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Date : 20080411

Dossier : IMM-4283-07

Référence : 2008 CF 467

Toronto (Ontario), le 11 avril 2008

En présence de madame la juge Tremblay-Lamer

 

 

ENTRE :

HA YOON SONG,

SEON OCK SHON,

HYE IN SONG [représentée par son tuteur à l’instance],

HYE WON SONG [représentée par son tuteur à l’instance]

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), d’une décision datée du 6 septembre 2007 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) concluait que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention selon l’article 96 de la Loi, ni des « personnes à protéger » selon l’article 97 de la Loi.

 

CONTEXTE

[2]               Les demandeurs, un homme, son épouse et leurs deux fillettes, tous citoyens de la Corée du Sud, allèguent qu’ils craignent avec raison d’être persécutés et qu’ils seraient exposés à une menace à leur vie par des usuriers en Corée du Sud. 

 

[3]               La demanderesse a allégué que les usuriers ont fait usage de violence à son endroit et qu’ils l’ont agressée sexuellement pour tenter d’obtenir le remboursement d’un prêt qu’ils lui avaient consenti en mai ou juin 2000. Après avoir épousé la demanderesse en 2003, le demandeur a allégué que lui-même et ses deux fillettes ont également été pris pour cible et attaqués en vue du remboursement de la somme empruntée par son épouse. 

 

[4]               Les demandeurs sont entrés au Canada le 9 août 2005 et ont demandé l’asile le 9 septembre de la même année.

 

[5]               Dans une décision rendue le 6 septembre 2007, la Commission a rejeté les demandes d’asile présentées par les demandeurs au motif qu’ils ne s'étaient pas acquittés de l'obligation qui leur incombait de démontrer l'impossibilité pour eux de se prévaloir de la protection de l’État. Il existait une présomption selon laquelle la Corée du Sud, en tant que démocratie fonctionnelle, avait la capacité de protéger ses citoyens, présomption qui ne pouvait être réfutée que par une preuve claire et convaincante.

 

NORME DE CONTRÔLE

[6]               Récemment, dans la décision Eler c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 334, ma collègue la juge Dawson s’est penchée sur la norme de contrôle applicable à la question de la protection de l’État et, à la lumière du récent arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, elle a conclu que la norme applicable est celle de la décision raisonnable

 

[7]                 Selon l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, l’analyse de la décision de la Commission en fonction de la norme de la décision raisonnable tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, [ainsi qu’à] l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

ANALYSE

[8]               La question déterminante dans la présente affaire porte sur l’existence d’une protection adéquate de l’État en Corée du Sud.

 

[9]               Les demandeurs soutiennent que, bien que la Corée du Sud soit une démocratie constitutionnelle, qu’elle contrôle efficacement ses forces de sécurité et qu’elle respecte les droits de la personne, la police n’a pas été en mesure de leur fournir une protection après qu’ils eurent été abordés par les usuriers, et qu’il en a résulté que la demanderesse a été agressée sexuellement. 

 

[10]           La norme, en ce qui concerne la protection de l’État n’est pas la perfection laquelle est impossible à atteindre même dans les démocraties les plus développées, mais plutôt le caractère adéquat : (Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Villafranca, [1992] A.C.F. no 1189 (QL); Zalzali c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] 3 C.F. 605, [1991] A.C.F. no 341 (QL), au paragraphe 21). L’omission de la police de fournir une protection à la demanderesse, quoique importante, ne révèle pas à elle seule une protection inadéquate de l’État, mais plutôt l’absence de protection locale (Di Nasso c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1354, [2003] A.C.F. no 1793 (QL), au paragraphe 12).

 

[11]           Selon l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, aux pages 724 et 725, si l’incapacité de l’État d’assurer la protection n’est pas « confirmée d’une façon claire et convaincante », il y a lieu de présumer que l’État a la capacité de protéger ses citoyens. En outre, la Cour suprême du Canada a précisé qu’un demandeur pourrait présenter, par exemple, « le témoignage de personnes qui sont dans une situation semblable à la sienne et que les dispositions prises par l’État pour les protéger n’ont pas aidées, ou son propre témoignage au sujet d’incidents personnels antérieurs au cours desquels la protection de l’État ne s’est pas concrétisée ».

 

[12]           La preuve documentaire sur la situation qui règne dans le pays peut également établir la volonté et la capacité de l’État de protéger ses citoyens en montrant l’existence et l’efficacité de mécanismes de protection (Lopez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1341, [2007] A.C.F. no 1733 (QL), au paragraphe 19). En outre, lorsque la Commission dispose d’une preuve documentaire qui contredit ses conclusions, elle doit fournir les motifs pour lesquels la preuve contradictoire n’a pas été jugée pertinente ou digne de foi (Simpson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 970, [2006] A.C.F. no 1224 (QL), au paragraphe 44; Castillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 56, [2004] A.C.F. no 43 (QL), au paragraphe 9; Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1425 (QL), au paragraphe 15). L’omission de le faire donnera lieu à une erreur susceptible de contrôle.

 

[13]           Il est également bien établi que l’obligation d’épuiser tous les recours en vue de l’obtention de la protection de l’État s’accroît avec le degré de démocratie atteint par l’État visé (Kadenko c. Canada (Solliciteur général) (1996), 143 D.L.R. (4th) 532, à la page 534, [1996] A.C.F. n1376 (QL), au paragraphe 5; Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, [2007] A.C.F. no 584 (QL), au paragraphe 57).

 

[14]           Comme l’a correctement énoncé la Commission, la Corée du Sud est une démocratie fonctionnelle et, de ce fait, elle est présumée avoir la capacité de protéger ses citoyens. Comme l’a indiqué ma collègue la juge Johanne Gauthier dans la décision Capitaine c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 98, [2008] A.C.F. no 181 (QL), au paragraphe 21, « [d]ans les démocraties développées comme les É.‑U. et Israël, il ressort clairement de l’arrêt Hinzman (aux paragraphes 46 et 57) que pour réfuter la présomption de la protection de l’État, cette preuve doit comprendre la preuve qu’un demandeur a épuisé tous les recours dont il disposait ». Cependant, la situation est différente dans le cas des démocraties développées dont la position dans l’« éventail démocratique » est susceptible de commander une présomption plus faible, ce qui n’est pas le cas de la Corée du Sud.

 

[15]           J’ajouterais que l’omission de mentionner certains éléments de la preuve documentaire au sujet de la violence faite aux femmes n’était pas fatale pour la décision, étant donné que ces éléments n’étaient pas directement liés à la question de la protection de l’État.

 

[16]           Dans la même veine, je conclus que l’argument des demandeurs, selon lequel la Commission aurait dû examiner l’extrait tiré du rapport du Département d’État des États‑Unis (8 mars 2006) indiquant que la corruption n’avait pas été éliminée du quotidien en Corée du Sud, n’est pas convaincant. Cet extrait ne permet pas d’établir que la corruption prévaut chez les autorités sud‑coréennes, et il ne constitue pas une preuve contradictoire devant être examinée conformément  à la décision Cepeda-Gutierrez, précitée.

 

[17]           Bien que les tentatives des demandeurs d’obtenir la protection de la police aient été infructueuses, vu la preuve documentaire sur la capacité de l’État d’offrir une protection contre les usuriers, et vu le fait que les demandeurs n’ont pas fait d’autres tentatives pour obtenir la protection, il était raisonnable que la Commission conclut que l’État avait la capacité de les protéger. 

 

[18]           Quant à l’argument des demandeurs selon lequel la Commission a commis des erreurs de fait, je conclus que celle-ci n’a commis aucune erreur en soulignant que la demanderesse avait déclaré avoir cherché à obtenir la protection de l’État à deux reprises, en janvier 2001 et en novembre 2002, alors que son exposé circonstancié modifié indiquait qu’elle avait cherché à obtenir la protection de l’État en une seule occasion. En effet, l’exposé circonstancié de la demanderesse indique qu’elle a cherché à obtenir une protection à ces deux moments, mais la transcription de l’audience (dossier du tribunal, pages 354 à 356) révèle que la Commission doutait en fait du témoignage de la demanderesse selon lequel elle aurait porté plainte à la police à deux reprises en novembre 2002, avant et après l’agression. Ce doute découlait du fait que, dans son exposé circonstancié modifié, la demanderesse avait seulement mentionné qu’elle s’était adressée à la police en une seule occasion ce mois-là.

 

[19]           En ce qui concerne le demandeur, bien que la déclaration de la Commission selon laquelle « le demandeur d’asile n’a pas cherché à obtenir la protection de l’État » puisse être ambiguë, étant donné que la Commission mentionne qu’il a communiqué avec la police locale, je suis convaincue que la Commission était au courant de cette tentative, mais qu’elle a jugé que la preuve produite par le demandeur ne suffisait pas à réfuter la présomption de la protection de l’État.

 

[20]           Enfin, les demandeurs plaident que la Commission a commis une erreur en ne procédant pas à l’analyse de chacune des demandes visant les enfants mineures, et ils prétendent qu’ils auraient dû être appelés à témoigner à l’audience. Cet argument n’est pas convaincant étant donné que les demandes des enfants mineures étaient liées à celles des adultes. De plus, la transcription de l’audience révèle que le conseil des demandeurs a indiqué qu’il n’avait pas de questions à poser aux enfants.

 

[21]           Par conséquent, je conclus que la décision de la Commission de rejeter les demandes d’asile présentées par les demandeurs était raisonnable.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission soit rejetée.

 

                                                                                                            « Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Caroline Tardif, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-4283-07

 

INTITULÉ :                                                   HA YOON SONG, SEON OCK SHON, HYE IN SONG [représentée par son tuteur à l’instance],

HYE WON SONG [représentée par son tuteur à l’instance]

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 10 AVRIL 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                                   LE 11 AVRIL 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jegan N. Mohan

 

     POUR LES DEMANDEURS

Manuel Mendelzon

 

     POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mohan & Mohan

Avocats

Scarborough (Ontario)

 

 

     POUR LES DEMANDEURS

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

     POUR LE DÉFENDEUR

 

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