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Date : 20080407

Dossiers : IMM-3226-07

IMM-3227-07

Référence : 2008 CF 412

Montréal (Québec), le 7 avril 2008

En présence de monsieur le juge Maurice E. Lagacé

 

 

ENTRE :

NAVEED AKRAM CHOUDHARY

SAFIA NAVEED

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]      Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de deux décisions défavorables qui ont été rendues par le même agent d’ERAR :

a.       La première décision, rendue en date du 28 mai 2007 dans le dossier IMM-3226-07, porte sur une demande de résidence permanente présentée au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire et sur une demande de dispense de l’obligation d’obtenir un visa de résident permanent avant d’entrer au Canada (paragraphe 11(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi)). L’agent CH (l’agent) a rejeté la demande parce qu’il n’existait pas suffisamment de motifs d’ordre humanitaire pour justifier une dispense en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi;

 

b.      La deuxième décision, rendue le 29 mai 2007 dans le dossier IMM-3227-07, porte sur une demande d’évaluation des risques avant renvoi (l’ERAR). Dans sa décision, l’agent d’ERAR (l’agent) a conclu que les demandeurs ne s’étaient pas acquittés du fardeau leur incombant d’établir, selon la prépondérance de la preuve, qu’ils seraient exposés à un risque pour l’un des motifs énoncés aux alinéas 97(1)a) ou b) de la Loi s’ils devaient retourner au Pakistan, le pays dont ils ont la nationalité ou dans lequel ils avaient leur résidence habituelle.

 

[2]      À la demande des demandeurs et par décision de la Cour, les deux dossiers ont été joints et instruits ensemble. Le présent jugement traitera donc des deux demandes eu égard à la date des décisions à l’examen.

 

Faits

[3]      Le demandeur Choudhary et son épouse Safia Naveed sont tous deux des citoyens du Pakistan. M. Choudhary a joué un rôle actif dans la communauté des musulmans chiites et il prétend avoir été pris pour cible par le groupe extrémiste sunnite Sipah-e-Sahaba (le SSP) parce qu’il s’est élevé contre la violence et le terrorisme intégristes. Les demandeurs soutiennent qu’ils ont été attaqués à plusieurs reprises, mais que la police ne les a aucunement aidés.

 

[4]      Le 14 février 2002, la police se serait rendue chez les demandeurs en leur absence pour appréhender M. Choudhary. Ce dernier prétend que les policiers ont dit à son père qu’une plainte avait été portée contre lui parce qu’il avait insulté la foi sunnite en public, de sorte qu’une accusation criminelle de blasphème pesait contre lui.

 

[5]      En mars 2002, les époux se sont enfuis au Canada, en passant par les États-Unis; ils ont été obligés de laisser leur fils au Pakistan parce qu’ils ne pouvaient pas faire de préparatifs de voyage pour lui. Ils sont arrivés le 14 avril 2002 et ont demandé l’asile le 15 avril 2002.

 

[6]      La Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté la demande d’asile des demandeurs le 14 décembre 2002 parce qu’ils n’avaient pas établi leur identité de façon crédible et, en conséquence, leur récit n’a pas été jugé crédible.

 

[7]      Le 24 mars 2005, la Cour a rejeté leur demande d’autorisation de contrôle judiciaire de la décision de la SPR. En outre, le 8 juillet 2005, la SPR a rejeté une demande de réouverture de leur demande avec d’autres documents.

 

[8]       Par la suite, le 16 novembre 2006, les demandeurs ont présenté une demande d’ERAR puis, le 27 décembre 2006, une demande de dispense des conditions relatives au visa d’immigrant pour des motifs d’ordre humanitaire. Le même agent a rejeté les deux demandes à la fin mai 2007.

 

[9]       Les demandeurs soutiennent que le fils qu’ils ont laissé au Pakistan a été enlevé le 2 novembre 2006 et qu’il manque toujours à l’appel. Ils prétendent aussi qu’une fatwa (un mandat d’arrestation) a été lancée contre M. Choudhary dans le cadre de l’accusation au criminel de blasphème. La prétention de Mme Naveed selon laquelle elle serait exposée à un risque repose sur celle de son mari.

 

[10]           Les époux ont trois jeunes enfants qui sont nés au Canada et M. Choudhary n’a occupé un emploi à temps plein que pendant quelque temps avant l’audition de leur demande CH.

 

[11]           Le 16 novembre 2006, les demandeurs ont soumis leur demande d’ERAR et, le 27 décembre 2006, ils ont présenté leur demande CH, qui a été suivie d’une mise à jour le 29 mars 2007.

 

[12]           Le 9 août 2007, les demandeurs ont déposé leurs demandes d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’encontre des décisions défavorables rendues relativement à la demande d’ERAR et à la demande CH.

 

Norme de contrôle

[13]           Il appert clairement du récent arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] A.C.S. no 9 (QL), de la Cour suprême du Canada que la norme de la décision manifestement déraisonnable a maintenant été abandonnée et que les tribunaux qui se livrent à une analyse de la norme de contrôle doivent maintenant s’en tenir à deux normes, soit celle de la décision correcte pour les questions de droit ou liées à la Charte et celle de la décision raisonnable pour les questions de crédibilité ou d’appréciation des faits.

 

[14]           La jurisprudence dit explicitement que l’analyse de la crédibilité à laquelle se livre le décideur est au cœur de son rôle de juge des faits et, en conséquence, ses conclusions à cet égard devraient faire l’objet d’une grande retenue. Cette retenue appelle la norme de la décision raisonnable et suppose, comme la Cour l’a déclaré au paragraphe 49 de l’arrêt Dunsmuir, précité, que les cours de révision tiendront « dûment compte des conclusions du décideur » pour en arriver à une conclusion. Par conséquent, la première question sera examinée selon la norme de la décision raisonnable, et la deuxième, selon la norme de la décision correcte.

 

I – La décision faisant suite à l’ERAR

[15]           Bien que l’agent ait précisé à juste titre dans sa décision que seuls de nouveaux éléments de preuve doivent être pris en considération dans le cadre d’une demande d’ERAR, il a néanmoins déclaré que des documents précis avaient été examinés en vue d’assurer l’équité procédurale.

 

[16]           L’agent a conclu que les demandeurs avaient établi leur identité de façon crédible depuis l’audience devant la SPR et il a donc évalué les risques auxquels ils seraient exposés au Pakistan en tenant ce fait pour acquis. De plus, il a constaté que, même si la preuve fait état d’actes de violence sectaire au Pakistan qui touchent tous les groupes minoritaires de ce pays, le gouvernement a pourtant édicté des lois et pris des mesures sévères à l’égard des groupes terroristes, dont le SSP. Il appert des documents sur le pays que les cas de blasphème aboutissent habituellement à une mise en liberté sous caution ou au retrait de l’accusation.

 

[17]           Les fatwas ne portent à conséquence que si un organisme compétent les délivre. L’agent a examiné la copie de la fatwa qui aurait été délivrée à l’égard de M. Choudhary et a conclu qu’il n’y avait aucune façon d’établir, d’après la preuve, si un organisme compétent l’avait délivrée. Par conséquent, il a attribué peu de poids à la fatwa produite en preuve et a donc conclu que les demandeurs n’avaient pas réussi à démontrer qu’ils étaient exposés personnellement à un risque.

 

Questions en litige

[18]           Il y a essentiellement deux questions en litige :

  1. L’analyse de la preuve à laquelle l’agent s’est livré était-elle déraisonnable?
  2. La décision défavorable qu’il a rendue à l’égard de la demande d’ERAR viole-t-elle les articles 7 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) ou la Convention des Nations Unies contre la torture (la Convention contre la torture)?

 

Analyse

[19]           Les demandeurs ont invité la Cour à examiner d’abord la conclusion de la SPR en était arrivée en matière de crédibilité. Il importe de réitérer que l’ERAR ne constitue pas un appel à l’encontre d’une conclusion défavorable en matière d’asile et que le contrôle judiciaire de l’ERAR ne permet pas de passer en revue toutes les décisions qui ont été prises à l’égard des demandeurs.

 

[20]           Les demandeurs ont affirmé qu’il n’était pas raisonnable de la part de l’agent de considérer la décision de la SPR comme ayant un caractère définitif. Il faut toutefois garder à l’esprit que les demandeurs ont présenté deux demandes d’examen de la décision de la SPR, à savoir une demande de réouverture et une demande de contrôle judiciaire. De l’avis de la Cour, les demandeurs ont attiré suffisamment d’attention aux erreurs qui auraient été commises dans la décision de la SPR et l’agent a donc estimé à juste titre qu’elle était définitive.

 

[21]           L’argument selon lequel l’agent a commis une erreur de droit en se fondant sur les conclusions de la SPR doit aussi être rejeté d’emblée. La Cour a en effet déclaré à maintes reprises qu’il était loisible à l’agent d’ERAR de fonder ses conclusions sur celles de la SPR (Yousef c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 864, [2006] A.C.F. no 1101 (QL)).

 

[22]           Les demandeurs ont ensuite allégué que l’agent avait apprécié les éléments de preuve de façon irrégulière, faisant référence à des éléments de preuve précis qu’il n’aurait pas pris en considération. Le défendeur affirme pour sa part que l’agent d’ERAR a invoqué bon nombre de sources documentaires, notamment celles fournies par les demandeurs, et que ces derniers ont, au mieux, établi que la preuve documentaire objective n’était pas totalement sans équivoque. L’agent est chargé d’apprécier et d’analyser cette preuve et ses conclusions ne devraient être annulées que si elles sont déraisonnables.

 

[23]           Les demandeurs demandent à la Cour d’apprécier les éléments de preuve de nouveau et d’en arriver à une conclusion contraire. Ce n’est pas là le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire. La Cour ne voit pas en quoi la décision de l’agent était déraisonnable et la décision ne sera donc pas annulée pour cette raison.

 

Obligations internationales

[24]           En outre, les demandeurs affirment que la décision de l’agent va à l’encontre des obligations issues des engagements internationaux du Canada, notamment ceux pris dans la Convention contre la torture. Ils font essentiellement valoir que l’ERAR n’est pas une évaluation valable puisque [traduction] « presque tout le monde est refusé sans qu’il soit tenu compte de la preuve », que la Charte devrait être interprétée conformément aux obligations internationales du Canada, ce qui n’est pas le cas, et, par conséquent, que la décision de l’agent va à l’encontre de la Charte.

 

[25]           Il est de jurisprudence constante qu’une mesure d’expulsion visant une personne qui n’est pas un citoyen canadien ne transgresse pas les principes de justice fondamentale et que l’exécution d’une telle mesure ne contrevient pas aux articles 7 ou 12 de la Charte (Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Chiarelli, [1992] 1 R.C.S. 711). On ne peut donc alléguer, comme les demandeurs l’ont fait, que la décision qui a fait suite à l’ERAR en l’espèce contrevient à la Convention contre la torture ou à la Charte. Cet argument ne résiste pas à l’analyse du paragraphe 97(1) de la Loi, qui fait expressément état de la torture et qui donne ainsi ouverture à une évaluation conforme aux obligations internationales du Canada (Sidhu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 39, [2004] A.C.F. no 30 (QL)).

 

[26]           La décision de l’agent était mûrement réfléchie et elle reposait sur une analyse minutieuse et attentionnée de la situation à laquelle les demandeurs seraient confrontés à leur retour au Pakistan. Les allégations selon lesquelles ils craignaient d’être torturés et de subir des traitements cruels ont été examinées en particulier. La Cour ne voit pas comment cette décision peut être perçue autrement que comme une soupape de sûreté du système d’octroi de l’asile pour les personnes qui pourraient par ailleurs être renvoyées vers un pays où elles risquent la torture, contrairement aux obligations internationales du Canada.

 

[27]           Pour les motifs susmentionnés, la Cour rejettera la demande de contrôle judiciaire qui a été présentée dans le dossier IMM-3227-07 à l’encontre de la décision rendue le 29 mai 2007 relativement à la demande d’ERAR.

 

II – La décision concernant les motifs d’ordre humanitaire

[28]           L’agent a d’abord énuméré les facteurs qu’il devait prendre en considération dans le cadre d’une demande présentée au Canada pour des raisons d’ordre humanitaire, tels qu’ils sont énoncés dans le Guide de traitement des demandes au Canada – Chapitre IP 5 – Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire.

 

[29]           L’agent a ensuite évalué les demandeurs en fonction des facteurs suivants : [traduction] « l’établissement découlant de l’incapacité prolongée de quitter le Canada », « l’intérêt supérieur des enfants » et le « risque personnel », ce facteur étant objectif, et il a conclu qu’il n’existait pas suffisamment de motifs d’ordre humanitaire pour permettre aux demandeurs de présenter une demande de résidence permanente au Canada.

 

Questions en litige

[30]           Trois questions sont en litige en l’espèce :

  1. L’agent a-t-il commis une erreur en ne prenant pas en considération comme il se devait l’intérêt supérieur des trois enfants des demandeurs nés au Canada?
  2. L’agent a-t-il commis une erreur de droit en recourant aux mauvais critères d’évaluation pour en arriver à sa décision?
  3. L’agent a-t-il commis une erreur en ne tenant pas dûment compte de la preuve?

 

[31]           Il incombe aux demandeurs de convaincre les décideurs que leur situation personnelle est  telle que les difficultés auxquelles ils seraient confrontés pour obtenir un visa de résident permanent de l’extérieur du Canada seraient inhabituelles, injustifiées ou démesurées.

 

Intérêt supérieur des enfants

[32]           Après s’être penché sur l’établissement et l’intégration des demandeurs au Canada, l’agent a conclu que ceux-ci avaient fourni très peu de détails quant à leur établissement au Canada depuis 2002 et, à la lumière de son analyse des renseignements versés dans leurs dossiers, il a conclu qu’il n’existait pas suffisamment de motifs d’ordre humanitaire pour leur accorder une dispense. La Cour fait observer que les demandeurs n’ont pas vraiment contesté cette conclusion.

 

[33]           La Cour a établi comme règle que l’intérêt supérieur de l’enfant constitue un facteur important à prendre en compte dans le cadre des demandes CH. Les demandeurs connaissent cette règle et ils l’ont invoquée pour contester la décision concernant les motifs d’ordre humanitaire; ils prétendent que l’agent d’immigration n’a pas tenu compte de l’intérêt supérieur de leurs enfants nés au Canada comme il devait le faire.

 

[34]           Ils soutiennent que la conclusion défavorable de l’agent enfreint le droit de leurs enfants à une vie familiale, droit consacré dans les pactes internationaux, et ils affirment que les familles qui se trouvent au Canada depuis plusieurs années, qui sont bien établies du point de vue économique et qui ont des enfants nés au Canada devraient, en règle générale, être acceptées lorsqu’elles présentent une demande CH.

 

[35]           L’intérêt supérieur des enfants est un facteur parmi tant d’autres dont l’agent doit tenir compte dans l’évaluation d’une demande CH. Toutefois, cet intérêt ne constitue pas nécessairement un facteur déterminant qui fait obstacle au renvoi de la famille (Bolanos c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1032, [2003] A.C.F. no 1331 (QL)).

 

[36]           La jurisprudence qui traite de l’intérêt supérieur de l’enfant, en commençant par l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, [1999] A.C.S. no 39 (QL), énonce de façon constante l’obligation imposée à l’agent d’être réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché. « Cela ne veut pas dire que l’intérêt supérieur des enfants l’emportera toujours sur d’autres considérations, ni qu’il n’y aura pas d’autres raisons de rejeter une demande d’ordre humanitaire même en tenant compte de l’intérêt des enfants. » Une décision défavorable sera maintenue, sauf si on peut établir que l’agent ne s’est pas acquitté de son obligation parce que « l’intérêt des enfants est minimisé, d’une manière incompatible avec la tradition humanitaire du Canada et les directives du ministre ».

 

[37]           Les demandeurs invitent la Cour à intervenir et à mettre la jurisprudence sur une autre voie. Ils laissent entendre que le fait de vivre au Canada pendant quelque temps, l’établissement économique et le fait d’avoir des enfants nés au Canada sont des critères qui devraient, en règle générale, permettre à une famille de rester ici si elle présente une demande CH. La Cour doit toutefois souligner qu’il appert clairement de la Loi que la décision concernant les motifs d’ordre humanitaire doit être une dispense exceptionnelle du processus d’immigration habituel pour alléger les difficultés excessives ou extrêmes. Seul le législateur, pas la Cour, peut modifier la nature de l’évaluation des motifs d’ordre humanitaire.

 

[38]           En l’espèce, il appert clairement des motifs de l’agent et des éléments de preuve dont il a tenu compte qu’il était « réceptif, attentif et sensible » à l’intérêt supérieur des enfants. Il lui était permis de rendre la décision qui a été la sienne à cet égard, et la Cour ne l’annulera pas parce que les conclusions de l’agent étaient raisonnables et très pertinentes eu égard aux éléments de preuve qu’il a analysés.

 

Facteurs qui ont été évalués

[39]           Les demandeurs soutiennent que l’agent a commis une erreur parce qu’il a principalement examiné le risque auquel la famille serait exposée à son retour au Pakistan plutôt que les difficultés excessives ou extrêmes auxquelles elle serait confrontée. La Cour fait remarquer à cet égard que le risque auquel les demandeurs seraient exposés à leur retour est l’argument fondamental de leur demande. L’agent a évalué leur degré d’établissement au Canada et a conclu qu’il ne permettait  pas de l’emporter sur les facteurs défavorables. Les demandeurs n’ont pas fait valoir beaucoup d’arguments à l’encontre de cette conclusion. La Cour ne peut conclure que l’agent n’a pas évalué les facteurs pertinents applicables à une décision concernant les motifs d’ordre humanitaire.

 

Appréciation de la preuve

[40]           En outre, les demandeurs prétendent que l’agent a commis une erreur lorsqu’il a apprécié la preuve relative au risque personnellement couru par M. Choudhary. La Cour estime qu’il s’agit d’un argument fort intéressant à la lumière de la plainte des demandeurs selon laquelle cette question a été suranalysée. Cela dit, la Cour conclut que, à l’instar de la décision connexe faisant suite à l’ERAR, les demandeurs n’ont pas établi qu’était déraisonnable la décision de l’agent à cet égard.

 

[41]           L’agent a fait directement référence à la preuve documentaire faisant état de violence sectaire et aux éléments de preuve que les demandeurs ont produits. L’agent a conclu que, même si les questions quant à l’authenticité des documents produits par les demandeurs étaient écartées, il n’y avait pas assez d’éléments de preuve pour établir de façon objective l’existence d’un risque personnel.

 

[42]           Après avoir examiné le dossier, la Cour conclut que la preuve donnait ouverture aux conclusions tirées par l’agent d’immigration, que ces conclusions étaient raisonnables et qu’elles devraient donc être maintenues.

 

[43]           Pour les motifs susmentionnés, la Cour rejettera les deux demandes.

 

Questions dont la certification est proposée

[44]           Les demandeurs ont demandé que soient certifiées deux questions qu’ils estiment être graves et de portée générale en application de l’alinéa 74d) de la Loi :

 

Question no 1

Les garanties énoncées aux articles 23 et 24 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques quant à la protection de la famille et la protection de l’enfant rendent-elles obligatoire l’acceptation de demandes de résidence fondées sur des motifs d’ordre humanitaire lorsqu’un conjoint ou des enfants canadiens sont touchés par la décision en l’absence de facteurs contraires défavorables d’envergure?

 

Question no 2

L’agent d’ERAR est-il tenu, en application du droit canadien, de prendre en considération les critères énoncés au paragraphe 3(2) de la Convention contre la torture relativement à un ensemble de violations des droits de la personne massives, systématiques ou flagrantes lorsqu’il évalue la possibilité d’un risque en cas de retour?

 

[45]           Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Liyanagamage, [1994] A.C.F. no 1637 (C.A.) (QL), la Cour d’appel fédérale a fait la déclaration suivante :

 

[4] Lorsqu’il certifie une question sous le régime du paragraphe 83(1), le juge des requêtes doit être d’avis que cette question transcende les intérêts des parties au litige, qu’elle aborde des éléments ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale […] et qu’elle est aussi déterminante quant à l’issue de l’appel. Le processus de certification qui est visé à l’article 83 de la Loi sur l’immigration ne doit pas être assimilé au processus de renvoi prévu à l’article 18.3 de la Loi sur la Cour fédérale ni être utilisé comme un moyen d’obtenir, de la cour d’appel, des jugements déclaratoires a l’égard de questions subtiles qu’il n’est pas nécessaire de trancher pour régler une affaire donnée.

 

 

[46]           En outre, dans la décision Huynh c. Canada, [1995] 1 C.F. 633, 646 (1re inst.), décision qui a été confirmée par la Cour d’appel fédérale [1996] 2 C.F. 976 (C.A.), la Cour a déclaré que, pour être certifiée, la question doit non seulement soulever une question de droit de portée générale, mais il devait aussi s’agir d’une nouvelle question n’ayant pas déjà été tranchée par la Cour d’appel fédérale ou la Cour suprême du Canada.

 

[47]           La première question a été examinée à fond par la Cour d’appel fédérale dans les arrêts Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 4 C.F. 358 (C.A.), au paragraphe 12, et Langner c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1995), 184 N.R. 230 (C.A.), aux paragraphes 8, 9 et 11, et par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Baker, précité, au paragraphe 75. En bref, la présence d’enfants canadiens n’impose pas un certain résultat dans le cadre d’une demande présentée en vertu de l’article 25 de la Loi. Leur présence ne constitue pas en soi un obstacle au « refoulement » d’un parent qui vit illégalement au Canada et ne confère pas le droit de garder ce parent au Canada.

 

[48]           Qui plus est, la Cour d’appel fédérale s’est penchée, aux paragraphes 87 et suivants de l’arrêt De Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 436, [2006] 3 R.C.F. 655 (C.A.F.), sur les répercussions des instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire, y compris le Pacte international relatif aux droits civils et politiques que le Canada a ratifié, mais auxquels il n’a pas prêté effet par voie législative.

 

[49]           La première question n’est pas nouvelle et la Cour d’appel fédérale et la Cour suprême du Canada l’ont déjà tranchée. En conséquence, la Cour refuse de certifier cette question.

 

[50]           La deuxième question vise l’étendue du pouvoir discrétionnaire conféré à l’agent d’ERAR par l’alinéa 13c) et les articles 96 à 98 de la Loi. L’alinéa 97(1)a) de la Loi dispose qu’a qualité de personne à protéger la personne qui serait personnellement exposée au risque, « s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture ».

 

[51]           En l’espèce, l’agent a pris en considération la situation générale des droits de la personne au Pakistan et l’existence d’un risque personnel. La deuxième question soulève des questions de fait qui ne transcendent pas l’intérêt des demandeurs et ne constitue pas une question de portée générale qui devrait être certifiée selon les critères énoncés dans l’arrêt Liyanagamage, précité, au paragraphe 4.

 

[52]           Pour les motifs susmentionnés, la Cour refuse de certifier les deux questions.

 

 

JUGEMENT

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

REJETTE les demandes de contrôle judiciaire de la décision concernant les motifs d’ordre humanitaire rendue dans le dossier IMM-3226-07 et de la décision faisant suite à l’ERAR rendue dans le dossier IMM-3227-07 et

 

REFUSE DE CERTIFIER les questions que les demandeurs ont proposées à l’égard des deux dossiers.

 

 

 

 

« Maurice E. Lagacé »

Juge suppléant

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                   IMM-3226-07, IMM-3227-07

 

INTITULÉ :                                                  NAVEED AKRAM CHOUDHARY ET AL.

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                            MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                          LE 19 MARS 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                         LE JUGE SUPPLÉANT LAGACÉ

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                                  LE 7 AVRIL 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Stewart Istvanffy

 

POUR LES DEMANDEURS

Daniel Latulippe

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Stewart Istvanffy

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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