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Date : 20080408

Dossier : IMM-3342-07

Référence : 2008 CF 450

Toronto (Ontario), le 8 avril 2008

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

 

ENTRE :

HANQUAN LIANG

AN LI OU (ALIAS ANLI OU)

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), dans laquelle les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 24 juillet 2007 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), qui a conclu qu’ils n’avaient ni qualité de réfugiés au sens de la Convention ni qualité de personnes à protéger.

 

CONTEXTE

[2]               Les demandeurs, un homme et son épouse, sont citoyens de la République populaire de Chine et sont âgés respectivement de 76 et 65 ans.

 

[3]               En septembre 2001, la fille des demandeurs a été accusée d’avoir participé à des activités du Falun Gong en Chine. Elle a par la suite présenté une demande et s’est vu accorder le statut de réfugié au Canada en 2002.

 

[4]               Les demandeurs allèguent que depuis septembre 2001, les incidents suivants se seraient produits et découleraient de la participation de leur fille aux activités du Falun Gong :

·        Le Bureau de la sécurité publique (le BSP) aurait interrogé les demandeurs au sujet de l’endroit où se trouvait leur fille et de sa participation aux activités du Falun Gong.

 

·        Le BSP aurait menacé de cesser de verser leur pension de retraite, de couper leur électricité et de leur refuser des soins de santé.

 

·        Leur fils aîné aurait été congédié.

 

·        Le demandeur, après avoir été hospitalisé en 2004, aurait été obligé de payer des frais médicaux d’environ 20 000 renminbis (RMB), frais habituellement payés par son unité de travail.

 

 

[5]               Les demandeurs souffrent de divers problèmes de santé qui, selon eux, sont aggravés par leur situation en Chine; ces problèmes comprennent de multiples troubles chroniques du cœur et du sang, l’hypertension artérielle et l’anxiété.

 

[6]               Les demandeurs sont arrivés au Canada le 28 mai 2005 et y ont demandé l’asile le 30 mai 2005.

 

[7]               Dans une décision en date du 24 juillet 2007, la Commission a conclu que les demandeurs n’avaient ni qualité de réfugiés au sens de la Convention ni qualité de personnes à protéger suivant les articles 96 et 97 de la Loi.

 

[8]               La Commission a accepté les allégations des demandeurs, mais a conclu que le type de harcèlement dont ils avaient fait l’objet n’équivalait pas à de la persécution. Plus particulièrement, la Commission a souligné qu’il n’y avait aucune preuve indiquant que le BSP avait menacé les demandeurs au moyen d’un interrogatoire, d’une arrestation ou d’une incarcération. Rien n’indiquait non plus que les demandeurs faisaient l’objet d’une forme quelconque de surveillance ou que leur liberté était restreinte d’une quelconque façon. De plus, les demandeurs avaient été en mesure d’obtenir des passeports sans difficulté : avant d’arriver au Canada en 2005, la demanderesse y était venue en 2002, et le demandeur était allé à Hong Kong, en Malaisie et à Singapour en 2005. 

 

[9]               Malgré les menaces du BSP, rien n’indique que les demandeurs ont subi un préjudice économique, à part l’incident isolé de non-paiement des frais médicaux du demandeur.

 

[10]           La Commission a indiqué que la crainte des demandeurs était liée à la discrimination et au harcèlement continus, et non à la persécution. De plus, comme leur fille demeurait au Canada et qu’elle n’avait aucune intention de retourner en Chine, la Commission a jugé que l’intérêt du BSP à leur égard diminuerait probablement au fil du temps.

 

[11]           Les demandeurs ont soulevé un certain nombre de questions dans leur mémoire des faits et du droit; cependant, pour les besoins du présent contrôle judiciaire, la question la plus pertinente est de savoir si la Commission a commis une erreur en concluant que la discrimination et le harcèlement dont avaient fait l’objet les demandeurs n’équivalaient pas à de la persécution.

 

 

NORME DE CONTRÔLE

 

[12]           Il est établi depuis longtemps que « la question de l’existence de la persécution dans les cas de discrimination ou de harcèlement n’est pas simplement une question de fait, mais aussi une question mixte de droit et de fait, et que des notions juridiques sont en cause » (Sagharichi c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 796 (QL), au paragraphe 3). Il est également établi depuis longtemps que cette question est susceptible de contrôle suivant la norme de la décision raisonnable simpliciter (Herczeg c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 2000, [2007] A.C.F. no 1434 (QL), au paragraphe 17; Hitti c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1256, [2006] A.C.F. no 1580 (QL), au paragraphe 29).

 

[13]           Compte tenu du changement récent du droit en matière de contrôle judiciaire au Canada, énoncé dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, il existe maintenant uniquement deux normes de contrôle : la raisonnabilité et la décision correcte. À titre instructif, la Cour suprême du Canada a énoncé ce qui suit comme guide permettant de déterminer la norme de contrôle appropriée :

[…] en présence d’une question touchant aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à la politique, et lorsque le droit et les faits ne peuvent être aisément dissociés, la norme de la raisonnabilité s’applique généralement. De nombreuses questions de droit commandent l’application de la norme de la décision correcte, mais certaines d’entre elles sont assujetties à la norme plus déférente de la raisonnabilité. (Au paragraphe 51.)

 

 

[14]           De plus, au paragraphe 62 de l’arrêt, la Cour suprême a souligné que le processus de contrôle judiciaire se déroule en deux étapes :

Premièrement, la cour de révision vérifie si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier. En second lieu, lorsque cette démarche se révèle infructueuse, elle entreprend l’analyse des éléments qui permettent d’arrêter la bonne norme de contrôle.

 

[15]           Par conséquent, vu la jurisprudence antérieure et la nature de la question, soit une question de fait et de droit, je suis d’avis que la norme de contrôle applicable à la question de savoir si la discrimination ou le harcèlement équivaut à de la persécution est la raisonnabilité. Suivant cette norme, l’analyse de la décision de la Commission portera sur « la justification de la décision, […] la transparence et […] l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu[e] [sur] l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).  

 

ANALYSE

[16]           Tout d’abord, il est important de se rappeler que « la ligne de démarcation entre la persécution et la discrimination ou le harcèlement est difficile à tracer, d’autant plus que, dans le contexte du droit des réfugiés, il a été conclu que la discrimination peut fort bien être considérée comme équivalant à la persécution » (Sagharichi, précité, au paragraphe 3).

 

[17]           Dans l’arrêt Rajudeen c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1984] A.C.F. no 601 (QL), la Cour d’appel fédérale a fourni une définition du terme « persécution », terme n’étant pas défini dans la Loi, en faisant référence au Living Webster Encyclopedic Dictionary et au Shorter Oxford English Dictionary :

[traduction] Harceler ou tourmenter sans relâche par des traitements cruels ou vexatoires; tourmenter sans répit, tourmenter ou punir en raison d’opinions particulières ou de la pratique d’une croyance ou d’un culte particulier. […] Succession de mesures prises systématiquement, pour punir ceux qui professent une (religion) particulière; période pendant laquelle ces mesures sont appliquées; préjudice ou ennuis constants quelle qu’en soit l’origine.

 

De plus, dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, [1993] A.C.S. no 74 (QL), au paragraphe 63, le juge LaForest a approuvé une définition de la persécution selon laquelle il s’agissait d’une [traduction] « violation soutenue ou systémique des droits fondamentaux de la personne démontrant l’absence de protection de l’État ».

 

[18]           Il est vrai que l’effet cumulatif de la discrimination et du harcèlement peut satisfaire aux exigences de la définition de la persécution dans certaines situations, même dans une situation où chaque incident de discrimination ou de harcèlement pris séparément n’équivaudrait pas à de la persécution (Sarmis c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 110, [2004] A.C.F. no 109 (QL), au paragraphe 17; Bobrik c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1364 (QL), au paragraphe 22; Retnem c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] A.C.F. no 428 (QL); Madelat c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] A.C.F. no 49 (QL)).

 

[19]           En résumé, la question de savoir ce qui constitue de la persécution donne lieu à une analyse de nombreux facteurs, y compris la répétition, la gravité et la nature des incidents reprochés (Ranjha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 637, [2003] A.C.F. no 901 (QL), au paragraphe 42; N.K. c. Canada (Solliciteur général), [1995] A.C.F. no 889 (QL), au paragraphe 21).

 

[20]           En l’espèce, les demandeurs soutiennent que, même si le demandeur s’est vu refuser ses prestations de maladie à une occasion seulement, leur âge, leurs problèmes de santé et leur situation financière devraient être pris en compte lors de l’examen de la question de savoir si les menaces et les autres traitements dont ils ont fait l’objet depuis 2001 constituent de la persécution. À l’appui de leur argument, les demandeurs citent la décision Nejad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. no 1168 (QL), au paragraphe 4, dans laquelle le juge Francis Muldoon a indiqué qu’en examinant la question de la persécution dans cette affaire, la SSR (la Section du statut de réfugié, établie en vertu de l’ancienne loi) aurait dû être plus consciente de l’effet du harcèlement sur les demandeurs compte tenu de leur âge avancé.

 

[21]           De plus, les demandeurs font référence aux paragraphes 54 et 55 du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (le Guide UNHCR), comme lignes directrices dans la présente affaire :

[…]

c) Discrimination

54. Dans de nombreuses sociétés humaines, les divers groupes qui les composent font l’objet de différences de traitement plus ou moins marquées. Les personnes qui, de ce fait, jouissent d’un traitement moins favorable ne sont pas nécessairement victimes de persécutions. Ce n’est que dans des circonstances particulières que la discrimination équivaudra à des persécutions. Il en sera ainsi lorsque les mesures discriminatoires auront des conséquences gravement préjudiciables pour la personne affectée, par exemple de sérieuses restrictions du droit d’exercer un métier, de pratiquer sa religion ou d’avoir accès aux établissements d’enseignement normalement ouverts à tous.

 

55. Lorsque les mesures discriminatoires ne sont pas graves en elles-mêmes, elles peuvent néanmoins amener l’intéressé à craindre avec raison d’être persécuté si elles provoquent chez lui un sentiment d’appréhension et d’insécurité quant à son propre sort. La question de savoir si ces mesures discriminatoires par elles-mêmes équivalent à des persécutions ne peut être tranchée qu’à la lumière de toutes les circonstances de la situation. Cependant, il est certain que la requête de celui qui invoque la crainte des persécutions sera plus justifiée s’il a déjà été victime d’un certain nombre de mesures discriminatoires telles que celles qui ont été mentionnées ci-dessus et que, par conséquent, un effet cumulatif intervient.

 

[22]           À mon avis, le paragraphe précédent est instructif; l’exercice consistant à déterminer si la discrimination et le harcèlement cumulatifs constituent de la persécution dépend grandement des faits et exige la prise en compte de la situation particulière de l’intéressé. En examinant le cas des demandeurs, il faut tenir compte de leur situation personnelle et de leurs vulnérabilités, notamment leur âge, leur état de santé et leur situation financière, comme faisant partie du contexte factuel, conformément à l’extrait susmentionné du Guide UNHCR.

 

[23]           Cependant, dans sa décision, la Commission a en fait tenu compte de la situation personnelle des demandeurs. Bien qu’elle ait affirmé éprouver de la compassion pour les demandeurs eu égard à leur âge et à leur état de santé, la Commission a souligné qu’ils n’avaient pas été surveillés, arrêtés, interrogés ou incarcérés, que leur liberté de mouvement n’avait pas été restreinte, et qu’ils n’avaient pas subi de préjudice économique autre que le fait d’avoir à payer des frais médicaux.

 

[24]           Les demandeurs s’appuient sur des documents qui tendent à indiquer que la somme totale de leur pension de retraite mensuelle ne dépasse pas 500 RMB et que, par conséquent, elle ne dépasserait pas 6000 RMB par année. La somme de 20 000 RMB que les demandeurs ont dû payer pour les traitements médicaux du demandeur équivaut donc à quatre fois leur revenu conjoint annuel. Cependant, il n’en demeure pas moins que les demandeurs ont été en mesure de payer ces frais et que, depuis 2002, ils ont voyagé séparément au Canada, à Hong Kong, en Malaisie et à Singapour. Par conséquent, la Commission pouvait raisonnablement conclure qu’il n’y avait aucune preuve de préjudice économique.

 

[25]           Vu ces faits, la situation personnelle des demandeurs ne les rend pas vulnérables au point que leur traitement par le BSP soit considéré comme de la persécution. La Commission a suffisamment analysé les faits pertinents et a tiré une conclusion raisonnable. Compte tenu de la présente conclusion, il n’est pas nécessaire de se pencher sur la question de savoir si la Commission a appliqué la mauvaise norme de preuve à la question de la persécution future.

 

[26]           Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée. 

 

 

 

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Isabelle D’Souza, LL.B., M.A.Trad. jur.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                              IMM-3342-07

 

INTITULÉ :                                             HANQUAN LIANG, AN LI OU (ALIAS ANLI OU)

      c.

      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

      L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                       TORONTO (ONTARIO)

                                                           

DATE DE L’AUDIENCE :                     LE 7 AVRIL 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                    LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                             LE 8 AVRIL 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Cliffort Luyt

 

POUR LES DEMANDEURS

Judy Michaely

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Czuma, Ritter

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

 

 

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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