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Date : 20080415

Dossier : IMM-3840-07

Référence : 2008 CF 484

Montréal (Québec), le 15 avril 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MAURICE E. LAGACÉ

 

 

ENTRE :

ZOLTAN DARABOS

ANITA ZDENKO

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), à l’encontre de la décision datée du 7 août 2007 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a statué que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi, respectivement.

 

 

Les faits

[2]               Les demandeurs, des conjoints de fait et citoyens de la Hongrie, demandent l’asile à titre de « réfugiés au sens de la Convention ». Les deux prétendent être exposés à une menace à leur vie, au risque de traitements ou peines cruels et inusités ou au risque d’être soumis à la torture du fait de leur appartenance à un groupe social.

 

[3]               La demanderesse prétend être membre du groupe ethnique des Roms et n’avoir pu trouver d’emploi stable pour cette raison. Au début de 1998, le demandeur a eu de la difficulté à se trouver du travail et a été obligé de se rendre à l’étranger pour trouver un emploi en raison de sa relation avec la demanderesse.

 

[4]               Lorsqu’il est retourné en Hongrie le 11 mars 2000, le demandeur a été arrêté et détenu pour un viol qui aurait eu lieu lorsqu’il se trouvait à l’étranger. L’allégation de viol a été rapportée dans un article de journal. Pendant la détention du demandeur, les autorités se seraient rendues chez les demandeurs et auraient saisi la propriété. La demanderesse a aussi été arrêtée par la suite. Le demandeur a été libéré en juin 2000 et les accusations ont par la suite été retirées.

 

[5]               Les demandeurs ont quitté la Hongrie le 15 juin 2001 et ont présenté leur demande d’asile le même jour, à leur arrivée au Canada.

 

La décision de la Commission

[6]               Dans sa décision du 7 août 2007, la Commission a conclu que les demandeurs n’avaient pas produit d’éléments de preuve crédibles ou dignes de foi qui établissaient qu’ils avaient la qualité de « réfugié au sens de la Convention » ou de « personne à protéger ».

 

[7]               La Commission a déclaré ne pas être convaincue que la demanderesse appartenait véritablement au groupe ethnique des Roms. Selon le Formulaire de renseignements personnels (FRP) du demandeur, sa conjointe entretenait des liens étroits avec des Roms, mais rien ne permet de croire qu’elle appartient à ce groupe. En outre, à une audience antérieure devant la Commission, la demanderesse a déclaré qu’elle n’était pas une Rom, pas plus que ne l’étaient les autres membres de sa famille, et que toute allusion antérieure voulant qu’elle soit rom avait été encouragée par l’interprète. Enfin, les pièces présentées par le ministre comprenaient une déclaration faite à l’agent des visas par les parents de la demanderesse à l’ambassade, à Budapest, portant que ni les parents ni la demanderesse n’appartenaient à une minorité. Devant les contradictions et les explications vagues fournies par la demanderesse pour démontrer qu’elle était rom, la Commission a conclu que rien n’établissait qu’elle éprouvait une crainte crédible de retourner en Hongrie.

 

[8]               La Commission a déclaré, relativement à l’allégation du demandeur selon laquelle il craignait d’être arrêté et emprisonné, que la Hongrie est une démocratie dotée d’un système judiciaire fonctionnel. Le demandeur a peut-être été arrêté et détenu pour viol, mais il a néanmoins été relâché et les accusations ont été retirées par la suite. Le demandeur prétend que, au moment où il a été libéré, on lui a dit de faire attention parce que sa conjointe était une Rom, fait que la Commission n’a pas reconnu. De plus, le demandeur a attendu un an avant de quitter la Hongrie muni de son propre passeport et, de son propre aveu, il n’a eu maille à partir avec les autorités. De plus, aucun élément de preuve ne montre qu’un mandat d’arrestation a été émis contre le demandeur ou que des accusations pèsent toujours contre lui.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[9]               La présente demande soulève les questions suivantes :

i)                    L’utilisation, par la Commission, de la transcription d’une audience antérieure suscite-t-elle une crainte de partialité?

 

ii)                   La Commission a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte de ce que le demandeur a vécu relativement à sa détention injustifiée?

 

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[10]           La première question qui se pose en l’espèce a trait à l’équité, vu qu’on reproche à la Commission de s’être montrée partiale. On ne procède pas à une analyse de la norme applicable aux questions d’équité procédurale, qui ne sont ainsi pas soumises à une norme de contrôle. « Il appartient aux tribunaux judiciaires et non au ministre de donner une réponse juridique aux questions d’équité procédurale » (Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.) c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539, [2003] A.C.S. no 28 (QL), au paragraphe 100).

 

[11]           Dans leur deuxième question, les demandeurs laissent entendre que la Commission n’avait tenu compte ni de la détention du demandeur en Hongrie ni du mode d’administration de la justice dans ce pays. Il s’agit essentiellement d’une question de fait qui porte sur l’appréciation, par la Commission, de la preuve produite par le demandeur.

 

[12]           La Cour estime, à la lumière de l’arrêt récent Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, de la Cour suprême du Canada et de la jurisprudence antérieure, que la norme de contrôle applicable à la deuxième question est celle de la décision raisonnable. D’après cette norme, l’analyse de la décision de la Commission portera sur « la justification de la décision, [...] la transparence et [...] l’intelligibilité du processus décisionnel ainsi qu[e] l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, paragraphe 47).

 

ANALYSE

[13]           Pour ce qui est de l’argument relatif à la partialité et à l’utilisation de la transcription d’une audience antérieure, la Cour conclut d’entrée de jeu que cette transcription est généralement admissible devant un tribunal différemment constitué de la Commission (Badal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 311, [2003] A.C.F. no 440 (QL), paragraphe 16; Diamanama c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. no 121 (QL), paragraphe 10).

 

[14]           De plus, la Cour a lu la transcription et a constaté que, même si les demandeurs étaient représentés par un conseil à l’audience, la question de la partialité découlant de l’utilisation de transcription de l’audience antérieure n’a pas alors été soulevée. En fait, le conseil des demandeurs a même accepté que cette transcription soit produite en preuve à l’audience. Comme la Cour l’a statué dans la décision Chamo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1219, [2005] A.C.F. no 1482 (QL), paragraphe 9 : « [L]’omission de soulever une crainte raisonnable de partialité à la première occasion empêche de soulever cette allégation par la suite devant la Cour » (se reporter également à Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 35, [2005] A.C.F. no 59 (QL), paragraphe 18; Ranganathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1367, [2003] A.C.F. no 1741 (QL), paragraphe 15).

 

[15]           Dans son affidavit, le demandeur affirme que son ancien conseil s’est opposé à la production en preuve de la transcription de l’audience antérieure dans la présente instance et il cite, à l’appui de cette allégation, des lettres du conseil qui ont été versées au dossier du tribunal. La Cour a lu ces lettres et elle conclut toutefois que le conseil semble avoir contesté le bien-fondé d’une audience de novo plutôt que la production en preuve de la transcription de l’audience antérieure.

 

[16]           Cependant, même si les demandeurs pouvaient maintenant invoquer la partialité, leurs arguments seraient néanmoins rejetés puisqu’ils ne satisfont pas au critère formulé dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l’énergie), [1978] 1 R.C.S. 369, et consistant à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question, de façon réaliste et pratique? ». Il leur incombait donc de démontrer comment le rapport d’hostilité existant entre le premier commissaire et l’ancien conseil des demandeurs, qui ressortait prétendument de la transcription de l’audience antérieure, pouvait soulever une crainte raisonnable de partialité de la part du deuxième tribunal. Les demandeurs ne se sont malheureusement pas acquittés du fardeau qui leur incombait de satisfaire au critère de la partialité.

 

[17]           En outre, le fait d’utiliser des transcriptions d’audiences antérieures pour en arriver à des conclusions défavorables sur la crédibilité ne contrevient pas aux principes d’équité lorsque les demandeurs ont, comme ce fut le cas en l’espèce, l’occasion d’être entendus et de faire des observations (Badal, précitée, paragraphes 17 à 19). Ce principe a été confirmé dans la décision Khalof c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 444 (QL), paragraphe 15.

 

[18]           En l’espèce, les demandeurs ont eu l’occasion de présenter des observations et de fournir des explications quant à leur témoignage antérieur. Par conséquent, la Cour ne peut conclure à un manquement à l’équité procédurale.

 

[19]           La Cour ne souscrit pas à l’allégation du demandeur selon laquelle la Commission n’a pas accordé assez d’attention à sa détention injustifiée et s’est méprise sur l’administration de la justice en Hongrie. Il appert plutôt de la décision de la Commission que cette dernière a effectivement tenu compte de la détention du demandeur, mais qu’elle a retenu sa libération subséquente et le retrait des accusations portées contre lui.

 

[20]           En outre, le demandeur a avoué ne pas avoir eu maille à partir avec les autorités hongroises dans l’année qui a précédé son départ. L’analyse menée dans le cadre de l’examen des demandes présentées en application des articles 96 et 97 est prospective et traite du risque actuel ou futur auquel le demandeur est exposé (Sanchez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 99, [2007] A.C.F. no 336 (QL), paragraphe 15; Kathirgamu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1222, [2007] A.C.F. no 1614 (QL), paragraphe 16; Natynczyk c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 914, [2004] A.C.F. no 1118 (QL), paragraphe 71). En l’espèce, le demandeur n’a pas produit d’éléments de preuve convaincants démontrant qu’il serait pris pour cible à l’avenir.

 

[21]           Qui plus est, même si le demandeur a déclaré s’être fait dire d’être prudent au moment de sa mise en liberté, ce commentaire reposait sur l’allégation de sa conjointe de fait selon laquelle elle est rom, ce que la Commission n’a pas jugé crédible.

 

[22]           En l’espèce, la Cour conclut que rien dans la décision de la Commission n’était déraisonnable. Celle-ci a en effet pris en considération la détention et la mise en liberté ultérieure du demandeur et a conclu qu’il n’existait pas de motifs suffisants pour lui reconnaître la qualité de réfugié ou celle de personne à protéger. La décision tenait compte de la preuve mais, malheureusement pour les demandeurs, le résultat n’a pas été celui attendu. Il n’appartient pas à la Cour de substituer son avis aux conclusions et constatations de la Commission, un tribunal spécialisé qui a l’avantage d’avoir entendu et vu les demandeurs lorsqu’il a évalué leur crédibilité.

 

[23]           La décision de la Commission appelle la retenue et elle doit être maintenue parce que les demandeurs ne se sont pas acquittés de leur fardeau de démontrer son caractère déraisonnable. La demande sera par conséquent rejetée.

 

 

JUGEMENT

 

POUR LES MOTIFS ÉNONCÉS CI-DESSUS, LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire.

 

 

 

« Maurice E. Lagacé »

Juge suppléant

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                   IMM-3840-07

 

INTITULÉ :                                                  ZOLTAN DARABOS ET AL.

                                                                       c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                            MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                          LE 26 MARS 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                         LE JUGE SUPPLÉANT LAGACÉ

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                                  LE 15 AVRIL 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Serban Mihai Tismanariu

 

POUR LES DEMANDEURS

Kinga Janik

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Serban Mihai Tismanariu

Montréal (Québec)

POUR LES DEMANDEURS

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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