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Date : 20080415

Dossier : IMM‑2781‑07

Référence : 2008 CF 481

Toronto (Ontario), le 15 avril 2008

En présence de madame la juge Dawson

 

 

ENTRE :

LUIS FERNANDO RODRIGUEZ ZAMBRANO

CAROLINA GOMEZ

KATHERINE ABIGAIL RODRIGUEZ

JOSHUA ALEXANDER RODRIGUEZ

CAROLINA GOMEZ

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs demandent que soit annulée la décision d’une agente d’examen des risques avant renvoi (l’agente), qui a rejeté leur demande de droit d’établissement au Canada fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. La présente demande de contrôle judiciaire visant la décision de l’agente est rejetée, parce que les demandeurs n’ont pas établi qu’il y avait eu manquement à l’équité, partialité ou erreur de droit ou que la décision était déraisonnable.

 

Les faits

[2]               Les demandeurs contestent la décision de l’agente en invoquant plusieurs moyens. Il est donc nécessaire de faire la chronologie des événements.

 

[3]               Luis Fernando Rodriguez Zambrano, son épouse, Carolina Gomez, et leurs trois enfants, Katherine Abigail Rodriguez, Joshua Alexander Rodriguez et Carolina Gomez, sont respectivement citoyens de l’Équateur, du Venezuela et des États‑Unis.

 

[4]               M. Rodriguez Zambrano et son épouse ont vécu illégalement aux États‑Unis durant 10 ans avant de venir au Canada.

 

[5]               Le 26 novembre 2002, les demandeurs sont arrivés au Canada, où ils ont revendiqué l’asile. Leurs demandes d’asile ont été rejetées par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SPR). Le 20 juillet 2005, leur demande d’autorisation d’introduire une procédure de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision de la SPR a été rejetée.

 

[6]               Le 18 janvier 2006, les demandeurs ont déposé une demande d’examen des risques avant renvoi.

 

[7]               Le 9 mars 2006, ils ont sollicité la résidence permanente en invoquant des motifs d’ordre humanitaire.

 

[8]               Le 13 juin 2006, l’agente Mazzotti a rejeté leur demande d’examen des risques avant renvoi.

 

[9]               Les demandeurs devaient être renvoyés du Canada vers les États‑Unis le 18 juillet 2006.

 

[10]           Ils ont sollicité un report de leur renvoi en affirmant qu’ils se conformeraient volontairement à la mesure de renvoi et qu’ils prendraient eux‑mêmes des dispositions pour se rendre dans un autre pays afin d’éviter l’expulsion vers les États‑Unis. Ils croyaient en effet qu’ils risquaient d’être arrêtés et détenus aux États‑Unis. Le report leur a été accordé pour permettre à la famille de prendre les dispositions requises.

 

[11]           Les demandeurs ont alors déposé une deuxième demande de report compte tenu de leur demande de résidence permanente en instance fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Cette deuxième demande de report a été refusée par un agent de renvoi.

 

[12]           Le 12 juillet 2006, les demandeurs ont déposé une demande de contrôle judiciaire concernant la décision défavorable de l’agent de renvoi.

 

[13]           Le 18 juillet 2006, la Cour fédérale a accordé aux demandeurs un sursis d’exécution de la mesure de renvoi jusqu’à l’issue de leur demande de contrôle judiciaire.

 

[14]           Le 6 août 2006, les demandeurs ont été informés par lettre que leur demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire avait été transférée, pour traitement complémentaire, au bureau de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC), à Mississauga (Ontario).

 

[15]           Le 3 juillet 2007, la demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire a été rejetée par l’agente Mazzotti. L’agente Mazzotti travaillait au bureau de CIC à Niagara Falls (Ontario).

 

[16]           Le 10 juillet 2007, l’avocat des demandeurs a reçu avis du rejet de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. L’avis était envoyé par l’agent qui avait refusé la seconde demande de report du renvoi.

 

[17]           Également le 10 juillet 2007, la Cour fédérale faisait droit à la demande de contrôle judiciaire déposée par les demandeurs, annulait la décision de l’agent de renvoi et renvoyait la demande de report à un autre agent de renvoi pour qu’il rende une décision « le plus rapidement possible ».

 

[18]           Le 11 juillet 2007, les demandeurs ont déposé une demande de contrôle judiciaire à l’encontre du rejet de leur demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. C’est de cette demande dont la Cour est aujourd’hui saisie.

 

[19]           Le 12 juillet 2007, la demande de report a été examinée à nouveau par un autre agent de renvoi, qui l’a encore une fois refusée.

 

La décision de l’agente

[20]           Après examen de la demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, l’agente a conclu qu’aucune dispense ne devait être accordée.

 

[21]           Dans sa décision, l’agente a considéré plusieurs facteurs, à savoir :

 

·        les difficultés que risquaient de connaître les demandeurs à leur retour en Équateur ou au Venezuela;

·        l’effet du renvoi sur les relations familiales et personnelles des demandeurs;

·        le degré d’établissement des demandeurs au Canada;

·        le degré d’établissement des demandeurs en Équateur, au Venezuela et aux États‑Unis, et leurs liens avec ces pays;

·        l’intérêt supérieur des enfants;

·        l’état mental des demandeurs;

·        l’effet du retour des demandeurs vers leurs pays d’origine respectifs.

 

[22]           Au moment de refuser la demande, l’agente a fait plusieurs constats, que l’on peut résumer ainsi :

·        Elle a relevé que la SPR avait dit que les demandeurs n’étaient pas crédibles et que leurs craintes n’étaient pas justifiées. Après examen de la preuve documentaire, l’agente a conclu que les demandeurs pouvaient obtenir de l’État, en Équateur et au Venezuela, une protection adéquate. Selon elle, le risque auquel étaient exposés les demandeurs n’équivalait pas à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

·        Elle a relevé que les demandeurs n’avaient pas de famille au Canada, mais elle a pris connaissance des lettres produites par leurs amis et leurs collègues de travail.

 

·        Elle a relevé que M. Rodriguez Zambrano n’avait pas produit une information à jour indiquant la date à laquelle il avait commencé à occuper son emploi, s’il travaillait encore ou s’il avait cherché un autre travail. Elle a fait observer que les demandeurs étaient financièrement autonomes et qu’ils exploitaient une entreprise générale de nettoyage. Elle a ajouté que le demandeur principal avait suivi plusieurs cours et obtenu certificats et diplômes. Elle aussi pris note de la contribution des demandeurs à leur collectivité, en particulier de leur rôle au sein de l’église et de leur décision de parrainer un enfant en Zambie.

 

·        Elle a relevé que les demandeurs avaient eu très peu de difficultés à trouver des emplois et à poursuivre des études en Équateur, au Venezuela et aux États‑Unis. À son avis, la preuve ne permettait pas de dire qu’ils auraient du mal à s’adapter à la vie en Équateur ou au Venezuela. Elle a aussi relevé qu’ils avaient un réseau familial qui pourrait faciliter leur réintégration. Estimant que les liens et attaches des demandeurs avec l’Équateur et le Venezuela étaient nombreux, l’agente a conclu que leur situation personnelle ne faisait nullement craindre pour eux des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

·        Elle a pris note des bons résultats scolaires obtenus par les enfants au Canada, tout en faisant observer que les demandeurs n’avaient pas produit des renseignements à jour. Elle a reconnu que les enfants au Canada bénéficieraient sans doute de meilleures conditions sociales et économiques, mais, selon elle, la preuve ne permettait pas d’affirmer qu’il n’aurait pas accès aux services de base en Équateur ou au Venezuela. Elle a aussi relevé que les demandeurs n’avaient pas établi que les enfants seraient empêchés en droit de vivre en Équateur ou au Venezuela. Concluant que les difficultés que connaîtraient les enfants ne seraient pas inhabituelles, injustifiées ou excessives, l’agente a souligné la capacité démontrée des enfants à se réadapter, ainsi que le réseau existant dans chacun des pays, un réseau qui faciliterait leur intégration.

 

·        Elle a pris note de l’évaluation psychologique des demandeurs, tout en faisant observer que cette évaluation n’indiquait pas leur niveau fonctionnel. Selon elle, il n’était pas sûr non plus, au vu de la preuve, que les demandeurs souffraient encore des mêmes symptômes ou qu’ils suivaient encore un traitement. Elle a aussi fait état de l’absence d’une preuve montrant qu’ils n’auraient pas accès à des traitements en Équateur ou au Venezuela.

 

·        Elle a relevé que le retour des demandeurs en Équateur était possible. S’agissant des enfants, elle a fait observer qu’il serait dans leur intérêt que la famille se réinstalle tout entière. Elle a accordé une importance particulière à la capacité avérée des demandeurs de se fixer et à leurs compétences transférables. À son avis, le fait que le Canada fut pour eux un endroit plus désirable où vivre ne pouvait pas entrer en ligne de compte dans leur demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

 

[23]           Au vu de la preuve produite par les demandeurs, l’agente a conclu que les difficultés résultant d’un refus de leur accorder une dispense ne seraient pas des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

Les points litigieux

[24]           Les demandeurs soulèvent les points suivants :

1)      L’agente a‑t‑elle manqué à l’obligation d’équité qu’elle avait envers les demandeurs :

a.       en ne leur donnant pas l’occasion de mettre à jour l’information étayant leur demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire?

b.      en statuant sur leur demande alors qu’elle n’était pas qualifiée pour le faire? ou

c.       en se fondant sur des preuves extrinsèques sans les en informer?

 

2)      Les circonstances entourant le rejet de leur demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire donnent‑elles lieu à une crainte raisonnable de partialité?

 

3)      L’agente a‑t‑elle commis une erreur en appliquant le mauvais critère juridique dans l’évaluation de leur demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire?

 

4)      L’agente a‑t‑elle rendu une décision déraisonnable en raison de la manière dont elle a évalué :

a.       le risque auquel étaient exposés les demandeurs?

b.      l’intérêt supérieur des enfants? ou

c.       le degré d’établissement des demandeurs?

 

5)      Les demandeurs ont‑ils droit aux dépens?

 

La norme de contrôle

[25]           Il n’y a maintenant que deux normes de contrôle : la décision raisonnable et la décision correcte. Voir l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 34.

 

[26]           La tâche de déterminer la norme de contrôle qu’il faut appliquer comprend deux étapes. D’abord, la Cour doit vérifier si la jurisprudence a déjà établi d’une manière satisfaisante le niveau de retenue qui s’impose pour la question particulière en cause. Dans l’affirmative, l’analyse requise est réputée avoir été faite et il n’est pas nécessaire de la répéter. Dans la négative, la Cour doit alors examiner les éléments qui permettent de définir la norme de contrôle à appliquer. Ce sont les éléments suivants : (i) la présence ou l’absence d’une clause privative; (ii) la raison d’être du tribunal administratif d’après sa loi habilitante; (iii) la nature de la question en cause; et (iv) la spécialisation du tribunal administratif. Voir l’arrêt Dunsmuir, aux paragraphes  57, 62 et 64.

 

[27]           Parmi les questions qui, en général, appelleront un examen fondé sur la norme de la décision correcte, il y a les questions de droit qui présentent une importance pour le système juridique et qui échappent à la spécialisation du tribunal administratif, les questions constitutionnelles portant sur le partage des compétences législatives, les questions de compétence ou d’excès de pouvoir, et les questions d’équité. Voir l’arrêt Dunsmuir, aux paragraphes  55, 58, 59, 60, 129 et 151.

 

[28]           Les autres questions seront généralement revues d’après la norme de la décision raisonnable, notamment les questions de fait, les questions mixtes de droit et de fait lorsque les points de droit ne peuvent être aisément isolés des points de fait, les questions touchant au pouvoir discrétionnaire et les questions touchant à la politique. Voir l’arrêt Dunsmuir, aux paragraphes  51 et 53. La norme de la décision raisonnable sera aussi généralement applicable lorsqu’un tribunal administratif interprète sa propre loi constitutive ou une loi étroitement liée à son mandat. Voir l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 54. La jurisprudence permettra aussi parfois de dire si telle ou telle autre question commande la retenue des cours de justice. Voir l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 54.

 

[29]           S’agissant des points soulevés dans la présente affaire, c’est à la Cour qu’il appartient de dire si un tribunal administratif a observé ou non les principes de l’équité procédurale. Aucune retenue ne s’impose dans un tel cas. Voir l’arrêt Syndicat canadien de la fonction publique c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539, paragraphe 100. Cet aspect continue de relever de la fonction de surveillance exercée par la Cour dans un contrôle judiciaire. Voir l’arrêt Dunsmuir, paragraphes 129 et 151.

 

[30]           La question de savoir si un agent a appliqué le bon critère lorsqu’il a évalué le risque allégué dans une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est une question de droit, et il a été jugé que cette question est revue selon la norme de la décision correcte. Voir par exemple le jugement Pinter c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. n° 366, aux paragraphes 3 à 5 (QL). Les questions de droit qui présentent une importance primordiale pour le système juridique tout entier et qui échappent au domaine de spécialisation du décideur administratif continuent d’être revues selon la norme de la décision correcte. Les questions de droit qui n’atteignent pas ce niveau pourraient se prêter à l’application de la norme de la décision raisonnable. Voir l’arrêt Dunsmuir, aux paragraphes 55 et 60. Vu l’absence d’une clause privative, le fait qu’un agent d’ERAR n’a pas véritablement la spécialisation requise pour juger de la pertinence du critère qu’il a appliqué, de même que l’importance de s’assurer que les agents d’ERAR appliquent le critère fixé par le législateur, je suis d’avis que la question de savoir si l’agente a appliqué ici le bon critère doit être revue selon la norme de la décision correcte.

 

[31]           Il a déjà été jugé que la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer à une décision tout entière portant sur des motifs d’ordre humanitaire est celle de la décision raisonnable simpliciter. Voir l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, aux paragraphes 57 à 62. Selon moi, vu la nature discrétionnaire d’une telle décision, et son caractère largement factuel, c’est la norme de la décision raisonnable qui demeure applicable. Voir l’arrêt Dunsmuir, aux paragraphes 51 et 53.

 

[32]           Quant à savoir ce que les deux normes de contrôle requièrent d’une juridiction de contrôle, la norme de la décision correcte n’oblige pas la Cour à déférer à la décision du tribunal administratif. La Cour doit plutôt faire sa propre analyse et dire si elle souscrit à la conclusion tirée par le tribunal administratif. Si la Cour est en désaccord avec cette conclusion, elle doit lui substituer sa propre conclusion et rendre la décision qui s’impose. Voir l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 50. S’agissant du contrôle fondé sur la norme de la décision raisonnable, la Cour doit examiner les attributs qui font qu’une décision est raisonnable, et qui comprennent à la fois le processus et le résultat. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Voir l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47.

 

[33]           J’appliquerai maintenant à chacune des prétendues erreurs la norme de contrôle qui lui est applicable.

 


L’application de la norme de contrôle aux points litigieux

1.         L’agente a‑t‑elle manqué à l’obligation d’équité?

            a)         La possibilité pour les demandeurs de mettre à jour l’information produite

 

[34]           Les demandeurs ont produit l’affidavit d’un avocat qui exerce en droit de l’immigration depuis trente‑six ans. Cet avocat a juré que, selon son expérience, CIC a pour principe d’inviter un demandeur à produire une information mise à jour, et une décision finale est ensuite rendue à propos d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Les demandeurs disent qu’ils avaient cru comprendre que CIC communiquerait avec eux pour les prier de fournir des renseignements complémentaires, mais nul n’a communiqué avec eux à cette fin.

 

[35]           Se fondant sur ce témoignage, les demandeurs font valoir qu’ils étaient fondés à croire qu’ils auraient la possibilité de produire des renseignements complémentaires, et ils disent qu’on leur a nié l’équité procédurale en ne leur donnant pas cette possibilité. Ils signalent les observations faites par l’agente dans sa décision, où elle disait qu’aucun complément d’information n’avait été produit, et ils affirment donc que l’absence de renseignements additionnels l’a empêchée de bien évaluer l’intérêt supérieur des enfants.

 

[36]           Au paragraphe 26 de l’arrêt Baker, précité, la Cour suprême du Canada écrivait, à propos des attentes légitimes, que les circonstances qui touchent l’équité procédurale comprennent les promesses ou les pratiques habituelles des tribunaux administratifs. En règle générale, il est injuste de la part d’un tel tribunal d’agir en contravention des assurances qu’il a pu donner sur les questions de procédure.

 

[37]           Les demandeurs n’ont pas apporté la preuve des raisons qu’ils pouvaient avoir de s’attendre à ce que CIC communique avec eux pour les prier de fournir des renseignements à jour.

 

[38]           La source la plus persuasive sur les questions de procédure auxquelles sont subordonnées les demandes intérieures fondées sur des motifs d’ordre humanitaire est le guide des politiques d’immigration, IP 5, intitulé « Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire ». Le guide ne dit pas que les demandeurs seront invités à produire un complément d’information. La section 5.26 du guide précise que les agents ne sont pas tenus de recueillir l’information portant sur les motifs d’ordre humanitaire et que c’est au demandeur qu’il appartient d’invoquer les facteurs qui, selon lui, intéressent son cas. Cette disposition ne permet donc pas à un demandeur de croire que l’on communiquera avec lui pour le prier de produire des renseignements complémentaires ou à jour.

 

[39]           La Cour a jugé qu’il appartient au demandeur de produire toutes les pièces nécessaires au soutien de sa demande d’asile et que l’agent n’est pas tenu de solliciter des renseignements à jour. Voir par exemple Melchor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. n° 1600 (QL), et Arumugam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] A.C.F. n° 1360 (QL). Dans cette dernière décision, la Cour écrivait ce qui suit, au paragraphe 17 :

Après l’entrevue de mars 1999, l’agente d’immigration n’a pas cherché d’information nouvelle ou plus récente sur le pays en s’adressant au demandeur ou à d’autres sources (sauf pour la décision concernant la qualité de DNRSRC) mais, à mon avis, elle n’avait pas l’obligation de le faire. En tout temps après l’entrevue et avant la décision, il était loisible au demandeur de présenter des informations complémentaires pertinentes de nature personnelle ou relatives à l’évolution de la situation au Sri Lanka. Il ne l’a pas fait. L’agente d’immigration a rendu une décision fondée sur la preuve qui était devant elle. Je ne puis être d’accord avec l’idée que la procédure n’était pas équitable ou que la décision était déraisonnable, alors que le demandeur n’a pris aucune initiative pour fournir de l’information additionnelle sur les conditions régnant dans le pays, conditions qui, à son avis, allaient se détériorant pendant l’année 1999. La responsabilité de l’agente d’immigration était d’examiner la demande d’admission fondée sur des considérations humanitaires en s’appuyant sur les éléments de preuve produits par le demandeur et sur tout élément de preuve contenu aux dossiers d’immigration du demandeur ou fourni par le ministre, et elle s’en est acquittée.

 

[40]           J’arrive à la même conclusion. Les demandeurs étaient assistés par un avocat lorsqu’ils ont préparé et déposé leur demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Ils auraient pu soumettre une information à jour, mais ne l’ont pas fait.

 

[41]           Au reste, les demandeurs n’ont pas apporté la preuve qu’ils auraient pu fournir une information nouvelle et importante et que cette information aurait pu conduire à une décision autre. Autrement dit, les demandeurs n’ont rien présenté pour établir que la décision aurait été différente s’ils avaient eu la possibilité de produire de nouveaux éléments. Ainsi, quand bien même l’agente aurait‑elle eu l’obligation de les inviter à fournir des renseignements à jour, la Cour n’interviendra pas si le fait pour l’agente de ne pas avoir respecté cette obligation n’a eu aucun effet sur sa décision. Voir l’arrêt Yassine c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 172 N.R. 308 (C.A.F.).

 


b)         La demande a été jugée par un agent d’examen des risques avant renvoi

 

[42]           Les demandeurs disent qu’ils étaient fondés à croire que leur demande serait examinée par un agent spécialiste des questions d’ordre humanitaire, non pas un agent d’examen des risques avant renvoi. Ils se fondent sur le guide IP 5, qui, selon eux, dispose que les demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire ne sont étudiées par un agent d’examen des risques avant renvoi que lorsque les motifs d’ordre humanitaire sont insuffisants pour rendre une décision favorable, ou lorsqu’une demande existante d’examen des risques avant renvoi est traitée simultanément. Les demandeurs disent qu’aucun de ces deux cas ne concernait leur demande.

 

[43]           La section 13.2 du guide IP 5 prévoit ce qui suit :

Rôle des sections CH : Examen préliminaire sans évaluation de CH formelle

 

Si la demande CH est renvoyée par le Centre de traitement des demandes à la section CH, celle‑ci effectue un examen préliminaire de la demande et des documents pour déterminer si la demande fait mention d’un risque personnel.

 

S’il n’existe aucune mention d’un risque personnel, la demande est renvoyée à un agent CH.

 

S’il y a mention d’un risque personnel, mais qu’il semble exister suffisamment de motifs CH autres que le risque pour accepter la demande, celle‑ci est renvoyée à un agent CH.

 

S’il y a mention d’un risque personnel, mais qu’il ne semble pas exister suffisamment de motifs CH autres que le risque pour accepter la demande, celle‑ci est envoyée à la section ERAR.

 

[44]           Les conclusions accompagnant la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire étaient relativement détaillées. Trois pages étaient consacrées aux motifs d’ordre humanitaire. Quatre pages étaient consacrées au risque. Quelque 69 pages de documents portant sur la situation dans le pays accompagnaient les conclusions.

 

[45]           L’allégation d’existence de motifs d’ordre humanitaire faisait assurément mention d’un risque personnel et, à mon avis, un agent pouvait fort bien, à titre préliminaire, conclure qu’il ne semblait pas exister suffisamment de motifs d’ordre humanitaire autres que le risque pour accepter la demande. Les demandeurs n’ont donc pas montré qu’il était injuste que leur demande soit l’objet d’un examen préliminaire, puis renvoyée pour décision à la section d’examen des risques avant renvoi.

 

c)         L’agente s’est fondée sur des preuves extrinsèques

 

[46]           Les demandeurs disent aussi que l’agente a commis une erreur en se fondant sur deux sources extrinsèques d’information. D’abord, elle s’est fondée sur une information provenant d’une publication intitulée « Les lois sur la citoyenneté dans le monde », pour affirmer que les enfants des demandeurs pourraient obtenir la nationalité équatorienne ou la nationalité vénézuélienne. Deuxièmement, elle s’est fondée sur le site Web « thebestofecuador.com » pour dire que les demandeurs pourraient tous résider en Équateur.

 

[47]           Je crois qu’il est bien établi en droit que l’obligation d’équité requiert la communication de documents si cette communication est nécessaire pour que l’intéressé ait véritablement la possibilité de présenter pleinement ses arguments au décideur. La question primordiale en ce qui concerne la communication est celle de savoir si le document est un document dont l’intéressé a connaissance ou aurait dû avoir connaissance. Voir par exemple la décision Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 4 C.F. 193 (1re inst.), et la décision Asmelash c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. n° 2145 (QL).

 

[48]           Le point de savoir si la famille tout entière pourrait vivre en Équateur a été soulevé en 2004 dans une procédure introduite devant la SPR. La SPR avait communiqué aux demandeurs le document RIR ECU40090.EF. On pouvait y lire que « l’épouse étrangère d’un Équatorien peut demander la naturalisation selon une procédure accélérée ». En juillet 2006, un an avant la décision concernant la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, les demandeurs savaient aussi que l’agente d’examen des risques avant renvoi s’était fondée sur la publication « Les lois sur la citoyenneté dans le monde » pour dire que les enfants pouvaient obtenir soit la nationalité équatorienne, soit la nationalité vénézuélienne.

 

[49]           Selon moi, compte tenu de ces faits, les demandeurs n’ont pas établi qu’ils avaient besoin qu’on leur communique la publication « Les lois sur la citoyenneté dans le monde » pour présenter pleinement leur dossier à l’agente. Ils avaient soulevé la question de la capacité de la famille de se réintégrer en Équateur ou au Venezuela, c’est parce que certains membres de la famille n’étaient pas des citoyens de ces pays. Les demandeurs connaissaient, un an avant que ne soit rendue la décision, l’existence du document contesté. Ils auraient pu déposer des conclusions additionnelles s’ils souhaitaient récuser l’information figurant dans le document.

 

[50]           S’agissant du site Web dont s’est servie l’agente, je reconnais que les demandeurs n’auraient pas pu raisonnablement prédire que l’agente se fonderait sur l’information figurant sur ce site Web. Cependant, ils savaient que la question de leur aptitude à vivre tous ensemble en Équateur n’était pas une question réglée. Ils n’ont pas prouvé que l’agente a obtenu sur ce site Web une information qui était inexacte ou qu’ils auraient pu réfuter. En l’absence d’une telle preuve, le fait que l’agente n’ait pas consulté les demandeurs à propos de cette information n’a pas influé sur sa décision, et la Cour ne saurait dire que la décision de l’agente aurait été différente si les demandeurs avaient eu la possibilité de réagir. Par conséquent, rien n’autorise la Cour à intervenir ici. Voir l’arrêt Yassine, précité.

 

2.         Y a‑t‑il une crainte raisonnable de partialité?

[51]           Selon les demandeurs, leur dossier montre que les autorités de l’immigration se sont concertées pour rejeter, au mépris de l’application régulière de la loi, leurs demandes et leurs requêtes, afin de pouvoir les renvoyer immédiatement du Canada. Ils disent que les faits suivants attestent cette partialité :

·        Le jour même où la Cour a annulé la décision de l’agent de renvoi, qui avait refusé la demande des demandeurs visant à faire reporter leur renvoi, le même agent a informé l’avocat des demandeurs du rejet de leur demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire;

 

·        L’agente qui a refusé la demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire venait du même bureau que l’agent de renvoi, et c’est elle qui avait rejeté la demande d’examen des risques avant renvoi;

 

·        Deux jours après que la Cour eut annulé la décision de l’agent de renvoi, en ordonnant que l’affaire soit réexaminée aussi promptement que possible, un autre agent de renvoi avait refusé la demande et fixé une nouvelle date de renvoi sans inviter les demandeurs à produire de nouveaux renseignements.

 

[52]           Le critère juridique de l’existence d’une crainte raisonnable de partialité a été exposé dans les termes suivants par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l’énergie), [1978] 1 R.C.S. 369, à la page 394 :

La crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle‑même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d’appel, ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait‑elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? » [Pas en caractères gras italiques dans l’original.]

 

[53]           En droit, il faut des éléments très convaincants pour établir la partialité ou la crainte de partialité. Voir l’arrêt R. c. R.D.S., [1997] 3 R.C.S. 484, à la page 532, et l’arrêt Bande indienne Wewaykum c. Canada, [2003] 2 R.C.S. 259, au paragraphe 76.

 

[54]           Les circonstances dont les demandeurs tirent argument sont, à mon avis, des coïncidences qui ne suffisent pas à établir une crainte raisonnable de partialité :

·        La décision rejetant la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (et qui avait été rendue une semaine plus tôt) a été envoyée par télécopieur à l’avocat des demandeurs à 7 h 25 le 10 juillet 2007. C’était évidemment bien avant que la Cour ne communique ses motifs portant cette date. Le moment de la transmission de la décision par télécopieur, par rapport au moment où la Cour a rendu son jugement, était pure coïncidence.

·        Puisqu’il s’agissait d’une coïncidence, il n’y a rien de suspect dans le fait que l’agent de renvoi et l’agente qui s’est prononcée sur la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire appartenaient au même bureau géographique. Le simple fait qu’une seule agente se soit occupée à la fois de la demande d’examen des risques avant renvoi et de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire ne permet pas de conclure à une partialité. Voir la décision Monemi c. Canada (Solliciteur général) (2004), 266 F.T.R. 31 (C.F.).

 

·        Lorsque la Cour a annulé la décision de l’agent de renvoi, elle a ordonné explicitement que la décision soit réexaminée aussi promptement que possible. C’est ce qui, à proprement parler, fut fait. Le second agent de renvoi n’a pas cherché à obtenir de nouveaux renseignements sur l’à‑propos du renvoi à la date prévue de renvoi, depuis longtemps passée, mais il a fixé une nouvelle date de renvoi. Les demandeurs avaient donc la possibilité de solliciter encore une fois un report de renvoi et de présenter des conclusions à l’appui.

 

3.         L’agente a‑t‑elle appliqué le mauvais critère juridique?

[55]           Selon les demandeurs, l’agente s’est concentrée sur l’aspect « risque » de leur demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Ils disent aussi que, même si elle a fait état du critère pertinent (l’existence de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives), elle a appliqué le mauvais critère. Ils en invoquent pour preuve le fait qu’elle s’est fondée sur l’existence d’une protection de l’État et sur l’évolution de la situation ayant cours dans le pays. Elle aurait dû plutôt considérer la question des difficultés.

 

[56]           Il est instructif d’examiner les conclusions des demandeurs sur la question du risque, dans leur demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Les demandeurs :

·        y annexaient l’exposé circonstancié accompagnant leur Formulaire de renseignements personnels, en disant que le risque auquel ils étaient exposés était décrit dans l’exposé circonstancié;

 

·        y annexaient un dossier d’information sur le pays;

 

·        y écrivaient que, [traduction] « pour évaluer le risque auquel les demandeurs seront exposés s’ils sont renvoyés dans leur pays d’origine, il est utile de faire une évaluation des questions habituelles abordées dans les audiences relatives au statut de réfugié », après quoi ils évoquaient les agents de persécution, le lien, la protection de l’État et l’existence d’une possibilité de refuge intérieur;

 

·        ne parlaient pas de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

[57]           Ainsi, dans leurs conclusions, les demandeurs invitaient à l’examen des aspects mêmes que l’agente a analysés dans ses motifs. L’agente ne saurait être blâmée d’avoir fait l’analyse que les demandeurs préconisaient. Puis, à la fin de l’analyse, l’agente examinait le critère requis des difficultés.

[58]           Par conséquent, les demandeurs n’ont pas établi que l’agente a commis une erreur en appliquant le mauvais critère.

 

4.         La décision était‑elle déraisonnable?

            a)         Le risque auquel étaient exposés les demandeurs

[59]           Les demandeurs disent que la décision était déraisonnable parce que l’agente a laissé de côté la preuve documentaire des demandeurs concernant la situation ayant cours dans le pays, de même que leurs conclusions relatives au risque. L’agente aurait également fait abstraction du préjudice grave qui était décrit dans un rapport psychologique rédigé par le Dr Pilowsky.

 

[60]           S’agissant de la preuve documentaire et des conclusions relatives au risque, il n’est pas strictement exact de dire que l’agente a laissé de côté la preuve documentaire que les demandeurs avaient produite. Par exemple, les demandeurs avaient soumis les rapports du Département d’État des États‑Unis de 2004 sur le Venezuela et l’Équateur, et un rapport d’Amnistie Internationale de 2005 intitulé « Ecuador: Threats and violence against government critics increase », rapport qui parlait de menaces contre des journalistes, des membres de l’opposition, un recteur d’université et un organisme religieux d’aide au développement. L’agente a évoqué les rapports du Département d’État des États‑Unis de 2007 sur le Venezuela et l’Équateur, ainsi qu’un rapport d’Amnistie Internationale de 2006. Elle ne saurait être blâmée d’avoir consulté des documents plus récents et plus pertinents.

 

[61]           Les demandeurs invoquent un jugement de la Cour, Cepeda–Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35 (1re inst.), mais ils n’ont signalé aucune preuve substantielle réfutant les conclusions de l’agente. Ils n’ont donc, sur ce moyen, établi aucune erreur.

 

[62]           S’agissant du rapport psychologique du Dr Pilowsky, les demandeurs n’ont pas soumis ce rapport à l’agente, ni n’ont présenté de conclusions à son sujet. C’est plutôt l’agente qui a obtenu le rapport après avoir pris connaissance des conclusions des demandeurs accompagnant leur demande d’examen des risques avant renvoi. Malgré cela, les demandeurs prétendent aujourd’hui que l’agente n’a pas suffisamment tenu compte du rapport.

 

[63]           L’agente écrivait ce qui suit dans ses motifs :

[traduction]

On peut lire ce qui suit dans le rapport du Dr Pilowsky : « Je crois qu’elle répond aux critères diagnostiques d’un trouble dépressif majeur, gravité moyenne (296.22), et qu’elle présente les symptômes chroniques du trouble de stress post‑traumatique ». Pareillement, le Dr Pilowsky croyait que le [demandeur principal] souffrait du même état que son épouse. La preuve documentaire ne renferme aucune explication du test diagnostique. Le rapport fourni n’indique pas le résultat obtenu par les demandeurs dans l’Échelle d’évaluation globale du fonctionnement; et aucune description clinique de leur niveau de fonctionnement n’est donnée. La preuve ne permet pas de dire que les demandeurs souffrent encore des symptômes susmentionnés, et rien n’indique non plus qu’ils ont suivi ou continuent de suivre des traitements pour leur diagnostic. La preuve que j’ai devant moi ne me permet pas de dire que les demandeurs ont des difficultés de fonctionnement. L’avocat des demandeurs n’a pas produit une preuve documentaire objective montrant qu’un traitement, s’il est requis, ne pourra pas être obtenu par les demandeurs dans l’un ou l’autre de leurs pays d’origine.

 

[64]           Par ailleurs, dans la décision Zambrano c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), [2007] A.C.F. n° 982 (QL), le juge Phelan s’est exprimé sur ce rapport alors qu’il examinait l’à‑propos du refus de l’agente de renvoi de reporter le renvoi. Au paragraphe 12, il écrivait ce qui suit :

L’agente de renvoi n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a tenu compte du rapport psychologique, qui n’avait pas à faire l’objet d’une analyse détaillée. S’il était accepté, le rapport ferait en sorte que les demandeurs ne pourraient jamais être renvoyés parce qu’ils craignent de retourner dans le pays où ils ont été persécutés, ce qui leur cause du stress. Quel que soit le bien‑fondé du fondement subjectif du rapport, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié et l’agent d’ERAR ont jugé non crédible la base factuelle sur laquelle reposaient la crainte et le stress allégués.

 

[65]           J’approuve ces observations et les fais miennes.

 

[66]           Finalement, la manière dont l’agente a considéré le rapport du Dr Pilowsky était raisonnable.

 

b)         L’intérêt supérieur des enfants

[67]           Les demandeurs disent que la preuve documentaire réfutait la conclusion de l’agente selon laquelle, en Équateur et au Venezuela, les enfants auraient accès aux services de base. Ils font aussi valoir que l’agente a supposé que les enfants avaient été initiés par leurs parents à la langue et à la culture espagnoles, qu’elle s’est indûment appuyée sur la transition des enfants des États‑Unis au Canada comme preuve de leur aptitude à faire une transition vers un pays hispanophone, et qu’elle a négligé la preuve des demandeurs selon laquelle leurs familles, dans leurs pays d’origine, étaient pauvres et incapables de leur apporter une aide.

 

[68]           Encore une fois, il faut considérer les conclusions présentées à l’agente. Un seul paragraphe était consacré explicitement aux enfants. Ce paragraphe faisait état de leurs résultats scolaires et du groupe d’amis qu’ils avaient au Canada. Le paragraphe précisait que les enfants ont étudié en anglais, mais ne disait rien sur leur capacité de parler l’espagnol à la maison. Les demandeurs n’ont pas fait état d’une absence de services au Venezuela ou en Équateur, affirmant simplement que leurs familles, dans ces pays, n’ont pas « les moyens financiers de les aider ».

 

[69]           Il a été établi devant l’agente qu’au moins un des enfants, Katherine, étudiait l’anglais comme seconde langue, ce qui donne à penser que l’espagnol était parlé à la maison.

 

[70]           Selon moi, l’agente a considéré l’ensemble des preuves et des conclusions qui lui ont été soumises. Ses motifs montrent qu’elle a été attentive et réceptive à l’intérêt des enfants, comme elle se devait de l’être. Voir l’arrêt Hawthorne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] 2 C.F. 555 (C.A.). L’agente a pris note des résultats scolaires des enfants et a fait observer qu’ils bénéficieraient sans doute au Canada de meilleures conditions sociales et économiques, mais elle a, en fin de compte, exprimé l’avis que les difficultés qu’ils pourraient connaître en Équateur ou au Venezuela ne seraient pas inhabituelles, injustifiées ou excessives. Elle s’est fondée sur la capacité avérée des enfants de se réadapter, sur le réseau existant dans chaque pays qui pourrait faciliter leur adaptation, et sur l’absence d’une preuve montrant qu’ils ne pourraient pas obtenir en Équateur ou au Venezuela des services sociaux et éducatifs de base.

 

[71]           L’agente a conclu en fin de compte que les demandeurs n’avaient pas établi que « les conséquences générales de leur réinstallation dans leurs pays d’origine auraient sur les enfants des répercussions négatives importantes qui équivaudraient à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives ». À mon avis, les motifs exposés par l’agente autorisaient cette conclusion d’une manière intelligible. Puisque la preuve autorisait les conclusions de l’agente, sa décision entre elle aussi dans l’éventail des issues acceptables. En conséquence, la conclusion de l’agente se rapportant à l’intérêt supérieur des enfants n’était pas déraisonnable.

 

c)         Le niveau d’établissement des demandeurs

[72]           Les demandeurs font valoir que leur demande reposait principalement sur leur niveau d’établissement au Canada. Selon eux, bien que l’agente ait reconnu les facteurs attestant leur niveau d’établissement, elle n’a pas tiré de conclusions sur le sujet.

 

[73]           À mon avis, les demandeurs expriment simplement leur désaccord sur l’importance que l’agente a accordée à la preuve. Le niveau d’établissement n’est que l’un de plusieurs facteurs dont doit tenir compte un agent, et l’absence d’une conclusion explicite sur le niveau d’établissement n’est pas en l’espèce une erreur susceptible de contrôle. L’agente a clairement évalué la totalité des facteurs intéressant le niveau d’établissement. Les circonstances de la présente affaire se distinguent très nettement de celles qui étaient soumises à la Cour dans l’affaire Raudales c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. n° 532 (QL), sur laquelle se fondent les demandeurs.

 

[74]           Pour conclure sur la question, je fais miens les propos tenus par mon ancien collègue, feu le juge Rouleau, dans la décision Chau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [2002] A.C.F. n° 119 (QL). Il s’exprimait ainsi, aux paragraphes 27 et 28 :

La demanderesse a invoqué en l’espèce plusieurs arguments qui, tout bien considéré, ne constituent qu’une énumération de certains des inconvénients auxquels donnerait lieu l’obligation pour la demanderesse de quitter le Canada pour présenter une demande à l’étranger, ce qui constitue la procédure normale établie par le législateur. Ainsi que le juge Lemieux l’a signalé avec raison dans le jugement Mayburov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] F.C.J. No. 953 (QL), au paragraphe 39, l’inconvénient n’est pas le critère qui est prévu par les lignes directrices en ce qui concerne les difficultés excessives. Il ressort des pièces versées au dossier à l’appui de sa demande que la demanderesse pourrait fort bien être une immigrante modèle et constituer un atout précieux pour la société canadienne. Elle a démontré qu’elle était une citoyenne respectueuse de la loi, qu’elle était prête à travailler dur, qu’elle avait l’esprit d’initiative et qu’elle avait fait des économies depuis son entrée illégale au Canada. Toutefois, ce ne sont pas là des considérations qui entrent en jeu lorsqu’il s’agit de déterminer s’il existe ou non des raisons d’ordre humanitaire suffisantes pour justifier l’octroi d’une dispense spéciale. Ainsi que le juge Pelletier l’a déclaré dans le jugement Irimie, précité, au paragraphe 26 :

 

[...] la preuve donne à entendre que les demanderesses s’intégreraient avec succès dans la collectivité canadienne. Malheureusement, tel n’est pas le critère. Si l’on appliquait ce critère, la procédure d’examen des demandes fondées sur des raisons d’ordre humanitaire deviendrait un mécanisme d’examen ex post facto l’emportant sur la procédure d’examen préalable prévue par la Loi sur l’immigration et par son règlement d’application. Cela encouragerait les gens à tenter leur chance et à revendiquer le statut de réfugié en croyant que s’ils peuvent rester au Canada suffisamment longtemps pour démontrer qu’ils sont le genre de gens que le Canada recherche, ils seront autorisés à rester. La procédure applicable aux demandes fondées sur des raisons d’ordre humanitaire n’est pas destinée à éliminer les difficultés; elle est destinée à accorder une réparation en cas de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

Le fardeau de preuve dont la demanderesse devait s’acquitter était celui de savoir si la fonctionnaire de l’Immigration avait rendu une décision déraisonnable en refusant d’accorder à la demanderesse une dispense qui lui aurait permis de faire examiner sa demande de résidence permanente au Canada. Pour trancher cette question, le tribunal saisi d’une demande de contrôle judiciaire doit veiller à ne pas déborder le cadre de ses attributions. En l’absence d’erreur au sens juridique du terme, le tribunal ne peut pas et ne doit pas substituer son opinion à celle du fonctionnaire de l’Immigration. Le rôle du juge saisi d’une demande de contrôle judiciaire consiste à examiner la preuve soumise au fonctionnaire de l’Immigration et à décider s’il existait ou non des éléments de preuve qui justifiaient sa décision ou si le fonctionnaire de l’Immigration a rendu une décision qui allait à l’encontre de l’essentiel de la preuve. Or, je ne puis tirer une telle conclusion en l’espèce.

 

[75]           Les demandeurs semblent eux aussi travailleurs, respectueux des lois, autonomes, entreprenants, économes et charitables envers autrui. Ils connaîtront des difficultés s’ils sont contraints de quitter le Canada. Cependant, ils n’ont pas établi que l’agente a commis une erreur en disant que de telles difficultés ne seraient pas inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

5.         Les dépens

[76]           L’article 22 des Règles des cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22, dispose que, sauf ordonnance contraire rendue par la Cour pour des raisons spéciales, la demande de contrôle judiciaire ne donne pas lieu à des dépens.

 

[77]           La preuve requise pour établir les « raisons spéciales » dont parle l’article 22 est d’un niveau élevé. Il peut exister des raisons spéciales lorsque le ministre « s’est conduit de manière inéquitable, abusive, inconvenante ou […] a agi de mauvaise foi ». Voir la décision Uppal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. n° 1390, au paragraphe 8 (QL).

 

[78]           Puisque je suis d’avis qu’il n’y a eu ni erreur ni injustice, aucune raison spéciale ne justifie l’adjudication de dépens.

 

Dispositif

[79]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Les avocats n’ont pas proposé de questions à certifier, et je suis d’avis qu’aucune question du genre ne se pose ici.

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans dépens.

 

                                                                                                            « Eleanor R. Dawson »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑2781‑07

 

INTITULÉ :                                       LUIS FERNANDO RODRIGUEZ ZAMBRANO,

CAROLINA GOMEZ, KATHERINE ABIGAIL

RODRIGUEZ, JOSHUA ALEXANDER RODRIGUEZ,

CAROLINA GOMEZ c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 18 mars 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              La juge Dawson

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 15 avril 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Matthew Jeffery

 

POUR LES DEMANDEURS

Janet Chisholm

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Matthew Jeffery

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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