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Date : 20080415

 

Dossier : IMM‑3292‑07

 

Référence : 2008 CF 482

 

Ottawa (Ontario), le 15 avril 2008

 

En présence de monsieur le juge Blanchard

 

 

ENTRE :

 

SURJIT SINGH DHADWAR

 

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

1.         Introduction

[1]                Le demandeur, Surjit Singh Dhadwar, sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue le 19 juillet 2007 par la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), qui a rejeté son appel de la mesure de renvoi prise contre lui le 27 juin 2007.

 

[2]                Le demandeur, qui était l’appelant devant la Commission, demande que la décision de la Commission soit annulée et que l’affaire soit renvoyée à celle-ci pour nouvelle décision.

2.         Les faits

[3]                Le demandeur est né le 10 janvier 1973 en Inde et il a la nationalité de ce pays. Il a immigré au Canada le 19 juillet 2000, au titre de la catégorie du regroupement familial, parrainé par sa fiancée.

[4]                Le demandeur a épousé sa fiancée le 5 août 2000, et ils se sont séparés peu après. Ils ont divorcé en 2001. Il n’y a pas d’enfant issu du mariage.

[5]                Le 22 juin 2003, le demandeur a commis une agression sexuelle sur un membre de sa famille éloignée, qui était âgée de 18 ans et avait une déficience mentale.

 

[6]                Le demandeur a été accusé d’agression sexuelle, une infraction à l’article 271 du Code criminel du Canada, devant la Cour provinciale de la Colombie‑Britannique (la Cour provinciale), infraction à laquelle il a plaidé coupable. Un exposé conjoint des faits a été déposé devant la Cour provinciale aux fins de la détermination de la peine. Le 2 novembre 2004, la Cour provinciale a condamné le demandeur à une peine d’emprisonnement avec sursis et assortie de conditions, suivie d’une probation de 18 mois.

 

[7]                Compte tenu de la déclaration de culpabilité prononcée contre lui le 27 juin 2007, le demandeur a été déclaré interdit de territoire pour grande criminalité, en application de l’alinéa 36(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), et une mesure de renvoi a été prise contre lui.

 

[8]                Le demandeur a fait appel de la mesure de renvoi devant la Commission en sollicitant la prise de mesures spéciales pour motifs d’ordre humanitaire, selon l’alinéa 67(1)c) et le paragraphe 68(1) de la Loi. Le 18 janvier 2007, la Commission a entendu le demandeur, puis elle a rejeté son appel le 19 juillet 2007.

 

[9]                La présente demande de contrôle judiciaire a été déposée le 15 août 2007.

 

3.         La décision contestée

[10]            Au moment de rejeter l’appel, la Commission a fait observer qu’elle considérait valide en droit la mesure de renvoi. L’appelant n’avait pas contesté sa validité juridique.

 

[11]            La Commission écrivait aussi que, pour savoir si elle devait exercer son pouvoir discrétionnaire de prendre des mesures spéciales, elle se fondait sur les objectifs énoncés à l’alinéa 3(1)h) de la Loi et sur les facteurs exposés dans la décision Ribic c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] D.S.A.I. n° 4 (QL). J’ai résumé ci‑après les conclusions de la Commission à propos de ces facteurs :

a)      Période passée au Canada et degré d’établissement; difficultés en Inde; bouleversements occasionnés pour la famille au Canada : La Commission a constaté que le demandeur avait passé 27 ans en Inde et six au Canada. Il avait été marié durant une courte période après son arrivée, mais la Commission relève que ce mariage présentait « les caractéristiques d’un mariage de convenance ». Elle écrit aussi que le demandeur vit avec un ami d’enfance, qu’il a une tante au Canada et quelques parents éloignés. Il n’a aucun bien immobilier au Canada et travaille pour une usine de fenêtres. La Commission fait observer que, avant son arrivée au Canada, l’appelant avait une entreprise de taxi prospère et que, vu les épargnes appréciables qu’il avait accumulées depuis 2000, il était raisonnable de penser qu’il serait en mesure de financer une entreprise de taxi ou de trouver un autre emploi en Inde. La Commission attache peu d’importance au cours d’anglais que l’appelant suivait, parce qu’il y assistait rarement. La Commission n’a donc pas conclu que l’appelant était très enraciné au Canada ni qu’il lui serait difficile de retourner en Inde pour vivre auprès de sa famille immédiate.

 

b)            Conséquences pour la victime : Se fondant sur le témoignage de la mère de la victime, la Commission faisait observer que la victime a très peur des hommes depuis l’agression, qu’elle prend encore des antidépresseurs et qu’elle fait encore des crises d’épilepsie. La mère a aussi expliqué qu’ils ne vont plus aux fêtes de famille parce qu’ils craignent que l’appelant, un parent éloigné, ne s’y trouve. La Commission a conclu « que la victime, qui a l’âge mental d’une enfant de six ou sept ans, a été et est encore gravement touchée par la présence de l’appelant au Canada. Bien qu’elle ne soit plus une enfant en termes d’âge, en ce qui a trait à son développement mental, elle est encore une enfant qui a besoin d’être protégée ».

c)            Gravité de l’infraction : La Commission a estimé que l’infraction commise était grave, et que sa gravité était accentuée par le fait que la victime était atteinte de troubles mentaux et qu’elle connaissait assez l’appelant et avait confiance en lui puisqu’il était un parent éloigné, non un étranger. Le rapport de police donnait également à entendre que l’appelant avait prétendument menacé la famille de la victime, ce qui avait incité la police à l’arrêter rapidement.

d)            Crédibilité et réadaptation : La Commission écrivait que la version des événements donnée par l’appelant « est empreint[e] “d’exagération bien calculée avec la suppression partielle de la vérité” ». La Commission a jugé que les rapports rédigés par le Dr Riar et le Dr Sandu étaient fondés sur des renseignements faux ou partiels concernant l’agression sexuelle. Elle n’a pas accordé beaucoup de poids à ces rapports puisque « l’appelant n’a pas dit la vérité et qu’il a omis des faits importants dans ce qu’il a raconté aux deux psychiatres ». La Commission avait aussi des doutes au sujet du changement d’attitude de l’appelant et de sa nouvelle version des événements entre le premier rapport présentenciel d’août 2004 et celui de novembre 2004. La Commission a donc conclu que l’appelant n’était pas crédible. Elle doutait également qu’il ait pu y avoir réadaptation étant donné que la nature exacte de l’infraction commise n’avait pas été discutée avec ses psychiatres.

 

e)            Soutien dont l’appelant bénéficie au sein de sa famille et de sa collectivité : L’appelant a produit 11 lettres de soutien, mais la Commission a estimé que, dans aucune de ces lettres, « il n’est indiqué explicitement ce que ces personnes comprennent de la situation, ni que l’appelant a été déclaré coupable; bon nombre de ces lettres ne font pas du tout état des problèmes que l’appelant a vécus ou auxquels il fait actuellement face. Aucune de ces lettres ne fait allusion aux difficultés que l’appelant éprouverait s’il était expulsé ». La Commission a conclu que le juge de la Cour provinciale avait considéré que l’appelant constituait une certaine menace pour certaines personnes et une partie de notre société.

 

[12]           En résumé, la Commission était d’avis que l’appelant n’avait pas apporté une preuve suffisante pour justifier la prise de mesures spéciales. Selon elle, l’appelant avait commis une infraction grave dans des circonstances aggravantes, et elle a estimé que sa présence au Canada constituait un risque pour la santé et la sécurité de la population. Elle a aussi estimé qu’il n’avait pas encore entrepris une véritable réadaptation puisqu’il n’avait pas été sincère avec son psychiatre. La Commission écrivait que l’appelant n’avait pas montré un fort enracinement au Canada, et elle a jugé que la victime, dont l’âge mental était celle d’un enfant de six ou sept ans, continuait de souffrir de sa présence au Canada.

 

[13]           La Commission a conclu que la mesure d’interdiction de séjour prononcée contre l’appelant était valide en droit et que les motifs d’ordre humanitaire invoqués ne suffisaient pas à justifier la prise de mesures spéciales eu égard à l’ensemble des circonstances.

 

4.         Le point litigieux

[14]           L’unique point soumis à la Cour est celui de savoir si la Commission a exercé à juste titre son pouvoir discrétionnaire en n’accordant pas un sursis d’exécution?


5.         Le droit

[15]           Les paragraphes 36(1), 67(1) et 68(1) de la Loi prévoient ce qui suit :

36. (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

a) être déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ou d’une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé;

 

b) être déclaré coupable, à l’extérieur du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans;

c) commettre, à l’extérieur du Canada, une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans.

 

67. (1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé :

 

a) la décision attaquée est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait;

b) il y a eu manquement à un principe de justice naturelle;

c) sauf dans le cas de l’appel du ministre, il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

 

 

68. (1) Il est sursis à la mesure de renvoi sur preuve qu’il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

 

36. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for

(a) having been convicted in Canada of an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years, or of an offence under an Act of Parliament for which a term of imprisonment of more than six months has been imposed;

(b) having been convicted of an offence outside Canada that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years; or

(c) committing an act outside Canada that is an offence in the place where it was committed and that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years.

67. (1) To allow an appeal, the Immigration Appeal Division must be satisfied that, at the time that the appeal is disposed of,

(a) the decision appealed is wrong in law or fact or mixed law and fact;

(b) a principle of natural justice has not been observed; or

(c) other than in the case of an appeal by the Minister, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

 

68. (1) To stay a removal order, the Immigration Appeal Division must be satisfied, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, that sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

 

 

[16]           Les parties s’accordent à dire que, pour savoir s’il convient de prendre des mesures spéciales au titre de l’alinéa 67(1)c) de la Loi, la Commission doit considérer la preuve qu’elle a devant elle, compte tenu des divers facteurs exposés dans la décision Ribic, précitée, et confirmés dans l’arrêt Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84; 2002 CSC 3, au paragraphe 40. Il s’agit des facteurs suivants :

a)      la gravité de l’infraction ou des infractions à l’origine de l’expulsion, et la possibilité de réadaptation;

b)      les circonstances du manquement aux conditions d’admissibilité qui est à l’origine de la mesure d’expulsion;

c)      la période passée au Canada et le niveau d’établissement de l’appelant;

d)      la famille qu’il a au Canada, et les bouleversements que l’expulsion de l’appelant occasionnerait pour cette famille;

e)      le soutien dont bénéficie l’appelant, non seulement au sein de sa famille, mais également dans la collectivité;

f)        l’importance des difficultés que causerait à l’appelant le retour dans son pays de nationalité (ce facteur est parfois appelé les « épreuves à l’étranger »).

 

[17]           Le poids qu’il convient d’accorder à l’un ou l’autre des facteurs susmentionnés variera selon les circonstances propres à chaque cas : Thanabalasingham c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 599, paragraphe 32. Dans les appels de ce genre qui sont interjetés devant la Commission, c’est à l’intéressé visé par le renvoi qu’il appartient d’établir les raisons pour lesquelles il devrait être autorisé à rester au Canada. Si l’intéressé n’apporte pas cette preuve, la mesure prise par défaut est le renvoi (arrêt Chieu, précité, paragraphe 57).

 

6.         La norme de contrôle

[18]           Dans sa décision du 14 décembre 2007, Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile c. Lennox Philip, 2007 CF 908, la juge Dawson examinait la norme de contrôle applicable aux décisions de la Section d’appel de l’immigration. Au paragraphe 4 de ses motifs, elle écrivait ce qui suit :

[traduction]

[4] La norme de contrôle à appliquer à la décision de la SAI dépend de la question particulière qui est en cause dans la décision. Les conclusions de fait de la SAI, y compris celles qui concernent la crédibilité, ne peuvent être modifiées que si la SAI les a tirées  d’une manière abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des documents dont elle disposait. Voir l’arrêt Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 100, au paragraphe 38. Les questions de droit, par exemple la question de savoir si la SAI a considéré les facteurs pertinents au moment d’exercer son pouvoir discrétionnaire, sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte. Voir la décision Ivanov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] 2 R.C.F. 384 (1re inst.), paragraphe 19. L’exercice par la SAI de son pouvoir discrétionnaire en vertu de  l’alinéa 70(1)b) et le paragraphe 74(3) de l’ancienne Loi sur l’immigration est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Voir l’arrêt Khosa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 24, aux paragraphes 2 à 12.

 

 

[19]           Dans l’arrêt David Dunsmuir c. Sa Majesté la Reine du chef de la province du Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a récemment décidé qu’il n’y a aujourd’hui que deux normes de contrôle : la décision raisonnable et la décision correcte. Dans ses motifs, la Cour suprême a défini les notions propres à ces deux normes et donné des indications permettant de savoir quelle norme de contrôle il conviendra d’appliquer dans tel ou tel cas. Aux paragraphes 55 et 56 des motifs de la Cour suprême, les juges Bastarache et Lebel s’exprimaient ainsi au nom des juges majoritaires :

[55]      Les éléments suivants permettent de conclure qu’il y a lieu de déférer à la décision et d’appliquer la norme de la raisonnabilité :

 

‑     Une clause privative : elle traduit la volonté du législateur que la décision fasse l’objet de déférence.

‑     Un régime administratif distinct et particulier dans le cadre duquel le décideur possède une expertise spéciale (p. ex., les relations de travail).

‑     La nature de la question de droit. Celle qui revêt « une importance capitale pour le système juridique [et qui est] étrangère au domaine d’expertise » du décideur administratif appelle toujours la norme de la décision correcte (Toronto (Ville) c. S.C.F.P., par. 62). Par contre, la question de droit qui n’a pas cette importance peut justifier l’application de la norme de la raisonnabilité lorsque sont réunis les deux éléments précédents.

 

[56]      Dans le cas où, ensemble, ces facteurs militent en faveur de la norme de la raisonnabilité, il convient de déférer à la décision en faisant preuve à son endroit du respect mentionné précédemment. Il n’y a rien d’incohérent dans le fait de trancher certaines questions de droit au regard du caractère raisonnable. Il s’agit simplement de confirmer ou non la décision en manifestant la déférence voulue à l’égard de l’arbitre, compte tenu des éléments indiqués.

 

 

 

[20]           Ici, la décision contestée n’est pas protégée par une clause privative complète, elle ne fait pas intervenir la spécialisation de la Commission, du moins pour autant que soit concernée la réadaptation, et la question est essentiellement de nature discrétionnaire. Après application des facteurs susmentionnés, je n’ai aucune difficulté à dire que la norme de contrôle qui doit s’appliquer à la question dont je suis saisi dans la présente demande est la norme de la décision raisonnable. C’est la norme qu’a appliquée la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Khosa, précité, au paragraphe 12, à une décision de la Section d’appel de l’immigration où étaient considérés les facteurs Ribic. Cette décision est devant la Cour suprême.

 

[21]           La Cour suprême donne d’autres indications, au paragraphe 47 de ses motifs, sur l’approche qu’il convient d’adopter pour l’application de la « nouvelle » norme de la décision raisonnable :

La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

 

7.         Analyse

[22]           Ici, comme l’a noté la Commission, le demandeur ne contestait pas la validité juridique de la mesure de renvoi, mais fondait plutôt son appel uniquement sur le fait que, dans son cas, il existait suffisamment de motifs d’ordre humanitaire pour justifier la prise de mesures spéciales et le sursis de la mesure de renvoi. Il est bien établi que, en l’absence d’un privilège spécial existant, une personne visée par une mesure de renvoi légale n’a aucun droit quel qu’il soit de rester au Canada. Dans le présent appel, le demandeur tente donc d’obtenir un privilège discrétionnaire. Sa situation ne lui permet pas de revendiquer un droit.

 

[23]           Le demandeur prétend que l’intervention de la Cour est justifiée parce que la Commission a commis les erreurs suivantes lorsqu’elle a rendu sa décision, à savoir :

a)         elle a commis une erreur de droit parce qu’elle a tiré des conclusions de fait manifestement déraisonnables à propos des facteurs, énoncés, dans Ribic, se rapportant à la gravité de l’infraction, et parce qu’elle n’a pas expliqué pourquoi elle n’acceptait pas les conclusions de fait tirées par la juridiction criminelle;

 

b)         elle a commis une erreur de droit parce qu’elle a laissé de côté, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, certains des facteurs liés à la réadaptation, à savoir l’absence d’un casier judiciaire, l’absence de condamnations antérieures pour agression sexuelle, la réponse du demandeur à la surveillance dans la collectivité et le passé récent du demandeur, y compris l’élévation de son niveau de scolarité et ses bons antécédents sur le marché du travail;

 

c)         elle a commis une erreur de droit parce qu’elle a tiré de la preuve des déductions inopportunes qui ont influé sur sa conclusion touchant l’absence de crédibilité du demandeur, ainsi que sur la crédibilité de la preuve médicale produite au soutien de la cause du demandeur;

 

d)         elle a commis une erreur de droit parce qu’elle s’est appuyée, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire selon l’alinéa 67(1)(c) de la Loi, sur des considérations hors de propos, à savoir le témoignage de la famille de la plaignante concernant les répercussions sur celle‑ci.

 

 

[24]           Dans ses conclusions sur la gravité de l’infraction, la Commission a fait siennes les conclusions du ministère public qui se fondaient essentiellement sur la version des événements donnée dans le rapport de police. Le rapport précisait que le demandeur avait poussé la victime sur le plancher et l’avait maintenu par terre, et il avait mis son genou à elle sur son épaule alors qu’elle s’était mise à pleurer et disait non. On pouvait lire aussi dans le rapport que le demandeur avait touché le cou et le visage de la victime avec son pénis, qu’il lui avait enlevé son pyjama et sa culotte, qu’il avait mis ses doigts à l’intérieur de son vagin, lui avait touché le vagin avec son pénis et qu’il y avait eu pénétration. La Commission s’est fondée aussi sur le rapport de police comme source d’information digne de foi pour dire que le demandeur avait menacé la famille de la victime.

 

[25]           La preuve produite devant le juge qui a prononcé la peine donnait une description autre des événements ayant entouré l’agression. Le juge avait devant lui un rapport présentenciel et un exposé conjoint des faits. Les faits admis qui furent soumis au juge qui a prononcé la peine ne correspondaient pas à la version des événements donnée par l’intimé (ici le défendeur) devant la Commission. La Cour provinciale a dit que le demandeur était un parent éloigné et qu’il connaissait la victime, mais elle a dit qu’il n’avait pas une relation de confiance avec la victime. La Cour provinciale savait aussi que la victime avait l’âge mental d’un enfant de cinq à sept ans. S’agissant de l’agression, elle a dit que le demandeur avait pris l’initiative du contact sexuel avec la victime et qu’il n’y avait pas eu pénétration, mais que le contact avait été assez brutal pour causer des rougeurs et des irritations dans la région vaginale et anale de la victime. L’exposé conjoint des faits précisait que les contacts sexuels s’étaient pour l’essentiel produits alors que le demandeur et la victime étaient tous deux debout. L’exposé précisait aussi que, à un certain moment, le demandeur avait fait lever la jambe à sa victime. La Cour provinciale a jugé que rien ne laissait croire que, avant ou depuis l’infraction, le demandeur avait adopté une conduite déplacée de cette nature envers la victime ou n’importe qui d’autre.

 

[26]           Il est loisible à la Commission de se fonder sur la preuve qu’elle juge pertinente, crédible et digne de foi et d’en apprécier la valeur. Il lui est également loisible de rejeter la version des événements donnée par le demandeur et d’accepter la version que donne le rapport de police. Cependant, il importe que, ce faisant, elle ne se méprenne pas sur la nature du rapport de police. Comme l’écrivait mon collègue le juge Mosley dans la décision Rajagopal c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), [2007] CF 523, au paragraphe 43, un rapport de police contient les allégations consignées par le policier après l’enquête sur la plainte, non les conclusions de fait tirées par le tribunal qui a reconnu coupable le demandeur et qui a prononcé la peine.

 

[27]           En l’espèce, la Commission a tenu pour avérées nombre des allégations contenues dans le rapport de police. Plus précisément, l’allégation selon laquelle le demandeur avait, par l’entremise d’un tiers, menacé de préjudice corporel la famille de la victime et menacé de fausses accusations le père de la victime au cas où il parlerait à la police. Le juge qui a prononcé la peine, et qui n’avait pas devant lui le rapport de police, n’a tiré aucune conclusion du genre. Durant son témoignage devant la Commission, le demandeur a nié avoir proféré de telles menaces. Son démenti est également mentionné dans le rapport de police. Il n’y a dans le dossier aucune autre mention de l’allégation. Il n’apparaît pas que l’allégation ait été l’objet d’une enquête complémentaire de la police, ou que des accusations aient été déposées, et aucune preuve directe concernant les menaces n’a non plus été produite par le père de la victime ou par l’ami de la famille qui avait prétendument relayé les menaces. Hormis le rapport de police, aucune autre preuve n’a été produite devant la Commission pour établir que les menaces avaient été effectivement proférées. Il nous reste l’allégation contenue dans le rapport de police. La preuve soumise à la Commission établissait effectivement que la famille de la victime voulait que le demandeur soit expulsé. À la faveur du rapport de police, la Commission savait aussi que c’était le père de la victime qui avait informé la police des prétendues menaces.

 

[28]           Se fondant sur l’information qu’elle avait devant elle, la Commission a tiré la conclusion factuelle suivante :

Selon moi, le rapport de police constitue une source d’information fiable, selon laquelle la famille de la victime a reçu une menace et selon laquelle elle aurait été exposée au risque de subir un préjudice si la police n’avait pas agi rapidement. 

 

 

[29]           Comme je l’ai dit plus haut, le rapport de police ne contient pas de conclusions de fait, mais plutôt des allégations factuelles résultant d’une enquête. Selon moi, il n’était pas loisible à la Commission de tenir pour avérées les allégations contenues dans le rapport de police sans faire état d’éléments ou de témoignages permettant d’affirmer, selon la prépondérance de la preuve, que le rapport de police relatait fidèlement les faits sous‑jacents. La Commission n’a pas non plus expliqué pourquoi, s’agissant des circonstances entourant l’infraction, elle préférait les allégations contenues dans le rapport de police plutôt que le témoignage du demandeur ou que les conclusions du juge qui avait prononcé la peine. Je suis donc obligé de dire que la Commission a tiré ses conclusions sans tenir compte de la preuve et qu’elles sont par conséquent abusives et déraisonnables. La Commission a ainsi commis une erreur susceptible de contrôle.

 

[30]           À mon avis, l’erreur est déterminante pour la demande dont je suis saisi, en raison de la portée de la conclusion contestée, dans le contexte de l’appel formé par le demandeur. Dans ses motifs, la Commission a admis que les circonstances factuelles, relatées dans le rapport de police, accroissaient « sérieusement » la gravité de la menace. Je partage son avis. Les circonstances de la prétendue menace, si elles sont admises, montrent que le demandeur était prêt à porter atteinte au système de justice lui‑même sur lequel il compte pour obtenir la mesure discrétionnaire qu’il recherche par la présente demande. Une telle conclusion doit être suffisamment étayée par la preuve, et elle ne l’a pas été. L’importance de cette conclusion pour la manière dont la Commission a évalué la gravité de l’infraction est telle qu’elle a fort bien pu avoir une incidence sur l’issue de l’appel. Il s’ensuit que la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

 

[31]           Ma conclusion ci‑dessus est déterminante, mais il est inutile de considérer les autres points soulevés dans cette demande. Je ferai néanmoins les observations suivantes concernant la réadaptation du demandeur.

 

[32]           Les conclusions tirées par la Commission à propos de la réadaptation du demandeur se trouvent au paragraphe 44 de ses motifs. Ce paragraphe est ainsi rédigé :

44. Étant donné que l’appelant n’a pas dit la vérité et qu’il a omis des faits importants dans ce qu’il a raconté aux deux psychiatres, […] je ne peux déterminer que l’appelant est une personne crédible et je ne suis pas convaincue de quelque réadaptation que ce soit, étant donné que la nature du crime n’a pas fait l’objet d’une discussion avec son psychiatre. J’accorde en conséquence peu de valeur à l’expression de son remords, sauf qu’il éprouve du remords parce que son infraction a entraîné la possibilité qu’il soit expulsé. [Non souligné dans l’original.]

 

 

 

[33]           Il était peut-être loisible à la Commission, au vu de la preuve, de conclure comme elle l’a fait à propos de la crédibilité du demandeur et d’en tirer les conséquences pour la réadaptation du demandeur, mais elle devait également tenir compte des facteurs généralement rattachés à la notion de réadaptation en droit criminel. Le juge Décary, s’exprimant pour la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Khosa, précité, écrivait ce qui suit, au paragraphe 11 de ses motifs :

11. Dans les cas où […] la Commission peut éventuellement mettre en doute le constat de réadaptation fait par la juridiction pénale provinciale, la Commission doit, à tout le moins, prendre en considération les facteurs généralement associés à la notion de réadaptation, une notion de droit pénal. En l’espèce, il s’agit notamment de l’absence de casier judiciaire (à part l’infraction en cause), l’absence de déclarations de culpabilité pour conduite dangereuse antérieures, la manière dont l’intéressé a répondu à la surveillance dans la collectivité, enfin le passé récent du délinquant, notamment l’élévation de son niveau de scolarité et ses antécédents sur le marché du travail […]

 

 

[34]           Nonobstant la preuve importante produite dans la présente affaire à propos de la réadaptation du demandeur, la Commission n’a considéré aucun des facteurs suivants dans ses motifs, à savoir les excuses du demandeur, son plaidoyer de culpabilité, le remords que la Cour provinciale a constaté chez lui, les séances de consultation qu’il a suivies, l’absence de casier judiciaire ou la bonne exécution de l’ordonnance de sursis prononcée contre lui. Par conséquent, les facteurs importants qui intéressaient la réadaptation du demandeur et qui auraient dû être explicitement pris en compte ont été pour l’essentiel laissés de côté par la Commission dans ses motifs.

 

[35]           Pour les motifs susmentionnés, la demande sera accueillie, et l’affaire sera renvoyée à une autre formation de la Commission, pour être réexaminée d’une manière conforme aux présents motifs.

 

[36]           Les parties ont eu té à même de soulever une question grave de portée générale ainsi que le prévoit l’alinéa 74d) de la Loi, et elles ne l’ont pas fait. Je suis persuadé qu’aucune question grave de portée générale ne se pose dans le présent dossier. Je ne me propose pas de certifier une question.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie;

 

2.         L’affaire est renvoyée à une autre formation de la Commission pour réexamen conforme aux motifs susmentionnés;

 

3.                  Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

« Edmond P. Blanchard »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑3292‑07

 

 

INTITULÉ :                                                   SURJIT SINGH DHADWAR

                                                                        c.

                                                            LE MINISTRE DE LA

                                                            SÉCURITÉ PUBLIQUE ET

                                                            DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             VANCOUVER (C.-B.)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 26 FÉVRIER 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE BLANCHARD

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                                   LE 15 AVRIL 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Andrew Z. Wlodyka

Vancouver (C.‑B.) 604‑875‑9338

 

  POUR LE DEMANDEUR

Keith Reimer

Vancouver (C.‑B.) 604‑666‑6542

 

  POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lowe & Company

900‑777 West Broadway

Vancouver (C.‑B.)  V5Z 4J7

 

   POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

   POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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