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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20080404

Dossier : IMM‑74‑06

Référence : 2008 CF 444

Ottawa (Ontario), le 4 avril 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MANDAMIN

 

ENTRE :

JOSÉ OCTAVIO OLVERA-PAOLETTI

SILVIA ADRIANA MARZANA-GARCIA

TABATTA ANDREA OLVERA-MARZANA

GEORGINA OLVERA-MARZANA

 

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               José Octavio Olvera-Paoletti (le demandeur) et des membres de sa famille ont déposé, conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), une demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) concluait le 6 décembre 2005 que le demandeur et sa famille n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention, ni des personnes à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la LIPR.

 

[2]               Le demandeur, son épouse Silvia Adriana Marzana‑Garcia et leur deux filles, Tabatta Andrea Olvera‑Marzana et Georgina Olvera‑Marzana, sont des citoyens du Mexique. Ils ont affirmé qu’ils avaient fui le Mexique pour échapper à la persécution d’un ancien employeur qui avait embauché des agents corrompus de la police pour qu’ils les menacent et les tuent. Les demandeurs sont entrés au Canada en novembre 2004 et ont demandé l’asile en janvier 2005.

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, j’ai décidé que la demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie.

 

CONTEXTE

[4]               Lorsqu’ils ont été congédiés par leur employeur en 2002, le demandeur et son épouse ont déposé une plainte à ce sujet auprès de la commission du travail. Cette dernière leur a accordé une somme considérable, compte tenu de l’omission de l’employeur de répondre à la plainte déposée contre lui. Le demandeur soutient que l’employeur a embauché des agents corrompus de la police qui les ont menacés, lui et sa famille, et ont tenté de les tuer. Il affirme que ces agents corrompus de la police les ont enlevés, lui et sa famille, à deux occasions. Il ajoute qu’ils ont réussi à s’enfuir en chaque occasion et qu’ils ont fait des dénonciations aux agents de police, lesquels n’ont rien fait pour les aider. Le demandeur et sa famille ont déménagé à l’extérieur d’Acapulco avant de décider de fuir le Mexique en 2004.

[5]               Le demandeur soutient qu’il convient d’examiner, dans le présent contrôle judiciaire, les questions suivantes :

1.                  L’audience n’a pas été équitable puisque le commissaire a mal exercé son pouvoir discrétionnaire en appliquant les Directives no 7 du président concernant la préparation et la tenue des audiences à la Section de la protection des réfugiés (les Directives no 7) et en étant donc le premier à interroger le demandeur.

2.                  L’audience n’a pas été équitable en raison du ton et de la teneur des questions et des commentaires du commissaire au cours de l’audience.

3.                  Le commissaire n’a pas tenu compte des renseignements documentaires défavorables concernant la protection de l’État.

 

[6]               Je conclus que la question fondamentale qu’il convient d’examiner porte sur l’équité procédurale dans la conduite de l’audience. Dans l’arrêt Ruby c. Canada (Solliciteur général), [2002] 4 R.C.S. 3, au paragraphe 46, la Cour suprême du Canada a conclu que les principes de justice fondamentale « n’exigent pas que le demandeur bénéficie de la procédure la plus favorable, mais ils requièrent que la procédure soit équitable : Lyons, précité, p. 362; Office des services à l’enfant et à la famille de Winnipeg c. K.L.W., [2000] 2 R.C.S. 519, 2000 CSC 48, par. 130; B. (R.), précité, par. 101 ».

 

NORME DE CONTRÔLE

[7]               La norme de contrôle applicable lorsqu’il y a eu manquement à l’équité procédurale est celle de la décision correcte. Dans le cas d’un manquement à l’obligation d’équité procédurale, la décision sera annulée (Ellis‑Don Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), [2001] 1 R.C.S. 221, au paragraphe 65).

 

DÉCISION FAISANT L’OBJET DE CONTRÔLE

[8]               Le commissaire a jugé que les questions déterminantes dans la demande des demandeurs portaient sur le bien‑fondé de leur crainte de persécution et sur la protection de l’État. Il a jugé que le demandeur n’était pas un témoin généralement crédible et digne de foi. En outre, il a conclu que le témoignage du demandeur contenait des incohérences et des omissions qui n’avaient pas été expliquées d’une manière satisfaisante.

 

[9]               Le commissaire a effectivement constaté que le demandeur et son épouse avaient été congédiés par leur employeur et qu’ils avaient institué une action contre lui. Il a reconnu que la commission du travail avait rendu une décision en leur faveur. Cependant, il n’a pas cru que le demandeur avait été pris pour cible par des agents corrompus de la police, ni qu’il avait fait des efforts pour obtenir la protection de la police.

 

[10]           Le commissaire a conclu que le demandeur et sa famille avaient pu éprouver une crainte subjective de persécution, mais que leur crainte ne reposait pas sur un fondement objectif et qu’ils ne craignaient donc pas avec raison d’être persécutés. Enfin, il a accepté la preuve documentaire qui indiquait que la protection de l’État était offerte et il a jugé que les demandeurs n’avaient pas fait des efforts soutenus pour obtenir cette protection.

 

ANALYSE

[11]           Le commissaire a appliqué les Directives no 7 et a été le premier à interroger le demandeur. Le paragraphe pertinent des Directives no 7 est ainsi rédigé :

19.       Dans toute demande d’asile, c’est généralement l’APR qui commence à interroger le demandeur d’asile. En l’absence d’un APR à l’audience, le commissaire commence l’interrogatoire et est suivi par le conseil du demandeur d’asile. Cette façon de procéder permet ainsi au demandeur d’asile de connaître rapidement les éléments de preuve qu’il doit présenter au commissaire pour établir le bien‑fondé de son cas.

 

[12]           Dans la récente décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Thamotharem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 198, au paragraphe 79, il est clairement indiqué que les commissaires doivent permettre que le demandeur d’asile soit d’abord interrogé par son conseil lorsque l’obligation d’agir équitablement l’exige. Cependant, les Directives no 7 sont en soi valides. Étant donné que le demandeur ne s’est pas opposé à l’ordre des interrogatoires, aucune question de manquement à l’équité n’est soulevée.

 

[13]           L’article 165 de la LIPR investit les commissaires de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du pouvoir de prendre les mesures qu’ils jugent utiles à la procédure. L’un de ces pouvoirs consiste à faire prêter serment et à interroger sous serment. Dans un contexte judiciaire, lorsqu’un juge interroge un témoin, il existe des raisons valables pour que celui‑ci ne dépasse pas certaines limites, lesquelles ont été soulignées dans l’affaire Rajaratnam c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] A.C.F. no 1271, où la Cour d’appel fédérale a fait référence à la mise en garde faite par lord Green M.R. dans l’arrêt Yuill c. Yuill, [1944] P.15 (C.A.) :

 

[traduction]

 

Le juge qui observe le comportement des témoins pendant que ceux‑ci sont interrogés par les avocats dispose, de par sa situation distincte, d’une occasion beaucoup plus favorable de parvenir à une appréciation juste que le juge qui procède lui‑même à l’interrogatoire. S’il adopte cette dernière façon de procéder, il descend en quelque sorte dans l’arène et il risque d’avoir une vision embrouillée par la poussière du conflit. Il se prive inconsciemment de l’avantage d’une observation calme et impartiale. Il y a aussi lieu de souligner, comme le savent tous ceux qui ont une certaine expérience de ces questions, que le témoin interrogé par le juge risque d’avoir un comportement très différent de celui qu’il a lorsqu’il est interrogé par les avocats, particulièrement lorsque l’interrogatoire du juge se fait de façon prolongée, comme en l’espèce, et couvre pratiquement la totalité des questions essentielles en cause. La Chambre des lords elle‑même a reconnu qu’un tribunal d’appel est habilité à conclure que l’appréciation du comportement d’un témoin faite par le juge de première instance n’était pas fondée. [Non souligné dans l’original.]

 

Je suis d’avis que la mise en garde s’applique également en l’espèce. Il en a été de même dans l’arrêt Sivaguru c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] A.C.F. no 47 (C.A.F.), où il a été décidé que l’impartialité dont doivent faire preuve les juges s’étend également aux commissaires.

 

[14]           La décision de commencer l’interrogatoire impose aux commissaires la responsabilité de donner le ton à l’audience. Les questions et les directives formulées par le commissaire, ainsi que son attitude, peuvent avoir une incidence sur les réponses du demandeur et le déroulement de l’audience. L’obligation fondamentale des commissaires, comme l’exige l’article 165 de la LIPR, consiste à prendre les mesures qu’ils « jugent utiles à la procédure », ce qui implique nécessairement une procédure équitable. En l’espèce, la façon dont le commissaire s’est adressé à l’interprète, ses questions, ses commentaires et ses tentatives de conseils ont eu une incidence sur l’équité du processus. Chacun de ces éléments sont abordés ci‑après.

 

[15]           Le demandeur et son épouse ont témoigné en présence d’un interprète. Le commissaire n’a pas très bien réussi l’interrogatoire avec l’interprète. Parfois, il s’adressait au demandeur directement à la deuxième personne et, d’autres fois, il parlait du demandeur à la troisième personne comme si ses observations visaient une autre partie, soit l’interprète ou une autre personne dans la salle.

 

[16]           L’aspect le plus troublant en ce qui a trait aux questions et aux observations formulées par le commissaire est ressorti lorsque celui‑ci a tenté de fournir des conseils au demandeur sur la crédibilité. Les explications données par le commissaire ne sont pas très claires. En outre, elles s’ajoutent à l’opinion défavorable qu’il a exprimée à propos des réponses fournies par le demandeur.

 

[17]           Au total, le commissaire a tenté à quatre occasions de conseiller le demandeur sur la manière de répondre aux questions.

 

[18]           À la page 357 du dossier du tribunal, la transcription révèle :

[traduction]

 

LE PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE :  Vous me l’avez dit dès le début. J’ai lu votre récit, d’accord, et j’ai lu toutes les dénonciations que vous avez faites. J’ai lu au sujet des actions en justice que vous avez intentées. Si vous répondez à mes questions directement, il y aura beaucoup moins de problèmes de confusion.

 

LE DEMANDEUR :  Désolé.

 

LE PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE :  Et, non, il s’agit simplement de répondre directement à mes questions et, plus vous essayez de contourner la question, plus j’aurai des raisons de douter de la crédibilité de vos réponses. Bien que cela ne figure pas sur ma liste de questions, votre conseil vous dira que la crédibilité est un élément fondamental dans les demandes d’asile. D’accord? Très bien […]

 

[19]           À la page 359 du dossier du tribunal :

[traduction]

 

LE DEMANDEUR :  J’ai fait de nombreuses dénonciations et je ne peux pas me rappeler précisément des dates de chacune d’elles.

 

LE PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE :  Mais vous savez, ce sont les incidents qu’il a vécus et je dois tenter de déterminer, s’il serait raisonnable, vous comprenez, que le demandeur, vous savez, du fait qu’il a vécu ces incidents, se rappelle où et quand ils sont survenus, ainsi que pourquoi et comment ils se sont produits. Je veux dire, je peux comprendre qu’il y ait une certaine nervosité et possibilité de confusion. Beaucoup de choses vous sont arrivées dans relativement – durant une longue période. Je veux dire, vous savez, si le demandeur est âgé et souffre de problèmes de mémoire ou souffre d’effets psychologiques causés par les préjudices et les actes de persécution subis, je suis prêt à faire abstraction de certaines de ces incohérences. Mais s’il s’agit de contradictions, alors la crédibilité du demandeur est mise en doute.

 

Ne vous énervez donc pas trop au sujet des dates. Je recherche un certain degré de raisonnabilité et, si vous savez que c’est raisonnable, je peux ne pas en tenir compte. D’accord. Cela est donc une sorte de réponse à votre affirmation selon laquelle il est possible que vous ne vous rappeliez pas de toutes les dates, et je suis prêt à en ignorer quelques‑unes. Cependant, si toutes vos dates sont incorrectes, alors c’est plus qu’une simple sorte, vous savez, de divergence dans la crédibilité de votre récit. D’accord? [...]

 

 

[20]           À la page 360 du dossier du tribunal :

[traduction]

 

LE PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE :  Alors. Quelle somme d’argent vous devait‑on par suite de votre congédiement?

 

LE DEMANDEUR :  Pour ce qui est de la dénonciation au complet?

 

LE PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE :  Bien sûr, j’ai une copie de votre divulgation, je crois que c’est le document le plus récent ce matin de la pièce C‑7, et je suppose que c’est la décision du conseil d’arbitrage en relations de travail. Généralement, nous n’acceptons pas ce genre, vous savez, (inaudible) de documents; vous devriez savoir combien d’argent on vous devait, c’est vous qui avez été congédié. Ce n’est pas déraisonnable de s’attendre à ce que vous sachiez combien d’argent on vous devait lorsqu’on vous a renvoyé. Je vous le demande, de préférence aux documents. Je veux dire que si on vous doit quelques milliers de dollars, je pourrais en faire abstraction, mais que si j’entends qu’on vous doit mille dollars, je pourrais en tenir compte. Ce ne sont que des exemples […]

 

[21]           À la page 363 du dossier du tribunal :

[traduction]

 

LE PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE :  D’accord. Alors, c’est deux jours après les recommandations de la Commission que la persécution a commencé. Je reprends donc ma question. À quel moment la persécution a‑t‑elle commencé, en 2002, 2003, 2004, 2005 ou 2006?

 

LE DEMANDEUR :  2002, en 2002.

 

LE PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE :  Quel mois?

 

LE DEMANDEUR :  Vous voulez le jour et le mois? Le jour, j’ai oublié, mais pour le mois c’était en juillet.

 

LE PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE :  Bon d’accord. Je vais demander à la demanderesse, à partir de maintenant, de ne pas aider le demandeur. Plus elle lui prêtera assistance, plus je vais en conclure que le demandeur ne connaît pas les réponses et donc en tirer une inférence défavorable quant à la crédibilité de la demande.

 

LE PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE :  C’était donc en juillet 2002. D’accord […]

 

[22]           Le commissaire a jugé que le demandeur n’était pas généralement crédible et a déclaré : « [S]on histoire et son témoignage contenaient des incohérences et des omissions qui, selon moi, n’ont pas été expliquées de manière satisfaisante. » (Page 3 des motifs.)

 

[23]           Le commissaire a expressément jugé contradictoire la réponse du demandeur selon laquelle la persécution qu’il alléguait avoir subie aurait commencé en juillet 2002, date qui aurait précédé la décision de la commission du travail. Le commissaire a tiré une inférence défavorable de la réponse du demandeur, puisque celui‑ci avait antérieurement témoigné que la persécution avait commencé deux jours après la décision de la commission du travail. Cette inférence a été tirée malgré l’explication du commissaire voulant que les dates n’étaient pas nécessairement déterminantes (voir le paragraphe 19 ci‑dessus). Après examen de la transcription, il est ressort clairement que le demandeur a erronément donné la date du mois de juillet 2002 pour répondre aux questions insistantes du commissaire. Lorsque l’épouse du demandeur qui, je le souligne, était aussi partie à la présente instance, a voulu parler, peut‑être pour apporter une précision, le commissaire l’a rapidement empêchée de le faire.

 

[24]           Le commissaire a choisi de donner ses propres conseils au demandeur sur la question de la crédibilité, ce qu’il a fait à plusieurs reprises et d’une manière prêtant à la confusion. Je ne peux affirmer que le commissaire n’a pas compromis sa capacité d’évaluer la crédibilité du demandeur et qu’il n’a pas influé sur le témoignage de celui‑ci au point d’en affaiblir sa crédibilité.

 

[25]           Même si aucune observation n’a été faite sur la question de savoir si le commissaire peut donner des conseils au demandeur, si un tel conseil est donné, il doit tout au moins être clair, précis et compréhensible. Le conseil que le commissaire a fourni au demandeur en l’espèce ne satisfait pas à ce critère.

 

[26]           Dès le début de l’audience, le commissaire a indiqué que si une question n’était pas claire, le demandeur devrait demander des précisions (page 355 du dossier du tribunal). À un certain moment au cours de l’audience, après que le demandeur eut de nouveau demandé des explications au sujet d’une question, le commissaire a répondu qu’il ne répéterait pas la question pour une troisième fois (page 369 du dossier du tribunal). Cette confusion de la part du demandeur est compréhensible étant donné que la transcription révèle que le commissaire passait de « vous » à « il » dans la même série de questions. À un autre moment pendant l’audience, lorsque le demandeur tentait d’établir qu’il avait été persécuté par des agents corrompus de la police mexicaine, le commissaire lui a demandé comment il avait su que ses agresseurs étaient en fait des agents de la police, mais il a ensuite ajouté : [traduction] « Je pourrais lui demander comment, mais je ne crois pas que je vais le faire. » (Page 365 du dossier du tribunal.)

 

[27]           Le commissaire a également fait des commentaires désobligeants tout au long de l’interrogatoire, dont deux commentaires qui ressortent tout particulièrement compte tenu de leur caractère injustifié (page 361 du dossier du tribunal) :

                        [traduction]

 

LE PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE :  D’accord. Alors, vous dites que vous avez travaillé à cet endroit pendant un an et deux mois, que vous avez porté plainte à la commission du travail, et qu’on vous devait 1,5 million de pesos, ce qui représente 14 mois d’arrérages de salaire ou de salaire dû.

 

LE DEMANDEUR :  Ce que je tiens à préciser c’est que ce n’est pas moi qui a demandé à recevoir cette somme d’argent. C’est la commission qui a décidé que c’était cette somme qu’on me devait.

 

LE PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE :  Laquelle – la commission du travail?

 

LE DEMANDEUR :  Oui.

 

LE PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE :  Vous avez une commission du travail très généreuse au Mexique.

 

 

[28]           Plus loin, à la page 372 du dossier du tribunal :

[traduction]

 

LE PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE :  Alors. Vous avez été renvoyé le 23 avril, menacé pour une première fois en juillet 2002, renvoyé en avril 2002, menacé pour la première fois en 2002. Vous n’êtes pas parti avant novembre 2004, c’est‑à‑dire presque deux ans et demi plus tard. Pourquoi avez‑vous mis autant de temps avant de vous décider à partir?

 

LE DEMANDEUR :  Parce que je continuais de croire en la justice au Mexique.

 

LE PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE :  Bon d’accord. Bien que tout le monde puisse acheter des uniformes de police et que tout le monde soit prêt à être mercenaire, il y a une justice au Mexique après tout.

 

LE DEMANDEUR :  Bien, je suis Mexicain, Monsieur.

 

Le commentaire sarcastique du commissaire ridiculise la croyance du demandeur dans le système judiciaire mexicain, mais le commissaire a quand même finalement conclu que la protection de l’État existait.

 

[29]           Je suis d’accord avec l’examen du droit fait par le juge Barnes dans la décision Chaudry c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1015, au paragraphe 13, concernant la latitude qu’il faut donner à la Commission dans sa conduite d’une audience :

Je suis d’accord avec le défendeur qu’il faut donner à la Commission une latitude considérable dans sa conduite d’une audience. Il lui est notamment permis d’interroger un demandeur de façon approfondie et musclée (voir Bankole c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 1942; 2005 CF 1581), et la loi l’autorise peut‑être à faire preuve, dans une certaine mesure, de désobligeance, de sarcasme et de sévérité (voir Kankanagme c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. no 1757; 2004 CF 1451). Cependant, l’équité interdit au commissaire de faire des interventions intrusives, déplacées, intimidantes, agressantes, injustifiées ou dénuées de toute pertinence qui peuvent donner l’impression qu’il était partial : voir Yusuf c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 C.F. 629, [1991] A.C.F. no 1049 (C.A.F.), et Kumar c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1988] 2 C.F. 14, [1987] A.C.F. no 1015 (C.A.F.). Comme l’a dit le juge Michael Phelan dans la décision Quiroa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 338; 2005 CF 271, un ton et un comportement appropriés sont de mise dans la procédure d’un tribunal administratif pour veiller à ce que le commissaire en question ne soit pas perçu comme étant arrivé prématurément à une décision. Contrairement à la prétention du défendeur, je suis d’avis que la conduite du commissaire en cause dans la présente espèce a franchi la limite de ce qui est acceptable.

 

 

[30]           À mon avis, une personne raisonnablement bien renseignée qui examinerait l’audience en cause dans son ensemble en viendrait à la conclusion que le commissaire a eu une influence défavorable sur le caractère équitable du processus d’audience en donnant au demandeur une opinion bien arrêtée et vague au cours de l’audience. De plus, le commissaire a montré qu’il avait perdu son sens de l’objectivité par ses commentaires et ses apartés. Je conclus que le demandeur et sa famille n’ont pas bénéficié d’une audience équitable, étant donné que le commissaire n’a pas su maintenir non seulement l’apparence d’impartialité, mais aussi l’impartialité du processus.

 

CONCLUSION

[31]           Par conséquent, je conclus qu’il y a eu manquement à l’obligation d’équité procédurale. La décision de la Commission est annulée.

 

[32]           Le demandeur a soumis une question relative à la protection de l’État. Le défendeur s’est opposé à la question proposée par le demandeur. Étant donné que la question de la protection de l’État n’a pas été examinée dans le présent contrôle judiciaire, je refuse de certifier une question sur la protection de l’État.

 

 

 

 


 

 

 

JUGEMENT

 

            LA COUR ORDONNE :

1.      La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à la Commission pour qu’un tribunal différemment constitué statue à nouveau sur l’affaire.

 

2.      Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

 

« Leonard S. Mandamin »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Caroline Tardif, LL.B., B.A.Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                IMM‑74‑06

 

 

INTITULÉ :                                                               JOSE OCTAVI

                                                                                    OLVERA‑PAOLETTI ET AL.

                                                                                    c.

                                                                                    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                                    ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 20 NOVEMBRE 2007

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                      LE JUGE MANDAMIN

 

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                                               LE 4 AVRIL 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Douglas Lehrer

 

POUR LES DEMANDEURS

Asha  Gafar

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Vander Vennen Lehrer

Avocats

45, rue St. Nicholas

Toronto (Ontario)  M4Y 1W6

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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