Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Date : 20080408

Dossier : IMM-6438-06

Référence : 2008 CF 455

Vancouver (Colombie-Britannique), le 8 avril 2008

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE HENEGHAN

 

 

ENTRE :

VIREAK PHORN

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               M. Vireak Phorn (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire d’une décision par laquelle l’agente des visas Moira Escott (l’agente des visas) a rejeté la demande de résidence permanente qu’il avait présentée en vertu de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), et du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement).

 

[2]               Le demandeur est un moine bouddhiste et un citoyen du Cambodge. Il est entré au Canada en tant que visiteur en décembre 2001. Il travaille comme moine au Temple bouddhiste khmer situé à Vaughan, en Ontario, depuis décembre 2001.

 

[3]               Le 5 mars 2005, le demandeur a présenté une demande de résidence permanente, au titre de la catégorie « immigration économique », en tant que travailleur qualifié dans la profession de « moine ». Par lettre datée du 20 octobre 2006, sa demande a été refusée au motif qu’il n’avait pas obtenu le nombre requis de points d’appréciation. Le demandeur s’est vu attribuer 59 points, alors que le nombre minimum de points pour être admissible à la résidence permanente est de 67 points. L’agente des visas ne lui a attribué aucun point au titre de l’« exercice d’un emploi réservé » sur un maximum de dix points. De plus, elle ne lui a attribué aucun point au titre de la « capacité d’adaptation » sur une possibilité de dix points encore une fois.

 

[4]               Dans la lettre de refus, l’agente des visas a mentionné le paragraphe 12(2) de la Loi qui prévoit que la sélection des étrangers de la catégorie « immigration économique » se fait en fonction de leur capacité à réussir leur établissement économique. Le paragraphe 75(1) du Règlement décrit la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) selon leur capacité à réussir leur établissement économique. Le Règlement établit que les demandeurs à titre de membres de la catégorie des travailleurs qualifiés sont évalués en fonction des critères indiqués au paragraphe 76(1). Le paragraphe 76(3) du Règlement confère à l’agent le pouvoir discrétionnaire d’évaluer le demandeur qui n’a pas démontré qu’il peut réussir son établissement économique au Canada. Bien qu’elle ait envisagé d’exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 76(3), l’agente des visas a décidé de ne pas le faire.

[5]               Le demandeur fait valoir un certain nombre d’arguments. Il plaide que l’agente des visas a commis une erreur dans son interprétation du paragraphe 82(2) du Règlement, en ne motivant pas suffisamment sa décision, en ne lui donnant pas l’occasion de dissiper les doutes qu’elle avait quant à sa demande, et en appliquant des facteurs discriminatoires dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire que lui conférait le paragraphe 76(3), en violation de l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11 (la Charte).

 

[6]               Le défendeur a déposé un affidavit de l’agente des visas dans le dossier de la demande en l’espèce. Aux paragraphes 6 à 11, l’agente des visas a expliqué pourquoi les facteurs relatifs à l’exercice d’un emploi réservé et à la capacité d’adaptation ne s’appliquaient pas dans le cas du demandeur et pourquoi elle n’avait attribué aucun point pour ces facteurs. Ces paragraphes sont les suivants :

[traduction]

6.      Les facteurs relatifs à l’exercice d’un emploi réservé et à la capacité d’adaptation ne s’appliquaient pas dans le cas du demandeur. Aux termes de l’article 82 du Règlement, des points sont attribués pour l’exercice d’un emploi réservé si le demandeur remplit des conditions précises au moment de la présentation de la demande de visa et au moment de la délivrance du visa.

 

7.      Je n’ai pas attribué de points au demandeur, conformément à l’alinéa 82(2)a) du Règlement, parce qu’il ne remplissait pas la condition qui y est prévue selon laquelle il faut être titulaire d’un permis de travail.

 

8.      De même, je n’ai pas attribué de points au demandeur pour l’exercice d’un emploi réservé, en application de l’alinéa 82(2)b) du Règlement, parce qu’il n’était pas titulaire du permis de travail qui y est mentionné.

 

9.      Je n’ai pas attribué de points au demandeur pour l’exercice d’un emploi réservé, en application de l’alinéa 82(2)c) du Règlement, parce que, bien qu’il ait effectivement occupé un emploi au Canada avant qu’un visa de résident permanent ne lui soit octroyé, aucun avis sur une offre d’emploi n’a été émis par le ministère du Développement des ressources humaines.

 

10.  Enfin, je n’ai attribué aucun point en application de l’alinéa 82(2)d) du Règlement, parce que le demandeur n’était pas titulaire d’un permis de travail au moment de l’appréciation.

 

11.  Étant donné que le demandeur n’a réuni aucune des conditions prévues à l’article 82 du Règlement, je ne lui ai pas accordé de points pour l’exercice d’un emploi réservé. Le demandeur en a été informé par écrit dans la lettre de refus.

 

[7]               L’article 82 du Règlement est ainsi rédigé :

82. (1) Pour l’application du présent article, constitue un emploi réservé toute offre d’emploi au Canada à durée indéterminée.

 

Emploi réservé (10 points) :

 

(2) Dix points sont attribués au travailleur qualifié pour un emploi réservé appartenant aux genre de compétence 0 Gestion ou niveaux de compétences A ou B de la matrice de la Classification nationale des professions, s’il est en mesure d’exercer les fonctions de l’emploi et s’il est vraisemblable qu’il acceptera de les exercer, et que l’un des alinéas suivants s’applique :

 

 

a) le travailleur qualifié se trouve au Canada, il est titulaire d’un permis de travail et les conditions suivantes sont réunies :

(i) l’agent a conclu, au titre de l’article 203, que l’exécution du travail par le travailleur qualifié est susceptible d’entraîner des effets positifs ou neutres sur le marché du travail canadien,

 

 

ii) le travailleur qualifié occupe actuellement cet emploi réservé,

 

(iii) le permis de travail est valide au moment de la présentation de la demande de visa de résident permanent et au moment de la délivrance du visa de résident permanent, le cas échéant,

(iv) l’employeur a présenté au travailleur qualifié une offre d’emploi d’une durée indéterminée sous réserve de la délivrance du visa de résident permanent;

 

b) le travailleur qualifié se trouve au Canada, il est titulaire du permis de travail visé aux alinéas 204a) ou 205a) ou au sous-alinéa 205c)(ii) et les conditions visées aux sous‑alinéas a)(ii) à (iv) sont réunies;

 

 

c) le travailleur qualifié n’a pas l’intention de travailler au Canada avant qu’un visa de résident permanent ne lui soit octroyé, il n’est pas titulaire d’un permis de travail et les conditions suivantes sont réunies :

(i) l’employeur a présenté au travailleur qualifié une offre d’emploi d’une durée indéterminée sous réserve de la délivrance du visa de résident permanent,

(ii) un agent a approuvé cette offre sur le fondement d’un avis émis par le ministère du Développement des ressources humaines, à la demande de l’employeur, à sa demande ou à celle d’un autre agent, où il est affirmé que :

(A) l’offre d’emploi est véritable,

(B) l’emploi n’est pas saisonnier ou à temps partiel,

(C) la rémunération offerte au travailleur qualifié est conforme au taux de rémunération en vigueur pour la profession et les conditions de l’emploi satisfont aux normes canadiennes généralement acceptées;

 

d) le travailleur qualifié est titulaire d’un permis de travail et, à la fois :

 

(i) les conditions visées aux sous-alinéas a)(i) à (iv) et à l’alinéa b) ne sont pas remplies,

 

(ii) les conditions visées aux sous-alinéas c)(i) et (ii) sont réunies.

 

82. (1) In this section, "arranged employment" means an offer of indeterminate employment in Canada.

 

 

Arranged employment (10 points)

(2) Ten points shall be awarded to a skilled worker for arranged employment in Canada in an occupation that is listed in Skill Type 0 Management Occupations or Skill Level A or B of the National Occupational Classification matrix if they are able to perform and are likely to accept and carry out the employment and

 

 

 

 

(a) the skilled worker is in Canada and holds a work permit and:

 

 

(i) there has been a determination by an officer under section 203 that the performance of the employment by the skilled worker would be likely to result in a neutral or positive effect on the labour market in Canada,

(ii) the skilled worker is currently working in that employment,

(iii) the work permit is valid at the time an application is made by the skilled worker for a permanent resident visa as well as at the time the permanent resident visa, if any, is issued to the skilled worker, and

(iv) the employer has made an offer to employ the skilled worker on an indeterminate basis once the permanent resident visa is issued to the skilled worker;

 

(b) the skilled worker is in Canada and holds a work permit referred to in paragraph 204(a) or 205(a) or subparagraph 205(c)(ii) and the circumstances referred to in subparagraphs (a)(ii) to (iv) apply;

 

 

(c) the skilled worker does not intend to work in Canada before being issued a permanent resident visa and does not hold a work permit and:

 

 

 

(i) the employer has made an offer to employ the skilled worker on an indeterminate basis once the permanent resident visa is issued to the skilled worker, and

(ii) an officer has approved that offer of employment based on an opinion provided to the officer by the Department of Human Resources Development at the request of the employer or an officer that:

 

(A) the offer of employment is genuine,

(B) the employment is not part-time or seasonal employment, and

(C) the wages offered to the skilled worker are consistent with the prevailing wage rate for the occupation and the working conditions meet generally accepted Canadian standards; or

 

 

(d) the skilled worker holds a work permit and

 

 

(i) the circumstances referred to in subparagraphs (a)(i) to (iv) and paragraph (b) do not apply, and

(ii) the circumstances referred to in subparagraphs (c)(i) and (ii) apply.

 

 

[8]               Le demandeur est entré au Canada en tant que visiteur. Lorsqu’il a présenté sa demande de résidence permanente, son visa était assujetti aux conditions suivantes :

[traduction]

1.                  Interdiction d’occuper un emploi au Canada.

2.                  Interdiction de fréquenter un établissement d’enseignement et de suivre des cours de formation générale, théorique ou professionnelle.

3.                  Obligation de quitter le Canada au plus tard le 24 juin 2006.

 

[9]               Le visa portait également une mention intitulée « Remarques » :

[traduction]

Préservation du statut de résident temporaire conformément au paragraphe 183(6) du Règlement. Autorisation d’exercer des fonctions religieuses pour le Temple bouddhiste khmer de l’Ontario.

 

 

[10]           La Loi et le Règlement établissent le cadre légal qui régit l’octroi des visas de résident permanent aux demandeurs au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés. Selon le récent arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la décision de l’agent, en tant que décideur administratif, est examinée en fonction de la norme de la décision correcte ou de celle de la décision raisonnable. Dans la présente affaire, la question de l’interprétation législative est assujettie à la norme de la décision correcte et la question de l’exercice du pouvoir discrétionnaire est assujettie à la norme de la décision raisonnable.

 

[11]           Le demandeur plaide que l’agente des visas a commis une erreur dans son interprétation des alinéas 82(2)a) et 83(1)c) et e) du Règlement. Il soutient que, selon l’interprétation qu’il convient de donner à ces dispositions du Règlement, le législateur a voulu l’exempter des conditions d’admissibilité à titre de résident permanent qui sont d’obtenir un permis de travail et un avis relativement au marché du travail (l’AMT). Il allègue qu’il était titulaire d’un permis de travail valide qui l’autorisait à exercer des fonctions religieuses et qu’il n’était pas nécessaire qu’il obtienne un AMT.

 

[12]           L’article 1 du Règlement définit « permis de travail » comme suit :

« permis de travail » Document délivré par un agent à un étranger et autorisant celui-ci à travailler au Canada.

"work permit" means a written authorization to work in Canada issued by an officer to a foreign national.

 

 

[13]           L’article 8 prévoit ce qui suit :

(1) L’étranger ne peut entrer au Canada pour y travailler que s’il a préalablement obtenu un permis de travail.

 

Exception

(2) Cette obligation ne s’applique pas à l’étranger qui est autorisé à travailler au Canada sans permis de travail au titre de l’article 186.

(1) A foreign national may not enter Canada to work without first obtaining a work permit.

 

 

Exception

(2) Subsection (1) does not apply to a foreign national who is authorized under section 186 to work in Canada without a work permit.

 

[14]           Le paragraphe 186(l) du Règlement prévoit ce qui suit :

186. L’étranger peut travailler au Canada sans permis de travail :

 

 

(l) à titre de personne chargée d’aider une communauté ou un groupe à atteindre ses objectifs spirituels et dont les fonctions consistent principalement à prêcher une doctrine, à exercer des fonctions relatives aux rencontres de cette communauté ou de ce groupe ou à donner des conseils d’ordre spirituel;

186. A foreign national may work in Canada without a work permit:

 

 

(l) as a person who is responsible for assisting a congregation or group in the achievement of its spiritual goals and whose main duties are to preach doctrine, perform functions related to gatherings of the congregation or group or provide spiritual counselling;

 

[15]           Le demandeur n’était pas titulaire d’un permis de travail au moment de la présentation de sa demande de résidence permanente, mais il détenait plutôt un visa qui, d’une part, lui interdisait d’occuper un emploi au Canada et qui, d’autre part, l’autorisait à exercer des fonctions religieuses pour le Temple bouddhiste khmer situé à Vaughan.

 

[16]           L’effet combiné des articles 2 et 8 et du paragraphe 186(1) du Règlement sur le demandeur est qu’il est seulement autorisé à exercer des fonctions religieuses pour le Temple bouddhiste khmer. Dans la mesure où ces fonctions constituent un « travail », il est autorisé à travailler au Canada. Cependant, le visa du demandeur sur lequel figure une mention ne constitue pas un « permis de travail » visé par le cadre légal établi par le Règlement. L’agente des visas a correctement interprété et appliqué le Règlement. La décision est conforme à celle rendue par la Cour dans l’affaire Tong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2007), 309 F.T.R. 209.

 

[17]           Je ne suis pas convaincue que l’agente des visas a commis une erreur dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire que lui conférait le paragraphe 76(3). Rien ne prouve qu’elle s’est fondée sur des facteurs extrinsèques ou non pertinents, ou qu’elle n’a pas tenu compte des éléments de preuve dont elle disposait.

 

[18]           Il n’est pas nécessaire d’examiner les arguments constitutionnels soulevés par le demandeur. La présente affaire porte essentiellement sur une question d’interprétation législative, et peut être tranchée sur ce fondement.

 

[19]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée et l’affaire ne soulève aucune question aux fins de certification.

 


 

JUGEMENT

 

            La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. L’affaire ne soulève aucune question aux fins de certification.

 

« E. Heneghan »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Caroline Tardif, LL.B., B.A.Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                IMM-6438-06

 

INTITULÉ :                                                               VIREAK PHORN

                                                                                    c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 3 MARS 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                    LA JUGE HENEGHAN

 

DATE DES MOTIFS :                                              LE 8 AVRIL 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Cynthia Petersen

Emma Phillips

 

   POUR LE DEMANDEUR

Catherine Vasilaros

 

  POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Cynthia Petersen

Sack Goldblatt Mitchell, LLP

 

  POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.
Sous-procureur général du Canada

 

                  POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.