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Date : 20080414

Dossier : T‑737‑06

Référence : 2008 CF 475

Ottawa (Ontario), le 14 avril 2008

EN PRÉSENCE DU JUGE SUPPLÉANT BARRY STRAYER

 

 

ENTRE :

APOTEX INC.

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA SANTÉ,

SERVIER CANADA INC. et ADIR

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

Introduction

 

[1]               La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision du ministre de la Santé (le ministre) de subordonner à l’article 5 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le Règlement sur les médicaments brevetés) sa demande d’avis de conformité pour l’apo‑perindopril en cachets de 2 mg et de 4 mg. Je dois aussi statuer sur une requête de Servier Canada Inc. et ADIR (Servier), qui sollicitent le rejet de la demande de contrôle judiciaire au motif qu’elle est devenue théorique ou au motif que la demanderesse ne peut plus prétendre aujourd’hui qu’elle n’est pas tenue de se conformer à l’article 5 du Règlement sur les médicaments brevetés.

Dispositions réglementaires

 

[2]               Pour faciliter les explications qui suivent, je reproduis ici les dispositions réglementaires les plus utiles. Les articles sont cités tels qu’ils existaient aux époques pertinentes.

 

Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité)

2. Les définitions qui suivent s’appliquent au présent règlement,

 

[…]

 

« avis de conformité » Avis délivré au titre de l’article C.08.004 du Règlement sur les aliments et drogues. (notice of compliance)

 

[…]

 

5.(1) Lorsqu’une personne dépose ou a déposé une demande d’avis de conformité pour une drogue et la compare, ou fait référence, à une autre drogue pour en démontrer la bioéquivalence d’après les caractéristiques pharmaceutiques et, le cas échéant, les caractéristiques en matière de biodisponibilité et que l’autre drogue a été commercialisée au Canada conformément à un avis de conformité délivré à une première personne et à l’égard duquel une liste de brevets a été soumise, elle doit inclure dans la demande, à l’égard de chaque brevet inscrit au registre qui se rapporte à cette autre drogue :

2. In these Regulations,

 

 

 

 

“notice of compliance” means a notice issued under section C.08.004 of the Food and Drug Regulations; (avis de conformité)

 

 

5(1) Where a person files or has filed a submission for a notice of compliance in respect of a drug and compares that drug with, or makes reference to, another drug for the purpose of demonstrating bioequivalence on the basis of pharmaceutical and, where applicable, bioavailability characteristics and that other drug has been marketed in Canada pursuant to a notice of compliance issued to a first person and in respect of which a patent list has been submitted, the person shall, in the submission, with respect to each patent on the register in respect of the other drug …

[Le paragraphe 5(1) dispose ensuite que l’auteur de la demande d’avis de conformité doit soit déclarer qu’il reconnaît que l’avis de conformité ne sera pas délivré avant l’expiration du brevet, soit contester la pertinence ou la validité du brevet.]

 

Règlement sur les aliments et drogues

C.08.001.1. Les définitions qui suivent s’appliquent au présent titre.

« équivalent pharmaceutique » S’entend d’une drogue nouvelle qui, par comparaison à une autre drogue, contient les mêmes quantités d’ingrédients médicinaux identiques, sous des formes posologiques comparables, mais pas nécessairement les mêmes ingrédients non médicinaux.

 

« produit de référence canadien » Selon le cas :

 

a) une drogue pour laquelle un avis de conformité a été délivré aux termes de l’article C.08.004 et qui est commercialisée au Canada par son innovateur;

 

 

[…]

 

c) une drogue jugée acceptable par le ministre qui peut être utilisée pour la détermination de la bioéquivalence d’après les caractéristiques pharmaceutiques et, le cas échéant, les caractéristiques en matière de biodisponibilité, par comparaison à une drogue visée à l’alinéa a). (Canadian reference product)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[…]

 

C.08.002. (1) Il est interdit de vendre ou d’annoncer une drogue nouvelle, à moins que les conditions suivantes ne soient réunies :

 

a) le fabricant de la drogue nouvelle a, relativement à celle‑ci, déposé auprès du ministre une présentation de drogue nouvelle ou une présentation abrégée de drogue nouvelle que celui‑ci juge acceptable;

 

[…]

 

C.08.002.1. (1) Le fabricant d’une drogue nouvelle peut déposer à l’égard de celle‑ci une présentation abrégée de drogue nouvelle si, par comparaison à un produit de référence canadien :

 

a) la drogue nouvelle est un équivalent pharmaceutique du produit de référence canadien;

 

 

b) elle est bioéquivalente au produit de référence canadien d’après les caractéristiques pharmaceutiques et, si le ministre l’estime nécessaire, d’après les caractéristiques en matière de biodisponibilité;

 

c) la voie d’administration de la drogue nouvelle est identique à celle du produit de référence canadien;

 

d) les conditions thérapeutiques relatives à la drogue nouvelle figurent parmi celles qui s’appliquent au produit de référence canadien.

[…]

 

 

C.08.004. (4) L’avis de conformité délivré à l’égard d’une drogue nouvelle d’après les renseignements et le matériel contenus dans la présentation déposée conformément à l’article C.08.002.1 indique le nom du produit de référence canadien mentionné dans la présentation et constitue la déclaration d’équivalence de cette drogue.

DORS/84‑267, art. 1 à 3; DORS/85‑143, art. 3; DORS/86‑1009, art. 1; DORS/86‑1101, art. 1; DORS/88‑42, art. 1; DORS/88‑257, art. 1; DORS/95‑411, art. 6.

 

C.08.001.1. For the purposes of this Division,

 

“Canadian reference product” means

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(a) a drug in respect of which a notice of compliance is issued pursuant to section C.08.004 and which is marketed in Canada by the innovator of the drug.

 

 

(c) a drug, acceptable to the Minister, that can be used for the purpose of demonstrating bioequivalence on the basis of pharmaceutical and, where applicable, bioavailability characteristics, in comparison to a drug referred to in paragraph (a); (produit de référence canadien)

 

“pharmaceutical equivalent” means a new drug that, in comparison with another drug, contains identical amounts of the identical medicinal ingredients, in comparable dosage forms, but that does not necessarily contain the same non‑medicinal ingredients; (équivalent pharmaceutique)

 

 

C.08.002. (1) No person shall sell or advertise a new drug unless

 

 

 

(a) the manufacturer of the new drug has filed with the Minister a new drug submission or an abbreviated new drug submission relating to the new drug that is satisfactory to the Minister;

 

 

 

C.08.002.1. (1) A manufacturer of a new drug may file an abbreviated new drug submission for the new drug where, in comparison with a Canadian reference product,

 

 

(a) the new drug is the pharmaceutical equivalent of the Canadian reference product;

 

(b) the new drug is bioequivalent with the Canadian reference product, based on the pharmaceutical and, where the Minister considers it necessary, bioavailability characteristics;

 

(c) the route of administration of the new drug is the same as that of the Canadian reference product; and

 

(d) the conditions of use for the new drug fall within the conditions of use for the Canadian reference product.

 

 

 

C.08.004. (4) A notice of compliance issued in respect of a new drug on the basis of information and material contained in a submission filed pursuant to section C.08.002.1 shall state the name of the Canadian reference product referred to in the submission and shall constitute a declaration of equivalence for that new drug.

SOR/84‑267, ss. 1 to 3; SOR/85‑143, s. 3; SOR/86‑1009, s. 1; SOR/86‑1101, s. 1; SOR/88‑42, s. 1; SOR/88‑257, s. 1; SOR/95‑411, s. 6.

 

Les faits

 

[3]               Le 6 mars 2001, le brevet canadien 1,341,196 (le brevet 196) a été délivré à ADIR. Servier a, semble‑t‑il, le droit d’exploiter le brevet au Canada. Le brevet contient des revendications concernant le perindopril et ses sels de qualité pharmaceutique. Servier a obtenu, le 16 octobre 2002 ou vers cette date, un avis de conformité pour un médicament contenant l’un de ces sels, en cachets de 2 mg, 4 mg et 8 mg. Le 15 mars 2001 ou vers cette date, Servier avait, en vertu de l’article 4 du Règlement sur les médicaments brevetés, déposé des listes de brevets faisant état du brevet 196 pour le COVERSYL en comprimés de 2 mg et de 4 mg. Elle n’a pas déposé de liste de brevets pour le COVERSYL en comprimés de 8 mg. Cette omission reste inexpliquée. C’est à cause d’elle que toute cette procédure a été introduite devant la Cour.

 

[4]               Le 1er décembre 2005, la demanderesse a déposé sa présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN) pour l’apo‑perindopril en comprimés de 2 mg, 4 mg et 8 mg. Selon le témoignage d’un agent de la Direction des produits thérapeutiques (DPT) de Santé Canada (je ne trouve aucune présentation du genre dans les pièces produites), cette présentation utilisait comme produit de référence canadien le COVERSYL en comprimés de 2 mg, 4 mg et 8 mg. La demanderesse a été  informée par la DPT qu’elle devait se référer au brevet 196 pour le COVERSYL en comprimés de 2 mg et de 4 mg, mais la DPT a confirmé que le Règlement sur les médicaments brevetés ne s’appliquait pas aux comprimés de 8 mg parce qu’ils ne figuraient pas au registre des brevets. La demanderesse a alors retiré sa demande et produit une nouvelle PADN le 23 décembre 2005. Dans cette PADN, elle supprimait les données comparatives de l’apo‑perindopril en comprimés de 2 mg et de 4 mg. Elle n’incluait des études de biodisponibilité que pour le COVERSYL en comprimés de 8 mg et sollicitait une dispense de présentation de données additionnelles sur la biodisponibilité pour ses comprimés de 2 mg et de 4 mg, en invoquant la politique de Santé Canada sur les formulations proportionnelles. Selon cette politique émise par la DPT, il serait généralement admis que, lorsqu’un produit est commercialisé sous plus d’un dosage, et si la formulation de chaque dosage contient les mêmes ingrédients selon les mêmes proportions, une simple étude comparative de biodisponibilité pour un dosage du produit de référence canadien peut être extrapolée pour tous les dosages de la série. La demanderesse a donc prétendu qu’elle ne devait faire des comparaisons de biodisponibilité que par rapport au COVERSYL en dosages de 8 mg, et que l’on pouvait présumer que ses dosages de 2 mg et de 4 mg constituaient une biodisponibilité comparable. Elle prétendait donc qu’elle ne comparait pas ses dosages de 2 mg et de 4 mg aux drogues de la liste de brevets, à savoir le COVERSYL en comprimés de 2 mg et de 4 mg. Un débat considérable a eu lieu entre la demanderesse et la DPT, et une abondante correspondance a été échangée entre elles, mais la position de la DPT dont se plaint ici la demanderesse est sans doute le mieux décrite dans une lettre du 12 janvier 2006 adressée par la DPT au Dr B. Sherman, président et directeur exécutif de la demanderesse, lettre qui se lit comme suit :

[traduction]

Notre position est plutôt qu’Apotex doit, en application du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), se référer aux brevets indiqués pour le Coversyl en dosages de 2 mg et de 4 mg, et cela parce qu’une présentation abrégée de drogue nouvelle, selon l’article C.08.002.1 du Règlement sur les aliments et drogues, requiert l’inclusion d’une comparaison avec un produit de référence canadien, afin que soit démontrée la bioéquivalence. Cela suffit à déclencher l’application du paragraphe 5(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) et oblige Apotex à considérer les brevets énumérés pour le Coversyl en dosages de 2 mg et de 4 mg.

 

Autrement dit, une dispense de l’obligation de présenter des études de biodisponibilité pour vos dosages de 2 mg et de 4 mg, en application de la politique de la DPT appelée « Bioéquivalence des formulations proportionnelles – Formes pharmaceutiques orales solides » n’empêche pas que, si un avis de conformité est délivré, les dosages de 2 mg et de 4 mg du Coversyl vaudront comme produits de référence canadiens, respectivement pour vos dosages de 2 mg et de 4 mg. De l’avis de la DPT, ne pas obliger Apotex à considérer les brevets énumérés pour les dosages de 2 mg et de 4 mg du Coversyl au motif qu’Apotex n’a produit d’études de bioéquivalence que pour le dosage de 8 mg du Coversyl, équivaudrait à éluder le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité).

 

Vous devez donc, conformément à l’article 5 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), considérer les brevets énumérés pour le Coversyl en comprimés de 2 mg et de 4 mg.

 

Subsidiairement, la DPT fait observer que, même si elle admettait que le paragraphe 5(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) n’est pas applicable, le paragraphe 5(1.1) s’appliquerait à votre cas. Dans l’arrêt Bristol‑Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général), 2005 1 R.C.S. 533, la Cour suprême du Canada a confirmé que, dans de tels cas, « [s]i l’approbation d’un produit générique est liée aux travaux d’une autre société pharmaceutique à l’égard de laquelle une liste de brevets a été soumise […], cette approbation sera visée par le paragraphe 5(1.1) ».

 

Il est admis ici par les parties que le paragraphe 5(1.1) du Règlement sur les médicaments brevetés n’intéresse plus la présente instance.

 

[5]               Nonobstant sa correspondance plutôt énergique envoyée à la DPT, dans laquelle elle maintenait que l’article 5 du Règlement sur les médicaments brevetés ne s’appliquait pas à ses comprimés de 2 mg et 4 mg, la demanderesse a déposé, le 15 février 2006, des formulaires 5 attestant que, afin de démontrer la bioéquivalence de ses comprimés de 2 mg et 4 mg, elle les avait comparés, ou avait fait référence, aux comprimés de 2 mg et 4 mg de COVERSYL, et reconnaissant que l’avis de conformité ne serait pas délivré avant l’expiration du brevet 196. Le 27 novembre 2007, jour où la présente demande a été plaidée devant moi, la demanderesse, à l’insu de la Cour, a envoyé à Servier, en vertu de l’article 5 du Règlement sur les médicaments brevetés, un avis d’allégation affirmant que le brevet 196 était invalide. Apprenant cela, l’avocat de Servier a porté ce fait à l’attention de la Cour, et j’ai donné des directives qui autorisaient Servier à déposer une requête écrite en rejet de la demande pour cause de caractère théorique de l’instance ou pour cause de préclusion. Les trois parties ont par la suite déposé des conclusions. Le 11 janvier 2008, en réponse à l’avis d’allégation déposé par la demanderesse le 27 novembre 2007, Servier a déposé devant la Cour, sous le numéro du greffe T‑45‑08, une demande de prohibition en vue d’empêcher le ministre de délivrer à la demanderesse un avis de conformité pour l’apo‑perindopril en comprimés de 2 mg et 4 mg, et cela jusqu’à l’expiration du brevet 196.

 

Analyse

 

Requête en rejet de la demande

 

[6]               À mon avis, le point principal soulevé par cette requête est de savoir si je devrais exercer mon pouvoir discrétionnaire de rejeter la demande en raison de son caractère théorique, en application des critères exposés, par exemple, par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, pages 353‑356. La question essentielle est de savoir s’il subsiste un litige actuel ou si, par ses actes, la demanderesse a admis que l’article 5 s’applique à la délivrance d’un avis de conformité pour ses comprimés de 2 mg et de 4 mg. Je dois d’abord confirmer que, selon moi, il était loisible à Servier de produire, dans cette requête, une preuve nouvelle portant sur des faits survenus après l’audition de la demande. Il est implicite, dans l’arrêt Borowski, que, jusqu’à la date du jugement, des événements peuvent se produire qui rendront l’instance théorique. Ici, Servier a produit devant la Cour une preuve qui pourrait avoir cet effet, et il m’appartenait de l’examiner.

 

[7]               L’affaire n’est pas exempte de doute, mais je suis arrivé à la conclusion qu’il m’est impossible de dire avec certitude que les actes de la demanderesse ont rendu théorique la demande initiale. Ainsi que l’écrivait le juge Hughes dans la décision Ferring Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2007 CF 300, confirmé par 2007 CAF 276, aux paragraphes 81 à 84, la question de savoir si une demande d’avis de conformité est ou non régie par l’article 5 du Règlement sur les médicaments brevetés fait intervenir les attributions du ministre. Si la demande d’avis de conformité entre dans les paramètres de l’article 5, il ne peut pas délivrer l’avis de conformité, mais, si la demande est par ailleurs régulière et qu’elle n’entre pas dans les paramètres de l’article 5, il doit alors délivrer l’avis de conformité. Il s’agit essentiellement d’une question d’attributions légales. À mon avis, la demanderesse ne saurait conférer au ministre le pouvoir d’appliquer l’article 5 à sa demande en déposant des formulaires V ou en envoyant un avis d’allégation qui suppose que l’article 5 est applicable à ses comprimés de 2 mg et 4 mg.

 

[8]               Servier fait aussi valoir que la demanderesse ne peut pas prétendre que l’article 5 ne s’applique pas alors qu’elle a fait une autre démarche qui suppose que l’article 5 s’applique – c’est‑à‑dire en envoyant un avis d’allégation selon l’article 5. Les précédents cités à l’appui se rapportent à des litiges ordinaires et semblent concerner un genre de préjudice causé à la partie adverse par un plaideur qui a modifié sa position. Il ne s’agit pas là de litiges classiques, et il ne me semble pas non plus qu’il a été porté préjudice à la position de Servier. On peut considérer que, par ses actes, la demanderesse voulait d’une part maintenir sa position selon laquelle le ministre n’a pas le pouvoir de refuser sa demande d’avis de conformité pour ses comprimés de 2 mg et de 4 mg, et d’autre part prendre les mesures nécessaires pour poursuivre sa demande au cas où le ministre jugerait que l’article 5 est applicable.

 

[9]               Je ne suis donc pas disposé à rejeter la demande pour les motifs avancés dans la requête de Servier. En revanche, je ne veux pas encourager ce genre de procédures multiples, qui consomment le temps et les ressources de la Cour et des parties. Je rejetterai donc la requête de Servier, sans dépens, car je suis d’avis que Servier a, par cette requête, soulevé une question sérieuse, en raison de la multiplicité des recours exercés simultanément par la demanderesse.

 

Demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision du ministre

 

[10]           La demanderesse fait valoir essentiellement qu’elle n’a pas comparé ses dosages de 2 mg et de 4 mg aux dosages de 2 mg et 4 mg du COVERSYL. Elle a demandé que soit émis un avis de conformité pour ses dosages de 2 mg, 4 mg et 8 mg, mais elle dit que, si elle ne s’est référée à des données de biodisponibilité que pour le dosage de 8 mg de Servier, c’est parce qu’elle s’est fondée sur des études de biodisponibilité comparant ses dosages de 2 mg et de 4 mg aux dosages de 8 mg de COVERSYL, par application de la politique de proportionnalité.

 

[11]           La décision du ministre qui est en cause ici est essentiellement une décision selon laquelle, en vertu du paragraphe 5(1) du Règlement sur les médicaments brevetés, la demanderesse, dans sa PADN se rapportant aux dosages de 2 mg et de 4 mg de l’apo‑perindopril, a comparé ces drogues aux comprimés de 2 mg et de 4 mg de COVERSYL, ou a fait référence à tels comprimés, pour en démontrer la bioéquivalence. Selon moi, il s’agit là essentiellement d’une question de droit portant sur l’interprétation de l’article 5 à l’égard du Règlement sur les aliments et drogues, et la norme de contrôle doit être celle de la décision correcte : voir l’arrêt AstraZeneca Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), [2006] 2 R.C.S. 560, paragraphe 25. La Cour d’appel fédérale a jugé que, lorsque le ministre décide si une drogue est le bioéquivalent d’une autre, sa décision appelle un niveau élevé de retenue (Reddy‑Cheminor Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2004 CAF 102, paragraphe 8), mais là n’est pas la question ici. Il s’agit plutôt de savoir si la demanderesse, en sollicitant un avis de conformité pour ses comprimés de 2 mg et de 4 mg sur la foi des essais et de l’approbation des dosages de 2 mg et de 4 mg du COVERSYL, comparait ses drogues aux drogues de 2 mg et de 4 mg de Servier. J’estime que cela fait seulement intervenir l’interprétation de l’article 5, et la norme de contrôle est celle de la décision correcte.

 

[12]           Comme je l’indique plus loin, je suis d’avis que la décision du ministre était juste, mais, si la norme de la décision correcte n’est pas la norme à appliquer ici, alors, pour les mêmes motifs, je conclurais que la décision était raisonnable. (L’arrêt récent de la Cour suprême du Canada, Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] A.C.S. n° 9, a été rendu après que la présente demande fut plaidée. Dans la mesure où cet arrêt abolissait la norme de la décision manifestement déraisonnable (voir les paragraphes 43 à 50), il n’intéresse pas la présente affaire. Les juges majoritaires écrivaient cependant que de nombreuses décisions administratives portant sur l’interprétation des lois appellent la retenue que comporte la norme de la décision raisonnable (voir l’arrêt Dunsmuir, paragraphes 66 à 71). La décision du ministre dont il s’agit ici, celle selon laquelle le paragraphe 5(1) du Règlement sur les médicaments brevetés s’applique à la PADN de la demanderesse, entre sans doute dans ce genre de décisions de nature juridique. Pour les motifs indiqués, je ne crois pas nécessaire de déterminer laquelle des normes restantes s’applique ici, puisque la décision du ministre répond aux deux normes.)

 

[13]           À mon avis, l’interprétation donnée ici par le ministre est juste, pour les motifs exposés par la DTP dans sa lettre du 12 janvier 2006 adressée au président et directeur exécutif de la demanderesse. On doit d’abord comprendre le lien qui existe entre le Règlement sur les médicaments brevetés et le Règlement sur les aliments et drogues, cités plus haut. À l’article 2 du Règlement sur les médicaments brevetés, un « avis de conformité » est un avis délivré au titre de l’article C.08.004 du Règlement sur les aliments et drogues. Par conséquent, pour savoir si, dans le dessein de démontrer une bioéquivalence, une PADN compare la drogue qui est l’objet de cette PADN à une autre drogue, ou si ladite PADN fait référence à cette autre drogue, il faut se référer aux exigences du Règlement sur les aliments et drogues. D’après l’alinéa C.08.002.1(1)a) de ce règlement, une PADN doit établir une « comparaison [avec] un produit de référence canadien » dont la drogue nouvelle est l’« équivalent pharmaceutique ». La définition d’un « équivalent pharmaceutique », à l’article C.08.001.1, est la suivante : une drogue nouvelle qui « contient les mêmes quantités d’ingrédients médicinaux identiques, sous des formes posologiques comparables ». [Non souligné dans l’original.] Selon l’alinéa a) de la définition d’un « produit de référence canadien », à l’article C.08.001.1, un tel produit est une drogue pour laquelle un avis de conformité a été délivré et qui est commercialisée au Canada par son innovateur, ce qui, dans le cas présent, engloberait le COVERSYL en dosages de 2 mg, 4 mg et 8 mg. Ainsi, une PADN doit établir une comparaison avec un « produit de référence canadien » dont la drogue nouvelle est l’équivalent pharmaceutique, ce qui signifie qu’elle doit contenir les mêmes quantités d’ingrédients médicinaux identiques, sous des formes posologiques comparables. Cela signifie, à l’évidence, que, lorsque le paragraphe 5(1) du Règlement sur les médicaments brevetés parle d’une seconde personne qui compare sa drogue à une autre drogue qui a déjà été commercialisée au Canada, cela doit s’entendre d’une référence (comme le requiert l’article C.08.002.1 du Règlement sur les aliments et drogues) à chaque équivalent pharmaceutique des drogues comprises dans la PADN, à savoir chaque dosage pour lequel est demandé un avis de conformité. Par ailleurs, selon l’alinéa C.08.002.1b), la PADN doit montrer que la drogue nouvelle est un bioéquivalent du produit de référence canadien, ce qui signifie chaque drogue à l’égard de laquelle est demandé l’avis de conformité et qui est commercialisée au Canada par son innovateur. S’agissant de chacun de ces dosages, la demanderesse doit, pour une PADN, montrer que la ou les drogues, dont chacune est l’équivalent pharmaceutique d’une drogue existante, déjà commercialisée, à laquelle elle doit être comparée, sont des bioéquivalents de ce « produit de référence canadien », d’après les caractéristiques pharmaceutiques et, « si le ministre l’estime nécessaire, d’après les caractéristiques en matière de biodisponibilité ». Lorsqu’il délivre un avis de conformité, le ministre doit certifier l’équivalence de chaque dosage, dans l’avis de conformité, par rapport à un produit de référence canadien de forme posologique comparable : voir le paragraphe C.08.004(4).

 

[14]           Ce que la demanderesse a fait ici, dans sa PADN modifiée, a été de fournir des études de biodisponibilité comparant ses dosages au dosage de 8 mg du COVERSYL. Le ministre a appliqué la politique de proportionnalité et l’a laissée établir par ce moyen la bioéquivalence pour les comprimés de 2 mg et de 4 mg. Pour cette raison, la demanderesse affirme qu’elle n’avait pas comparé ses dosages de 2 mg et 4 mg à ceux du COVERSYL. Mais, pour les motifs exposés plus haut, elle était tenue de faire cette comparaison si elle voulait obtenir un avis de conformité pour les dosages de 2 mg et 4 mg. Il me semble que les âmes dirigeantes de la demanderesse ont confondu deux choses. Il y a obligation de faire une comparaison, comme le requièrent le paragraphe 5(1) du Règlement sur les médicaments brevetés, ainsi que l’article C.08.001.1 et les paragraphes C.08.002.1(1) et C.08.004(4) du Règlement sur les aliments et drogues, avec chacun des équivalents pharmaceutiques du produit de référence canadien. Cela veut dire une comparaison avec chaque dosage visé par le brevet. Elles ont confondu cette obligation avec l’obligation de démontrer la bioéquivalence de chaque dosage avec le produit de référence canadien, obligation qui pouvait être assouplie puisqu’elle l’avait été suivant la politique de proportionnalité. Cet assouplissement ne signifie pas que la comparaison n’est plus obligatoire pour chaque forme posologique de la drogue protégée par le brevet.

 

[15]           Ce qui précède s’accorde avec l’esprit du Règlement sur les médicaments brevetés, dont l’objet est de s’assurer que les fabricants de produits génériques qui souhaitent se dispenser des obligations normales d’essai pour chaque dosage des drogues qu’ils veulent vendre comparent ces drogues, selon chaque dosage pour lequel ils sollicitent un avis de conformité, aux drogues déjà soumises à des essais et commercialisées par des sociétés innovantes. La Cour d’appel fédérale a refusé aux fabricants de produits génériques la possibilité de s’en remettre indirectement au travail de sociétés innovantes, par comparaison de leurs drogues avec les drogues d’autres fabricants de produits génériques qui ont déjà comparé les leurs et celles de la société innovante : voir Nu‑Pharm c. Canada (Procureur général), [1998] A.C.F. n° 274; Merck & Co. c. Nu‑Pharm Inc., [2000] A.C.F. n° 380. Ce que la demanderesse cherche à faire ici serait également une tentative de s’en remettre indirectement aux essais et à l’approbation des dosages de 2 mg et de 4 mg du COVERSYL, qui figurent dans une liste de brevets, et ainsi de se soustraire à la protection par brevet déjà conférée à ces dosages.

 

Dispositif

 

[16]           La présente demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée, avec dépens en faveur de Servier et du ministre.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La requête de Servier Canada Inc. et d’ADIR en rejet sommaire de la demande est rejetée, sans dépens;

 

2.                  La demande de contrôle judiciaire contre la décision du ministre de la Santé d’appliquer le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) à la présentation faite par la demanderesse en vue d’obtenir un avis de conformité pour ses comprimés de 2 mg et de 4 mg d’apo‑perindopril est rejetée, avec dépens en faveur du ministre de la Santé et de Servier Canada Inc.

 

 

  « Barry L. Strayer »

Juge suppléant

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T‑737‑06

 

INTITULÉ :                                                   APOTEX INC.

c.

LE MINISTRE DE LA SANTÉ,

                                                                        SERVIER CANADA INC. et ADIR

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 27 NOVEMBRE 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :              LE JUGE SUPPLÉANT STRAYER

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 14 AVRIL 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

H.B. Radomski

Daniel Cohen

 

POUR LA DEMANDERESSE

F.B. Woyiwada (Min. de la Santé)

Brian Daley (Servier Canada Inc.)

Laetitia Caporicci (Servier Canada Inc.)

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Goodmans

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

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