Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Date : 20080417

Dossier : IMM-3387-07

Référence : 2008 CF 501

Ottawa (Ontario), le 17 avril 2008

En présence de Monsieur le juge De Montigny

 

ENTRE :

C.D.

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 10 juillet 2007 par un agent d’examen des risques avant renvoi (ERAR), par laquelle l’agent a conclu que le demandeur n’est ni un réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée pour les motifs suivants.

 

 

 

 

I. Les faits

 

[2]               Le demandeur est un citoyen de la République populaire de Chine, âgé de 63 ans. Il affirme craindre d’être persécuté par les autorités chinoises parce qu’il pratique le Falun Gong et craindre un agent du Bureau de la sécurité publique (le BSP) qui a eu une liaison avec son épouse.

 

[3]               En 1994, le demandeur a découvert que son épouse avait une liaison avec un fonctionnaire local. Lorsqu’il les a surpris ensemble dans sa demeure, une violente confrontation a éclaté et le demandeur a été battu puis ligoté pendant deux à trois jours. Il a ensuite porté plainte aux services policiers, mais en vain puisque les autorités locales ont refusé d’y donner suite et que les autorités centrales ont estimé qu’il s’agissait d’une question locale.

 

[4]               La liaison de son épouse avec l’agent du BSP a pris fin, mais selon le demandeur, le harcèlement s’est poursuivi. En 1995, celui-ci aurait été victime d’un coup monté par l’agent du BSP. Il a été arrêté et détenu pendant 15 jours pour le vol allégué d’une bicyclette. Après sa remise en liberté, il a été tenu de se présenter aux autorités une fois par semaine.

 

[5]               En raison du harcèlement, le demandeur a quitté sa ville natale pour se cacher à Tianjin et plus tard à Guangzhou. Toutefois, les autorités l’ont retrouvé un an et demi plus tard et l’ont renvoyé dans sa ville où l’agent du BSP a recommencé à le harceler.

 

[6]               En 1998, le demandeur a commencé à adhérer au Falun Gong, avant que le gouvernement chinois ne bannisse le mouvement. Peu après, les autorités ont commencé à  réprimer le Falun Gong et le demandeur a craint d’être persécuté, quoique le mouvement n’ait été banni qu’après son départ de Chine en 1999.

 

[7]               En janvier 1999, il s’est enfui au Canada et a présenté une demande d’asile un an plus tard. Il a quitté la Chine en prétextant un voyage d’affaires au Canada. Sa demande, fondée sur sa crainte d’être persécuté en raison de son appartenance au mouvement Falun Gong et d’être la cible de l’agent du BSP, a été rejetée le 16 janvier 2001 par la Section du statut de réfugié (la SSR), principalement en raison de doutes quant à sa crédibilité.

 

[8]               Le demandeur a demandé une évaluation des risques après le rejet d’une revendication; sa demande a été transformée en ERAR en raison de l’entrée en vigueur de la LIPR en juin 2002. Il a également présenté une demande de résidence permanente pour des motifs humanitaires (demande CH).

 

[9]               Le demandeur allègue avoir pris part le 16 septembre 2005 à une manifestation contre le Président de la République populaire de Chine, Hu Jintao, et qu’à cette occasion, des espions chinois l’ont photographié.

 

[10]           Le 10 juillet 2007, tant l’ERAR que la demande de résidence permanente pour des motifs humanitaires ont fait l’objet d’une décision défavorable et le demandeur à présenté à la Cour fédérale une demande de contrôle judiciaire de la décision défavorable au sujet de l’ERAR.

 

II. La décision contestée

 

[11]           L’agent d’ERAR a conclu dans sa décision que la possibilité que le demandeur devienne la cible de l’agent du BSP s’il retourne en Chine est infime. Il ne pouvait s’expliquer la raison pour laquelle l’agent du BSP continuerait à harceler le demandeur. Celui-ci n’a reçu depuis neuf ans aucune communication de l’agent du BSP, qui semble donc ne plus s’intéresser à lui.

 

[12]           L’agent d’ERAR a indiqué que dix ans se sont écoulés depuis l’incident de la bicyclette et que les autorités ne semblent plus s’intéresser au demandeur. Il a signalé que le demandeur n’a présenté aucune preuve à l’appui de sa prétention selon laquelle les autorités chinoises l’ont recherché après son départ du pays. Quoiqu’il en soit, il a conclu que la peine du demandeur qui lui imposait de se présenter aux autorités toutes les semaines, après sa détention de 15 jours, ne constitue pas de la persécution.

 

[13]           L’agent d’ERAR a reconnu que les adeptes du Falun Gong sont persécutés par le gouvernement chinois, mais il ne croit pas que des espions peuvent avoir établi que le demandeur est lui aussi un adepte. Il n’était pas d’accord avec le demandeur que les espions chinois s’intéressent aux disciples du Falun Gong, car les preuves documentaires montrent qu’ils s’intéressent surtout à l’espionnage industriel. L’agent d’ERAR était d’avis qu’il s’agissait de pures spéculations, car le demandeur n’a jamais établi qu’il ait été suivi, poursuivi ou harcelé par des espions chinois au Canada.

 

[14]           L’agent d’ERAR a relevé qu’il n’y avait guère de documents qui corroboraient la participation du demandeur aux activités du Falun Gong, à l’exception des observations écrites de ce dernier dans lesquelles il décrit sa participation au Falun Gong au Canada.

 

[15]           Pour ce qui est de la participation du demandeur à la manifestation contre le Président de la République populaire de Chine, l’agent d’ERAR a estimé que le fait que des espions chinois l’ont photographié est hypothétique car il est fondé sur le ouï-dire. Même si cela s’est produit, il a conclu que le demandeur n’a pas établi que son identité ou sa relation avec le Falun Gong aient été connues des autorités chinoises.

 

[16]           L’agent d’ERAR a observé que c’est uniquement en mai 2006 que le demandeur a fourni des éléments de preuve à l’appui de sa participation aux activités du Falun Gong. Il n’a accordé que peu de valeur probante, sinon aucune, à ces éléments : certains documents ne sont pas traduits, un autre est une « brochure » anonyme à caractère général, sans titre et ni date, les photos mentionnées dans une liste n’y sont pas jointes et le chèque n’a aucune pertinence. L’agent d’ERAR a en outre accordé peu de poids à une lettre de Mme Sue Zhang, dont l’identité et le rôle ne sont pas corroborés, car il s’agit d’un document manuscrit, sans en-tête ni qualité de sécurité. Quoi qu’il en soit, il a conclu que la lettre ne fait que corroborer la participation du demandeur à la manifestation contre le Président de la République populaire de Chine et ne fait pas référence à un risque potentiel découlant de son identification par le gouvernement chinois. 

 

[17]           L’agent d’ERAR a conclu que le demandeur n’est pas un adepte du Falun Gong suffisamment visible pour éveiller l’attention des autorités chinoises; il pratique ouvertement le Falun Gong au Canada, il distribue des brochures et a participé à la manifestation de septembre 2005, mais les autorités chinoises ne sont pas au courant de sa participation.

 

[18]           En outre, l’agent d’ERAR a souligné que si le demandeur pratiquait le Falun Gong uniquement pour sa santé, hors de toute considération politique, il pourrait le faire à loisir, en privé, en Chine. Par conséquent, son degré de participation n’éveillerait pas l’attention des autorités chinoises dans l’éventualité où il retournerait en Chine.

 

[19]           L’agent d’ERAR a estimé que la prétention du demandeur quant à sa crainte d’être persécuté en raison de son départ illicite de Chine et de sa demande d’asile au Canada n’est pas étayée par les preuves documentaires. Le demandeur était muni d’un passeport chinois valide au  moment de son voyage et n’a pris aucune mesure indue pour franchir les postes de contrôle à l’aéroport, de sorte que l’agent d’ERAR a conclu que sa crainte est injustifiée. En outre, l’agent d’ERAR a précisé que peu de documents font état de pénalités infligées à des migrants de retour en Chine. Ces pénalités sont imposées notamment si ceux-ci ne peuvent produire les documents d’autorisation de départ et prennent la forme d’amendes relativement peu élevées ou de quelques jours de détention. L’agent d’ERAR n’était pas d’avis que le départ de Chine et la demande d’asile subséquente puissent exposer le demandeur à un risque grave de préjudice.   

 

[20]           Comme le demandeur n’a pas présenté de preuve psychologique, l’agent d’ERAR a conclu que le fait de soutenir que le retour de celui-ci en Chine lui ferait subir un préjudice psychologique ou émotif tenait de la spéculation. Le fait que le demandeur ne veuille pas retourner dans son pays ne relève pas des articles 96 et 97 de la LIPR. La crainte subjective du demandeur n’est pas objectivement fondée, selon l’agent d’ERAR.

 

III. Les questions en litige

 

[21]           Le demandeur soutient que l’agent d’ERAR a commis une erreur lors de l’évaluation de sa demande et qu’il n’a pas correctement analysé les risques. Il croit qu’il avait droit à une audience et que, par conséquent, l’agent d’ERAR n’a pas satisfait aux exigences de l’équité procédurale en la lui refusant. Enfin, le demandeur soutient que la Cour doit examiner la preuve extrinsèque dont ne disposait pas l’agent d’ERAR lorsqu’il a rendu sa décision négative.

 

IV. Analyse

 

            1) Quelle est la norme de contrôle applicable?

[22]           La norme de contrôle applicable à la décision d’un agent d’ERAR examinée dans sa totalité est généralement celle de la décision raisonnable simpliciter comme l’établit l’arrêt Figurado c. Canada (Solliciteur général), 2005 CF 713. La Cour a en outre conclu  que chaque conclusion doit être examinée séparément pour établir si elle soulève des questions de fait, des questions mixtes de fait et de droit ou des questions de droit : voir Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 437. Lors de l’audience en l’espèce, les parties se sont entendues sur l’application de la norme de la décision raisonnable simpliciter.

 

[23]           Après l’audience, mais avant que les motifs en l’espèce ne soient rendus, la Cour suprême a rendu l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9. En raison de cet arrêt, les normes antérieures de la décision raisonnable ont été regroupées en une seule. À cette fin, la Cour suprême  statue que la « déférence commande en somme le respect de la volonté du législateur de s’en remettre, pour certaines choses, à des décideurs administratifs, de même que des raisonnements et des décisions fondés sur une expertise et une expérience dans un domaine particulier, ainsi que de la différence entre les fonctions d’une cour de justice et celles d’un organisme administratif dans le système constitutionnel canadien » (au paragraphe 49). Par conséquent, la Cour ne décidera de contrôler la décision de l’agent d’ERAR que lorsque celle-ci ne tombe pas sous le coup des conclusions possibles et acceptables qui peuvent se justifier au regard des faits et du droit (au paragraphe 47). 

 

[24]           L’arrêt Dunsmuir n’a pas d’incidence sur les questions d’équité procédurale. Dans l’arrêt Demirovic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration), 2005 CF 1284, la juge Eleanor R. Dawson a établi que la norme de contrôle quant à l’application de l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (la LIPR) est celle de la décision correcte. Je souscris à sa conclusion et j’applique par conséquent cette norme aux questions liées à l’audience.

 

            2) L’agent d’ERAR a-t-il mal évalué les risques?

[25]           Le demandeur reproche à l’agent d’ERAR d’avoir fondé sa décision principalement sur la décision de la SSR. Il estime en conséquence que l’agent d’ERAR n’a pas correctement évalué les risques.

 

[26]            L’ERAR a pour objet de donner aux demandeurs d’asile déboutés la possibilité de recourir à un processus d’évaluation de la situation dans un pays ou de la situation personnelle, pour établir si elles ont changé depuis que la décision sur la demande d’asile a été rendue : voir Cupid c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 176 [Cupid], au paragraphe 4. Si le demandeur ne réussit pas à prouver qu’il y a eu changement, l’agent d’ERAR est fondé à invoquer la décision non contestée de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié : voir la décision Cupid, précitée, au paragraphe 21.

 

[27]           En l’espèce, je ne crois pas que l’agent d’ERAR ait commis une erreur en invoquant la décision de la SSR. Celle-ci a rejeté la demande d’asile du demandeur principalement en raison de son manque de crédibilité. Elle a conclu qu’il n’existe pas d’éléments de preuve suffisamment crédibles pour [traduction] « soutenir qu’il existe plus qu’une infime possibilité qu’il soit persécuté par un fonctionnaire vengeur ou par quiconque en raison de sa pratique du Falun Gong. Même s’il est adepte du Falun Gong, il ne devrait pas éprouver de difficultés s’il le pratique en privé comme il dit le faire au Canada. »

 

[28]           Le demandeur a présenté des observations écrites en 2001, 2002, 2005, 2006 et 2007. Les motifs à l’appui de sa demande d’ERAR et de sa demande d’asile sont essentiellement les mêmes : il serait persécuté par un fonctionnaire du BSP et par les autorités chinoises parce qu’il est adepte du Falun Gong. Toutefois, dans ses observations datées de 2005, il met l’accent sur sa participation à une manifestation contre le Président de la République populaire de Chine à l’occasion de laquelle des espions l’auraient pris en photo; il n’a pas fourni de preuve documentaire à l’appui de son assertion. Puis, en 2006, il joint à ses observations des documents précisant qu’il est devenu un adepte actif dans le mouvement : des pages identifiées comme étant des « documents d’étude », une brochure, des photos, une lettre signée de Mme Sue Zhang et un chèque.

 

[29]           Selon le demandeur, la lettre de Mme Sue Zhang confirme sa participation à la manifestation et par conséquent, l’agent d’ERAR a commis une erreur lorsqu’il a déclaré qu’il n’existait pas d’élément de preuve corroborant sa participation aux activités du Falun Gong. L’agent d’ERAR  a conclu ce qui suit au sujet de la lettre :

[traduction]

Une lettre signée d’une dénommée Sue Zhang et un chèque du demandeur libellé à l’ordre d’un dénommé Xiao Weng Shang concernent plus précisément le demandeur. Toutefois, j’accorde très peu de poids à ces deux documents. La lettre est manuscrite, ne comporte aucune qualité de sécurité ni en-tête et l’identité et le rôle de son auteur dans le mouvement Falun Gong ne sont pas corroborés (quoiqu’une personne du même nom soit mentionnée dans la « brochure »). Plus important encore, la lettre fait à peine mention du demandeur : il y est seulement dit qu’il a « participé » (sans expliquer sous quelle forme) à la manifestation contre Hu et que sa participation et son appui étaient bienvenus. La lettre ne dit pas que le demandeur pratique le Falun Gong, ni qu’il prend part de quelque autre manière aux activités du Falun Gong au Canada. Plus important encore, il n’y est fait aucune mention de problèmes, surveillance ou interférence lors de la manifestation par exemple, ni de préoccupations quant au fait que le demandeur aurait été reconnu comme adepte du Falun Gong ou qu’il serait menacé de quelque façon. Je conclus par conséquent que la lettre n’appuie pas vraiment la prétention du demandeur selon laquelle il sera exposé à des risques s’il retourne en Chine.

 

[30]           En fait, la lettre ne prouve rien d’autre que la participation du demandeur à la manifestation contre le Président de la République populaire de Chine. Quoiqu’il en soit, j’estime que l’agent d’ERAR a reconnu que le demandeur a participé à la manifestation, mais n’a pas cru que ce dernier a une visibilité telle qu’elle éveillerait l’attention des autorités chinoises. Il a conclu en outre que même si le demandeur pratique le Falun Gong ouvertement au Canada, les autorités chinoises ne connaissent pas son identité. Je ne crois pas, par conséquent, que l’agent d’ERAR a écarté la lettre de Mme Sue Zhang.

 

[31]           Selon le demandeur, l’agent d’ERAR a appliqué une norme de preuve [traduction] « hors de tout doute raisonnable ». Je ne suis pas d’accord; je crois que l’agent d’ERAR a appliqué la norme correcte lorsqu’il a exigé une preuve selon la prépondérance des probabilités.

 

[32]           L’agent d’ERAR a conclu que la preuve ne permet pas de soutenir que des espions surveillent réellement les adeptes du Falun Gong. Le demandeur soutient que des preuves documentaires indépendantes montrent qu’il a été photographié par des espions chinois. Dans ses motifs, l’agent d’ERAR s’exprime ainsi :

[traduction]

L’avocate du demandeur a présenté en septembre 2005 et en mai 2006 des observations écrites à l’effet que des espions chinois transmettent des informations sur des adeptes du Falun Gong au Canada et que cela expose le demandeur à des risques. Pour corroborer cette allégation, l’avocate renvoie à des reportages de presse qui ne m’ont pas été présentés – ainsi qu’à des extraits d’une « brochure » à laquelle j’accorde peu de poids pour les motifs ci‑dessous. Je reconnais l’existence de reportages indépendants et objectifs sur des espions chinois au Canada (comme ceux qui sont mentionnés au paragraphe 9 ci-dessous). Le fait que ces espions visent le mouvement Falun Gong au Canada est une allégation de transfuges chinois dont les déclarations ne sont pas officiellement corroborées et pourraient être intéressées, vu leur propre demande d’asile; selon une des sources canadiennes citées, les espions chinois concentrent plutôt leurs activités sur l’espionnage industriel. Plus précisément, le fait que ces espions chercheraient à connaître l’identité des adeptes du Falun Gong n’est pas étayé par les preuves dont je dispose et, quant aux risques auxquels pourrait être exposé le demandeur, tient de la pure spéculation. Les éléments de preuve fournis par le demandeur ne permettent pas de conclure qu’il a été suivi, poursuivi ou harcelé par des agents de la Chine au Canada.

 

[33]           Le reportage du réseau CTV intitulé [traduction] « L’espionnage chinois coûte des milliards au Canada : Harper » et le reportage du réseau CBC intitulé [traduction] « Des transfuges disent que 1 000 espions chinois sont à l’œuvre au Canada » sont en fait inspirés d’allégations de transfuges chinois qui n’ont pas été corroborées par des éléments de preuve objectifs. La seule corroboration vient d’un ancien agent du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) qui confirme que l’espionnage industriel est pratiqué au Canada. Celui-ci explique que ces espions sont des informateurs rémunérés et non des espions dûment formés. Selon lui, il existe [traduction] « des preuves que des agents du renseignement chinois recourent à des méthodes illicites pour espionner le mouvement Falun Gong et le désorganiser » (voir le reportage de la CBC). Malgré ces arguments, le demandeur n’a pas produit la preuve mentionnée par l’ancien agent du SCRS et aucun élément de preuve objectif n’étaye ses observations à cet égard. Je ne crois donc pas qu’il était déraisonnable de conclure que ces rapports ne constituent pas des éléments de preuve fiables.

 

[34]           L’agent d’ERAR a conclu que l’allégation du demandeur selon laquelle il a été photographié lors d’une manifestation est de nature hypothétique et fondée sur le ouï-dire. Je souscrit à cette conclusion, car la mention d’une personne ayant dit au demandeur qu’une femme l’a photographié figure uniquement dans les observations qui accompagnent la demande d’ERAR.  La personne qui l’a informé n’a jamais corroboré cette allégation et par conséquent, il était loisible à l’agent d’ERAR de conclure comme il l’a fait.

 

[35]           Dans ses motifs, l’agent d’ERAR a estimé aussi que [traduction] « même si ce sont en fait des agents chinois qui ont pris sa photo, le demandeur n’a pas fourni de preuve qui montre, selon la prépondérance des probabilités, que le fait qu’il soit adepte ou partisan du Falun Gong est connu des autorités chinoises ». Le demandeur affirme qu’à la lumière des enjeux actuels de sécurité en Chine et du fait que la plupart des immeubles sont dotés de caméras de sécurité, il serait naïf de croire que les autorités chinoises ne peuvent l’identifier. Ici encore, il n’existe aucune preuve objective corroborant son assertion ou permettant d’établir que les autorités chinoises s’intéressent à lui. En conséquence, je suis d’accord avec l’agent d’ERAR à ce sujet.

 

3) Le demandeur avait-il droit à une audience?

[36]           L’article 167 de la LIPR énonce les facteurs à prendre en compte pour décider si la tenue d’une audience est requise :

167. Pour l’application de l’alinéa 113b) de la Loi, les facteurs ci‑après servent à décider si la tenue d’une audience est requise :

a) l’existence d’éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;

b) l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection;

c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection

167. For the purpose of determining whether a hearing is required under paragraph 113(b) of the Act, the factors are the following:

(a) whether there is evidence that raises a serious issue of the applicant's credibility and is related to the factors set out in sections 96 and 97 of the Act;

(b) whether the evidence is central to the decision with respect to the application for protection; and

(c) whether the evidence, if accepted, would justify allowing the application for protection.

 

 

[37]           Le demandeur estime qu’il avait droit à une audience, car le résultat de l’ERAR est crucial pour lui. Le défendeur soutient que le demandeur n’a pas démontré que sa preuve soulève de question sérieuse en matière de crédibilité.

 

[38]           La décision négative de la SSR revêt une importance considérable pour le demandeur; cela étant, le fait qu’une audience n’ait pas été tenue n’équivaut pas automatiquement à une violation des principes de justice fondamentale : voir Younis c. Canada (Solliciteur général), 2004 CF 266.

 

[39]           Je partage l’avis du défendeur, car la décision de l’agent d’ERAR ne suscite aucune  préoccupation liée à la crédibilité. Le demandeur a eu l’occasion de présenter des observations écrites et de déposer des éléments de preuve; l’agent d’ERAR a conclu qu’il y avait insuffisance de preuves permettant d’établir selon la prépondérance des probabilités que le demandeur serait exposé à des risques s’il retournait en Chine. Je ne crois pas que l’agent d’ERAR a manqué à l’équité procédurale en refusant une audience au demandeur.

 

 

4)      La Cour devrait-elle examiner la preuve extrinsèque dont ne disposait pas l’agent d’ERAR?

 

[40]           Le demandeur estime que la Cour devrait examiner la pièce E (un document qu’il aurait supposément remis à l’agent d’immigration et au représentant chinois au cours d’une entrevue) en évaluant sa demande. Il prétend qu’elle prouve que les autorités chinoises sont au courant de ses activités. Toutefois, l’agent d’ERAR ne disposait pas de cette pièce au moment d’évaluer la demande du demandeur.

 

[41]           Si le demandeur estime qu’un élément de preuve dont ne disposait pas le décideur initial doit tout de même être étudié par la Cour, il lui incombe de faire valoir que cette preuve est indispensable pour régler des questions d’équité procédurale ou de compétence ou pour établir qu’il existe des circonstances franchement exceptionnelles qui justifient une entorse au principe général : voir Omar c. Canada (Solliciteur général), 2004 CF 1740 [Omar]. Dans l’arrêt Alabadleh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration), 2006 CF 716, le juge Mosley énonce que la décesion Omar « n’avait [pas] pour but d’étendre la catégorie des exceptions au principe général selon lequel de nouveaux éléments de preuve ne sont pas admissibles dans le cadre d’un contrôle judiciaire » quoiqu’il reconnaisse « qu’il existe des circonstances dans lesquelles l’intérêt de la justice nécessite que des éléments de preuve n’ayant pas été soumis au décideur soient admis et pris en compte ».

 

[42]           Le demandeur invoque la décision Omar à l’appui de son argument selon lequel des circonstances exceptionnelles existent dans son cas et il affirme que de nouveaux éléments de preuve montrent que les autorités chinoises sont au courant de sa participation aux activités du Falun Gong au Canada et de sa demande d’asile, ce qui l’expose probablement à de la persécution s’il retourne dans son pays. Je crois qu’il faut distinguer la décision rendue dans la décision Omar de la présente; dans la décision Omar, la Cour a accepté de tenir compte de nouveaux éléments de preuve, soient des pièces appuyées d’affidavits, qui établissent que M. Omar serait persécuté et exposé à des risques s’il retournait en Chine.

 

[43]           Or, le demandeur ne dépose qu’un bout de papier rempli de caractères chinois accompagné d’une traduction en anglais non certifiée conforme. En outre, le document est non daté et intéressé. Le défendeur soutient que ce seul document ne suffit pas à prouver que le gouvernement chinois est renseigné sur la participation du demandeur aux activités du Falun Gong, ni qu’il s’expose à un nouveau risque de persécution. En outre, le défendeur fait valoir qu’il n’existe aucune preuve que le gouvernement chinois a pris contact avec le demandeur au Canada ou s’est intéressé à lui de quelque manière que ce soit. Je suis d’accord avec le défendeur et je ne crois pas que des circonstances exceptionnelles justifiant de faire une entorse au principe général d’exclusion existent.

 

[44]           Pour ces motifs, je rejette la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[45]           L’agent d’ERAR a conclu que les autorités chinoises ne sont pas au courant de la participation du demandeur aux activités du Falun Gong. Pour empêcher que le demandeur soit exposé à des risques à son retour en Chine, j’ai proposé aux parties de modifier l’intitulé.  Le défendeur ne s’y étant pas opposé, le demandeur y a acquiescé sans réserve. Par conséquent, j’estime que le nom du demandeur doit être rayé de l’intitulé par mesure de précaution.

 

[46]           Le demandeur a posé la question suivante aux fins de certification:

 

[traduction]

Dans les cas où une décision d’ERAR a été rendue et qu’un agent d’immigration sait que les activités d’un demandeur ont été confirmées auprès des autorités et que des rapports crédibles de persécution et de torture dans le pays où sera renvoyé le demandeur existent, l’agent d’immigration est-il tenu de renvoyer le dossier à l’agent d’ERAR pour réévaluation en fonction de nouveaux éléments de preuve ou de nouvelles circonstances? Dans l’affirmative, en quelles circonstances?

 

[47]           Je ne crois pas qu’il s’agisse d’une question grave de portée générale qui soit déterminante quant à l’issue de l’appel et je refuse de certifier la question proposée par le demandeur.

                                                      

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que

1. la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

2. le nom du demandeur soit rayé de l’intitulé et remplacé par les initiales C.D.

 

 

 

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


 

 

 

 

 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3387-07

 

INTITULÉ :                                       C.D.

                                                            c.

                                                            MCI

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 19 février 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge de Montigny

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 17 avril 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Roxanne Haniff-Darwent

 

POUR LE DEMANDEUR

Camille Audain

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Roxanne-Haniff-Darwent

Avocate

C.P. 158, Succursale M

Calgary (Alberta)

T2P 2H6

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

                                                                                   

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.