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Date : 20080407

Dossier : IMM-608-07

Référence : 2008 CF 449

Ottawa (Ontario), le 7 avril 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

 

 

ENTRE :

MUHAMMAD SHEHZAD KHOKHAR

et NAJMA SHEHZAD KHOKHAR

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) visant le contrôle judiciaire d’une décision du 10 janvier 2007 (la décision) de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), dans laquelle la Commission a conclu que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention conformément à l’article 96 de la Loi, ni des personnes à protéger conformément à l’article 97 de la Loi.

 

LE CONTEXTE

 

[2]               Le demandeur principal, Muhammad Shehzad Khokhar, et sa femme, Najma Shehzad Khokhar, sont des citoyens du Pakistan. Ils appartiennent à des tribus différentes. Ils font valoir une crainte de persécution, selon leurs allégations, de la part de la puissante famille de la femme, qui exige selon la tradition un mariage au sein de la famille élargie.

 

[3]               Les demandeurs prétendent avoir été battus par des membres de la famille de Najma en 1989, au moment où la famille a appris qu’ils envisageaient de se marier. Menacé de mort s’il ne quittait pas la région, Muhammad s’est rendu à Rawalpindi, au Pakistan, où il est demeuré deux ans.

 

[4]               En 1990, Muhammad s’est rendu à Dubai pour travailler. En mai 1998, il est revenu au Pakistan et le couple s’est marié à Lahore. Pendant leur voyage de noces, des membres de la famille de Najma auraient, selon ce qu’allèguent les demandeurs, attaqué la maison des parents de Muhammad à Lahore et se seraient enquis de l’endroit où se trouvait le couple. Informé de l’attaque, le couple s’est rendu à Sialkot, au Pakistan, où il a habité chez l’oncle de Muhammad. Quelques jours plus tard, le couple est revenu à Lahore. Vers cette époque, la famille de Najma vivait dans le district de Tobatigson au Pakistan, à 250 kilomètres environ de Lahore.

 

[5]               Le couple est resté caché dans la maison des parents de Muhammad à Lahore. Environ un mois et demi plus tard, Muhammad est retourné travailler à Dubai, laissant sa femme chez ses parents. Les parents de Muhammad, allèguent les demandeurs, ont commencé à insulter Najma et menacé de la tuer parce qu’ils réprouvaient eux aussi ce mariage. Muhammad a emmené Najma à Dubai en mai 2001 après avoir appris la façon dont ses parents la traitaient.

 

[6]               À deux reprises au moins, le couple est revenu au Pakistan pour des vacances et il a habité dans le district de Kasur environ un mois chaque fois. À l’expiration du contrat de Muhammad à Dubai en août 2004, le couple est revenu vivre au Pakistan, à Lahore. En novembre 2004, Muhammad y a lancé une entreprise avec un partenaire.

 

[7]               En novembre 2005, des individus armés de fusils ont tenté, selon ce qu’allèguent les demandeurs, d’attaquer leur maison. Muhammad prétend avoir aperçu deux frères de sa femme. Le couple s’est échappé et a appelé la police. Aucun procès-verbal introductif n’a été enregistré. Selon les demandeurs, la police les a conduits au poste de police; Muhammad y a été giflé, battu et on lui a réclamé un pot-de-vin de 50 000 roupies.

 

[8]               Les demandeurs se sont rendus à Sialkot habiter chez un oncle éloigné de Muhammad et ils ont tous les deux obtenu des visas pour le Royaume-Uni et le Canada par l’entremise d’un passeur. Les demandeurs ont quitté le Pakistan de Lahore et sont arrivés au Canada le 11 avril 2006. Le 19 avril 2006, ils ont déposé une demande de statut de réfugié fondée sur leur appartenance à un groupe social.

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

 

[9]               La Commission a conclu que les demandeurs n’avaient pas de crainte justifiée de persécution fondée sur un motif de la Convention et qu’il n’y avait pas de possibilité sérieuse qu’ils soient exposés à une menace à leur vie ou au risque de traitements ou de peines cruels et inusités, ou encore au  risque de torture s’ils revenaient au Pakistan.

 

[10]           La Commission a conclu, selon la prépondérance de la preuve, que la preuve produite par les demandeurs n’était ni crédible ni digne de foi en raison d’incohérences et d’omissions dans leur témoignage ainsi que de certaines conclusions d’invraisemblance concernant leur récit. À cet égard, la Commission a dégagé les conclusions suivantes :

a.       Il était invraisemblable que la famille de Najma, si elle réprouvait le mariage, n’ait pas tenté de faire du mal à Najma, qui avait continué de vivre à la maison des parents de son mari à Lahore pendant presque deux ans.

b.      Les allégations des demandeurs n’étaient pas vraies parce qu’elles ne correspondaient pas au dossier d’information sur le pays.

c.       L’explication de Muhammad au sujet de son retour de Dubai à Lahore en 2004 – il pensait que tout était calme – n’était pas satisfaisante étant donné qu’il a affirmé qu’il craignait toujours les parents de sa femme.

d.      Il n’était pas plausible que Muhammad craigne la persécution alors qu’il était revenu au Pakistan à de nombreuses reprises et n’avait pas eu de problèmes. Les actes de Muhammad n’étaient pas ceux d’une personne éprouvant une crainte subjective.

e.       Il n’était pas plausible que la famille de Najma, si elle avait l’intention de faire du mal au couple en raison de son mariage, n’ait pas tenté de le faire entre l’unique incident de 1998 et l’incident de novembre 2005.

f.        Les demandeurs n’avaient ni rapports de police ni articles de journaux faisant état de l’attaque de leur domicile en novembre 2005. La Commission en a tiré une conclusion défavorable et conclu que l’incident n’avait jamais eu lieu.

g.       Muhammad a témoigné qu’il avait été battu par la police. Ce renseignement ne figurait pas dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP). La Commission a conclu que Muhammad n’était pas crédible et a tiré une conclusion défavorable de cette omission.

 

[11]           La Commission a ensuite exposé le critère qui se trouve dans la décision Thirunavukkurasu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), [1994] 1 C.F. 589, [1993] A.C.F. n° 1172 (C.A.F.) (QL) et tiré une conclusion subsidiaire, à savoir que les demandeurs avaient une possibilité de refuge intérieur (PRI) à Rawalpindi ou à Kasur.

 

[12]           La Commission s’est ensuite penchée sur l’émotion qu’a manifestée Najma au cours de l’audience au moment où le nom de sa mère a été mentionné. La Commission a conclu que [traduction] « l’effondrement » de Najma s’expliquait par le fait de ne pouvoir voir sa mère et de ne pouvoir elle-même devenir mère. La Commission a conclu que les émotions de la demanderesse n’indiquaient pas que la famille de Najma ferait du mal au couple au Pakistan en raison de son mariage.

 

[13]           En résumé, la Commission a conclu que Muhammad n’était pas crédible et que ses nombreux voyages de retour au Pakistan constituaient une façon de s’exposer de nouveau et indiquaient l’absence de toute crainte subjective. À titre subsidiaire, les deux demandeurs avaient une PRI à Rawalpindi ou dans le district de Kasur. La Commission a rejeté la demande de Muhammad, puis rejeté la demande de Najma, comme celle-ci était fondée sur la demande de son mari.

 

LES QUESTIONS SOULEVÉES

 

[14]           Les demandeurs ont soulevé les questions suivantes :

(1)     La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en ne prenant pas en considération ou en interprétant mal la preuve dont elle avait été régulièrement saisie?

(2)     La Commission a-t-elle commis une erreur en tirant des conclusions de fait manifestement déraisonnables ou en appuyant sa décision sur des conclusions de fait dégagées de manière abusive et arbitraire, sans égard aux documents dont elle était régulièrement saisie?

(3)     La Commission a-t-elle mal appliqué ou mal interprété la définition du réfugié au sens de la Convention, ce qui constituerait une erreur de droit?

(4)     Si les erreurs de la Commission n’étaient pas des erreurs de droit pouvant être soumises au contrôle judiciaire, l’effet cumulatif de ces erreurs équivalait-il à une erreur de droit?

 

LES MOTIFS

 

[15]           J’estime que l’allégation selon laquelle la Commission a mal appliqué ou mal interprété la définition du réfugié au sens de la Convention est sans fondement. La Commission a correctement examiné s’il existait plus qu’une simple possibilité de persécution des demandeurs au Pakistan. De la même manière, la Commission a correctement caractérisé le fardeau de preuve incombant aux demandeurs, d’établir « une possibilité sérieuse » de persécution ou de menace à leur vie, de risque de traitements ou de peines cruels et inusités ou encore d’un risque d’être soumis à la torture (Adjei c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 2 C.F. 680, [1989] A.C.F. n° 67, au paragraphe 9 (C.A.F.) (QL) [Adjei]). Par conséquent, appliquant la norme du caractère correct de la décision, je conclus qu’il n’y a pas d’erreur justifiant le contrôle pour ce motif.

 

[16]           Les véritables questions que soulève l’espèce peuvent être reformulées comme suit :

1.                  La Commission a-t-elle commis une erreur en tirant des conclusions déraisonnables d’incrédibilité et d’invraisemblance ou en ne prenant pas en considération ou en interprétant mal la preuve dont elle avait été régulièrement saisie?

2.                  La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que les demandeurs avaient une PRI viable?

 

3.                  Si les erreurs de la Commission, prises individuellement, ne peuvent être soumises au contrôle judiciaire, leur effet cumulatif équivaut-il à une erreur de droit?

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

[17]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a réexaminé la norme d’analyse applicable au contrôle des décisions administratives et proposé deux normes : la décision raisonnable et la décision correcte. La Cour suprême a également donné des orientations pour fixer la norme de contrôle appropriée dans une affaire donnée :

[…] en présence d’une question touchant aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à la politique, et lorsque le droit et les faits ne peuvent être aisément dissociés, la norme de la raisonnabilité s’applique généralement. De nombreuses questions de droit commandent l’application de la norme de la décision correcte, mais certaines d’entre elles sont assujetties à la norme plus déférente de la raisonnabilité. (Dunsmuir, au paragraphe 51).

 

La Cour suprême a ensuite déclaré que l’analyse relative à la norme de contrôle comprend deux étapes :

 

Premièrement, la cour de révision vérifie si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier. En second lieu, lorsque cette démarche se révèle infructueuse, elle entreprend l’analyse des éléments qui permettent d’arrêter la bonne norme de contrôle. (Dunsmuir, au paragraphe 62).

 

[18]           En l’espèce, le demandeur attaque les conclusions d’invraisemblance et d’incrédibilité de la Commission. Ces conclusions sont de nature hautement factuelle. Dans de nombreuses décisions antérieures à l’arrêt Dunsmuir, la Cour a conclu que la norme de contrôle appropriée était le caractère manifestement déraisonnable de la décision (Soosaipillai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1040, au paragraphe 9; Xu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1701, [2005] A.C.F. n° 2127 (QL), au paragraphe 5; Asashi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 102, [2005] A.C.F. n° 129 (QL), au paragraphe 6; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Elbarnes, 2005 CF 70, [2005] A.C.F. n° 98 (QL), au paragraphe 19). Dans la décision Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1993) 160 N.R. 315, [1993] A.C.F. n° 732, au paragraphe 4 (C.A.F.) (QL), la Cour d’appel fédérale a examiné la norme de contrôle applicable à la détermination de la crédibilité d’un demandeur par la Commission, en notant le degré élevé de déférence à accorder à de telles décisions :

Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé, qu’est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d’un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d’un récit et de tirer les inférences qui s’imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d’attirer notre intervention, ses conclusions sont à l’abri du contrôle judiciaire.

 

[19]           Toutefois, la Cour peut intervenir et annuler une conclusion en matière de vraisemblance dans le cas où la preuve dont est saisie la Commission n’étaie pas les motifs qui sont présentés. Comme l’a déclaré le juge MacKay dans la décision Yada c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1998), 140 F.T.R. 264, [1998] A.C.F. n° 37 (QL), au paragraphe 25 :

Lorsque la conclusion de non-crédibilité repose sur des invraisemblances relevées par le tribunal, la Cour peut, à loccasion dun contrôle judiciaire, intervenir pour annuler la conclusion si les motifs invoqués ne sont pas étayés par les éléments de preuve dont était saisi le tribunal, et la Cour ne se trouve pas en pire situation que le tribunal connaissant de laffaire pour examiner des inférences et conclusions fondées sur des critères étrangers aux éléments de preuve tels que le raisonnement ou le sens commun.

 

[20]           En outre, dans l’évaluation de la crédibilité, il convient de se rappeler que les allégations du demandeur du statut de réfugié sont présumées être vraies, sauf s’il y a des raisons de mettre en doute leur véracité (Valtchev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2001), 208 F.T.R. 267, 2001 CFPI 776, au paragraphe 6 (C.F.1re inst.); voir également Moldonado c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1979), [1980] 2 C.F. 302, [1979] A.C.F. n° 248 (C.A.F.) (QL) [Moldonado]).

 

[21]           La question de savoir si la Commission a commis une erreur en concluant que les demandeurs disposaient d’une PRI viable constitue également un examen des faits et, dans le passé, elle a été soumise au contrôle judiciaire selon la norme du caractère manifestement déraisonnable (voir Sivasamboo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] 1 C.F. 741, [1994] A.C.F. nº 2018 (QL); Ramachanthran c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 234 F.T.R. 206, 2003 CFPI 673; Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 193; Chorny c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2003), 238 F.T.R. 289, 2003 CF 999).

[22]           À la lumière de l’arrêt Dunsmuir et de la jurisprudence antérieure de la présente Cour, je conclus que la norme de contrôle applicable à ces questions factuelles est le caractère raisonnable. Dans l’examen d’une décision selon la norme du caractère raisonnable, l’analyse s’attachera « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47).

 

[23]           S’agissant de la troisième question que soulève la présente demande, compte tenu de la nature discrétionnaire des décisions de la Commission en matière de statut de réfugié et de la déférence dont il faut faire preuve à l’égard de ces décisions dans un contrôle judiciaire, je suis d’avis que la norme applicable au contrôle de la décision dans son ensemble, compte tenu de l’effet cumulatif des erreurs, s’il y a lieu, commises par la Commission dans l’élaboration de sa décision, est le caractère raisonnable de la décision. Cependant, avant de poursuivre, je note que sans égard au fait que j’applique aux questions visées en l’espèce la norme du caractère manifestement déraisonnable, antérieure à l’arrêt Dunsmuir, ou la norme du caractère raisonnable, postérieure à l’arrêt Dunsmuir, mes conclusions sont les mêmes.

 

 

1.                         La Commission a-t-elle commis une erreur en tirant des conclusions déraisonnables d’incrédibilité et d’invraisemblance ou en ne prenant pas en considération ou en interprétant mal la preuve dont elle avait été régulièrement saisie?

 

[24]           Les demandeurs soutiennent que, dans son appréciation de la crédibilité de Muhammad, la Commission a été d’une rigueur et d’une exigence excessives. Ils font valoir que la Commission a commis une erreur en tirant des conclusions défavorables en matière de crédibilité fondées sur l’absence d’attaques de la part de la famille de Najma entre 1998 et novembre 2005 ainsi que sur le fait qu’on ne lui avait pas fait de mal pendant qu’elle vivait à Lahore chez les parents de Muhammad. Ces conclusions, laissent entendre les demandeurs, étaient des conclusions d’invraisemblance conjecturales et totalement non fondées. De plus, elles étaient déraisonnables étant donné que les demandeurs [traduction] « se cachaient la plupart du temps », qu’ils étaient [traduction] « prudents » et que rien n’établissait que la famille de Najma connaissait le lieu où elle habitait au cours de cette période déterminée.

 

[25]           Je ne suis pas d’avis que les conclusions de la Commission sur cette question étaient conjecturales, non fondées et déraisonnables. Comme l’a déclaré la Commission à la page 4 de sa décision :

[traduction] Les éléments de preuve dont était saisi le tribunal indiquaient que le demandeur, pendant son séjour à Dubai, était allé au Pakistan à de nombreuses reprises. On lui a demandé s’il avait eu des problèmes au cours de ces visites et il a répondu par la négative, mais il a poursuivi en disant que sa maison avait été attaquée en 1998, puis qu’il n’était rien arrivé par la suite. Le tribunal n’estime pas plausible qu’il allègue avoir eu des craintes alors qu’il est retourné de nombreuses fois sans éprouver de problèmes […]

 

[26]           La Commission a poursuivi aux pages 5 et 6 :

[traduction] Interrogé sur la distance qui séparait Toba-Tek-Singh [où vivaient ceux qu’on alléguait être les persécuteurs] de Gulshan Ravi, à Lahore, il a répondu environ 250 kilomètres. Le demandeur est revenu à [Lahore] de Dubai, du Royaume-Uni et aussi de Kasur et de Rawalpindi, bien qu’il ait témoigné que la famille de sa femme habitait maintenant à 250 kilomètres environ de cet endroit et qu’il savait où se trouvait la résidence de la famille du demandeur.

 

Le tribunal conclut que les actes du demandeur ne sont pas ceux d’une personne qui éprouve une crainte subjective. Comme seule explication, le demandeur dit qu’il était prudent. Le tribunal ne juge pas cette explication satisfaisante alors que le demandeur a témoigné avoir ouvert une entreprise et habité avec sa femme.

 

Le tribunal trouve invraisemblable que la famille de la femme du demandeur, si elle avait eu l’intention de faire du mal aux demandeurs en raison de leur mariage, n’ait fait aucune tentative entre l’unique incident qu’il allègue en 1998 et l’incident de novembre 2005, au cours des nombreux retours au Pakistan du demandeur et lorsque l’affaire commençait. Le tribunal estime que les actes du demandeur indiquent une absence de crainte subjective et minimisent la présence et l’efficacité de l’agent de persécution, en l’occurrence sa belle-famille, selon le demandeur.

 

 

[27]           Selon le témoignage de Muhammad, pendant son séjour à Dubai, il est revenu à Lahore aux six mois environ. Une fois déménagé à Dubai, le couple est revenu au Pakistan à de nombreuses reprises, passant environ un mois au Pakistan chaque année. De plus, le couple est revenu au Pakistan vivre à Lahore au terme du contrat de Muhammad à Dubai. Les demandeurs ont également visité le Royaume-Uni et sont rentrés au Pakistan du Royaume-Uni. Selon ces éléments de preuve, il n’était pas déraisonnable pour le tribunal de conclure que le couple, en effectuant ces retours, se livrait de nouveau aux persécuteurs allégués et n’avait pas de crainte subjective de persécution de la part de la famille de Najma, sans égard au témoignage de Muhammad selon lequel les demandeurs [traduction] « se cachaient la plupart du temps » et étaient « prudents ». On aurait pu tirer d’autres conclusions, mais les conclusions de la Commission ne peuvent être jugées déraisonnables.

 

[28]           Il était aussi loisible à la Commission de conclure que les allégations relatives aux intentions de la famille de Najma de faire du mal au couple étaient invraisemblables, étant donné que la famille n’avait effectué aucune tentative de cette sorte entre 1998 et 2005. Comme je l’ai noté ci-dessus, Muhammad est revenu au Pakistan à de nombreuses reprises de 1998 à 2004. Puis, en 2004, il est revenu vivre à Lahore. Malgré la présence de Muhammad au Pakistan, la famille n’a pas cherché à faire du mal à Muhammad avant l’incident qu’il allègue en 2005, qui s’est produit environ un an et demi après que le couple a de nouveau établi sa résidence à Lahore.

 

[29]           De plus, il était loisible à la Commission de trouver invraisemblable que la famille n’ait pas fait de mal à Najma au cours de la période initiale qui a suivi le mariage. De 1998 à 2001, Najma vivait à Lahore chez les parents de Muhammad dans la résidence même que sa famille avait attaquée, selon ce qui était allégué. Quand on a demandé à Najma pourquoi sa famille n’avait pas pu la trouver au cours de cette période, elle a expliqué que sa famille pensait qu’elle se trouvait à Dubai et elle a ajouté qu’elle ne quittait pas la maison. Cependant, Muhammad a également témoigné que la famille de Najma était puissante et disposait de ressources financières et d’appuis politiques. Il n’était pas déraisonnable de supposer qu’étant donné le pouvoir que possédait la famille, selon les allégations, et l’attaque antérieure perpétrée contre la maison des parents de Muhammad, la famille de Najma aurait pu la trouver dans la maison des parents de Muhammad et aurait effectué d’autres attaques si elle avait voulu le faire. Si la famille de Najma était véritablement inflexible dans son intention de tuer Najma pour défendre l’honneur de la famille, on se serait attendu qu’elle revienne à la maison des parents de Muhammad à la recherche de l’un des demandeurs. La famille de Najma ne l’a pas fait. À mon avis, il était loisible à la Commission de conclure qu’il était invraisemblable que la famille de Najma, si elle était opposée au mariage, n’ait fait aucun effort pour lui faire du mal pendant qu’elle continuait de vivre à cette maison pendant presque deux ans. Je ne puis donc dire que les conclusions de la Commission étaient déraisonnables.

 

[30]           Les demandeurs soutiennent aussi que la Commission a commis une erreur en tirant une conclusion défavorable en matière de crédibilité sur la foi de l’absence de rapports de police et d’articles de journaux corroborant leur allégation concernant l’attaque contre leur domicile par la famille de Najma en 2005. Selon les demandeurs, la Commission leur a imposé une norme de preuve d’une rigueur indue.

 

[31]           Dans l’examen de cet argument, je dois me rappeler que, dans une demande visant le statut de réfugié, le fardeau de la preuve incombe au revendicateur (Thamotharem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2007), 366 N.R. 301, 2007 CAF 198 (C.A.F.)) et que la norme de preuve qui sous-tend les éléments factuels d’une demande est la prépondérance de la preuve (Adjei, précité, au paragraphe 5; voir également la décision Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2006), [2007] 1 R.C.F. 561, 2006 CF 420, au paragraphe 184 (C.F. 1re inst.)).

[32]           En l’espèce, la Commission a noté qu’il n’y avait [traduction] « aucun élément de preuve corroborant cet incident […] par exemple un rapport de police ou un article de journal indiquant qu’une maison de Gulshan Ravi à Lahore avait été attaquée » (décision, à la page 6). La Commission a tiré une conclusion défavorable aux demandeurs de l’absence de preuve documentaire de cette nature et conclu que l’incident n’avait jamais eu lieu.

 

[33]           S’agissant de cette conclusion, la Commission a commis deux erreurs à mon point de vue. Premièrement, la jurisprudence établit clairement que le témoignage d’un revendicateur ne peut être discrédité au seul motif qu’une preuve documentaire ne l’a pas corroboré. L’absence de preuve n’est pas en soi un motif justifiant de ne pas accorder foi au témoignage sous serment d’un demandeur sur ses propres expériences (Santos c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2004), 37 Imm. L.R. (3d) 241, 2004 CF 937, au paragraphe 17).

 

[34]           De plus, dans la décision Ahortor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 65 F.T.R. 137, [1993] A.C.F. nº 705, aux paragraphes 45 à 48, le juge Teitelbaum a conclu que la Commission n’avait pas le loisir de tirer des conclusions défavorables et de conclure que le récit d’un revendicateur n’était pas crédible parce que celui-ci n’était pas en mesure de fournir une preuve documentaire corroborant ses prétentions.

 

[35]           Dans l’affaire Attakora c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1989), 99 N.R. 168, [1989] A.C.F. nº 444 (C.A.F.) [Attakora], la Commission d’appel de l’immigration n’avait pas ajouté foi au témoignage d’un demandeur blessé au genou au motif qu’aucun rapport médical ne corroborait le témoignage. La Cour d’appel fédérale a statué que « labsence dune preuve médicale ne constitue pas en soi un motif de mettre en doute le récit du requérant. En fait, considérant labsence dune telle preuve médicale, la Commission nétait pas en mesure de conclure quune fracture au genou du requérant lui aurait rendu impossible de marcher sur ce genou » (Attakora, à la page 200). La Cour d’appel fédérale a conclu que la Commission avait commis une erreur de droit en tirant une conclusion qu’aucune preuve n’étayait.

 

[36]           En l’espèce, Muhammad a témoigné que le couple avait contacté la police, mais que la police avait refusé d’enregistrer une déclaration d’incident en raison de l’influence alléguée de la famille de Najma. Malgré cet élément de preuve testimoniale, la Commission s’est concentrée sur l’absence d’une preuve documentaire sous forme de rapports de police et d’articles de journaux et elle a tiré une conclusion défavorable du défaut du demandeur de fournir ce type de preuve. En tirant cette conclusion, la Commission n’a pas pris en considération la présomption de véracité du témoignage d’un revendicateur exposée dans la décision Moldonado et, sans éléments de preuve contredisant l’allégation, la Commission a conclu erronément que l’incident ne s’était jamais produit.

 

[37]           Deuxièmement, les demandeurs ont produit un affidavit d’un oncle éloigné de Muhammad comme élément de preuve documentaire corroborant l’incident. L’affidavit déclare ce qui suit :

[traduction] […] Muhammad Shehzad Khokhar et Najma Shehzad Khokhar sont tous les deux arrivés chez moi à Sialkot le 14 novembre 2005. Ils paraissaient alors bouleversés. Ils m’ont dit que des fiers-à-bras inconnus avaient attaqué leur maison avec des intentions de meurtre. Ils m’ont ensuite dit qu’ils avaient échappé de justesse à cette attaque meurtrière. L’attaque meurtrière leur avait fait très peur et ils éprouvaient de la difficulté à en parler. Le mari et la femme sont restés cachés dans ma maison jusqu’au 10 avril 2006 […]

 

 

[38]           Bien que l’affidavit mentionne les attaquants de manière vague en parlant de « fiers‑à‑bras inconnus », il constituait un élément de preuve à l’appui de l’allégation des demandeurs relative à l’incident de novembre 2005. En dépit de la présomption établie dans l’arrêt Florea c. Canada (Ministre de l’emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. nº 598, au paragraphe 1 (C.A.F.), portant que la Commission a pris en considération tous les documents de la preuve dont elle a été saisie, on peut inférer une erreur dans une conclusion de fait dans le cas où un tribunal administratif n’a pas « mentionné dans ses motifs certains éléments de preuve dont il était saisi et qui étaient pertinents à la conclusion, et en arriver à une conclusion différente de celle de l’organisme » (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35, [1998] A.C.F. nº 1425, au paragraphe 15 (QL)).

 

[39]           Il était loisible à la Commission de conférer peu de poids à l’affidavit. Toutefois, compte tenu de la pertinence du document et de l’importance de l’incident, la Commission avait l’obligation d’indiquer les motifs pour lesquels elle rejetait cet élément de preuve lorsqu’elle a conclu que l’attaque alléguée n’avait jamais eu lieu. Je note toutefois que cette erreur ne justifierait pas en elle-même l’annulation de la décision. Le fait que la Commission n’ait pas mentionné certains éléments de la preuve documentaire dont elle était saisie n’entache pas toujours sa décision de nullité à cet égard (Hassan c. Canada (Ministre de l’emploi et de l’Immigration) (1992), 147 N.R. 317, [1992] A.C.F. nº 946 (C.A.F.) (QL)). Cependant, à mon avis, l’erreur importante de la Commission est d’avoir conclu qu’un incident clé, en l’occurrence l’attaque de novembre 2005, ne s’était jamais produit en raison de l’absence d’éléments de preuve corroboratifs tels qu’un rapport de police ou des articles de journaux. Si la décision avait été motivée par la crédibilité seulement, je crois qu’elle aurait dû être renvoyée pour un nouvel examen. De même, il est difficile de comprendre les observations de la Commission au sujet de l’état émotif de Najma à l’audience. La Commission ne donne aucune justification à ses conclusions, mais il est évident que la Commission considérait les questions de crédibilité et l’importance de l’état émotif de Najma à l’égard de ces questions. Mais la conclusion de la Commission ne s’appuie sur aucun motif que je puisse accepter et elle constitue une erreur susceptible de révision. Toutefois, la Commission a dégagé une conclusion subsidiaire distincte au sujet de la disponibilité d’une PRI et, à mes yeux, cette conclusion suffit à étayer la conclusion générale de la Commission portant que les demandeurs ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention et ne sont pas en danger s’ils sont renvoyés.

 

La possibilité de refuge intérieur

 

[40]           Comme je l’ai déjà mentionné, la Commission a dégagé une conclusion subsidiaire selon laquelle les demandeurs disposaient d’une PRI à Rawalpindi ou à Kasur. Pour en arriver à cette conclusion, la Commission a appliqué le critère exposé dans la décision Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l’emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 589, [1993] A.C.F. nº 1172 (C.A.F.) (QL) [Thirunavukkarasu]. Le critère permettant d’établir s’il existe une PRI viable comporte deux volets : premièrement, la Commission doit être persuadée selon la prépondérance de la preuve qu’il n’y a pas de possibilité sérieuse que les demandeurs soient persécutés dans le refuge intérieur possible envisagé; deuxièmement, la situation dans le refuge intérieur possible envisagé doit être telle qu’il ne soit pas déraisonnable pour les demandeurs de s’y réfugier.

 

[41]           Je ne vois aucune erreur dans les conclusions de la Commission sur cette question. La Commission pouvait conclure que Muhammad et Najma ne seraient pas en danger s’ils vivaient à Rawalpindi ou à Kasur, Muhammad ayant vécu aux deux endroits et n’ayant pas eu de problèmes de la part de la famille de Najma et le couple ayant passé des vacances à Kasur à deux reprises sans incident. S’agissant du second volet du critère visé, la Commission a noté que Muhammad avait vécu à Rawalpindi dans le passé et qu’il était revenu vivre et travailler à Lahore. Je ne vois non plus aucune raison de modifier la conclusion de la Commission sur ce point, du fait qu’elle s’appuie sur des éléments de preuve. En outre, tout inconvénient associé au déménagement et au relogement n’en est pas un de nature à rendre une PRI déraisonnable. Comme l’établit la décision Thirunavukkurasu, le critère applicable pour établir le caractère déraisonnable d’une PRI est exigeant en toutes circonstances. Ce critère n’a pas été rempli en l’espèce.

 

[42]           Il est bien établi que l’existence d’une PRI valide est déterminante à l’égard d’une demande de statut de réfugié. S’il elle conclut à une PRI, la Cour n’est pas tenue de prendre en considération les autres questions que soulève le demandeur dans un contrôle judiciaire (Shimokawa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 445, au paragraphe 17; Sran c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 145, au paragraphe 11).

 

[43]           Les demandeurs ont une PRI viable à Rawalpindi ou à Kasur. Comme cette question est déterminante à l’égard de la demande, je n’ai pas besoin d’examiner l’autre question que soulèvent les demandeurs. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que

 

1.                  La demande est rejetée.

2.                  Il n’y pas de question à certifier.

 

 

    « James Russell »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-608-07

 

 

INTITULÉ :                                       MUHAMMAD SHEHZAD KHOKHAR ET AL.

                                                            c. MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 6 DÉCEMBRE 2007

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE RUSSELL

 

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 7 AVRIL 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

John Savaglio                                                               POUR LE DEMANDEUR

 

Bernard Assan                                                              POUR LE DÉFENDEUR

                                                                                                           

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John Savaglio                                                               POUR LE DEMANDEUR

Barrister & Solicitor

Toronto (Ontario)

 

 

John H. Sims, c.r.                                                         POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Bureau régional de l’Ontario

Toronto (Ontario)

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