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Date : 20080409

Dossier : IMM‑326‑07

Référence : 2008 CF 457

Ottawa (Ontario), le 9 avril 2008

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

VALLIPURAM KANAGARATNAM KUHATHASAN

NALINEY KUHATHASAN

KUHATHASAN PRASHANTH

KUHATHASAN VIPUSHANTH

et

KUHATHASAN VITHUSHANTH

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

[1]               Les demandeurs sollicitent, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), le contrôle judiciaire de la décision d’une agente des visas (l’agente), en date du 4 décembre 2006, qui leur a refusé des visas de résident permanent au Canada.

 

CONTEXTE

 

[2]               Le demandeur principal, M. Vallipuran Kanagaratnam Kuhathasan, âgé de 54 ans, est arpenteur‑géomètre de profession. Les autres demandeurs sont son épouse et ses trois fils. Les demandeurs sont tous Sri‑Lankais.

 

[3]               La maison des demandeurs se trouve sur la côte orientale du Sri Lanka, à environ 200 mètres du rivage. Le 26 décembre 2004, le littoral du Sri Lanka a été frappé par un tsunami dévastateur. Ce jour‑là, l’épouse et les trois enfants se trouvaient dans la maison. Le demandeur principal travaillait en Arabie saoudite. La famille a fui vers une collectivité avoisinante, où elle a demeuré chez des proches durant 15 jours. Leur maison a été partiellement endommagée, mais ils ont pu continuer d’y vivre après le désastre. Cependant, la plupart de leurs biens domestiques ont été emportés, ou rendus inutilisables en raison des dommages causés par l’eau. Les demandeurs ont produit un rapport de police faisant état des dommages subis.

 

[4]               Dans le cadre de la réponse du gouvernement canadien au tsunami, Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) a institué un système prioritaire de traitement des demandes déposées par les familles qui avaient été gravement et personnellement touchées par le désastre. Les frais d’ouverture de dossier ont été supprimés. Priorité absolue fut accordée aux demandes de la catégorie du regroupement familial déposées en vertu de la Loi. Venaient ensuite les demandes de parents parrainés. En troisième lieu, il y avait les demandes venant d’autres personnes directement touchées, mais qui n’étaient pas membres de la catégorie du regroupement familial. Les demandeurs entraient dans ce troisième groupe.

 

[5]               Selon les Directives opérationnelles résultant du tsunami, les agents des visas avaient reçu pour instructions d’évaluer au cas par cas les situations individuelles (Affidavit de l’agent, pièce « B », Directives opérationnelles – 2005 05‑005 (RIM), « Directives opérationnelles résultant du tsunami », paragraphe 1.1 [Directives opérationnelles]). Les Directives opérationnelles prévoyaient que, pour être admissible au traitement spécial d’une demande, un demandeur « doit avoir subi, et continuer de subir, un préjudice grave et personnel par suite du tremblement de terre ou du tsunami du 26 décembre » (Directives opérationnelles, paragraphe 1.0). Les Directives opérationnelles précisaient que « le “préjudice grave et personnel” comprendrait en principe (mais sans y être limité) les cas où, par suite du tremblement de terre ou du tsunami […], la personne concernée a subi des lésions corporelles, la perte d’un soutien familial, le décès de membres de sa famille immédiate, la perte de son logement, de son emploi ou de son école » (Directives opérationnelles, paragraphe 1.1). Comme le prévoyaient les Directives opérationnelles, le critère du « préjudice grave et personnel » devait être rempli à la date où la demande était à l’étude. Les demandeurs étaient donc tenus de prouver qu’ils avaient subi, et continuaient de subir, un préjudice grave et personnel de telle sorte qu’il existait des circonstances d’ordre humanitaire leur permettant d’invoquer l’une ou plusieurs des procédures spéciales de traitement.

 

[6]               Pour leur éviter d’autres formalités de traitement au Canada, les demandeurs admis obtenaient des visas de résident permanent au lieu de visas de résident temporaire.

 

[7]               Des formulaires particuliers n’ont pas été publiés pour les demandes faisant l’objet de la procédure accélérée. Les candidats des premier et deuxième groupes prioritaires devaient plutôt remplir des formulaires de demande de parrainage, c’est‑à‑dire les formulaires réglementaires employés pour le parrainage d’une personne au titre de la catégorie du regroupement familial. Les candidats qui entraient dans le troisième groupe devaient remplir un formulaire de demande fédérale pour travailleur qualifié.

 

[8]               Les directives communiquées aux candidats, d’après le site Web du Ministère, prévoyaient ce qui suit :

Réaction à la catastrophe du tsunami et du tremblement de terre

 

Feuillet explicatif : Comment remplir une demande pour travailleur qualifié à l’égard de proches qui ne peuvent pas être parrainés, mais qui ont été touchés par le tsunami :

 

[…] Si le membre de votre famille qui a été touché par le tsunami est votre conjoint, conjoint de fait, partenaire conjugal, enfant à charge, parent ou grand‑parent, ou frère, sœur, nièce, neveu ou petit‑enfant, orphelin âgé de moins de 18 ans qui n’est pas un conjoint ou un conjoint de fait, vous devez présenter au Canada une demande de parrainage le concernant.

 

Tous les autres proches parents de citoyens canadiens ou de résidents permanents du Canada qui ont été touchés par le tsunami doivent utiliser le formulaire de demande fédérale pour travailleur qualifié.

 

Prière de noter ce qui suit :

1.      Afin d’aider le demandeur, le proche parent au Canada voudra sans doute fournir le plus de renseignements possibles au nom du demandeur. La demande doit être envoyée au demandeur, dans la région touchée, pour examen et signature, avant d’être soumise à l’ambassade ou au haut‑commissariat à l’étranger.

 

2.      Les personnes touchées par le tsunami sont dispensées des frais d’ouverture de dossier. Cette dispense prend effet le jour de la catastrophe (26 décembre 2004).

 

 

3.      Joignez autant de documents que possible parmi ceux qui sont énumérés à l’Appendice A de la trousse de demande. Vous pouvez présenter la demande même s’il manque des renseignements ou des documents. Cependant, les demandes complètes sont généralement traitées plus rapidement.

 

4.      Vous devez joindre deux lettres : 1) une lettre expliquant en détail en quoi les personnes de la région touchée qui présentent une demande ont subi, et continuent de subir, un préjudice grave et personnel par suite de la catastrophe, et 2) une lettre du proche parent du demandeur au Canada qui offre un soutien financier. Assurez‑vous de mettre les lettres au sommet des documents qui sont produits.

 

5.      Toutes les conditions médicales et conditions liées à la sécurité doivent encore être remplies.

 

6.      Prière d’écrire « Catastrophe du tsunami » sur l’enveloppe.

 

 

[…]

                                                                                                           

 

[9]               Le site Web donnait aussi les directives suivantes sous la rubrique « Foires aux questions : Renseignements importants pour la demande » :

1.      Comment dois‑je présenter une demande de parrainage de mon proche parent pour qu’il immigre au Canada?

 

[…]

 

 

2.      Comment d’autres proches parents peuvent‑ils demander à immigrer au Canada?

Les autres proches parents de citoyens canadiens et de résidents permanents du Canada qui ont subi, et continuent de subir, un préjudice grave et personnel par suite du tsunami, doivent remplir un FORMULAIRE DE DEMANDE FÉDÉRALE POUR TRAVAILLEUR QUALIFIÉ. Les décisions concernant ces demandes seront prises au cas par cas par l’agent des visas de la mission à l’étranger […]

 

                                                                                                           

 

[10]           En février 2005, le demandeur principal a entendu dire que le Canada offrait aux gens ayant des parents au Canada la possibilité de demander la résidence permanente au Canada. Il a communiqué avec son cousin germain au Canada, M. Kandia Balasunderam, et a reçu une promesse écrite de soutien du cousin et de son épouse, Mme Vimaladevi Balasunderam.

 

[11]           Le demandeur principal a déposé sa demande de résidence permanente en mai 2005. Dans sa demande, son épouse et ses trois fils étaient désignés comme proches parents qui l’accompagnaient. Les demandeurs ont rempli le formulaire générique IMM‑0008 (Demande de résidence permanente). Sur le formulaire, ils devaient indiquer la catégorie en vertu de laquelle ils demandaient la résidence permanente au Canada : la catégorie du regroupement familial, la catégorie des immigrants économiques, la catégorie des réfugiés hors du Canada, ou la catégorie « autres ». Sur leur demande, les demandeurs ont coché « réfugiés hors du Canada » et sous « autres », ils ont écrit « tsunami ». Était jointe à leur demande une lettre expliquant en quoi la famille avait subi un préjudice grave et personnel par suite de la catastrophe. Ils joignaient aussi un engagement de M. et Mme Balasunderam, par lequel le couple offrait son soutien financier aux demandeurs.

 

[12]           En septembre 2006, les demandeurs ont été informés par écrit du refus de leur demande. Ce refus constitue la décision qui est l’objet du présent contrôle judiciaire.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

 

[13]           Par lettre adressée au demandeur principal le 4 décembre 2006, l’agente informait le demandeur principal de sa décision de refuser sa demande de résidence permanente au Canada. Elle admettait que le demandeur « avait subi un préjudice grave et personnel par suite du tsunami », mais elle a rejeté sa demande au motif que, en application de l’article 39 de la Loi, le demandeur était interdit de territoire pour les raisons suivantes :

[traduction]

[…] Je relève que vous avez 12 ans de scolarité, que vous avez une expérience professionnelle comme arpenteur‑géomètre, que vous n’avez pas indiqué votre niveau d’aisance en anglais ou en français, si ce n’est pour dire que vous pouvez communiquer en anglais, mais non en français, et que vous n’avez pas les ressources nécessaires pour vous installer au Canada. Votre cousin au Canada vous a offert une aide, à vous et à votre famille, mais je ne suis pas persuadée qu’il serait en mesure d’apporter le niveau d’aide dont vous auriez besoin, et aussi longtemps que vous en auriez besoin, pour vous permettre de vous installer avec succès au Canada.

 

Conformément à l’article 39 de la Loi, je suis arrivée à la conclusion que vous n’êtes pas ou ne serez pas en mesure de subvenir à vos propres besoins et à ceux des personnes à votre charge. Vous ne m’avez pas persuadée que des dispositions nécessaires, autres que le recours à l’aide sociale, ont été prises pour couvrir vos besoins et ceux des personnes à votre charge. En conséquence, vous êtes interdit de territoire […]

 

Puisque la demande de résidence permanente du demandeur principal était refusée, celles de son épouse et de ses trois fils ont elles aussi été refusées parce que, ayant présenté leurs demandes en tant que proches accompagnant le demandeur principal, l’issue de leurs demandes dépendait de celle de la demande du demandeur principal.

 

POINTS LITIGIEUX

 

[14]           Les demandeurs soulèvent les points suivants :

 

1.  L’agente a‑t‑elle commis une erreur en laissant de côté l’existence de circonstances d’ordre humanitaire, l’intérêt public et l’intérêt supérieur des enfants concernés?

 

2.  L’agente a‑t‑elle manqué aux règles de l’équité procédurale en n’avisant pas les demandeurs de ses doutes?

 

3.  L’agente a‑t‑elle commis une erreur en refusant la demande de résidence permanente présentée par le demandeur principal au motif qu’il était interdit de territoire en application de l’article 39 de la Loi?

 

Cadre légal

 

[15]           Les dispositions suivantes de la Loi sont applicables à la présente instance :

Visa et documents

 

 

11.(1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement, lesquels sont délivrés sur preuve, à la suite d’un contrôle, qu’il n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

 

 

 

[…]

 

Séjour pour motif d’ordre humanitaire

 

25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — ou l’intérêt public le justifient.

 

 

 

 

 

[…]

 

Interdictions de territoire :

Motifs financiers

 

39. Emporte interdiction de territoire pour motifs financiers l’incapacité de l’étranger ou son absence de volonté de subvenir, tant actuellement que pour l’avenir, à ses propres besoins et à ceux des personnes à sa charge, ainsi que son défaut de convaincre l’agent que les dispositions nécessaires — autres que le recours à l’aide sociale — ont été prises pour couvrir leurs besoins et les siens.

Application before entering Canada

 

11.(1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document shall be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

 

[…]

 

Humanitarian and compassionate considerations

 

25. (1) The Minister shall, upon request of a foreign national who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister’s own initiative, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations.

 

[…]

 

Inadmissibility: Financial reasons

 

39. A foreign national is inadmissible for financial reasons if they are or will be unable or unwilling to support themself or any other person who is dependent on them, and have not satisfied an officer that adequate arrangements for care and support, other than those that involve social assistance, have been made.

 

 

MOTIFS

 

            Norme de contrôle

 

[16]           Récemment, dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a reconnu que, bien que la norme de la décision raisonnable simpliciter et la norme de la décision manifestement déraisonnable soient théoriquement différentes, « les difficultés analytiques soulevées par l’application des différentes normes réduisent à néant toute utilité conceptuelle découlant de la plus grande souplesse propre à l’existence de normes de contrôle multiples » (arrêt Dunsmuir, paragraphe 44). Par conséquent, la Cour a jugé que les deux normes de la décision raisonnable devraient être fusionnées en une seule pour constituer la norme de la décision raisonnable.

 

[17]           Le premier point soulevé dans la présente affaire, celui de savoir si l’agente a laissé de côté l’existence de circonstances d’ordre humanitaire, l’intérêt public et l’intérêt supérieur des enfants concernés, est une question mixte de droit et de fait. Le troisième point concerne la manière dont l’agente a apprécié la preuve. Eu égard à l’arrêt Dunsmuir et à la jurisprudence antérieure de la Cour fédérale, je suis d’avis que la norme de contrôle applicable à ces aspects est celle de la décision raisonnable. Quand la Cour examine une décision d’après la norme de la décision raisonnable, son analyse s’intéressera « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (arrêt Dunsmuir, paragraphe 47). Je fais aussi remarquer que, quelle que soit la norme de contrôle appliquée à ces deux aspects, c’est‑à‑dire soit la norme de la décision raisonnable ou la norme de la décision manifestement déraisonnable antérieures à l’arrêt Dunsmuir, soit la norme de la décision raisonnable postérieure à l’arrêt Dunsmuir, mes conclusions resteraient les mêmes.

 

[18]           S’agissant du deuxième point, qui soulève une question d’équité procédurale, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte. Ainsi que l’écrivait la Cour suprême dans l’arrêt Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.) c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539, [2003] A.C.S. n° 28 (QL), au paragraphe 100, « [i]l appartient aux tribunaux judiciaires et non au ministre de donner une réponse juridique aux questions d’équité procédurale ». Par conséquent, l’analyse de la norme de contrôle n’est pas applicable aux questions d’équité procédurale; ces questions sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte (Ellis‑Don Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), [2001] 1 R.C.S. 221, 2001 CSC 4, paragraphe 65). Lorsqu’il y a eu manquement à l’obligation d’équité, la décision doit en général être annulée (Benitez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. n° 631, paragraphe 44 (QL); Sketchley c. Canada (Procureur général), [2005] A.C.F. n° 2056, paragraphe 54 (QL)).

 

  1. L’agente a‑t‑elle commis une erreur en laissant de côté l’existence de circonstances d’ordre humanitaire, l’intérêt public et l’intérêt supérieur des enfants concernés?

 

Les demandeurs

 

[19]           Les demandeurs font valoir que l’agente a négligé d’appliquer les propres critères établis par le défendeur pour l’évaluation des demandes liées au tsunami. D’après eux, leurs demandes devaient être étudiées sur la base de circonstances d’ordre humanitaire et de considérations d’intérêt public. Le demandeur principal n’avait pas explicitement prié l’agente d’étudier sa demande sur la base de circonstances d’ordre humanitaire ou de considérations d’ordre public, mais il fait valoir que ce qu’il avait écrit dans sa demande suffisait à déclencher l’application de l’article 25 de la Loi et à faire naître une obligation formelle de l’agente d’étudier sa demande sur de telles bases. Les demandeurs ajoutent que la politique issue du tsunami au titre de laquelle ils avaient présenté leurs demandes faisait elle‑même intervenir des circonstances d’ordre humanitaire et l’intérêt public; ils n’étaient donc pas tenus de plaider explicitement des circonstances d’ordre humanitaire dans leurs demandes. D’après les demandeurs, l’agente a commis une erreur de droit en refusant leurs demandes pour cause d’interdiction de territoire en application de l’article 39 de la Loi, sans prêter attention aux dispenses prévues par l’article 25, qui leur auraient permis d’échapper à cette interdiction de territoire, en raison de circonstances d’ordre humanitaire ou de considérations d’intérêt public.

 

[20]           En outre, les demandeurs font valoir que l’agente a commis une erreur de droit et qu’elle a entravé son pouvoir discrétionnaire en ne tenant pas compte de l’intérêt supérieur des enfants. En contre‑interrogatoire, l’agente a reconnu qu’elle n’avait pas pris en considération l’intérêt supérieur des demandeurs mineurs lorsqu’elle avait évalué les demandes, et cela parce qu’il n’était pas question d’une séparation de la famille :

[traduction]

Q : (l’avocat du demandeur) : Vous êtes‑vous demandé s’il était dans l’intérêt des demandeurs mineurs, puisqu’ils étaient des enfants, de venir au Canada? Avez‑vous tenu compte de l’intérêt supérieur des enfants comme le requiert le paragraphe 25(1) de la Loi?

 

R : (l’agente) : Non.

 

Q : Et pourquoi cela?

 

R : D’abord il était […] les enfants, les mineurs, n’allaient pas être séparés de la famille s’ils ne venaient pas au Canada. L’unité de la famille allait être préservée, au Sri Lanka.

 

Q : Mais n’étiez‑vous pas tenue, selon l’article 25, de vous demander s’il était dans l’intérêt des enfants de venir au Canada?

 

R : Oui.

 

Q : Et pourtant vous ne vous êtes pas posé la question?

 

R : Non, je ne me la suis pas posée.

 

Q : Et pourquoi cela?

 

R : Je n’ai aucune réponse. Je n’ai pas étudié cette question.

 

Q : J’arrive à la fin […] Une seule, je pense […]

 

R : Une question qui se poserait puisque l’unité familiale sera préservée.

 

Q : Très bien. Ainsi, d’après ce que vous comprenez, si l’unité familiale est préservée, vous n’avez pas à tenir compte de l’intérêt suprérieur de l’enfant?

 

R : Ce n’est pas que je n’ai pas à en tenir compte. Je ne crois pas que, dans ce cas particulier, la question se posait.

 

(Contre‑interrogatoire de l’agente, questions 115 à 121, pages 30 et 31).

 

 

 

[21]           Les demandeurs disent que le paragraphe 25(1) de la Loi exige la prise en compte de l’intérêt supérieur de tout enfant directement touché, même si c’est au demandeur qu’il appartient d’apporter la preuve d’un tel intérêt. Le fait de ne pas avoir évalué cet intérêt, de dire les demandeurs, constitue une erreur de droit, tant au regard du paragraphe 25(1) de la Loi qu’au regard de la norme exposée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Baker. En outre, la clause de l’article 25 qui autorise le ministre, « de sa propre initiative », à s’interroger sur l’intérêt supérieur de l’enfant ne se limite pas aux cas de séparation familiale.

 

Le défendeur

 

[22]           Le défendeur, quant à lui, fait valoir que l’agente a pris en considération les circonstances d’ordre humanitaire qui intéressaient le cas des demandeurs, mais qu’elle a néanmoins refusé leur demande. Selon lui, les circonstances d’ordre humanitaire qui sous‑tendent les Directives opérationnelles ont été observées lorsque l’agente a traité la demande du demandeur principal alors même que le demandeur principal n’avait pas obtenu assez de points pour justifier une entrevue personnelle. Par ailleurs, ce sont les circonstances d’ordre humanitaire qui ont entraîné la dispense de paiement des frais d’ouverture de dossier et le traitement accéléré de la demande. Selon le défendeur, les demandeurs laissent entendre que l’agente aurait dû délibérément fermer les yeux sur le fait que ni eux ni leur cousin n’avaient les moyens de subvenir à leurs besoins au Canada.

 

[23]           Dans leurs conclusions écrites, les demandeurs disent que le défendeur avait promis que les demandes faites par des personnes ayant subi un préjudice grave et personnel par suite du tsunami « seraient étudiées à titre prioritaire en raison de circonstances d’ordre humanitaire ». Les documents produits au nom des demandeurs au soutien des mots qu’ils attribuent au défendeur ne renferment aucune affirmation explicite du genre. Le défendeur avait plutôt simplement dit que les demandes présentées par des personnes qui avaient subi et qui continuaient de subir un préjudice grave et personnel par suite du tsunami seraient étudiées en priorité et que leurs auteurs seraient dispensés du paiement des frais d’ouverture de dossier.

 

[24]           S’agissant du cas des demandeurs, les circonstances d’ordre humanitaire ont été prises en compte dans la mesure où leurs demandes ont été acceptées pour traitement prioritaire et où ils ont été dispensés des frais d’ouverture de dossier. L’agente a jugé que le demandeur principal n’avait pas rempli les conditions d’admission propres à la catégorie pour laquelle sa demande était traitée, c’est‑à‑dire la catégorie des travailleurs qualifiés. Selon son affidavit, l’agente a alors appliqué la clause 2.1.3 des Directives opérationnelles, qui prévoyait ce qui suit :

Si le demandeur ne remplit pas les critères de sélection, le bureau des visas doit prendre en compte la mesure dans laquelle il a été touché, l’information existante sur un possible soutien à son installation au Canada, et la mesure dans laquelle un soutien existe dans le pays d’origine. Le Canada et la communauté internationale déploient de grands efforts pour atténuer les répercussions à long terme de la catastrophe et pour reconstruire les économies locales et les services sociaux locaux. Dans de nombreux cas, en particulier lorsque les perspectives d’une installation au Canada sont mauvaises et que les répercussions de la catastrophe sont modérées, l’admission au Canada pour motifs d’ordre humanitaire ne s’imposera peut‑être pas. Lorsque l’intéressé n’est pas interdit de territoire, que les liens familiaux sont étroits, que les perspectives d’une installation au Canada sont bonnes et que l’intéressé n’a personne ou presque personne sur qui compter dans le pays d’origine et/ou a été très gravement touché par la catastrophe, le directeur du programme est encouragé à envisager l’application des dispositions de l’article 25 concernant les circonstances d’ordre humanitaire.

 

(Affidavit de l’agente, paragraphe 10; Directives opérationnelles, section 2.1.3, pièce « B ».)

 

 

 

[25]           S’agissant de l’analyse faite par l’agente à propos des circonstances d’ordre humanitaire, elle écrit ce qui suit, dans son affidavit, au paragraphe 14 :

[traduction]

Eu égard à l’ensemble de la preuve que j’avais devant moi, j’ai conclu que le demandeur principal était interdit de territoire parce qu’il était une personne qui ne serait pas en mesure de subvenir à ses besoins (et à ceux des personnes à sa charge) et parce que les dispositions nécessaires, autres que le recours à l’aide sociale, n’avaient pas été prises au Canada pour couvrir ses besoins et ceux de ses personnes à charge (en application de l’article 39 de la [Loi]). J’ai jugé que, dans ce dossier, les circonstances d’ordre humanitaire, par exemple les répercussions modérées du tsunami sur les demandeurs, n’avaient pas une ampleur suffisante pour l’emporter sur la question de l’interdiction de territoire.

 

 

            Conclusions

 

 

[26]           Après examen de la décision de l’agente, il ne m’apparaît pas du tout évident que l’agente a pris en compte dans ses motifs les circonstances d’ordre humanitaire. Au cours de l’audition de la présente affaire, le défendeur a reconnu que les circonstances d’ordre humanitaire constituaient un volet de ce programme, mais que la survie financière des demandeurs avait été dans ce dossier un facteur déterminant. Comme je l’expliquerai plus loin, je vois des difficultés considérables dans la manière dont a été traitée la question de la survie financière des demandeurs. Cependant, à ce stade, il se trouve que l’agente n’explique pas clairement en quoi les circonstances d’ordre humanitaire ont influé sur sa décision. Ce qui est clair, c’est qu’elle n’a absolument pas pris en considération l’intérêt des enfants touchés par sa décision, et qu’elle n’a envisagé aucune possible dispense au titre de l’article 25 de la Loi. L’article 25 dit explicitement que, lorsqu’il s’interroge sur l’opportunité d’exercer le pouvoir que lui confère cet article, le ministre doit tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché :

 

Séjour pour motif d’ordre humanitaire

 

25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — ou l’intérêt public le justifient.

Humanitarian and compassionate considerations

 

25. (1) The Minister shall, upon request of a foreign national who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister’s own initiative, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations.

 

 

[27]           Cela ne veut pas dire que les circonstances d’ordre humanitaire, ou l’intérêt supérieur des enfants, auraient dû éclipser les autres facteurs intéressant la présente affaire; mais, en négligeant d’en faire état et de les traiter dans sa décision, l’agente a, selon moi, commis une erreur susceptible de contrôle.

 

 

  1. L’agente a‑t‑elle manqué aux règles de l’équité procédurale en n’avisant pas les demandeurs de ses doutes?

 

Les demandeurs

 

[28]           Les demandeurs font valoir que l’agente a refusé leurs demandes en raison des doutes qu’elle avait à propos des moyens financiers du demandeur principal et des conditions de son installation. Selon les demandeurs, l’agente a fait des déductions et a tiré une conclusion défavorable sans faire connaître ses doutes aux demandeurs.

 

[29]           Les demandeurs disent que, selon la politique relative au tsunami, ils n’étaient pas tenus d’apporter la preuve de leur capacité financière de s’établir ni de prouver qu’ils avaient des épargnes, des biens ou le soutien de proches à tel ou tel niveau. La politique écrite requérait simplement « une lettre du parent du demandeur au Canada qui offre un soutien financier ». Selon les demandeurs, les seules obligations qu’avait un candidat au départ étaient les suivantes : avoir subi un préjudice grave et personnel par suite du tsunami, remplir les conditions médicales et conditions relatives à la sécurité, avoir un proche au Canada et produire une lettre du proche en question. Les demandeurs relèvent que l’agente n’a pas prétendu que les demandeurs ne remplissaient pas ces conditions.

 

[30]           Le demandeur principal fait valoir qu’il n’aurait pas pu prédire que les renseignements qu’il avait fournis seraient insuffisants. Il appartenait donc à l’agente de faire connaître ses doutes aux demandeurs et de leur donner la possibilité de les dissiper. En outre, le demandeur principal dit qu’il n’avait aucun moyen de savoir qu’il était tenu d’indiquer son niveau de connaissance de l’anglais. Il explique que l’agente avait l’obligation d’évoquer avec lui ses aptitudes linguistiques. Selon lui, cela n’aurait pas nécessairement requis le « fardeau administratif d’une entrevue », et il reconnaît que le défendeur a fort bien pu être inondé de demandes au titre de cette politique. Cependant, le défendeur aurait pu tout simplement envoyer une lettre au demandeur principal l’invitant à produire d’autres documents, comme cela se fait couramment dans les dossiers d’immigration.

 

Le défendeur

 

[31]           Le défendeur fait valoir que les demandeurs n’ont pas compris que les Directives opérationnelles ne supplantaient pas les dispositions de la Loi. les Directives opérationnelles visaient à faciliter le traitement rapide des demandes et la réinstallation au Canada de candidats qui étaient touchés par le tsunami et qui étaient jugés aptes à compter sur leurs propres ressources, ou qui pouvaient montrer qu’il leur serait possible de compter sur le soutien financier de proches au Canada.

 

[32]           S’agissant de l’argument du demandeur principal selon lequel il n’avait aucun moyen de savoir qu’il devait convaincre l’agente de sa connaissance de l’une des langues officielles du Canada, le défendeur fait valoir que cet argument n’a aucun fondement en droit et ne signifie pas que la décision de l’agente est viciée. Le défendeur invoque une décision de la juge Dawson, Ramos‑Frances c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 142, au paragraphe 8, où elle écrit ce qui suit :

En règle générale, selon la jurisprudence, lorsque les questions de l’agent découlent directement des exigences de la loi ou de son règlement d’application, l’agent n’est pas tenu d’offrir une occasion au demandeur de répondre à ces questions.

 

 

[33]           Le défendeur dit que l’agente n’était nullement tenue d’informer le demandeur principal qu’il ne remplirait pas nécessairement les conditions, ni de lui donner la possibilité de dissiper les doutes qu’elle avait à propos de sa demande. Un agent pourrait vouloir obtenir des éclaircissements, mais il n’y est pas tenu :

Cet argument équivaut à dire que, chaque fois qu’un agent des visas pense qu’une demande de résidence permanente pourrait être refusée, il doit indiquer la décision prévue à l’avance et donner à la partie requérante une autre chance de respecter les exigences. Même si un agent des visas peut effectivement agir de la sorte, il n’est nullement tenu de le faire.

 

(Ahmed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. n° 940, paragraphe 8 (C.F. 1re inst.) (QL)).

 

 

[34]           Un agent des visas n’est pas non plus tenu d’informer un demandeur que sa demande est ambiguë et que les documents produits ne suffisent pas (Madan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 172 F.T.R. 262, [1999] A.C.F. n° 1198, paragraphe 6 (C.F. 1re inst.) (QL); Nehme c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2004), 245 F.T.R. 139, 2004 CF 64, paragraphe 18). Il n’existe aucun droit légal à une entrevue, ni aucune obligation de passer en entrevue un demandeur pour qu’il puisse éclaircir les aspects ambigus de sa demande.

 

[35]           Le défendeur relève aussi que le demandeur principal était tenu en droit, selon l’article 39 de la Loi, de prouver à l’agente qu’il avait les moyens de subvenir aux besoins de sa famille et, à défaut de cela, de montrer que les dispositions nécessaires avaient été prises pour couvrir leurs besoins au Canada. Le demandeur principal n’a pas persuadé l’agente qu’il avait les moyens de subvenir aux besoins d’une famille de cinq personnes au Canada, et l’agente a jugé que les dispositions subsidiaires qu’il avait prises n’étaient pas suffisantes. De plus, en tant que demandeur appartenant à la catégorie des travailleurs qualifiés, le demandeur principal devait prouver qu’il connaissait l’une des deux langues officielles du Canada. Il n’appartenait pas à l’agente de s’enquérir plus tard de ses aptitudes linguistiques. Quoi qu’il en soit, la conclusion de l’agente concernant les aptitudes linguistiques du demandeur principal ne tire pas à conséquence. Le défendeur dit que, après examen préliminaire des documents de la demande, il est apparu que le demandeur principal n’aurait obtenu que quatre points pour l’âge, 12 points pour la scolarité, 21 points pour son expérience d’arpenteur‑géomètre et aucun point pour la faculté d’adaptation, soit un total de 37 points. Ainsi, même s’il avait obtenu des points pour sa connaissance de l’anglais, le demandeur principal aurait encore été bien loin d’obtenir les 67 points requis.

 

Conclusions

 

[36]           Comme l’a indiqué le défendeur, la politique relative au tsunami ne supplantait pas les dispositions de la Loi. Le demandeur principal demeurait donc tenu de répondre à ces dispositions ou de convaincre le ministre que les circonstances d’ordre humanitaire étaient suffisantes pour qu’il décide à juste titre de le soustraire aux dispositions de la Loi. Il est bien établi que, en règle générale, c’est à un demandeur qu’il appartient de produire les renseignements nécessaires. Comme l’écrivait le juge Evans au paragraphe 6 de la décision Madan, précitée, c’est au demandeur qu’il incombe de présenter à l’agent des visas tous les documents nécessaires à une décision favorable, et l’agent n’est donc nullement tenu d’obtenir des éclaircissements, ou des renseignements complémentaires, lorsque les documents produits ne suffisent pas à remplir les critères de sélection établis.

 

[37]           La Cour a rendu une foule de jugements selon lesquels un agent des visas n’a pas l’obligation de rendre acceptable une demande incomplète. Un agent des visas fera parfois lui‑même des recherches, quand cela sera justifié, mais il n’est pas tenu d’informer un demandeur des faiblesses de son dossier et de lui donner la possibilité de l’étayer. L’exception habituelle est le cas où un agent a des doutes sur l’authenticité des documents produits par un demandeur. Dans la décision Olorunshola c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1056, la juge Tremblay‑Lamer résumait ainsi la question, aux paragraphes 32 à 34 :

 

32.               Dans le jugement Yu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] A.C.F. no 704 (QL), le juge MacKay a déclaré que les agents des visas ne sont pas obligés de signaler toutes les réserves qui découlent directement de l’application de la loi ou d’un règlement, compte tenu du fait que tous les demandeurs ont accès à ces instruments et qu’il leur incombe de démontrer qu’ils satisfont aux critères de sélection pertinents.

 

33.     Notre Cour a toutefois précisé que, lorsque les réserves ne découlent pas directement de la loi ou d’un règlement, l’agent des visas a l’obligation d’en informer le demandeur. Comme le juge Mosley l’a expliqué : « C’est souvent le cas lorsque l’agente des visas a des doutes sur la crédibilité, l’exactitude ou l’authenticité de renseignements fournis par le demandeur au soutien de sa demande » (Hassani, précité, au paragraphe 24).

 

34.     Ainsi donc, lorsque des doutes surgissent quant à la véracité de la preuve documentaire, l’agent des visas doit pousser son enquête plus loin (Huyen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] CFPI 904, [2001] A.C.F. no 1267 (QL), aux paragraphes 2 et 5; Kojouri c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] CF 1389, [2003] A.C.F. no 1779 (QL), aux paragraphes 18 et 19; Salman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] CF 877, [2007] A.C.F. no 1142 (QL), aux paragraphes 12 à 18).

 

[38]           La juge L’Heureux‑Dubé, de la Cour suprême du Canada, s’exprimait ainsi, au paragraphe 22 de l’arrêt Baker, à propos des droits de participation :

 

[…] Je souligne que l’idée sous‑jacente à tous ces facteurs [les facteurs considérés pour savoir ce que requiert l’obligation d’équité procédurale] est que les droits de participation faisant partie de l’obligation d’équité procédurale visent à garantir que les décisions administratives sont prises au moyen d’une procédure équitable et ouverte, adaptée au type de décision et à son contexte légal institutionnel et social, comprenant la possibilité donnée aux personnes visées par la décision de présenter leur points de vue complètement ainsi que des éléments de preuve de sorte qu’ils soient considérés par le décideur.

 

[39]           S’agissant des questions d’équité procédurale soulevées dans la présente affaire, je pense qu’il faut garder à l’esprit que le dossier des demandeurs était étudié dans des circonstances quelque peu exceptionnelles et que les procédures habituelles devaient être ajustées en conséquence. Rien ne me prouve vraiement que les demandeurs ont eu accès aux renseignements dont ils avaient besoin pour satisfaire à toutes les exigences prévues par la Loi. Les directives apparaissant sur le site Web du défendeur étaient publiées pour que les demandeurs et les personnes qui les aidaient sachent comment présenter leur demande. Ces directives disaient aux demandeurs d’utiliser le formulaire de demande fédérale pour travailleur qualifié, et aussi de produire la lettre d’un proche au Canada qui allait leur offrir un soutien financier.

 

[40]           Il se trouve que les demandeurs ont fait tout ce qu’on leur avait dit de faire et qu’ils se sont conformés aux directives qui figuraient sur le site Web. Le principal doute de l’agente, tel qu’il apparaît dans sa décision, concernait les moyens généraux d’existence des demandeurs, encore que, d’après le dossier, elle eut aussi des doutes secondaires sur les ressources du proche vivant au Canada.

 

[41]           Au vu des circonstances propres à la présente affaire, il m’est impossible de voir comment les demandeurs auraient pu prédire, et régler, la question de leurs moyens d’existence, les questions accessoires concernant les ressources du proche au Canada ou la question de leurs aptitudes linguistiques. Ils ont fait ce qu’on leur avait dit de faire en se fondant sur les directives du site Web. Les moyens généraux d’existence des demandeurs étaient à l’évidence un aspect crucial de la décision de l’agente. L’équité exigeait donc de l’agente qu’elle donne aux demandeurs une occasion ou une autre de dissiper les doutes qu’elle avait à ce chapitre. Rien ne me prouve que, si les demandeurs avaient eu une telle possibilité, ils n’auraient pas pu dissiper les doutes de l’agente. Le demandeur principal est un professionnel établi, qui a également fait état de plusieurs autres relations et ressources auxquelles il pourrait s’adresser pour obtenir un soutien financier.

 

 

  1. L’agente a‑t‑elle commis une erreur en refusant la demande de résidence permanente présentée par le demandeur principal au motif qu’il était interdit de territoire en application de l’article 39 de la Loi?

 

Les demandeurs

 

[42]           Les demandeurs disent que la conclusion de l’agente portant sur l’insuffisance de leurs moyens d’existence contenait trois volets principaux, qui tous étaient des conclusions de fait erronées. D’abord, l’agente écrit dans sa décision que [traduction] « vous n’avez pas les ressources nécessaires pour vous installer au Canada » (paragraphe 2 de la décision). Ils disent que rien ne justifiait cette conclusion de l’agente, d’autant plus que le demandeur principal avait travaillé comme arpenteur‑géomètre professionnel durant trente ans. Même si l’on pouvait imaginer que le tsunami avait été pour lui un revers de fortune, rien ne permettait de dire que le demandeur principal était « sans ressources ».

 

[43]           Deuxièmement, les demandeurs disent que la conclusion de l’agente relative aux aptitudes linguistiques du demandeur principal était déraisonnable. Dans sa décision, l’agente écrivait : [traduction] « vous n’avez pas indiqué votre niveau d’aisance en anglais ou en français, si ce n’est pour dire que vous pouvez communiquer en anglais, mais non en français » (paragraphe 2 de sa décision). La seule information que l’agente avait devant elle sur cet aspect était les réponses données par le demandeur principal, sur le formulaire de demande de résidence permanente, à la question suivante : « Pouvez‑vous communiquer en anglais/français », ce à quoi il avait répondu « oui » à la question concernant l’anglais, et « non » à la question concernant le français. Le demandeur principal dit qu’il n’avait aucun moyen de savoir que des renseignements complémentaires à propos de ses aptitudes linguistiques étaient nécessaires, en plus de ceux qu’il avait donnés sur le formulaire. Il dit aussi que l’agente a tiré, à propos de ses aptitudes linguistiques, une conclusion défavorable dont elle s’est servi pour évaluer les chances qu’avaient les demandeurs de s’installer avec succès au Canada.

 

[44]           Troisièmement, s’agissant de la conclusion de l’agente selon laquelle le répondant des demandeurs ne serait pas en mesure de leur apporter le niveau d’aide dont ils auraient besoin, et aussi longtemps qu’ils en auraient besoin pour pouvoir s’installer avec succès au Canada, les demandeurs disent que l’agente a erré, sous deux aspects. D’abord, rien ne lui permettait d’affirmer qu’il leur faudrait beaucoup de temps pour s’installer avec succès au Canada et que la promesse de soutien faite par leur répondant ne tiendrait pas. Pour prouver son argument sur ce point, le demandeur principal écrit dans son affidavit que d’autres membres de sa famille résident au Canada et qu’ils ont eux aussi la capacité de lui venir en aide, à lui et à sa famille.

 

Le défendeur

 

[45]           En réponse au premier point soulevé par les demandeurs sur cet aspect, le défendeur fait valoir que ni la Loi ni les Directives opérationnelles n’obligeaient l’agente à supposer quoi que ce soit à propos des ressources des demandeurs. Il appartenait plutôt aux demandeurs de produire tous les renseignements nécessaires pour permettre à l’agente d’arriver à une décision. Les demandeurs trouvent également à redire à la conclusion de l’agente selon laquelle ils étaient « sans ressources »; or, ils n’ont produit aucune preuve établissant le contraire. S’agissant de l’argument du demandeur principal selon lequel il a au Canada d’autres proches qui pourraient l’aider, lui et sa famille, le défendeur dit qu’il n’est pas établi que ces autres proches lui ont offert leur soutien. De telles offres ne signifient pas que le demandeur principal a les ressources nécessaires, et il n’est pas établi que ces offres de soutien aient été portées, à un moment quelconque, à la connaissance de l’agente. La décision de l’agente ne saurait donc être contestée au titre de telles offres d’aide.

 

[46]           En outre, le défendeur fait valoir que la conclusion de l’agente selon laquelle les répondants des demandeurs n’avaient pas les moyens d’aider la famille de quatre personnes à s’installer au Canada n’était pas déraisonnable; selon la preuve produite, le cousin est à la retraite et vit sur son revenu de pension, tandis que son épouse a un revenu annuel de 26 500 $, avant impôts. Le cousin du demandeur principal et son épouse se sont engagés à lui apporter leur aide, mais la preuve objective fait sérieusement douter de leur capacité de remplir leur engagement.

 

Conclusions

 

[47]           Selon moi, rien n’autorisait l’agente à dire que le demandeur principal n’avait pas les ressources nécessaires pour pouvoir s’installer au Canada. Il n’était pas loisible à l’agente d’affirmer que l’aide financière que les demandeurs pouvaient espérer obtenir de leur répondant et de son épouse était insuffisante, compte tenu du fait que le cousin est un retraité et que le revenu annuel de son épouse est de 26 500 $, et cela parce que le soutien requis des proches au Canada dépendait entièrement de ce que les demandeurs avaient à leur disposition à titre de ressources personnelles. Partant, les conclusions de l’agente sur ce point étaient déraisonnables. Le défendeur a raison de dire que, en règle générale, c’est au demandeur qu’il appartient de fournir tous les renseignements nécessaires pour permettre que soit rendue une décision, mais, au vu des circonstances de la présente affaire, les demandeurs ont suivi les directives affichées sur le site Web et ont fourni les renseignements qu’on leur avait demandé de fournir. Je ne vois pas comment les demandeurs pouvaient être en état de comprendre que, en réponse à cette catastrophe d’envergure internationale, CIC avait établi un programme qui les obligeait à remplir toutes les conditions de la catégorie des travailleurs qualifiés et, en sus de cela, à produire une lettre de soutien de proches vivant au Canada et disposés à garantir la survie financière de la famille.

 

[48]           Si la survie financière était la principale inquiétude de l’agente – et sa décision donne à penser que tel était le cas – alors les demandeurs auraient dû avoir la possibilité, au vu des faits, de dissiper cette inquiétude et, puisqu’aucune possibilité de ce genre ne leur a été donnée, il était déraisonnable pour l’agente de dire que les demandeurs n’avaient pas de ressources propres qui, combinées au soutien qu’ils pouvaient espérer obtenir de proches au Canada, leur permettraient de survivre financièrement au Canada.

 

[49]           Pour les motifs exposés sur les trois points, je pense que cette affaire doit être renvoyée pour réexamen.


 

[50]           Les avocats sont priés de signifier et déposer, dans un délai de sept jours après avoir reçu les présents motifs, des conclusions sur l’utilité de certifier une question grave de portée générale. Chacune des parties disposera alors d’une période supplémentaire de trois jours pour signifier et déposer une réponse aux conclusions de la partie adverse. Après cela, jugement sera rendu.

 

       « James Russell »

                                                                                                                             Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

N° DU GREFFE :                              IMM‑326‑07

 

INTITULÉ :                                       VALLIPURAM KANAGARATNAM KUHATHASAN ET AL.

                                                            c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 6 DÉCEMBRE 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 9 AVRIL 2008

 

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

 

Douglas Lehrer                                                 POUR LES DEMANDEURS

 

Bernard Assan                                                              POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Vander Vennen Lehrer                                                 POUR LES DEMANDEURS

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                         POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada

 

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