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Date : 20080415

Dossier : T‑440‑08

Référence : 2008 CF 479

Ottawa (Ontario), le 15 avril 2008

En présence de monsieur le juge Kelen

 

ENTRE :

GEORGE PRINCE et PAULETTE CAMPIOU

demandeurs

et

 

PREMIÈRE NATION DE SUCKER CREEK NO 150A, JARET CARDINAL, RONALD WILLIER et RUSSELL WILLIER

défendeurs

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Les demandeurs, George Prince et Paulette Campiou, déposent la présente requête sollicitent une injonction interlocutoire contre des décisions rendues le 26 février 2008, par lesquelles les défendeurs prétendaient suspendre les demandeurs de leur poste de conseiller de la Première nation de Sucker Creek. Les demandeurs souhaitent être réintégrés à leur poste de conseiller en attendant l’issue de la demande principale de contrôle judiciaire. Les demandeurs ont été suspendus par le chef et deux conseillers au milieu de leur mandat de trois ans.

 

LES FAITS

[2]               Les demandeurs sont membres de la Première nation de Sucker Creek (la bande défenderesse). Ils ont été élus conseillers au conseil de la bande défenderesse le 28 novembre 2006 pour un mandat de trois ans. Leur élection n’a jamais été contestée.

 

[3]               La Première nation de Sucker Creek est située à trois heures et demie au nord d’Edmonton.

 

[4]               La bande défenderesse est une bande d’autochtones des Premières nations dûment constituée en vertu de la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I‑5 (la Loi). La structure de gouvernement, les procédures et la coutume électorale de la bande défenderesse sont régies par le [traductionRèglement électoral issu de la coutume de la Première nation de Sucker Creek no 150A (le Règlement). Le Règlement électoral prévoit l’élection d’un chef et de six conseillers qui agiront à titre de représentants de la bande défenderesse pour un mandat de trois ans.

 

[5]               Le défendeur, Jaret Cardinal, est le chef de la bande défenderesse; il a été élu en même temps que les demandeurs le 26 novembre 2006. Les défendeurs, Ronald Willier et Russell Willier, sont conseillers de la bande défenderesse et siègent au conseil avec les demandeurs.

 

Les allégations de conduite répréhensible

[6]               Le ou vers le 6 février 2008, le chef et le conseil de la bande défenderesse ont reçu une plainte selon laquelle les demandeurs étaient en conflit d’intérêts en ce qui concerne un des accords contractuels de la bande. Les allégations étaient soulevées dans une lettre de plainte datée du 6 février 2008, écrite par Orlando Alexis, qui est employé en tant qu’agent des consultations de la bande défenderesse.

 

[7]               On allègue dans la plainte, entre autres :

1.      de la violence verbale envers les employés de la bande;

2.      de [traduction] « l’ingérence dans le travail des policiers » par les demandeurs;

3.      le transfert de travail d’un entrepreneur tiers à Joy Ann Prince, la fille du demandeur George Prince et la cousine germaine de la demanderesse Paulette Campiou;

4.      la renégociation non autorisée des taux payés aux entrepreneurs tiers pour le débroussaillage et le défrichage dans le cadre d’un accord contractuel entre la bande défenderesse et ATCO Electric Ltd.

 

La procédure ayant mené aux suspensions

[8]               En réponse à la lettre de plainte, le 7 ou le 8 février 2008, le conseil de la bande défenderesse a convoqué une réunion afin de pencher sur les allégations soulevées. Les deux demandeurs étaient présents à la réunion et ont reçu une copie de la lettre de plainte.

 

[9]               Le 14 février 2008, le conseil de la bande défenderesse s’est réuni pour examiner les questions soulevées dans la lettre et pour déterminer quelle était la meilleure façon de procéder. Les demandeurs étaient présents à cette réunion et ont présenté une lettre de Vic McArthur réfutant les allégations soulevées contre eux.

 

[10]           Le 15 février 2008, le chef et le conseil ont convoqué une autre réunion pour décider de la marche à suivre relativement aux demandeurs. Ceux‑ci ont été exclus de cette réunion.

 

[11]           Le 20 février 2008, la Première nation de Sucker Creek a reçu une lettre (qui était importante, les défendeurs en conviennent) de Morgan Construction and Environmental Ltd. Cette lettre faisait part de [traduction] « difficultés » concernant le taux de rémunération de l’entrepreneur, ce qui était le sujet de la principale allégation de conflit d’intérêts portée contre les demandeurs. Cette lettre n’a jamais été montrée aux demandeurs.

 

[12]           Le 21 février 2008, la bande défenderesse a reçu une note d’ATCO Electric Ltd. dans laquelle étaient mentionnés des problèmes quant au taux de rémunération des entrepreneurs impliquant les demandeurs. Cette note n’a pas non plus été montrée aux demandeurs.

 

[13]           Le 22 février 2008, le conseil de la bande défenderesse a convoqué une réunion [traduction] « secrète » à Edmonton, en Alberta, lors de laquelle toutes les allégations concernant les demandeurs ont fait l’objet de plus amples discussions. Étaient présents à cette réunion les trois individus défendeurs, de même que le conseiller David Prince. Ni l’un ni l’autre des demandeurs n’étaient présents à cette réunion, pas plus qu’ils n’ont été avisés de sa tenue. Également absent de la réunion était le conseiller Ken Cardinal, lequel était suspendu en attendant la fin d’une enquête sur des allégations de conduite répréhensible sans lien avec la présente affaire.

 

[14]           À la réunion, il a été décidé que les demandeurs seraient suspendus avec traitement jusqu’à ce que soit terminée une enquête indépendante sur les allégations avancées dans la lettre de plainte. Le 29 février 2008, ou vers cette date, les demandeurs ont chacun reçu une lettre signée par le chef Cardinal et les deux conseillers défendeurs les informant de leur suspension. Les lettres, datées du 26 février 2008, constituent les décisions à l’étude et étaient rédigées en partie ainsi :

[traduction]

Étant donné la gravité de la situation, le chef et le conseil sont tenus d’agir et d’examiner la question. Par conséquent, j’ai le regret de vous annoncer que vous avez été suspendu de votre poste de conseiller en attendant que toute la lumière soit faite sur cette affaire. La suspension sera avec traitement. Durant l’enquête, il vous sera interdit d’aller au bureau des finances ou de faire affaire avec le département de la consultation […] Veuillez rendre vos clés, votre téléphone cellulaire ainsi que tout autre bien appartenant à la bande.

 

Les demandeurs n’ont pas tenu compte des lettres des défendeurs et ont continué de s’acquitter de leurs fonctions de conseiller.

 

[15]           Le 3 mars 2008, la demanderesse Paulette Campiou a répondu à la lettre de plainte datée du 6 février 2008.

 

[16]           Le 10 mars 2008, les demandeurs ont chacun reçu une autre lettre des défendeurs, laquelle les informait que, s’ils ne se soumettaient pas à la décision les suspendant, ils seraient suspendus sans traitement et une réunion extraordinaire serait tenue pour examiner la possibilité de les destituer. Les lettres prévoyaient un [traduction] « cadre d’enquête » et d’examen, lequel exposait la procédure que la bande défenderesse suivrait pour examiner la plausibilité des allégations. De même, les lettres expliquaient comment on en était finalement venu à la décision de suspendre les demandeurs, précisant à la page 3 :

[traduction]

Le vendredi 22 février 2008, le chef et le conseil se sont réunis à Edmonton, à l’hôtel Hilton Garden Suites, pour donner suite au premier examen de la lettre de plainte.

 

Compte tenu des renseignements fournis, il a été jugé qu’il était dans le meilleur intérêt du conseil, de nos membres et de notre collectivité que George Prince et Paulette Campiou soient tous deux suspendus en attendant que soit terminée une enquête concernant la lettre de plainte.

 

Il y a eu un vote officiel et la motion a été adoptée étant donné que tous ont voté en faveur de la suspension. En conséquence, vous serez tous deux, Paulette Campiou et George Prince, suspendus immédiatement avec traitement de vos fonctions de conseiller.

 

 

[17]           Le 12 mars 2008, les demandeurs se sont présentés aux bureaux de la bande défenderesse et ont découvert que les serrures des portes de leurs bureaux avaient été changées et qu’on leur interdisait l’accès aux lieux. Le 17 mars 2008, les demandeurs ont déposé une demande de contrôle judiciaire, ainsi que la présente requête, dans laquelle ils sollicitent une injonction interlocutoire qui leur permettrait de continuer à s’acquitter de leurs fonctions sans interruption jusqu’à ce que la demande principale soit tranchée définitivement.

 

[18]           Le 20 mars 2008, le traitement de chacun des demandeurs, pendant leur suspension, a été réduit de 1 750 $ la semaine à 700 $ la semaine.

 

LA QUESTION EN LITIGE

[19]           La seule question soulevée dans la présente requête est de savoir si les demandeurs ont droit, compte tenu des circonstances en l’espèce, à une injonction interlocutoire qui interdirait aux défendeurs de suspendre les demandeurs de leur poste de conseiller de la Première nation de Sucker Creek.

 

ANALYSE

Question :    Devrait‑il être permis aux demandeurs de continuer à s’acquitter de leurs obligations de conseiller sans autre interférence des défendeurs jusqu’à ce que la demande principale de contrôle judiciaire soit définitivement tranchée?

 

[20]           Il est bien établi que le critère à appliquer pour déterminer s’il convient d’accorder une injonction interlocutoire est le critère à trois volets énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt RJR‑MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311. Dans cet arrêt, la Cour suprême a statué que le demandeur doit prouver trois éléments afin d’obtenir une injonction interlocutoire. Ces éléments sont les suivants :

                                            i.                        l’existence d’une question sérieuse à juger;

                                           ii.                        l’existence d’un préjudice irréparable si l’injonction n’est pas accordée;

                                         iii.                        la prépondérance des inconvénients doit favoriser l’octroi de l’injonction.

Les trois éléments doivent être examinés un à un.

 

La question sérieuse à juger

 

[21]           La Cour est saisie de la présente requête et de la demande principale de contrôle judiciaire parce que le conseil de la bande défenderesse constitue un « office fédéral » tel que défini à l’article 2 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7. Comme je l’ai conclu dans la décision Première nation anishinabe de Roseau River c. Atkinson, 2003 CFPI 168, 228 F.T.R. 167, au paragraphe 19 :

¶ 19     Dans des affaires antérieures, la Cour fédérale s’est déclarée compétente sur les conseils de bandes indiennes, sans égard à la question de savoir si le conseil de bande avait été élu en conformité avec la coutume de la bande ou en conformité avec la Loi sur les Indiens. Voir l’arrêt Canatonquin c. Gabriel, [1980] 2 C.F. 792 (C.A.) et l’arrêt Lameman c. Peoples Government (1995), 90 F.T.R. 319. Comme l’a indiqué M. le juge Rothstein dans le jugement Sparvier c. Bande indienne Cowessess no 73, [1994] 1 C.N.L.R. 182, à la page 4 (C.F. 1re inst.) :

 

Il est bien établi qu’aux fins d’un contrôle judiciaire, un conseil de bande indienne et les personnes qui sont censées exercer des pouvoirs sur les membres d’une bande indienne, et qui agissent conformément aux dispositions de la Loi sur les Indiens constituent un « office fédéral » au sens de l’article 2 de la Loi sur la Cour fédérale. [...] il a été jugé qu’un conseil de bande indienne relevait de la compétence de la Cour fédérale lorsque l’élection du conseil de la bande avait été tenue conformément à la coutume de la bande et non la Loi sur les Indiens.

 

 

[22]           En l’espèce, les élections du conseil de bande et les procédures qu’il suit sont régies par les dispositions du Règlement électoral. En conséquence, l’existence d’une question sérieuse dépend en grande partie de la question de savoir si le conseil a suivi le Règlement quand il a décidé de suspendre les demandeurs du conseil de bande ou si le conseil de bande possède le droit inhérent de suspendre les demandeurs.

 

[23]           Les demandeurs soutiennent que la décision du conseil de la bande défenderesse ne peut être maintenue puisque le Règlement électoral n’autorise pas la suspension de membres du conseil de bande. Cependant, les défendeurs prétendent que la décision était dûment autorisée par le Règlement électoral, lequel donne au chef et au conseil le pouvoir de prendre des décisions [traduction] « pour le bon gouvernement de la Première nation de Sucker Creek ». En outre, les défendeurs sont d’avis que les corps législatifs comme le conseil de la bande défenderesse ont le pouvoir de suspendre ou d’expulser un de leurs membres et que ce pouvoir a longtemps été la prérogative de la législature et existe indépendamment de toute disposition légale autorisant explicitement une telle action. Par conséquent, les défendeurs soutiennent que les conseils de bande possèdent le [traduction] « pouvoir inhérent de créer des règles et des procédures pour régir leurs propres processus, notamment les politiques et procédures servant à faire enquête sur des allégations de conduite répréhensible ».

 

[24]           En outre, les demandeurs soutiennent également que la décision de les suspendre manquait aux principes d’équité procédurale dans la mesure où elle a été prise sans que les demandeurs aient été informés de la réunion ou sans qu’ils aient eu l’occasion de répondre aux allégations soulevées contre eux.

 

[25]           Puisque les questions ci‑dessus portent sur la compétence, l’équité procédurale et la justice naturelle, les défendeurs, tout en maintenant que le conseil de la bande défenderesse n’a pas outrepassé ses compétences et a agi conformément aux principes d’équité procédurale et de justice naturelle, conviennent qu’il s’agit de [traduction] « questions sérieuses que la Cour doit juger ».

 

La première question sérieuse

[26]           Des dispositions du Règlement électoral portent expressément sur la destitution d’un conseiller dûment élu. Ces dispositions n’ont pas été suivies. Les demandeurs soulèvent une question sérieuse ayant des chances réelles de succès voulant que les défendeurs ne puissent pas suspendre un conseiller, que ce soit pour une durée indéterminée, comme c’est le cas en l’espèce, ou même pour une durée limitée, sans suivre les procédures prévues au Règlement électoral.

 

La deuxième question sérieuse

[27]           Si la bande défenderesse possède le pouvoir inhérent de suspendre des conseillers, les demandeurs soulèvent une question sérieuse ayant des chances de succès voulant qu’ils ne puissent être suspendus sans avoir eu d’abord l’occasion de connaître la preuve contre eux, y compris les allégations soulevées par Morgan et par ATCO, ainsi que l’occasion de répondre aux allégations devant le conseil. Une personne a un droit à une audience équitable avant d’être congédiée ou suspendue.

 

La troisième question sérieuse

[28]           Finalement, les demandeurs soulèvent une question sérieuse qui sera jugée lors de l’audition de la demande principale de contrôle judiciaire, soit la question de savoir si les défendeurs peuvent suspendre ou « congédier » les demandeurs sans avoir reçu une pétition à cet effet de 50 p. 100 plus un des électeurs, comme l’exige l’article 15.3 du Règlement électoral. L’interprétation de l’article 15 du Règlement électoral constitue une question sérieuse en litige entre les parties. En outre, il existe un doute quant à savoir si l’article 15 représente encore un moyen pratique de destituer un chef ou un conseiller élu qui le mérite compte tenu de la jurisprudence selon laquelle les membres de la bande n’habitant pas dans la réserve sont maintenant considérés comme membres de l’électorat de la bande.

 

[29]           Par conséquent, la Cour estime que les demandeurs ont démontré l’existence d’une question sérieuse à trancher selon le critère élevé des chances de succès.

 

Le préjudice irréparable

 

[30]           Le demandeur souhaitant obtenir une injonction interlocutoire doit démontrer qu’il subira un préjudice irréparable si l’injonction n’est pas accordée. Il n’est pas facile de prouver le préjudice irréparable, car, pour ce faire, il faut prouver que la victime du préjudice causé ne pourra plus tard être indemnisée avec des dommages‑intérêts. Comme je l’ai affirmé dans la décision White c. E.B.F. Manufacturing Ltd., 2001 CFPI 1133, 15 C.P.R. (4th) 505, au paragraphe 13 :

¶ 13      [...] Il faut ensuite déterminer si des dommages‑intérêts pourraient constituer une réparation suffisante pour le demandeur. L’injonction interlocutoire est un recours en equity discrétionnaire qui ne sera pas accordé si le demandeur ne démontre pas qu’il subira un préjudice irréparable. Le terme « irréparable » a trait à la nature du préjudice subi plutôt qu’à son étendue. C’est un préjudice qui ne peut être quantifié du point de vue pécuniaire ou un préjudice auquel il ne peut être remédié par des dommages et intérêts. […]

 

 

[31]           Dans la décision Gabriel c. Conseil des Mohawks de Kanesatake, 2002 CFPI 483, [2002] A.C.F. no 635 (QL), la juge Tremblay‑Lamer s’est penchée sur le préjudice irréparable dans le contexte des conseils de bande, en affirmant aux paragraphes 26 et 27 que la nature politique de la charge des conseillers crée une situation très différente de celle qui serait issue d’un contexte général d’emploi :

¶ 26     Le demandeur affirme qu’il subirait un préjudice irréparable qui ne peut pas être quantifié sur le plan financier si je refusais d’accorder une injonction interlocutoire le réintégrant dans ses fonctions de grand chef du Conseil des Mohawks de Kanesatake en attendant qu’une décision définitive soit rendue. La jurisprudence montre clairement que la charge de chef est une charge politique et que le droit concernant le congédiement injuste ne prévoit pas de recours lorsqu’une personne est privée de la charge à laquelle elle a été élue. Mon collègue, le juge MacKay, a reconnu la chose dans la décision Frank c. Bottle et autres, (1993), 65 F.T.R. 89, paragraphes 27 et 28; voici les remarques qu’il a faites :

 

[traduction]

À mon avis, le droit concernant le congédiement injuste et l’octroi de dommages‑intérêts y afférents vise les relations employeur‑employé et ne prévoit pas de recours lorsqu’une personne est privée de la charge à laquelle elle a été élue. Le chef n’est pas l’employé du conseil et, à mon avis, il ne peut pas non plus être considéré comme un employé de la tribu. La charge de chef est une charge politique, comblée au moyen d’élections valides, comportant des responsabilités qui l’emportent sur toute idée que la personne en cause est l’employé de la tribu, comme c’est le cas pour la charge de conseiller.

 

[...] Sans trancher les questions dont la Cour n’est pas saisie, le demandeur ne pourrait pas, à mon avis, réclamer de dommages‑intérêts pour congédiement injuste et, en réalité il ne pourrait probablement pas présenter de demande pécuniaire fondée sur la perte de sa réputation.

 

[…]

 

¶ 27     Par conséquent, si je n’accordais pas d’injonction et si la demande de contrôle judiciaire était subséquemment accueillie, le demandeur n’aurait pas droit à la réparation dont peut normalement se prévaloir l’employé qui a été congédié. À mon avis, cela constitue un préjudice irréparable.

 

[32]           Bien que madame la juge Tremblay‑Lamer ait examiné le préjudice irréparable dans le contexte de la destitution du grand chef du Conseil des Mohawks de Kanesatake, je crois que les mêmes considérations s’appliquent dans l’examen de la suspension et de la destitution possible de deux conseillers du conseil de la bande défenderesse. Comme dans l’affaire Gabriel, le poste de conseiller de la bande défenderesse est une charge politique à laquelle les demandeurs ont été élus par d’autres membres de la Première nation de Sucker Creek. La destitution de cette charge signifie que les demandeurs ne pourront pas défendre les politiques pour lesquelles ils ont été élus, que ce soit lors des réunions du conseil ou dans la collectivité en général. Cette situation causerait un préjudice irréparable non seulement aux demandeurs eux‑mêmes, mais également aux individus qui les ont élus pour les représenter en novembre 2006.

 

 

La prépondérance des inconvénients

 

[33]           Les demandeurs soutiennent que la prépondérance des inconvénients favorise leur réintégration au poste de conseiller de la bande défenderesse, du moins jusqu’à ce que la demande principale soit tranchée définitivement. Leurs arguments se fondent sur le point de vue selon lequel, si l’injonction n’est pas accordée, ils ne pourront pas gouverner les gens qui les ont élus et ces personnes seront privées de leurs représentants élus.

 

[34]           Afin de déterminer de quel côté penche la prépondérance des inconvénients, il est primordial de se demander qui est le plus susceptible de subir le plus grand préjudice du fait de la décision de la Cour.

 

[35]           Les demandeurs ont montré que la démocratie et leurs électeurs subiront un préjudice irréparable si l’injonction n’était pas accordée. D’abord, leur suspension est indéfinie, ce qui signifie qu’aucun calendrier précis n’a été établi pour l’enquête sur les allégations soulevées contre eux. Il ne reste qu’un an et huit mois au mandat des demandeurs. Chaque mois compte.

 

[36]           Par conséquent, la prépondérance des inconvénients favorise les demandeurs, leurs électeurs et la démocratie. On peut apaiser les doutes concernant le prétendu conflit d’intérêts en suspendant les demandeurs de leurs tâches relatives aux contrats avec ATCO jusqu’à ce que l’enquête soit terminée.

 

CONCLUSION

[37]           Pour ces motifs, la présente requête en injonction interlocutoire sera accueillie.

 

L’ENGAGEMENT CONCERNANT LES DOMMAGES‑INTÉRÊTS

[38]           Les demandeurs, George Prince et Paulette Campiou, se sont engagés à se conformer à toute ordonnance concernant les dommages‑intérêts découlant de la délivrance de l’injonction, comme l’exige le paragraphe 373(2) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106.

 

 


 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La présente requête visant l’obtention de l’injonction interlocutoire est accueillie avec dépens suivant l’issue de la cause;

2.                  Il est interdit aux défendeurs de suspendre les demandeurs de leur poste de conseiller conformément aux présents motifs de l’ordonnance;

3.                  Les défendeurs réintègrent les demandeurs à leur poste de conseiller avec traitement, rétroactif, et leur donnent accès à leurs bureaux.

 

 

 

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross, traductrice

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T‑440‑08

 

INTITULÉ :                                       GEORGE PRINCE ET AL.

                                                            c.

                                                            PREMIÈRE NATION DE SUCKER CREEK

                                                            NO 150A ET AL.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Edmonton (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 7 avril 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 15 avril 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Thomas Owen

 

POUR LES DEMANDEURS

Kenneth McLeod

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Owen Law

Edmonton (Alberta)

 

POUR LES DEMANDEURS

Walsh Wilkins Creighton LLP

Calgary (Alberta)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

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