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Date :  20080418

Dossier :  IMM-4362-07

Référence :  2008 CF 498

Ottawa (Ontario), le 18 avril 2008

En présence de Monsieur le juge Lemieux 

 

ENTRE :

SURINDER SINGH GHOTRA

 

demandeur

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur est citoyen de l’Inde qui habitait et travaillait à New Delhi. Il est venu au Canada le 21 octobre 2005 pour réclamer l’asile. Il conteste la décision de la Section de la protection des réfugiés (le tribunal) en date du 27 septembre 2007 refusant de le reconnaître en tant que personne à protéger sous l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la loi). Le tribunal l’a aussi débouté sous l’article 96 de la Loi. Cependant, devant la Cour il n’attaque pas cette conclusion. Le débat se limite donc à l’application de l’article 97 de la loi.

 

[2]               Le demandeur craint trois prêteurs qui menacent de le tuer parce qu’il est incapable de rembourser un très large prêt. Le tribunal fonde sa décision sur sa non-crédibilité. Il conclut en écrivant : « Après avoir pris connaissance de tous les documents déposés par le demandeur et avoir évalué l’ensemble de la preuve, y compris le témoignage rendu par le demandeur pendant l’audience, le tribunal en arrive à la conclusion que le demandeur n’est pas crédible. »

 

[3]               Cette conclusion est basée sur les contradictions et les omissions suivantes :

 

·        contradiction entre son Formulaire de renseignements  personnels (FRP) et son témoignage sur la cause de son incapacité de rembourser le prêt : une politique gouvernementale ou un accident subi par un de ses taxis et le vol d’un autre;

 

·        omissions dans son FRP, contradictions entre son FRP et son témoignage et incohérences à l’intérieur de son témoignage à savoir s’il est demeuré caché depuis juillet 2004 craignant ses prêteurs, comment il s’était rendu au Punjab et dans quel but, pourquoi en août 2004 il ne s’était pas réfugié là avec sa famille et, enfin, s’il avait continué de travailler comme électricien d’auto;

 

·        absence de corroboration que ses prêteurs étaient la cause du décès de son père en février 2006.

 

[4]               À mon avis ce qui préoccupait énormément le tribunal était sa constatation que le témoignage du demandeur variait ou changeait souvent en réponse aux questions posées.

 

[5]               Quant à la norme de contrôle, la juge L’Heureux-Dubé au nom de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 301 c. Montréal (Ville), [1997] 1 R.C.S. 793 écrit :

 

85     Nous devons nous souvenir que la norme quant à la révision des conclusions de fait d'un tribunal administratif exige une extrême retenue: Ross c. Conseil scolaire du district no 15 du Nouveau-Brunswick, [1996] 1 R.C.S. 825, le juge La Forest aux pp. 849 et 852. Les cours de justice ne doivent pas revoir les faits ou apprécier la preuve. Ce n'est que lorsque la preuve, examinée raisonnablement, ne peut servir de fondement aux conclusions du tribunal qu'une conclusion de fait sera manifestement déraisonnable, par exemple, en l'espèce, l'allégation suivant laquelle un élément important de la décision du tribunal ne se fondait sur aucune preuve; voir également: Conseil de l'éducation de Toronto, précité, au par. 48, le juge Cory; Lester, précité, le juge McLachlin à la p. 669. La décision peut très bien être rendue sans examen approfondi du dossier: National Corn Growers Assn. c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 R.C.S. 1324, le juge Gonthier à la p. 1370.

 

[6]               Le procureur du demandeur reconnaît la pesanteur de ce fardeau et convient que l’arrêt récent de la Haute Cour dans Dunsmuir c. Sa Majesté la Reine du chef de la province du Nouveau-Brunswick, représentée par le Conseil de gestion, 2008 CSC 9 n’allège pas celui-ci puisqu’une « décision fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments qu’il dispose » à l’article 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales sera toujours déraisonnable.

 

[7]               Le procureur du demandeur plaide que l’intervention de cette Cour est nécessaire pour les raisons suivantes :

 

·        ce que le tribunal caractérise comme des contradictions ou des omissions n’en étaient pas où étaient mineures;

 

·        le tribunal a ignoré la preuve citant comme exemple la pièce R-7, une lettre de l’avocat du demandeur à New Delhi en date du 16 juin 2006 indiquant que M. Ghotra l’avait consulté le 5 septembre 2005 « to get my advise to pay his debts which he took from different people. I advised him to file court case to pay their debts on instalments basis.”;

 

·        le tribunal a mal apprécié la preuve quant à la date du décès de son père;

 

·        le tribunal n’a pas bien apprécié la preuve du docteur de Margerie en date du 7 juillet 2006 (pièce R-12) à l’effet que le demandeur « est suivi à la Clinique Santé Acceuil depuis novembre 2005 … En février 2006, l’état du patient s’est détérioré lorsqu’il a appris que son père a été battu par les mêmes individus qui lui auraient menacé. Le père serait mort de blessures subies »; ainsi que la pièce R-16, une autre lettre du docteur de Margerie en date du 9 août 2006 indiquant que le demandeur « a été vu d’urgence le 4 août dernier pour une détérioration de son état psychologique … il avait appris que sa femme et son enfant avait [sic] été victime [sic] de violence physique aux mains des mêmes individus qui l’avait [sic] menacé en Inde. »

 

[8]               Après avoir analysé la décision du tribunal et revu une deuxième fois les notes sténographiques de l’audience du tribunal tenue le 19 juin 2007, je ne peux souscrire aux prétentions du procureur du demandeur.

 

[9]               Les notes sténographiques de l’audience démontrent clairement que les contradictions et les omissions relevées par le tribunal étaient appuyées par la preuve et que le demandeur avait été confronté à l’audience. Ces contradictions et omissions sont centrales à l’histoire du demandeur – sa fuite de l’Inde à cause des menaces de ses prêteurs.

 

[10]           Il est vrai que le tribunal s’est trompé sur la date du décès du père du demandeur mais cette faute n’a aucune conséquence sur le fond puisque le certificat de décès n’indique aucunement la cause du décès, fait que le demandeur a reconnu à l’audience.

 

[11]           Il est aussi vrai que le tribunal n’a pas spécifiquement mentionné la pièce R-7, la lettre de l’avocat. Cependant, je ne peux lui attribuer l’importance que me suggère Maître Le Brun. Cette lettre n’a pas été discutée à l’audience ni durant l’interrogatoire ni durant les plaidoiries. Le paiement de la dette en entier (et non par versements périodiques) ne peut être la source des menaces reçues par le demandeur puisque, selon ses dires, ces menaces avaient débuté bien avant le 5 septembre 2005 – date de sa rencontre avec son avocat.

 

[12]           Finalement, Maître Le Brun plaide que le tribunal a erré dans son analyse des lettres du docteur de Margerie. Il prétend que les rapports du docteur corroborent l’histoire du demandeur quant à la cause du décès de son père ainsi que les violences subies par sa famille aux mains de ses prêteurs. Il invoque l’arrêt Ahemed c. le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 CF 1517.

 

[13]           Je ne peux retenir cet argument. Le tribunal était très conscient de l’état psychologique du demandeur. Au début de ses motifs, le tribunal écrit :

 

« Conscient de la fragilité psychologique du demandeur, avec la collaboration de l’Agente du Tribunal et de l’avocate du demandeur, le Tribunal a veillé à créer un climat pendant l’audience qui ne soit pas agressif et permette au demandeur de présenter aussi sereinement que possible son témoignage. »

 

[14]           La référence à la note 2 du tribunal est aux pièces R-12 et 16 du docteur de Margerie. Les notes sténographiques de l’audience attestent que tout s’est bien déroulé devant le tribunal, aucune intervention, sauf une, n’ayant été requise à cause de l’état de M. Ghotra.

 

[15]           L’arrêt Ahemed, précité, n’appuie pas les prétentions du demandeur. M. Ahemed fut jugé crédible et le but des rapports psychologiques dans cette cause n’étaient pas pour corroborer le témoignage de celui-ci, mais en guise d’une preuve qu’une alternative de refuge interne serait déraisonnable. Dans les circonstances de ce dossier, les lettres du docteur de Margerie ne pouvaient pas servir, selon la jurisprudence constante de cette Cour, à établir que le décès du père du demandeur et les violences subies par sa famille étaient attribuables aux actions de ses prêteurs. La pertinence de la preuve n’imposait pas au tribunal l’obligation de commenter les pièces R-14 et

R-16 comme ce fut le cas dans Gill c. le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2003 CFPI 656.

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE ET ADJUGE que cette demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question d’importance n’a été proposée.

 

 

                                                                                                           « François Lemieux »

                                                                                                ____________________________

                                                                                                                        Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4362-07

 

INTITULÉ :                                       SURINDER SINGH GHOTRA c. LE MINISTRE

                                                            DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 14 avril 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                               Le juge Lemieux

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 18 avril 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Michel Le Brun

 

POUR LE DEMANDEUR

Alain Langlois, stagiaire

Me Simone Truong

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Michel Le Brun

LaSalle (Montréal, Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

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