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Date : 20080410

Dossier : IMM-3669-07

Référence : 2008 CF 456

Montréal (Québec), le 10 avril 2008

En présence de l'honorable Maurice E. Lagacé

 

ENTRE :

THÉRÈSE BERGERON

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               La demanderesse conteste par une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), la décision du 24 août 2007 de la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le Tribunal), ayant pour effet de rejeter la demande de résidence permanente de son époux.

Les faits

[2]               Citoyenne canadienne âgée de 69 ans et divorcée depuis 1974, la demanderesse rencontre son futur époux, M. Salem Mansouri (le requérant), en octobre 2001, sur une plage à l’occasion d’un voyage touristique en Tunisie. Le requérant est citoyen de Tunisie et âgé de 32 ans.

[3]               Coup de foudre, les deux ne se quittent pas jusqu’au départ trois jours plus tard de la demanderesse pour le Canada. La demanderesse retourne en Tunisie en novembre 2002 ainsi qu’à deux reprises au cours de l’année 2003 et revoit le requérant. Conquise, la demanderesse marie le requérant en Tunisie le 18 octobre 2003.

[4]               Par la suite, la demanderesse revient au pays et de 2004 à 2006 elle retourne en Tunisie visiter le requérant. Entre ces rencontres, ils communiquent par téléphone et par correspondance.

[5]               La demanderesse parraine la demande de résidence permanente du requérant, refusée le 29 avril 2005 par un agent d’immigration à l’ambassade du Canada de Paris (l’agent), et ce, au motif qu’à son avis « le mariage n’était pas authentique et visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la Loi ».

[6]               La demanderesse interjette appel de la décision de l’agent et le Tribunal confirme la validité de celle-ci. Le présent recours vise la décision du Tribunal.

Décision contestée

[7]               Pour décider qu’il ne s’agit pas d’un mariage authentique au sens où l’entend la Loi, le Tribunal retient contre le couple les facteurs négatifs suivants : la différence de religion, de culture et d’expérience de vie des deux partenaires, les nombreuses divergences dans leurs récits, l’absence des membres de la famille du requérant lors du mariage contrairement à la coutume tunisienne, les souvenirs photographiques limités du mariage, les sorties sociales ou familiales réduites du couple et l’acceptation de la demanderesse par la belle-famille malgré la grande différence d’âge de 37 ans. Et bien que le Tribunal ne doute aucunement de la bonne foi de la demanderesse et constate un attachement réel au requérant, il ne croit pas toutefois à la bonne foi du requérant.

Questions en litige

[8]               Le litige soulève essentiellement deux seules questions:

a)      La décision du Tribunal est-elle déraisonnable?

b)      Le Tribunal a-t-il permis à la demanderesse de se faire entendre ou a-t-il fait preuve de partialité ?

La norme de contrôle

[9]               La norme de contrôle applicable à une décision du Tribunal portant sur une pure question de fait, telle la bonne foi d’un mariage, est celle de la décision raisonnable, depuis l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9.

[10]           Le jugement dont se plaint la demanderesse découle d’une audition de novo au sens le plus large. Il incombe donc à la demanderesse et à la personne parrainée de prouver, selon la balance des probabilités, que l'article 4 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement), n’exclut pas l'époux parrainé. L'examen de la question de savoir si un mariage est de bonne foi s'appuie donc sur des conclusions de fait, ainsi que le tri et l'appréciation de la preuve (Khera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 632, [2007] A.C.F. no 886 (QL)).

[11]           De plus, cette Cour considère comme acquis que le Tribunal a pris en compte tous les éléments de preuve dont il disposait pour rendre sa décision, et a analysé celle-ci dans son ensemble pour ne retenir que ceux soutenant ses conclusions.

[12]           Faute d’avoir entendu la preuve, la Cour ne possède pas le même avantage que le Tribunal pour apprécier la crédibilité à laquelle pouvait avoir droit la demanderesse et le requérant. C’est pourquoi selon l’enseignement de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir, ci-dessus, la Cour se doit de faire preuve d'une grande retenue à l'égard de la décision d’un Tribunal protégée par une clause privative et portant, comme dans l’espèce, sur une question de nature purement factuelle, et ce, d’autant plus que le Tribunal agit dans un « régime administratif distinct et particulier dans le cadre duquel (comme) décideur (il) possède une expertise spéciale » (Dunsmuir, ci-dessus, au paragraphe 55).

 

Analyse

a)         La décision du Tribunal est-elle déraisonnable?

 

[13]           La demanderesse soutient que le Tribunal n’a pas tenu compte de toute la preuve au dossier. La Cour a relu celle-ci ainsi que la décision et ne peut partager ce point de vue. La preuve a bel et bien été considérée. En réalité, la demanderesse dans son argumentation ne se plaint pas tant de l’examen de la preuve fait par le Tribunal que de son interprétation de celle-ci et des conclusions qu’il en tire. En somme, le Tribunal n’accorde pas à la preuve le même poids que lui accorde la demanderesse.

 

[14]           Dans le présent cas, le Tribunal bénéficie de l’avantage d’avoir vu la demanderesse et le requérant en entrevue avant de conclure que leur différence d’âge et de religion constitue un facteur négatif à retenir contre leur demande. Ce point a d’ailleurs été abordé de façon suffisamment précise lors de leur entrevue.

[15]           Devant cette Cour, la demanderesse se contente de réitérer la plupart des explications fournies au Tribunal quant aux divers facteurs négatifs que retient celui-ci pour ne pas prêter foi à ces explications et conclure comme il le fait dans sa décision.

[16]           La preuve révèle des incohérences, des contradictions et plusieurs invraisemblances identifiées par le Tribunal et venant appuyer sa décision. Certes, la demanderesse et le requérant ont tenté de contourner celles-ci, mais leurs explications n’ont pas convaincu le Tribunal de conclure autrement qu’il ne le fait dans sa décision. C’était là le fardeau du couple et à lui seul de convaincre le Tribunal par une preuve suffisamment crédible pour lui permettre de donner suite à leur demande dans le respect de l’article 4 du Règlement à l’effet que :

4.   Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait, le partenaire conjugal ou l’enfant adoptif d’une personne si le mariage, la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux ou l’adoption n’est pas authentique et vise principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la Loi.

 

4.   For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common-law partner, a conjugal partner or an adopted child of a person if the marriage, common-law partnership, conjugal partnership or adoption is not genuine and was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under the Act.

 

[17]           Malheureusement la demanderesse n’a pas convaincu le Tribunal « selon prépondérance de la preuve que sa relation avec le requérant est authentique et qu’elle ne vise pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège au terme de la loi ».

[18]           Après analyse de cette preuve et de la décision dont se plaint la demanderesse, la Cour ne relève aucune erreur déraisonnable justifiant une intervention pour substituer sa propre opinion à celle du Tribunal visé, compte tenu de la déférence due à celui-ci quant à la réponse qu’il donne à une question d’appréciation purement factuelle.

b)         Le Tribunal a-t-il permis à la demanderesse de se faire entendre ou a-t-il fait     preuve de partialité?

[19]           La lecture de la transcription des notes sténographiques révèle que la demanderesse et le requérant ont eu l’occasion d’être entendus, la Cour ne s’attardera donc pas à cette question dénuée de tout fondement.

[20]           Quant à la partialité que la demanderesse reproche au Tribunal, la Cour croit bon de rappeler le critère à retenir lors de l’examen de la question de la crainte raisonnable de partialité, tel qu’énoncé dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l'énergie), [1978] 1 R.C.S. 369, à la page 394, et repris à plusieurs reprises, notamment dans la décision Pasion c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 91, au paragraphe 11 :

Le test applicable pour savoir s’il y a accroc à l’équité procédurale à cause de partialité est de se demander si une personne raisonnable et bien informée de la communauté percevrait de la partialité (voir Mohamed c. ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 CF 696, [2006] A.C.F. no 881 (1re inst.) (QL)).

[21]           Après avoir relu et analysé la transcription et la preuve au dossier ainsi que la décision attaquée, la Cour n’accepte pas les reproches de la demanderesse quant à la partialité du Tribunal. Bien que celui-ci ait parfois intervenu pour clarifier certains points, il ne s’agit pas d’un cas où « une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique », pourrait conclure que le Tribunal a fait preuve de partialité.

[22]           Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

JUGEMENT

POUR TOUS CES MOTIFS, LA COUR :

REJETTE la demande de contrôle judiciaire.

 

 

 

 

« Maurice E. Lagacé »

Juge suppléant

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3669-07

 

INTITULÉ :                                       THÉRÈSE BERGERON  c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 25 mars 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT:      Maurice E. Lagacé, juge suppléant

 

DATE DES MOTIFS :                      le 10 avril 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Patrick-Claude Caron

 

POUR LA DEMANDERESSE

Zoé Richard

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Caron avocats

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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