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Date : 20080409

 

Dossier : T-699-07

Référence : 2008 CF 459

Ottawa (Ontario) le 9 avril 2008

En présence de monsieur le juge Martineau

 

DANS L’AFFAIRE DE la Loi de l’impôt sur le revenu

 

ET DANS L’AFFAIRE de cotisations établies par le ministre

du Revenu national en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu

 

CONTRE :

MARIO LAQUERRE

FIDUCIE MARIO LAQUERRE

FIDUCIE ML

FIDUCIE MJ

9122-9831 QUÉBEC INC.

9067-6388 QUÉBEC INC.

1392, 4e avenue

Québec (Québec) G1J 3B6

Intimés

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

[1]               En principe, le ministre du Revenu national (le ministre) doit, selon le paragraphe 225.1(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.), c.1 (la Loi), attendre 90 jours après la mise à la poste de l'avis de cotisation avant de recouvrer les sommes dues par un contribuable à Sa Majesté du Chef du Canada (Sa Majesté ou la requérante). Un juge peut toutefois autoriser le ministre à agir sans délai lorsqu’il est convaincu qu’il existe des motifs raisonnables de croire que l’octroi à ce contribuable d’un délai pour payer le montant compromettrait le recouvrement de tout ou partie de ce montant.

 

[2]               Le paragraphe 225.2(2) de la Loi dispose :

(2) malgré l'article 225.1, sur requête ex parte du ministre, le juge saisi autorise le ministre à prendre immédiatement des mesures visées aux alinéas 225.1(1)a) à g) à l'égard du montant d'une cotisation établie relativement à un contribuable, aux conditions qu'il estime raisonnables dans les circonstances, s'il est convaincu qu'il existe des motifs raisonnables de croire que l'octroi à ce contribuable d'un délai pour payer le montant compromettrait le recouvrement de tout ou partie de ce montant.

(2) Notwithstanding section 225.1, where, on ex parte application by the Minister, a judge is satisfied that there are reasonable grounds to believe that the collection of all or any part of an amount assessed in respect of a taxpayer would be jeopardized by a delay in the collection of that amount, the judge shall, on such terms as the judge considers reasonable in the circumstances, authorize the Minister to take forthwith any of the actions described in paragraphs 225.1(1)(a) to 225.1(1)(g) with respect to the amount.

 

[3]               Les intimés, Mario Laquerre (Laquerre), Fiducie Mario Laquerre (Fiducie Laquerre), Fiducie ML (ML), Fiducie MJ (MJ), 9122-9831 Québec Inc. (9122) et 9067-6388 Québec Inc. (9067) demandent aujourd’hui à la Cour d’annuler l’ordonnance émise ex parte le 26 avril 2007, qui autorise le ministre à prendre immédiatement toutes et chacune des mesures de recouvrement visées aux alinéas a) à g) du paragraphe 225.1(1) de la Loi, ou l’une d’entre elles, afin de percevoir et/ou garantir le paiement des cotisations établies par le ministre le 25 avril 2007 à l’encontre des intimés (l’ordonnance contestée).

 

[4]               Lors de la présentation de la requête ex parte dans le présent dossier, la Cour s’est fondée pour rendre l’ordonnance contestée sur les affidavits d’André Ferland et d’Annie Morin, tous les deux assermentés le 25 avril 2007. Ceci étant dit, dans le dossier T-1594-06, la Cour s’est fondée pour rendre la première ordonnance de recouvrement compromis sur l’affidavit de Jeannot Roy assermenté le 29 août 2006 et les affidavits d’André Ferland et d’Annie Valois, tous les deux assermentés le 31 août 2006.

 

[5]               Rappelons ici qu’une première ordonnance en vertu du paragraphe 225.2(2) de la Loi visant entre autres Laquerre, Fiducie Laquerre et ML, ainsi que d’autres entités ou sociétés (dont la plupart ne sont pas intimées aux présentes), a déjà été rendue ex parte par la Cour dans le dossier T-1594-06, le 6 septembre 2006, afin de percevoir et/ou garantir le paiement des cotisations établies par le ministre le 31 août 2006. Comme dans le dossier T-1594-06, la Cour est alors convaincue qu’il existe des motifs raisonnables de croire que l’octroi aux intimés d’un délai pour payer les montants totaux résultant de l’émission des cotisations datées du 25 avril 2007 compromettrait le recouvrement de tout ou partie de ces montants. Dans les deux dossiers, la Cour est aujourd’hui d’avis qu’il y a lieu de confirmer la légalité de ces deux ordonnances de recouvrement compromis.

 

[6]               Je retiens ce qui suit de l’ensemble de la volumineuse preuve alors soumise par la requérante.

 

[7]               Laquerre est résidant de la ville de Québec. Il effectue depuis plusieurs années des investissements dans le domaine immobilier en se portant acquéreur (en son nom personnel ou par le biais de fiducies et de sociétés numériques qu’il contrôle) d’immeubles en reprise de finance ou en difficulté. Au passage, je note ici que dans une autre ordonnance rendue ex parte le 11 octobre 2007, la Cour a accepté de lever le voile corporatif à l’égard de certaines de ces entités. Cette question fait d’ailleurs l’objet de motifs concurrents de décision (2008 CF 460) suite à la présentation d’une requête du créancier judiciaire, ici Sa Majesté, pour émission d’une ordonnance de constitution de charge définitive à l’encontre de divers immeubles appartenant à 9067 et/ou à 9011-1345 Québec Inc. (9011).

 

[8]               En mai 2003, Annie Valois, vérificatrice de l’Agence du revenu du Canada (l’Agence) informe Laquerre qu’elle désire procéder à une vérification pour les années d’imposition 1998 à 2002 inclusivement de ses affaires et celles de Fiducie Laquerre, ML et 9067, ainsi que de trois autres compagnies numériques soit : 9075-3153 Québec Inc. (9075); 9015-7769 Québec Inc. (9015); et, 9029-0065 Québec Inc. (9029). Je note ici que 9075, 9015 et 9029 sont également intimés dans le dossier T-1594-06.

 

[9]               Débutant au mois d’août 2003, elle effectue sur place ces vérifications. Or, elle constate que :

Laquerre ne fournit pas toutes les informations à ses représentants, de telle sorte que plusieurs transactions immobilières ne sont pas déclarées du tout ou le gain déclaré ne représente pas le gain réel, faisant en sorte que Laquerre ou des fiducies dont il est un des deux fiduciaires et un des bénéficiaires ou des sociétés avec lesquelles il a un lien de dépendance ont volontairement éludés [sic] le paiement de l’impôt à payer à [l’Agence…].

 

 

[10]           Mme Valois conclut que Laquerre et les sociétés liées ou les fiducies dont il est un des bénéficiaires utilisent de nombreux stratagèmes afin d’éluder le paiement de leurs impôts. En date du 27 février 2004, Mme Valois rencontre Laquerre et son comptable agréé, M. Laurier Edmond. Ce dernier affirme que Laquerre « ne veut tellement pas payer d’impôt ».

 

[11]           Mme Valois décrit quatre stratagèmes dans son affidavit du 31 août 2006. L’un de ceux-ci est expliqué de la façon suivante sous la rubrique « B. LE STRATAGÈME DE L’AVANCE DE FOND D’UNE SOCIÉTÉ QUI SERA ÉVENTUELLEMENT DISSOUTE » :

15.        Au cours de ma vérification, j’ai retracé que Laquerre a également élaboré un stratagème afin que les sommes touchées suite aux ventes d’immeubles soient détournées dans une de ses fiducies ou sociétés sans implications fiscales;

 

16.        En effet, par l’entremise d’une de ses fiducies ou sociétés liées, Laquerre inscrit plusieurs hypothèques sur les immeubles appartenant à ses fiducies ou sociétés, en indiquant dans les contrats hypothécaires qu’il s’agit de sommes octroyées au moyen d’avances de fonds;

 

17.        Cependant, les avances de fonds réelles sont de loin inférieures au montant des hypothèques inscrites;

 

18.        Ce qui fait en sorte que lorsque la société ou la fiducie vend l’immeuble à un tiers, le notaire – souvent choisi par l’acheteur – doit s’assurer que toutes les dettes rattachées à l’immeuble sont payées avant de remettre les sommes au vendeur;

 

19.        Le notaire acquitte donc les hypothèques au nom des entités appartenant à Laquerre sans avoir à valider si les sommes avaient réellement été avancées;

 

20.        À ce moment, le notaire fait un chèque au détenteur de l’hypothèque pour obtenir une quittance de la dette. La plupart du temps, l’encaissement de l’hypothèque entraîne un solde créditeur des avances. Lors d’une telle transaction, habituellement, aucun avantage ne doit être calculé parce que l’entité qui reçoit l’argent inscrit un compte à payer à l’entité à qui les avances sont dues.

 

21.        Cependant, dans les faits, ses entités ont liquidé leurs entreprises, n’opèrent plus, n’ont pas d’écriture de contrepartie, ne produisent plus de déclarations et se font radier par l’Inspecteur général des Institutions Financières ce qui fait en sorte que l’avance due par la société ou fiducie qui a vendu l’immeuble n’est jamais remboursée;

 

22.        J’estime que les avantages ainsi octroyés représentent des revenus non déclarés pour un montant total d’environ 1 888 952,67 $, pour les diverses entités concernées, le tout tel qu’il appert de la référence 2 de l’annexe 2 du rapport de vérification produit comme pièce « 65 » au soutien de mon affidavit;

 

 

 

[12]           Le 1er novembre 2004, Mme Valois transfère le dossier de Laquerre à la section des Enquêtes spéciales de l’Agence, qui amorce une enquête. Apparemment, l’enquête se poursuit toujours. Aucune accusation n’a été portée à ce jour contre les intimés.

 

[13]           L’affidavit de Mme Morin du 25 avril 2007 déposé au soutien de la seconde requête ex parte pour l’émission d’une ordonnance de recouvrement compromis, décrit la vérification de 9067 pour l’année d’imposition 2005, qui a été entreprise à partir de septembre 2006. À l’instar de Mme Valois,  Mme Morin constate qu’il y a eu beaucoup de transactions entre les diverses entités contrôlées par Laquerre et que les implications fiscales découlant de ces transactions ont rarement été déclarées à l’Agence. De plus, des écritures fictives ont été inscrites dans les livres comptables. Étant donné les revenus déclarés par les parents de Laquerre, il est impossible que ces derniers aient pu avancer un montant approximatif de 1 000 000,00 $ à Laquerre. À la lumière de sa propre vérification, de l’affidavit de Mme Valois du 31 août 2006 et des agissements de Laquerre et des sociétés et fiducies liées dont il est l’un des bénéficiaires, Mme Morin conclut qu’il y a des motifs de croire que Laquerre, Fiducie Laquerre, ML, 9122 et 9067 ont agi dans le but d’éluder le paiement de leurs impôts. 

 

[14]           Selon l’affidavit de M. Ferland du 25 avril 2007 :

a)      Laquerre est redevable envers l’Agence pour une somme totale de 1 145 686,04 $ résultant de quatre avis de nouvelles cotisations datés du 31 août 2006 pour les années d’imposition 1999 à 2002 inclusivement, d’un avis de cotisation daté du 6 novembre 2006 pour l’année 2005 et d’un avis de nouvelle cotisation daté du 25 avril 2007 pour l’année 2005;

b)      Fiducie Laquerre est redevable envers l’Agence pour 167 784,65 $ résultant d’une cotisation initiale datée du 31 août 2006 pour l’année 2001 et d’un avis de nouvelle cotisation daté du 31 août 2006 pour l’année 2002 et d’un avis de nouvelle cotisation daté du 25 avril 2007 pour l’année 2004;

c)      ML est redevable envers l’Agence pour 764 945,99 $ résultant de cinq avis de nouvelles cotisations datés du 31 août 2006 pour les années d’imposition 1998 à 2002 inclusivement et d’un avis de nouvelle cotisation daté du 25 avril 2007 pour l’année 2004;

d)      MJ est redevable envers l’Agence pour 30 000 $ résultant d’un avis de cotisation daté du 25 avril 2007 pour un transfert de bien indirect fait le 29 juillet 2002;

e)      9122 est redevable envers l’Agence pour 29 070,74 $ résultant de deux avis de nouvelles cotisations datés du 25 avril 2007 pour les années d’imposition 2004 et 2005; et,

f)        9067 est redevable envers l’Agence pour 101 386,21 $ résultant d’un avis de cotisation daté du 25 avril 2007 pour l’année d’imposition 2005.

 

[15]           De plus, M. Ferland indique dans un affidavit du 25 avril 2007 qu’il a raison de croire, entre autres, que :

a)      Laquerre ou des fiducies ou des sociétés qui sont liées ne possèdent plus de liquidités;

b)      La majorité de leurs actifs sont grevés d’hypothèques faisant en sorte que ces biens ne possèdent pratiquement aucune valeur;

c)      Laquerre et ses sociétés ou fiducies liées cherchent à soustraire leurs biens à leurs créanciers; et,

d)      Les stratagèmes élaborés par Laquerre et ceux de ses entreprises ou fiducies liées afin de soustraire leurs biens à leurs créanciers indiquent que le recouvrement de la dette due à Sa Majesté sera compromis si un délai est accordé aux intimés afin d’acquitter les montants des cotisations émises à leur égard.

 

[16]           En rendant l’ordonnance contestée le 26 avril 2007, la Cour, entre autres, autorise :

            a)         La requérante à appliquer les alinéas 225.1(1)a) à g) de la Loi contre les intimés à l’égard des cotisations établies le 25 avril 2007;

            b)         La requérante et le huissier instrumentant à signifier l’autorisation aux intimés l’ordonnance contestée;

            c)         Le huissier instrumentant à nommer un gardien (autre que Laquerre) pour les biens saisis;

            d)         Le huissier instrumentant à procéder à l’enlèvement des biens saisis;

            e)         Le huissier chargé de l’exécution des brefs de saisie-exécution à ouvrir les portes de tout lieu et d’ouvrir tout coffret de sûreté et coffre-fort; et,

            f)          Le huissier instrumentant à procéder à l’ouverture de toute porte fermée ou verrouillée d’un coffret de sûreté dans les locaux liés à Laquerre, ses sociétés et fiducies.

 

[17]           De fait, le 27 avril 2007, suite à l’émission de l’ordonnance contestée, l’Agence effectue des saisies immobilières aux différentes places d’affaires des intimés. Suite aux saisies, l’Agence inscrit des hypothèques légales sur des immeubles détenus par les intimés. L’Agence transmet également à Fiducie Laquerre, à 9067, 9011, aux parents de Laquerre et à certaines institutions financières des demandes formelles de paiement exigeant qu’ils versent les sommes prêtées ou avancées aux intimés.

 

[18]           Suite à l’émission de l’ordonnance contestée, les intimés confirment leur intention de contester devant la Cour canadienne d’impôt les nouvelles cotisations émises le 25 avril 2007 qui leur ont été signifiées depuis. Le résultat de leur opposition ou appel n’est pas connu aujourd’hui. Ceci étant dit, le paragraphe 225.2(8) de la Loi permet à un contribuable de demander à la Cour, au moyen d'une requête, de réviser l'autorisation ex parte obtenue en vertu du paragraphe 225.2(2) de la Loi. C’est ce qu’ils ont fait ici. Les principes applicables en l’espèce sont bien établis dans la jurisprudence de cette Cour. Voir notamment Canada (ministre du Revenu national) c. Services M.L. Marengère Inc., [2000] 1 C.T.C. 229, [1999] A.C.F. no 1840 (QL) (Marengère) et Canada c. Satellite Earth Station Technology Inc., [1989] 2 C.T.C. 291, [1989] A.C.F. no 912 (QL).

 

[19]           Le juge Lemieux, dans Marengère au para. 63, explique :

(1)  La disposition concernant le recouvrement de protection porte sur la question de savoir si le délai qui découle normalement du processus d'appel compromet le recouvrement. Il ressort du libellé de la disposition qu'il est nécessaire de montrer qu'en raison du délai que comporte l'appel, le contribuable sera moins capable de verser le montant de la cotisation. En d'autres termes, il ne s'agit pas de déterminer si le recouvrement lui-même est compromis, mais plutôt s'il est en fait compromis en raison du délai à la suite duquel il sera vraisemblablement effectué.

 

(2) En ce qui concerne le fardeau de la preuve, la personne qui présente une requête en vertu du paragraphe 225.2(8) a le fardeau initial de prouver qu'il existe des motifs raisonnables de croire que le critère prévu au paragraphe 225.2(2) n'a pas été respecté, c'est-à-dire que l'octroi d'un délai pour payer le montant de la cotisation compromettrait le recouvrement de tout ou partie de ce montant. Toutefois, la Couronne a le fardeau ultime de justifier l'ordonnance de recouvrement de protection accordée sur une base ex parte.

 

(3) La preuve doit démontrer que, selon toute probabilité, il est plus probable qu'autrement que l'octroi d'un délai compromette le recouvrement. Il ne s'agit pas de savoir si la preuve démontre au-delà de tout doute raisonnable que le délai accordé au contribuable compromettrait le recouvrement du montant en question.

 

(4) Le ministre peut certainement agir non seulement dans les cas de fraude ou dans les situations qui s'y apparentent, mais aussi dans les cas où le contribuable risque de dilapider, liquider ou autrement transférer son patrimoine pour se soustraire au fisc : bref, pour parer à toute situation où les actifs d'un contribuable peuvent, à cause de l'écoulement du délai, fondre comme neige au soleil. Toutefois, le simple soupçon ou la simple crainte que l'octroi d'un délai puisse compromettre le recouvrement n'est pas suffisant en soi. Comme le juge Rouleau l'a dit dans la décision 1853-9049 Québec Inc., supra, il s'agit de savoir si le ministre a des motifs raisonnables de croire que le contribuable dilapiderait, liquiderait ou transférerait autrement son patrimoine, de façon à compromettre le recouvrement du montant qui est dû. Le ministre doit démontrer que les actifs du contribuable peuvent entre temps être liquidés ou faire l'objet d'une saisie de la part d'autres créanciers et ainsi lui échapper.

 

(5) Une ordonnance de recouvrement ex parte est un recours exceptionnel. Revenu Canada doit faire preuve d'une extrême bonne foi et faire une divulgation franche et complète. […]

 

 

 

[20]           Les intimés soumettent aujourd’hui qu’il n’existe pas de motifs raisonnables de croire que l’octroi d’un délai pour payer les montants mentionnés dans les nouvelles cotisations compromettrait le recouvrement de tout ou partie de ces montants. Ils allèguent également que le ministre a contrevenu à son obligation de divulguer à cette Cour tous les faits pertinents lors de la présentation de la requête ex parte. Ainsi, les affidavits soumis par la requérante en soutien de la requête ex parte comportent notamment des allégations insuffisantes, inexactes, ou hors contexte. Or, Laquerre a personnellement souffert des saisies pratiquées par l’Agence.

 

[21]           À l’audience devant cette Cour le procureur des intimés a longuement insisté sur un certain nombre d’erreurs ou d’omissions révélées par l’interrogatoire sur affidavit de M. Ferland en particulier. En conséquence, il invite la Cour à rejeter l’ensemble des allégations de M. Ferland parce que celui-ci n’est pas crédible et qu’il a omis de divulguer des faits essentiels à la Cour. D’autre part, les intimés contestent la conclusion à laquelle Mme Morin et Mme Valois arrivent dans leurs affidavits respectifs à l’effet que les intimés ont tenté d’éluder le paiement de leurs impôts. Les intimés ont nombre d’explications à fournir à l’égard des transactions en cause et du défaut de déclarer, pour les années d’imposition en cause, diverses sommes d’argent au fisc.

 

[22]           En l’espèce, les intimés reprochent d’abord à la requérante d’avoir omis de souligner à la Cour que Laquerre effectue depuis plusieurs années, en son nom personnel ou par le biais de fiducies ou de sociétés, des investissements dans le domaine immobilier. Or, ces activités commerciales constituent son gagne-pain et sont parfaitement légitimes. Il ne s’agit pas d’un cas de dilapidation d’actifs immobiliers par un contribuable, mais d’activités normales de vente et d’achat d’immeubles.

 

[23]            Les intimés reprochent également à M. Ferland de n’avoir effectué aucune démarche pour obtenir des informations sur les dépôts et retraits effectués aux comptes des entités faisant l’objet d’une vérification et d’une enquête. De plus, M. Ferland avait en sa possession des informations pertinentes « qui auraient pu fournir à la Cour des explications » sur les dépôts en question.

 

[24]           Les intimés font également valoir que M. Ferland a été incapable, lors de son interrogatoire sur affidavit dans le dossier T-1594-06, d’identifier à quels créanciers serait soustrait de l’argent comptant des sociétés et fiducies en question.

 

[25]           Les intimés soulignent que dans son affidavit du 25 avril 2007, M. Ferland fait référence à sept ventes d’immeubles. Or, celui-ci n’a effectué aucune vérification pour obtenir des explications sur les motifs des ventes en question. En l’espèce, la vente de ces immeubles visait simplement à rentabiliser les investissements des intimés : ce n’est pas un cas où Laquerre tente de soustraire des immeubles à ses créanciers.

 

[26]           De plus, selon les intimés, M. Ferland n’a fait aucune vérification pour connaître la provenance de l’argent liquide qui se serait trouvé dans le coffre-fort volé en 2003 appartenant à Laquerre, lequel contenait apparemment 65 000 $ canadien et entre 12 000 $ et 15 999 $ américain, une multitude de bijoux de valeur, trois passeports, un testament, des cartes de crédit et d’autres pièces d’identité.

 

[27]           Les intimés reprochent à Mme Morin d’avoir « sommairement » examiné les déclarations de revenus des sociétés et fiducies liées à Laquerre. La vérification restreinte de ces entités n’était pas suffisante pour conclure « qu’un nombre élevé de transactions avaient [sic] eu lieu entre les [intimés] et que les conséquences fiscales de ces transactions ne semblaient pas toutes déclarées. »

 

[28]           Finalement, il est allégué que Mme Morin laisse sous-entendre que Laquerre a volontairement éludé le paiement de ses impôts ainsi que ceux des sociétés et fiducies en question pendant plusieurs années. Ce n’est pas le cas. Laquerre n’a jamais tenté volontairement d’éluder le paiement de ses impôts, ni ceux de ses fiducies ou sociétés.

 

[29]           D’une part, je conclus que la requérante a satisfait à son obligation de divulgation suffisante. D’autre part, je suis d’avis que les conditions pour l’émission d’une ordonnance de recouvrement compromis sont satisfaites dans le présent dossier. Il suffit de se référer aux affidavits produits au soutien de la requête ex parte et des prétentions écrites de la requérante. Je noterai simplement ce qui suit.

 

[30]           Tout d’abord, Mme Morin précise bien dans son affidavit du 25 avril 2007 que Laquerre « opère depuis plusieurs années dans le domaine de l’immobilier et que les achats d’immeubles effectués par les fiducies ou sociétés qui lui sont liées sont souvent des reprises de finance acquises d’institutions financières ». Quant à M. Ferland, il note bien dans son affidavit du 25 avril 2007 que Laquerre est un homme d’affaires alors que l’activité commerciale de 9122 et 9067 est la gestion d’immeubles.

 

[31]           Les reproches formulés par les intimés, incluant ceux qui sont spécifiquement soulevés dans les prétentions écrites des intimés, portent essentiellement sur le caractère hypothétique, insuffisant ou hors contexte de certaines allégations faites par M. Ferland,  Mme Morin et/ou Mme Valois dans leurs affidavits respectifs. Or, je ne crois pas que ces reproches, même en les cumulant, permettent à la Cour de conclure aujourd’hui que la requérante a manqué à son obligation de divulgation franche et complète. En effet, la communication complète et honnête de renseignements n’exige pas que soient révélés des renseignements qui ne sont tout simplement pas pertinents quant à l’application du critère relatif à la délivrance d’une ordonnance de recouvrement compromis. (Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.) c. Rouleau, [1995] A.C.F. no 1209 (QL)).

 

[32]           Ce faisant, j’ai tenu compte du fait que le recours prévu au paragraphe 225.2(2) de la Loi est une mesure exceptionnelle et que la norme de divulgation incombant au ministre lors de l’audience ex parte est élevée. Ainsi, une requête en annulation de l’ordonnance doit être accueillie s’il appert que le défaut du ministre de divulguer les faits de façon intégrale et franche a induit le juge en erreur. Ce n’est pas le cas en l’espèce.

 

[33]           En l’espèce, les intimés ne sont pas déchargés dans le présent dossier de leur fardeau initial de prouver qu’il existe des motifs raisonnables de croire que le critère général prévu au paragraphe 225.2(2) de la Loi n’a pas été rencontré vu les faits particuliers de l’affaire. Quoi qu'il en soit, ayant eu l’avantage de prendre connaissance de l’ensemble de la preuve dans les dossiers T-1594-06 et T-699-07, inclusivement la preuve soumise par les intimés dans le présent dossier, je conclus qu’il est plus probable qu’autrement que l’octroi d’un délai aux intimés compromettrait le recouvrement de la créance de Sa Majesté. Ainsi, l’ensemble de la preuve dans les dossiers T-1594-06 et T-699-07 établit clairement et d’une manière objective que Laquerre tente de liquider divers actifs immobiliers et de redistribuer l’argent des ventes à d’autres compagnies ou fiducies afin de soustraire ces sommes à ses créanciers sinon à l’un des principaux créanciers, Sa Majesté (et sans doute également le fisc de la province de Québec). À cause de la situation financière très précaire dans laquelle les intimés se retrouvent actuellement, le recouvrement de la dette dû à Sa Majesté serait compromis si un délai était accordé aux intimés afin d’acquitter les montants des cotisations émises à leur égard.

 

[34]           Au passage, les intimés font valoir qu'ils n'avaient pas et n'ont toujours pas l'intention de dilapider leurs biens. Toutefois, comme l'indique le juge Lemieux dans Marengère, ci-dessus, aux paragraphes 67 et 72 (sous-paragraphe 4) :

[67] [...] Il ne s'agit pas ici d'une affaire d'intention ou de planification fiscale; il faut régler l'affaire d'une façon objective et réaliste. En d'autres termes, c'est l'effet ou le résultat des mesures que le contribuable a prises à l'égard de ses actifs qui est important et pertinent lorsqu'il s'agit d'apprécier le bien-fondé de l'ordonnance de recouvrement de protection. L'obligation fiscale n'est pas ici en cause.

 

[72] (4) [...] le ministre n'a pas à prouver la fraude ou la tromperie ou un mauvais motif.

 

 

 

[35]           Peu importe l’intention réelle ou présumée des intimés, il est clair que dans les faits, les mesures qui ont été prises par les intimés empêchent la poursuite de mesures de recouvrement à l’encontre de 9075, 9015 et 9029, tandis que l’octroi aujourd’hui d’un délai additionnel à l’ensemble des intimés compromettrait le recouvrement de tout ou partie des montants d’impôt, d’intérêts et de pénalités que la requérante réclame des intimés en vertu des nouvelles cotisations.

 

[36]           À titre d’illustration, la preuve documentaire au dossier démontre que 9075, 9015 et 9029, soit trois compagnies numériques contrôlées par Laquerre, ont omis de déclarer des revenus très importants. Or, celles-ci ont été radiées d’office le 7 mai 2004. À cet égard, les seuls actifs de 9075, 9015 et 9029 consistent aujourd’hui en certaines sommes dues par ML ou Fiducie Laquerre (dont Laquerre est l’un des deux bénéficiaires). Malgré les mesures de recouvrement entreprises suite à l’émission des deux ordonnances de recouvrement compromis, en date du 28 septembre 2007, la totalité de la dette fiscale de Laquerre, 9122, 9075, 9015, 9029, ML, Fiducie Laquerre et MJ s’élevait alors à 2 809 313,22 $ (paragraphe 23 de l’affidavit de M. Ferland du 20 novembre 2007 produit en réponse à la requête en annulation des intimés).

 

[37]           De plus, selon les preuves au dossier, prima facie, et sans me prononcer définitivement sur la question, la requérante a également des motifs raisonnables de soutenir devant cette Cour que les intimés tentent d’éluder le paiement de leurs impôts. Il suffit ici de se référer aux affidavits de M. Ferland, de Mme Valois et de Mme Morin dont l’essentiel n’est pas sérieusement attaqué par les intimés. Le procureur des intimés reconnaît d’ailleurs que la crédibilité de Mmes Valois et Morin n’est pas en cause. Or, Mme Valois dans son plus récent affidavit circonstancié du 13 novembre 2007 réitère le caractère véridique de ce qu’elle a déjà relaté dans son affidavit antérieur du 31 août 2006 dans le dossier T-1594-06. De plus, Mme Valois s’inscrit en faux quant à certaines affirmations ou explications peu crédibles que l’on retrouve dans l’affidavit de Laquerre. Par exemple, je retiens que Laquerre n’a pas offert une pleine et entière collaboration à Mme Valois lors de sa vérification, ce qui a causé maints retards. Je retiens également que Laquerre semble avoir utilisé divers stratagèmes pour tromper les autorités fiscales. Ceux-ci sont forts bien expliqués, avec maints exemples, aux paragraphes 27 et suivants de l’affidavit de Mme Valois en date du 13 novembre 2007, qui a été produit par la requérante en réponse à la requête en annulation des intimés.

 

[38]           Ayant soupesé l’ensemble des dépositions écrites soumises par les parties, je conclus également que les explications avancées par Laquerre sont peu vraisemblables ou insatisfaisantes dans les circonstances. De plus, le comportement peu orthodoxe de Laquerre dans la gestion de ses affaires est un élément déterminant que la Cour peut considérer en l’espèce (Mann c. Canada (ministre du Revenu national), 2006 CF 1358, [2006] A.C.F. no 1697 (QL) au para. 50, Canada c. Paryniuk, 2003 CF 1505, [2003] A.C.F. no 1924 (QL) au para. 13,  et Laframboise c. La Reine, [1986] 3 F.C. 521 au para.19). Selon cette jurisprudence, les pratiques commerciales de Laquerre et de ses compagnies et fiducies liées peuvent être décrites comme étant orthodoxes, de sorte qu’il est facile pour Laquerre de dilapider les actifs de ses sociétés et fiducies. De plus, Laquerre n’a pas contredit le fait qu’il détenait un coffre-fort avec des sommes substantielles d’argent comptant provenant selon ses dires de travail « au noir » (paragraphe 90 de l’affidavit de M. Ferland du 25 avril 2007). Selon Mme Valois, qui a parlé à l’enquêteur Jean Poirier de la police de Québec le 18 mars 2004, ce dernier a confirmé que le coffre avait été retrouvé trois semaines plus tard, mais qu’il manquait, selon Laquerre, une partie de l’argent qu’il contenait. L’enquêteur confirme à Mme Valois que Laquerre lui avait affirmé que l’argent qui se trouve dans ce coffre était de « l’argent au noir » (paragraphe 96  de l’affidavit de Mme Valois du 13 novembre 2007 produit en réponse à la requête en annulation des intimés).

 

[39]           Pour les raisons mentionnées plus haut, la Cour rejette la présente requête des intimés avec dépens. Des motifs concurrents de rejet de l’autre requête en annulation de la première ordonnance de recouvrement compromis sont émis dans le dossier T‑1594-06 (2008 CF 458).


 

ORDONNANCE

 

 

LA COUR ORDONNE que la requête des intimés en annulation de l’ordonnance de recouvrement compromis rendue le 26 avril 2007 soit rejetée avec dépens.

 

 

 

                  « Luc Martineau »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-699-07

 

                                                            DANS L’AFFAIRE DE la Loi de l’impôt sur le revenu

ET DANS L’AFFAIRE D’UNE de cotisations établies par le ministre du Revenu national en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu

FIDUCIE MARIO LAQUERRE

FIDUCIE ML

FIDUCIE MJ

9122-9831 QUÉBEC INC.

9067-6388 QUÉBEC INC.

1392, 4e avenue

Québec (Québec) G1J 3B6

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 20 février 2008

 

MOTIFS D’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       Le juge Martineau

 

DATE DES MOTIFS :                      le 9 avril 2008

 

 

COMPARUTIONS :                       

 

Martin Lamoureux                                                        PARTIE DEMANDERESSE

 

Jacques Trudeau                                                           INTIMÉS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.                                                         PARTIE DEMANDERESSE

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Gauthier Paquette Trudeau Bélanger

Avocats                                                                        INTIMÉS

Laval (Québec)

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