le Tribunal canadien des droits de la personne. Bien que la compétence de la Commission comporte plusieurs facettes, l’aspect en cause en l’espèce est son droit de mener une enquête sur des plaintes, ou de les étudier en détail, et de les renvoyer au Tribunal, s’il est à propos de le faire.

 

[13]           Lus ensemble, l’article 27 et le paragraphe 49(5) prévoient que si une affaire est renvoyée au Tribunal, celui-ci peut examiner la loi sous-jacente. Cela est compatible avec de nombreuses décisions qui ont accordé aux lois sur les droits de la personne un statut quasi constitutionnel, décisions qui ont présumé que le Parlement et les législatures provinciales avaient l’intention que ces lois prévalent sur les autres lois en cas de conflit.

 

[14]           La Commission peut favoriser les règlements et le Tribunal peut accorder des dommages-intérêts.

 

[15]           Pour que la Commission soit compétente pour enquêter sur une plainte, trois éléments doivent être en place : 1) il doit y avoir un acte; 2) l’acte doit être discriminatoire; 3) la distinction doit être illicite au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

 

[16]           La Loi ne définit pas ce en quoi consiste un « acte ». Toutefois, la Loi identifie comme actes discriminatoires le fait de priver une personne de biens, de services, d’installations ou de moyens d’hébergement, de lui refuser un emploi ou d’utiliser des communications susceptibles d’exposer à la haine ou au mépris une personne appartenant à un groupe identifiable sur la base d’un motif de distinction illicite.

 

[17]           La question en litige en l’espèce est l’exécution d’une loi. Le Parlement ne peut pas avoir eu l’intention de faire équivaloir « acte » et « exécution ». Je ne peux vraiment pas envisager que l’Agence du revenu du Canada puisse être condamnée à des dommages-intérêts parce qu’elle a appliqué une loi adoptée par le Parlement. Pour elle, le fait de refuser les crédits réclamés par M. Donovan ne constituait pas un usage. Il s’agissait de son obligation.

 

[18]           Il se peut que le paragraphe 118(5) de la Loi de l’impôt sur le revenu soit discriminatoire. L’échelle progressive de l’impôt sur le revenu est discriminatoire. Cependant, la discrimination repose sur la capacité de payer de M. Donovan. Il s’agit d’une question de politique législative, et non d’une question se rapportant à un motif de distinction illicite.

 

[19]           Il n’y a assurément rien d’ambigu à propos du paragraphe 118(5) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Je suis d’accord avec la Commission. Le recours de M. Donovan était de contester le paragraphe 118(5) au motif qu’il violait la Charte. C’est ce qu’il a fait, mais il n’a pas eu gain de cause et n’a pas interjeté appel de la décision.

 

[20]           La Cour d’appel fédérale a déjà exprimé son opinion selon laquelle le paragraphe 118(5) de la Loi de l’impôt sur le revenu ne violait pas la Charte (Nelson c. Canada, 2000 D.T.C. 6556, [2000] A.C.F. no 1613). Une décision que je considère tout à fait convaincante est celle de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Brown, 2001 CAF 385, [2001] A.C.F. no 1882. Dans cette affaire, la cour avait déjà établi que l’inclusion de prestations de maternité dans le calcul du nombre de semaines de prestations d’emploi n’était pas contraire à l’article 15 de la Charte et qu’il serait injustifiable de conclure que la même disposition est discriminatoire aux fins de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Voici ce qu’a déclaré le juge Evans au paragraphe 6 :

6     Comme la Cour a conclu que la limite légale au nombre de semaines de prestations régulières payables à une demanderesse ayant reçu des prestations de maternité au cours de la même période de prestations n'était pas discriminatoire aux fins de l'article 15 de la Charte, il serait injustifiable de conclure que la même disposition est discriminatoire aux fins de la Loi canadienne sur les droits de la personne. En outre, l'avocat n'a pas été en mesure de nous citer une décision appuyant la proposition voulant qu'en appel d'une décision du Conseil arbitral, il est loisible au juge-arbitre d'adopter une interprétation excluant de la Loi sur l'assurance-emploi une disposition claire et autrement valide au motif que celle-ci est contraire à la Loi canadienne sur les droits de la personne.

 

De même, une allégation selon laquelle le paragraphe 118(5) de la Loi de l’impôt sur le revenu va à l’encontre de la Loi canadienne sur les droits de la personne ne peut être justifiée.

 

[21]           De toute façon, c’est le juge Hershfield qui était saisi de la question relative à la Charte, et non pas moi. M. Donovan avait le droit d’interjeter appel devant la Cour d’appel fédérale, mais ne l’a pas fait. Sa plainte à la Commission ressemble beaucoup à une contestation indirecte ou à un abus de procédure (Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, 2003 CSC 63, [2003] 3 R.C.S. 77).

 

[22]           Pour ces motifs, la demande sera rejetée avec dépens.

 

ordonnance

            APRÈS contrôle judiciaire du refus de la Commission canadienne des droits de la personne de mener une enquête sur une plainte à l’encontre de l’Agence du revenu du Canada concernant une différence de traitement préjudiciable fondée sur l’état matrimonial, la situation de famille et le sexe;

            La cour ordonne que la demande soit rejetée avec dépens.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche


ANNEXE

 

Article 118 (5) de la Loi de l’impôt sur le revenu :

Section 118(5) of the Income Tax Act:

 

 

(5) Aucun montant n’est déductible en application du paragraphe (1) relativement à une personne dans le calcul de l’impôt payable par un particulier en vertu de la présente partie pour une année d’imposition si le particulier, d’une part, est tenu de payer une pension alimentaire au sens du paragraphe 56.1(4) à son conjoint ou ancien conjoint pour la personne et, d’autre part, selon le cas :

 

a) vit séparé de son époux ou conjoint de fait ou ex-époux ou ancien conjoint de fait tout au long de l’année pour cause d’échec de leur mariage ou union de fait;

 

 

b) demande une déduction pour l’année par l’effet de l’article 60 au titre de la pension alimentaire versée à son conjoint ou ancien conjoint.

 

(5) No amount may be deducted under subsection (1) in computing an individual’s tax payable under this Part for a taxation year in respect of a person where the individual is required to pay a support amount (within the meaning assigned by subsection 56.1(4)) to the individual’s spouse or common-law partner or former spouse or common-law partner in respect of the person and the individual

 

(a) lives separate and apart from the spouse or common-law partner or former spouse or common-law partner throughout the year because of the breakdown of their marriage or common-law partnership; or

 

(b) claims a deduction for the year because of section 60 in respect of a support amount paid to the spouse or common-law partner or former spouse or common-law partner.

 


cour fédérale

 

Avocats inscrits au dossier

 

 

 

Dossier :                                        T-1337-07

 

Intitulé :                                       Richard Joseph Donovan

                                                            c.

                                                            Sa Majesté la reine

 

 

 

Requête écrite examinée à OTTAWA (ONTARIO), conformément à l’article 369 des Règles

 

Motifs de l’ordonnance

Et ordonnance :                       le juge Harrington

 

Date des motifs

ET DE L’ORDONNANCE :             le 22 avril 2008

 

 

 

Observations écrites :

 

Richard Donovan

 

pour son propre compte

 

Gerald Chartier

 

Pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Pour la défenderesse

 

 

 

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