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Date : 20080402

Dossier : IMM-3649-07

Référence : 2008 CF 421

Montréal (Québec), le 2 avril 2008

En présence de L'honorable Maurice E. Lagacé

 

ENTRE :

ERIC GOULONGANA

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               La présente demande de contrôle judiciaire résulte d’une décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, Section de la protection des réfugiés (le Tribunal) ayant pour effet de refuser au demandeur « la qualité de réfugié au sens de la Convention » et de « personne à protéger », au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la Loi), et ce, au motif qu’il considère invraisemblable la crainte de persécution alléguée par le demandeur au point de ne pouvoir y prêter foi.

 

[2]               Après étude du dossier et considérant les représentations écrites et orales des parties, la Cour conclut au maintien de la décision visée par la demande de contrôle judiciaire, parce que jugée raisonnable dans le contexte analysé par le Tribunal.

 

Faits

[3]               Âgé de 29 ans et citoyen du Gabon, le demandeur arrive au Canada en janvier 2002 pour un séjour d’études. Avant sa venue au Canada il a étudié en Angleterre (1997-2001), en Belgique (1996-1997), et en Italie (1992-1996). Il retourne au Gabon pour la dernière fois en août 2004.

 

[4]               Le demandeur allègue que ses problèmes débutent en septembre 2005, à l’occasion des élections présidentielles au Gabon, alors que le président Omar Bongo aurait envoyé une délégation au Canada dans le but de solliciter le vote des étudiants résidant au Canada. Cette délégation aurait eu le mandat d’inciter les étudiants résidant dans ce pays à voter pour le président Bongo, et à dresser une liste de ceux qui refusaient de s’inscrire sur la liste électorale et de soutenir le président Bongo.

 

[5]               Le demandeur aurait refusé par principe de s’inscrire sur cette liste électorale et reçu, prétend-il, de nombreux appels de menaces anonymes pour le forcer de voter pour ce président.

 

[6]               Le demandeur déclare avoir déjà vécu une situation similaire lors de son séjour d’études en Angleterre, à l’occasion des élections présidentielles du Gabon de 1999.

 

[7]               Le demandeur prétend que son refus de s’inscrire à la liste électorale a été perçu comme un affront au gouvernement gabonais, et c’est pourquoi il craint des représailles, l’emprisonnement, et même la mort s’il devait retourner au Gabon.

 

[8]               Par ailleurs, le demandeur admet que ses parents toujours résidents du Gabon n’ont connu aucun problème suite à son refus de s’inscrire sur la liste électorale dressée au Canada par les services consulaires gabonais.

 

Décision contestée

[9]               Le rejet par le Tribunal de la demande d’asile du demandeur repose principalement sur l’invraisemblance des allégations du demandeur et sur son manque de crédibilité. Plus précisément, le Tribunal dans une décision succincte retient contre le demandeur quatre éléments :

 

a)         alors que le demandeur n’a jamais participé à des activités politiques ni jamais milité dans un parti politique, le Tribunal ne peut croire son affirmation voulant que le simple fait de refuser en 2005 d’inscrire son nom sur la liste électorale le désigne comme un opposant du régime gabonais susceptible de persécution advenant son retour au pays d’origine, compte tenu que sans être une démocratie parfaite le Gabon tolère néanmoins le multipartisme;

 

b)         le Tribunal refuse de prêter foi aux menaces anonymes que le demandeur prétend avoir reçues en provenance des services consulaires congolais au motif que le demandeur, fils d’un diplomate gabonais, détenait un passeport diplomatique;

 

c)         le Tribunal fait appel à son expérience spécialisée pour conclure que lorsque le régime gabonais s’en prend à un individu, sa famille est harcelée, ce qui n’est pas le cas ici de l’aveu même du demandeur;

 

d)         l’invraisemblance de la chronologie des évènements permettant au Tribunal d’inférer que suite à la perte de sa bourse d’études du Gabon le demandeur dépité prête maintenant une intention persécutrice au gouvernement gabonais.

 

[10]           Enfin, le tribunal mentionne avoir appliqué à la situation du demandeur le paragraphe 97(1) de la Loi définissant la « personne à protéger », mais n’avoir pu identifier aucun élément de crédibilité pouvant justifier une décision favorable sous ce volet.

 

Prétentions des parties

[11]           Le demandeur reconnaît d’abord que la norme de contrôle applicable aux décisions du Tribunal fondées sur l’absence de crédibilité du revendicateur d’asile est celle de la décision déraisonnable définie dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 (Dunsmuir).

 

[12]           Malgré ce seuil de contrôle exigeant, le demandeur soutient que cette Cour devrait faire droit à sa demande de contrôle pour trois raisons : 1) l’omission du Tribunal de considérer toute la preuve;  2)  la décision s’appuie sur des suppositions plutôt que sur la preuve;  3)  la décision transgresse les principes de la justice naturelle parce que non suffisamment motivée.

 

[13]           Le premier reproche du demandeur repose sur le défaut du Tribunal d’indiquer sur quelle preuve il s’appuie pour affirmer que le Gabon est un état multipartiste et ainsi laisser entendre qu’il existe une opposition au gouvernement, plutôt que de considérer toute la preuve du demandeur qui démontrerait le contraire.

 

[14]           Le deuxième motif est intimement lié au premier. Selon le demandeur, plutôt que d’apprécier la preuve soumise, le Tribunal se contente de conclure en s’appuyant sur des suppositions qu’une personne en possession d’un passeport diplomatique n’est normalement pas menacée et que la famille du demandeur aurait normalement dû également faire l’objet de harcèlement si les autorités gabonaises avaient véritablement voulu lui causer des problèmes.

 

[15]           Le troisième motif porte lui aussi sur le défaut d’avoir considéré toute la preuve présentée, mais insiste davantage sur le défaut du Tribunal de justifier convenablement les motifs de sa décision. Plus particulièrement, le défaut du Tribunal de référer à la preuve sur laquelle reposent ses conclusions et d’expliquer convenablement les motifs qui l’amènent à rejeter la preuve du demandeur.

 

[16]           Le ministre souligne avec raison qu’une conclusion d’absence de crédibilité peut être fondée sur des invraisemblances, sur l’irrationalité et sur le sens commun (Shahamati c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 415 (C.A.) (QL).

 

[17]           De plus, le ministre rappelle que le Tribunal n’a pas à mentionner dans ses motifs tous les éléments de preuve considérés. L’allégation par le demandeur que la décision ne tient pas compte de la preuve offerte ne suffit pas pour réfuter la présomption que toute la preuve a été considérée par le Tribunal. Le Tribunal n’a sûrement pas l’obligation de commenter toute la preuve documentaire qu’on lui a soumis, surtout si comme dans l’espèce il conclut à l’absence de crédibilité du demandeur.

 

Question en litige

[18]           La décision négative du Tribunal sur la demande de protection du demandeur est-elle déraisonnable?

 

Analyse

[19]           Les parties reconnaissent avec justesse que la norme de contrôle applicable aux décisions fondées sur l’absence de crédibilité du revendicateur d’asile, comme c’est ici le cas, est celle de la décision déraisonnable (Dunsmuir, ci-dessus).

 

[20]           Le tribunal, contrairement aux prétentions du demandeur,  n’est pas tenu dans ses motifs de mentionner tous les éléments de preuve qu’on lui a soumis (Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.) (QL). Un tel reproche devient d’autant plus excusable que dans la présente affaire le Tribunal conclut à l’absence de crédibilité du demandeur quant aux principaux faits sur lesquelles repose la demande (Sheikh c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 C.F. 238 (C.A.)).

 

[21]           Il importe de souligner la spécialisation et la pleine compétence du Tribunal pour juger de la plausibilité du témoignage et de la crédibilité du demandeur dans ses explications pour  revendiquer l’asile (Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (C.A.) (QL)).

 

[22]           S’appuyant sur ses connaissances et son expertise, le Tribunal spécialisé pouvait tirer des inférences de la preuve sans qu’il faille pour autant conclure qu’elles résultent d’un parti pris comme le laisse sous-entendre le demandeur. Ceux qui président les tribunaux ne sont pas des cruches à emplir avec n’importe quelle histoire. Ils ont le droit de faire appel au sens commun pour vérifier si une histoire se tient, est véridique ou tout simplement invraisemblable.

 

[23]           Si un demandeur présente une preuve documentaire au décideur, il peut s’attendre à ce que celui-ci l’accepte entièrement ou pour partie seulement ou encore la rejette dans son entier. Il revient au Tribunal de choisir et retenir les parties de la preuve qu’il juge les plus probantes pour appuyer ses conclusions. Si subséquemment, comme dans l’espèce, le choix du Tribunal ne convient pas au demandeur d’asile parce que nuisible à sa cause, il n’en résulte pour autant un motif valable de contrôle judiciaire cette décision.

[24]           Rien n’indique ici que le Tribunal ait procédé à une analyse sélective de la preuve très succincte entendue. C’était le rôle du Tribunal d’apprécier cette preuve et nul autre que lui pouvait mieux juger de la crédibilité du demandeur après l’avoir entendu. Le seul fait qu’il existe des éléments de preuve contraires à la décision à laquelle en arrive le Tribunal ne justifie pas pour autant l’intervention de cette Cour, surtout lorsqu’il existe des éléments de preuve pour appuyer la décision, et tel est le cas ici (Chowdhury c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 363).

 

[25]           Pour ces motifs la requête du demandeur doit être rejetée. Aucune question n’a été soumise pour fins de certification, et la Cour convient que cette affaire ne soulève aucune question de portée générale.

 


JUGEMENT

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

REJETTE  la demande de contrôle judiciaire.

 

 

« Maurice E. Lagacé »

Juge suppléant

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3649-07

 

INTITULÉ :                                       ERIC GOULONGANA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 20 mars 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LAGACÉ J.S.

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 2 avril 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Alain Vallières

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Mireille-Anne Rainville

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Alain Vallières

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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