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Date : 20080414

Dossier : T-1350-07

Référence : 2008 CF 476

Vancouver (Colombie-Britannique), le 14 avril 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'REILLY

 

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

 ET DE L’IMMIGRATION

 

demandeur

et

 

HENRY RIZKY MAGKUSASONO

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               M. Henry Rizky Mangkusasono a présenté une demande de citoyenneté canadienne en octobre 2006. En 2007, un juge de la citoyenneté a conclu que M. Mangkusasono avait rempli la condition de résidence prévue à l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29 (voir l’annexe A ci-jointe), et il a accueilli sa demande. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration interjette appel de la décision du juge au motif qu’elle était déraisonnable et qu’elle n’était pas suffisamment motivée. Le ministre me demande d’annuler la décision. Je suis d’accord avec le ministre et, par conséquent, je dois accueillir le présent appel.

 

I.        Questions en litige

  1. Le juge a-t-il insuffisamment motivé sa décision?
  2. La décision du juge était-elle déraisonnable?

 

II.     Analyse

1.      Le juge a-t-il insuffisamment motivé sa décision?

 

(a)  La condition de résidence

 

[2]               Les demandeurs de citoyenneté canadienne doivent établir qu’ils ont résidé au Canada pendant au moins trois ans dans les quatre ans qui ont précédé la date de leur demande (alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté). Ils peuvent satisfaire à cette condition en prouvant qu’ils ont été effectivement présents au Canada pendant au moins trois ans ou qu’ils ont établi et conservé des attaches solides avec le Canada, ce qui permet ainsi de calculer en leur faveur les périodes au cours desquelles ils se sont absentés, même s’ils n’ont pas été effectivement présents au Canada pendant la période requise de trois ans : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Nandre, 2003 CFPI 650.

 

(b)    Le contexte factuel

 

[3]               M. Mangkusasono est né à Jakarta, en Indonésie en 1977. Il est entré au Canada en tant qu’élève du secondaire en 1992 et a par la suite étudié en génie à l’Université de Toronto. Sa demande de citoyenneté a été déposée le 19 novembre 2006. Ainsi, pour satisfaire à la condition de résidence, il devait établir qu’il avait été effectivement présent pendant au moins trois ans au cours des quatre années ayant commencé le 19 novembre 2002, ou que le juge devait calculer en sa faveur les périodes au cours desquelles il s’était absenté en raison des attaches solides qu’il avait établies et conservées avec le Canada.

 

[4]               M. Mangkusasono s’est absenté du Canada à plusieurs reprises au cours de la période requise. Il a rendu visite à des amis et à des membres de sa famille à l’extérieur du Canada pendant des périodes relativement courtes, en 2003 et en 2004, mais il s’est absenté durant de longues périodes, en 2005 et en 2006, lorsqu’il étudiait en Allemagne. Il a été effectivement présent au Canada pendant seulement 736 jours et s’est absenté pendant 713 jours. Il lui manquait donc 359 jours pour satisfaire à la condition de résidence de trois ans (c’est-à-dire 1095 jours).

 

[5]               Afin de prouver qu’il avait établi sa résidence au Canada, M. Mangkusasono a présenté des copies de ses passeports actuel et antérieur, un état de ses fonds communs de placement et une lettre d’Épilepsie Canada le remerciant pour sa contribution à une campagne de charité menée en 2004. L’agent qui a examiné sa demande de citoyenneté a constaté qu’il manquait des pages dans les copies de ses passeports et qu’il n’avait fourni aucun document indiquant ses anciens lieux de résidence et ses antécédents professionnels au Canada. L’agent a recommandé que le dossier soit examiné par un juge de la citoyenneté.

(c)    La décision faisant l’objet de l’appel

 

[6]               Le juge de la citoyenneté a interrogé M. Mangkusasono et ensuite tiré la conclusion suivante :

            [traduction]

Après entrevue directe avec le client et réception des données de sauvegarde, je suis convaincu que le client satisfait à la condition de résidence. Au Canada depuis 1992, il s’est rendu en Allemagne pour faire des études de génie pétrolier. Possède une bonne connaissance du Canada.

 

 

[7]               Il semble donc que M. Mangkusasono ait fourni des « données » supplémentaires à l’appui de sa demande. Cependant, rien au dossier n’indique quels sont les renseignements que M. Mangkusasono aurait fournis.

 

[8]               Le ministre allègue que le juge n’a pas suffisamment motivé sa décision.

 

 

 

            (d)  L’obligation de motiver la décision

 

 

[9]               Prononcer des décisions motivées fait partie intégrante du rôle du juge. Les motifs servent à de nombreuses fins. Ils visent à assurer que les décisions sont soigneusement réfléchies. Ils expliquent les raisons pour lesquelles une partie a eu gain de cause ou une autre a été déboutée, selon le cas. Ils aident les parties à décider s’il y a lieu d’exercer d’autres recours, tels qu’un appel ou un contrôle judiciaire, et à formuler les moyens susceptibles d’être invoqués à l’appui de tels recours : R. c. Sheppard, [2002] 1 R.C.S. 869; Via Rail Canada Inc. c. Office national des transports (C.A.), [2001] 2 C.F. 25 (C.A.F.).

 

(e)    Analyse et conclusion

 

[10]           Dans l’arrêt Sheppard, précité, le juge Binnie a conclu que le juge du procès n’avait pas suffisamment motivé sa décision. Au procès, le juge avait simplement dit :

[traduction]

Après avoir examiné l’ensemble des témoignages en l’espèce et me rappelant le fardeau qui incombe au ministère public et la crédibilité des témoins, et la façon dont le tout doit être apprécié, je conclus que le défendeur est coupable des actes reprochés.

 

[11]           À mon avis, les motifs du juge de la citoyenneté dans la présente affaire sont tout aussi insuffisants. On ne sait pas quels éléments de preuve ont mené le juge à conclure que M. Mangkusasono avait satisfait à la condition de résidence ou quel a été son raisonnement pour en arriver à cette conclusion. Les motifs ne permettent tout simplement pas de discerner le fondement de la décision ou de procéder à un examen judiciaire valable sur le fond de la décision. Par conséquent, ils ne servent pas les fins pour lesquelles ils étaient destinés et sont donc insuffisants.

 

2.      La décision du juge était-elle déraisonnable?

 

[12]           Comme il a été expliqué, il est impossible de savoir si la décision du juge était raisonnable, compte tenu de l’insuffisance des motifs et de l’absence de renseignements au dossier à son appui. Comme le juge Binnie l’a indiqué dans l’arrêt Sheppard, il sera parfois possible de dégager l’analyse du décideur et, de ce fait, d’évaluer son caractère raisonnable au vu du dossier, même si les motifs écrits sont en soi insuffisants. La Cour d’appel fédérale a également reconnu cette possibilité dans l’arrêt Doucette c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), 2004 CAF 292. Dans cet arrêt, le juge Marc Nadon a conclu que les motifs « laconique[s] » de la Commission d'appel des pensions étaient suffisants dans les circonstances, étant donné qu’ils étaient fondés sur un rapport médical qui avait été versé au dossier. Cependant, une telle conclusion n’est pas possible dans les circonstances de l’espèce.

 

[13]           Par conséquent, je dois annuler la décision du juge de la citoyenneté. L’avocate de M. Mangkusasono m’a demandé, dans le cas où je conclurais que la décision ne peut être maintenue, de renvoyer l’affaire au juge de la citoyenneté pour qu’il motive suffisamment sa décision. Cependant, compte tenu de l’absence d’un dossier complet en l’espèce, je suis d’avis que cela ne serait pas approprié.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

 

1.         L’appel est accueilli. La décision du juge de la citoyenneté est annulée.

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Caroline Tardif, LL.B., B.A.Trad.
                                                                          Annexe A

 

Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29

 

Attribution de la citoyenneté

5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

a) en fait la demande;

b) est âgée d’au moins dix-huit ans;

c) est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante :

(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

 

Citizenship Act, R.S.C. 1985, c. C-29

Grant of citizenship

5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

(a) makes application for citizenship;

(b) is eighteen years of age or over;

(c) is a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his or her application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                T-1350-07

 

 

INTITULÉ :                                                               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

                                                                                    c.

                                                                                    HENRY RIZKY MANGKUSASONO

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 1ER AVRIL 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                      LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                                               LE 14 AVRIL 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Sharon Stewart Guthrie

 

  POUR LE DEMANDEUR

Wennie Lee

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada0

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Wennie Lee

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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