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Date : 20080408

Dossier : IMM-4108-07

Référence : 2008 CF 453

Toronto (Ontario), le 8 avril 2008

En présence de Madame le juge Tremblay-Lamer 

 

ENTRE :

HARBHAJAN SINGH

demandeur

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

I.          Introduction

[1]                Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le tribunal), présentée conformément à l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi). Dans sa décision datée du 12 septembre 2007 (la décision), le tribunal a conclu que le demandeur n’a pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger vu l’absence de crédibilité de son récit.

 

II.        Les faits

[2]                Le demandeur, Monsieur Harbhajan Singh, est né le 10 novembre 1958 en Inde et détient la citoyenneté de ce pays. Il est marié et a deux enfants qui habitent tous en Inde et travaille comme camionneur. Il allègue les faits suivants au soutien de sa revendication.

[3]                Le demandeur est membre du Parti Shromani Akali Dal Amritsar (Mann), soit une organisation qui milite pour la création d’un pays distinct pour les Sikhs.

 

[4]                En mars 2000, celui-ci et plusieurs autres militants sont allés visiter un site où 35 Sikhs furent tués au Jammu et Cachemire. Lors de cette visite, il a rencontré Monsieur Jinder Singh. Ce dernier a demandé et obtenu un emploi auprès du demandeur, lequel est camionneur, en mars 2004.

 

[5]                Le 13 août 2004, Monsieur Jinder Singh fut arrêté alors qu’il faisait le trajet entre Jammu, Cachemire et Moga. La police a retrouvé des armes dans le camion qu’il conduisait. Le lendemain, le demandeur fut arrêté et accusé d’avoir appuyé des militants opérant au Jammu et Cachemire. Il fut détenu et torturé pendant plusieurs jours. Ce n’est qu’après avoir payé un pot de vin qu’il fut relâché.

 

[6]                En décembre 2004, la police a fouillé le domicile du demandeur. Monsieur Jinder Singh avait réussi à fuir les autorités et la police soupçonnait qu’il se cachait chez le demandeur. Ce dernier fut détenu et torturé à nouveau et relâché encore une fois en payant un pot de vin.

 

[7]                En juin 2005, le demandeur conduisait un groupe de gens dans son camion à Amritsar. À l’approche d’une barricade policière, certains passagers ont fuit. Ces individus, ainsi que le demandeur, furent détenus et torturés. Le demandeur fut libéré le 10 juin 2005.

 

[8]                Suite à cet évènement, le demandeur entre en contact avec un agent pour faire les arrangements nécessaires pour quitter le pays. Il arrive 16 août 2006 à Montréal et présente une demande de statut de réfugié cette même journée laquelle fut rejetée le 12 septembre 2007.

[9]                Le tribunal note que le demandeur a été incapable de produire son passeport indien afin de confirmer l’itinéraire de voyage l’ayant mené au Canada et d’expliquer pourquoi il n’avait pas son passeport en sa possession ni pourquoi il n’avait que des photocopies de certaines pages. Son témoignage à cet égard était confus et peu crédible.

 

[10]            Le tribunal souligne plusieurs contradictions dans le récit du demandeur. Lors de son entrevue au point d’entrée, il avait indiqué qu’il appartenait au groupe Badal du Parti Shromani Akali Dal Amritsar. Par la suite, il déclara appartenir au groupe Mann du Parti Shromani Akali Dal Amritsar. De plus, il s’est présenté comme étant un homme religieux et non un militant. Le demandeur aurait déclaré avoir été détenu pour quelques heures en 1984 parce quil prêchait dans les rues et criait des slogans. Le tribunal observe que ces déclarations contredisent celles qui se trouvent dans son formulaire de demande de renseignements personnels (FRP) où il affirmait avoir été détenu et torturé au moins à trois reprises et minent la crédibilité du demandeur.

 

III.                         Norme de contrôle

[11]            Dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a décidé qu’il n’y avait maintenant que deux normes en matière de contrôle judiciaire, soit celle de la décision correcte et celle de la décision raisonnable. Au paragraphe 51, la Cour explique :

51. Après avoir examiné la nature des normes de contrôle, nous nous penchons maintenant sur le mode de détermination de la norme applicable dans un cas donné.  Nous verrons qu’en présence d’une question touchant aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à la politique, et lorsque le droit et les faits ne peuvent être aisément dissociés, la norme de la raisonnabilité s’applique généralement.  De nombreuses questions de droit commandent l’application de la norme de la décision correcte, mais certaines d’entre elles sont assujetties à la norme plus déférente de la raisonnabilité. (Emphase ajoutée)

 

[12]            Plus loin, au paragraphe 63, la Cour fait remarquer que le processus de contrôle judiciaire se déroule en deux étapes :

Premièrement, la cour de révision vérifie si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier. En second lieu, lorsque cette démarche se révèle infructueuse, elle entreprend l’analyse des éléments qui permettent d’arrêter la bonne norme de contrôle. (Au paragraphe 62). 

 

[13]            La jurisprudence a établi que la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer à une question de crédibilité est celle de la décision manifestement déraisonnable. À la lumière de l’enseignement de Dunsmuir, la norme de contrôle applicable est maintenant celle de la décision raisonnable.


IV.       Analyse

[14]            Le demandeur allègue que le tribunal a commis une erreur quant à la question de crédibilité. D’abord, il prétend que la question du passeport était reliée uniquement à l’itinéraire et n’a guère de pertinence. Pour ce qui est de la contradiction entre les groupes Badal et Mann du Parti Shiromani Akali Dal, il reconnaît que ces groupes sont distincts. Toutefois, il explique cette contradiction entre les notes au point d’entrée et son FRP comme étant une erreur attribuable à l’agente d’immigration. Lorsqu’il a appris l’erreur, le demandeur a tenté de la corriger et a soumis une preuve documentaire démontrant son appartenance au groupe Mann. Enfin, il soutient que le tribunal a ignoré une partie de la preuve documentaire qui lui était favorable.

 

[15]            Premièrement, en ce qui a trait au passeport et à l’itinéraire, la jurisprudence a établi que le manque de preuve corroborant des aspects importants de la revendication peut miner la crédibilité d’un demandeur (Toora c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 828, [2006] A.C.F no. 1057 (QL), au para 45). Le passeport constitue un document important puisqu’il permet de fournir des informations utiles sur l’itinéraire d’un demandeur pour venir au Canada.

 

[16]            Dans le présent dossier, le demandeur n’était pas en mesure de fournir des explications au tribunal concernant son passeport. Lorsque le tribunal lui a demandé les raisons pour lesquelles il était en possession de copies de seulement deux pages de son passeport et pourquoi les autres pages n’étaient pas reproduites, il n’a pas pu l’expliquer. En outre, il a fourni des explications très confuses au sujet de l’obtention de son passeport. Le demandeur a expliqué qu’il avait sa demande de passeport en 2001 pour aller assister au mariage de sa nièce en Malaisie. Il a ensuite témoigné qu’il n’avait pu assister au mariage, parce qu’il se trouvait au Canada au moment de la cérémonie. Lorsqu’il a été confronté avec le fait qu’un délai de quatre ans s’était écoulé entre le moment de l’obtention du passeport et son arrivée au Canada, le demandeur a modifié son témoignage pour indiquer qu’en 2001, il ne s’agissait que de pourparlers de mariage.

[17]            Deuxièmement, quant à la contradiction entre les notes au point d'entrée et le FRP, il est reconnu que le tribunal a pleine compétence pour déterminer la force probante à accorder aux notes de point d’entrée et peut tirer des conclusions négatives des contradictions et incohérences de la preuve, y compris les divergences entre les déclarations faites au point d’entrée et tout témoignage ultérieur (Eustache c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1553, [2005] A.C.F. no. 1929 (QL), aux paragraphes 6 à 12; He c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 1107 (QL)) au paragraphe 2; Rajaratnam, précité; Ramirez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 803 (QL), au paragraphe 5; Zaloshnja c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no. 272 (QL), paragraphe 6).

 

[18]            Questionné sur ces incohérences, le demandeur a d’abord expliqué que c’était la faute de l’agente qui l’accompagnait qui lui aurait donné une pilule pour relaxer pour ensuite modifier son témoignage pour indiquer qu’il s’agissait d’une erreur de l’interprète. L’extrait suivant du témoignage lors de l’audition est pertinent :

Q.        Now I raised one issue with you, which was your associations, you didn’t make any mention of the Punjab Youth Federation and you said you were part of the Badal group, not the Mann group. But you were also asked “Have you ever been arrested or detained by the police?” And you are alleged to have said that you were detained for a few hours for preaching in the streets. It doesn’t appear that there are any relevance to your story or to your allegations.

 

A.        I said that my life was in danger, I’m in danger from the police. (Inaudible) because I did not have money. Last year also the police harassed me, and this year also, I’ve mentioned it.

 

Q.        Sir, that’s not … I mean, that’s not what appears in the documents. You were also asked to provide other information, detailed information, and you are alleged to have said :

“In danger because of the Congress government, because he was shouting slogans against the government, received threats, one or twice since three months ago, threats of death, same thing last year.”

 

                        (…)

           

Q.                That’s not what here, sir. I didn’t read to you about detentions and beatings, I read to you somebody who was shouting slogans against the government and received threats. That’s not the same thing that you are saying in your story.

 

(…)

 

A.        When I came, I was so scared, and he had given me pills, and I did not know what I should say. The interpreter said, “Tell as briefly as possible whatever you have to say.” At that time, I didn’t tell everything. Whatever I could, I told the (inaudible). I was saving my life. I didn’t come here to tell lies.

 

            (…)

 

Q.        So now you are saying that the interpreter didn’t get it right, it wasn’t so much…

 

A.        That’s what can happen. I don’t know what I was saying, but what she made them write down was all wrong. (Emphase ajoutée)

 

 

[19]            Pourtant les autres informations dans les notes au point d’entrée étaient exactes. Il est difficile d’accepter la prétention du demandeur à l’effet que l’agent d’immigration et par la suite l’interprète aient compris une version des faits entièrement différente de ce qu’il allègue dans son FRP. Il n’était donc pas déraisonnable pour le tribunal de tirer des conclusions négatives concernant la crédibilité du demandeur basées sur les contractions entre ses déclarations au point d’entrée et son FRP (Eustache c. Canada, 2005 CF 1553).

 

[20]            Le demandeur soutient de plus que le tribunal a erré en ne considérant pas dans sa décision le cartable le plus récent sur la situation en Inde. Je constate que la preuve documentaire générale de 2006 décrit la situation générale dans ce pays. Or, je ne peux conclure de ce fait que le demandeur ait subi un préjudice puisqu’il devait relier cette preuve documentaire générale à sa situation personnelle. Cette documentation ne peut palier au manque de crédibilité du demandeur qui provient des divergences portant sur des éléments centraux de sa revendication.

 

[21]            En résumé le demandeur a été incapable d’expliquer pourquoi il a présenté deux versions des faits complètement différentes comme fondement de sa revendication. Les documents favorables au demandeur ne sont pas suffisants pour faire échec à ces déficiences dans la preuve, lesquelles proviennent des déclarations mêmes du demandeur.

 

[22]            Quant à l’allégation de risque en tant que Sikh baptisé, le demandeur n’a jamais invoqué qu’il aurait été victime d’un incident quelconque en raison du fait qu’il est un Sikh baptisé. Il ne peut être reproché au tribunal de ne pas s’être prononcé sur un motif qu’il n’avait pas allégué et qui ne sortait pas de façon perceptible de l’ensemble de la preuve. Guajardo-Espinoza c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (C.A.F.), [1993] A.C.F. no. 797 (QL). Il s’agit d’une situation différente de l’affaire Singh c. Canada (Ministre de Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 732, [2007] A.C.F. no. 977 (QL) où la question portait sur une conclusion de minimum de fondement de la revendication du demandeur et où le risque en tant que Sikh baptisé avait été spécifiquement soulevé lors de la première audience.

 

[23]            En conséquence, il n’y a aucun motif qui justifie l’intervention de la Cour et la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4108-07

 

INTITULÉ :                                       HARBHAJAN SINGH c. LE MINISTRE DE LA

CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 MONTRÉAL, QUÉBEC

 

DATE DE L’AUDIENCE :               3 AVRIL 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS :                      8 AVRIL 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Michel Lebrun

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Mireille-Anne Rainville

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Michel Lebrun

LaSalle, Québec

 

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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