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Date : 20080404

Dossier : IMM-6519-06

Référence : 2008 CF 447

Ottawa (Ontario), le 4 avril 2008

 

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

 

 

ENTRE :

DENNIS MALVEDA

(alias Dennis M. Malveda)

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, déposée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), d’une décision (la décision) rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) le 16 novembre 2006 par laquelle la Commission a décidé que le demandeur n’était pas un réfugié au sens de la Convention au sens de l’article 96 de la Loi, ni une personne à protéger au sens de l’article 97 de la Loi.

 

L’HISTORIQUE

 

[2]               Le demandeur est âgé de 35 ans. Il est originaire du Batangas, aux Philippines. Sa demande d’asile est fondée sur sa crainte de la persécution de la part de la Nouvelle Armée du peuple (NAP), un groupe rebelle communiste qui est actif aux Philippines.  

 

[3]               De 1998 à 2005, le demandeur affirme qu’il fut un farouche partisan d’un ancien maire local qui est éventuellement devenu gouverneur du Batangas. Il a travaillé pour le gouverneur au cours des campagnes électorales de 2001 et de 2003. Il a également travaillé à temps plein à titre non politique dans une société appartenant au gouverneur.

 

[4]               En 2005, le demandeur prétend que la NAP a commencé à le menacer en rôdant autour de sa maison et en lui envoyant des lettres de menace. Il a signalé les incidents de furetage à la police locale et celle‑ci lui a dit d’être prudent. Le demandeur n’a pas montré à la police les deux premières des trois lettres de menace qu'il avait reçues.

 

[5]               Le demandeur est allé voir le gouverneur afin de lui demander son aide et prétend que celui‑ci lui a dit de quitter le pays et ne lui a offert aucun conseil valable quant à la façon selon laquelle il pourrait se protéger aux Philippines.

 

[6]               Le demandeur est arrivé au Canada le 14 décembre 2005.

 

[7]               En 2005, après que le demandeur eut quitté les Philippines, son épouse a reçu une autre lettre de menace qui lui était adressée et elle est allée la montrer à la police. La police l’a informée qu’elle ne pouvait rien faire parce que le demandeur avait quitté le pays.

 

[8]               Le demandeur a revendiqué l’asile au Canada le 3 février 2006.

 

LA DÉCISION DE LA COMMISSION

 

[9]               Dans sa décision datée du 16 novembre 2006, la Commission a conclu que le demandeur n’était ni un réfugié ni une personne à protéger.

 

[10]           La question déterminante dans le cadre de la demande d'asile était la question de savoir si le demandeur avait une crainte fondée de persécution aux Philippines en raison de l’un des motifs visés par la Convention et s’il avait réfuté la présomption relative à la protection de l’État.

 

[11]           La Commission a accepté l'affirmation du demandeur selon laquelle il avait travaillé pour le maire de Batangas, lequel est plus tard devenu gouverneur, en tant que conseiller à temps partiel et qu’il avait  travaillé à des campagnes électorales. De plus, elle a accepté l'affirmation du demandeur selon laquelle il avait travaillé en tant que responsable du marketing pour l’une des sociétés privées du gouverneur. Mais elle a conclu que le demandeur n’occupait pas un poste politique élevé même s’il était un farouche partisan du gouverneur lors des campagnes électorales.

 

[12]           La Commission a également accepté l'affirmation du demandeur selon laquelle il avait trouvé sur sa propriété des notes provenant censément des membres de la NAP. Toutefois, la Commission n’a pas jugé crédible que le demandeur ne soit pas allé montrer aux autorités les deux premières lettres de menace lorsqu’il résidait aux Philippines mais que son épouse soit allée leur montrer la troisième lettre après qu’il eut quitté le pays. 

 

[13]           La Commission a estimé qu’il n’était pas vraisemblable que le demandeur soit allé voir le gouverneur et l’ait informé qu’il avait reçu des lettres de menace de la part de la NAP et que le gouverneur lui ait tout simplement dit de « se calmer » et de quitter le pays et qu’il ne lui ait donné aucun véritable conseil ou ne lui ait fourni aucune aide en matière de protection.

 

[14]           Par conséquent, la Commission a conclu que le demandeur n’avait pas vraiment tenté d’obtenir la protection de son pays d’origine avant d’aller demander l’asile à l’étranger.

 

[15]           La Commission a mentionné que les Philippines sont une démocratie qui fonctionne et, par conséquent, la présomption de l’existence de la protection de l’État est applicable. Le demandeur n’est pas allé voir les autorités et il n’a pas réfuté la présomption de l’existence de la protection de l’État. La Commission a reconnu que la NAP demeure « puissante » aux Philippines, mais elle a conclu que le demandeur y bénéficierait d’une protection de l’État adéquate.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[16]           Le demandeur soulève les questions suivantes :

(1)   La Commission a‑t‑elle commis lorsqu'elle a tiré ses conclusions sur le plan de la crédibilité et de la vraisemblance?

(2)   La Commission a‑t‑elle commis une erreur en accordant une valeur probante plus importante à la preuve documentaire?

(3)   La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans son analyse en fournissant des motifs inadéquats et en ne tenant pas compte d’éléments de preuve pertinents?

LES MOTIFS

 

            La norme de contrôle

 

[17]           Récemment, la Cour suprême du Canada a procédé à une nouvelle analyse de la norme de contrôle applicable aux décisions administratives et a affirmé que deux normes s'appliquaient : la décision raisonnable et la décision correcte (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 (Dunsmuir)). La Cour suprême a également donné des lignes directrices quant au choix de la norme de contrôle appropriée à un cas donné :

[…] d'une question touchant aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à la politique, et lorsque le droit et les faits ne peuvent être aisément dissociés, la norme de la raisonnabilité s'applique généralement. De nombreuses questions de droit commandent l'application de la norme de la décision correcte, mais certaines d'entre elles sont assujetties à la norme plus déférente de la raisonnabilité. (Dunsmuir, paragraphe 51).

 

 

De plus, la Cour suprême a souligné que l’analyse de la norme de contrôle comporte deux étapes :

 

Bref, le processus de contrôle judiciaire se déroule en deux étapes. Premièrement, la cour de révision vérifie si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier. En second lieu, lorsque cette démarche se révèle infructueuse, elle entreprend l'analyse des éléments qui permettent d'arrêter la bonne norme de contrôle. (Dunsmuir, paragraphe  62).

 

[18]           En l’espèce, le demandeur conteste les conclusions de la Commission quant à la vraisemblance et quant à la crédibilité. Ces conclusions sont principalement de nature factuelle. Dans de nombreuses décisions qui ont précédé Dunsmuir, la Cour a conclu que la norme de contrôle appropriée était celle de la décision manifestement déraisonnable (Soosaipillai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1040, paragraphe 9; Xu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1701, [2005] A.C.F. no 2127 (QL), paragraphe 5; Asashi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 102, [2005] A.C.F. no 129 (QL), paragraphe 6; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Elbarnes, 2005 CF 70, [2005] A.C.F. no 98 (QL), paragraphe 19; Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1993) 160 N.R. 315 (QL), pages 316 à 317).

 

[19]           La question de savoir si la Commission a oui ou non omis de tenir compte d’éléments de preuve pertinents comporte un examen des faits et a été examinée dans le passé selon la norme de la décision manifestement déraisonnable (voir Dannett c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1363, [2006] A.C.F. no 1701 (QL), paragraphe 33).

 

[20]           Compte tenu de l'arrêt Dunsmuir et de la jurisprudence de la Cour, je conclus que la norme de contrôle applicable à ces questions de fait est celle de la décision raisonnable. Toutefois, lorsqu’on examine une décision selon la norme de la décision raisonnable, on doit pencher notre analyse sur « la justification de la décision, […] la transparence et […] l'intelligibilité du processus décisionnel, ainsi que [sur] l'appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, paragraphe 47). J’ajouterais que peu importe la norme de contrôle applicable en l’espèce, qu’il s’agisse de la norme de la décision manifestement déraisonnable, qui a précédé Dunsmuir, ou la norme de la décision raisonnable, qui a suivi Dunsmuir, mes conclusions seraient les mêmes.

 

[21]           Lorsque le caractère suffisant des motifs de la Commission est mis en cause, on a alors affaire à une question d'équité procédurale (Thomas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 838, [2007] A.C.F. no 1114 (QL), paragraphe 14; Adu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 565, [2005] A.C.F. no 693 (QL), paragraphe 9). Selon l'arrêt Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.) c. Ontario (Ministre du travail) [2003] 1 R.C.S. 539, [2003] A.C.S. no 28 (QL), paragraphe 100, « [i]l appartient aux tribunaux judiciaires et non au ministre de donner une réponse juridique aux questions d'équité procédurale ».

 

(1)   La Commission a‑t‑elle commis une erreur lorsqu'elle a tiré ses conclusions sur le plan de la crédibilité et de la vraisemblance?

 

[22]           Il est bien établi en droit que l'évaluation de la crédibilité d’un demandeur constitue l'essentiel de la compétence de la Commission (R.K.L. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116, [2003] A.C.F. no 162 (QL), paragraphe 7). Par conséquent, la Commission peut mettre en doute la crédibilité d'un demandeur en se fondant sur des conclusions quant à la vraisemblance tant et aussi longtemps que ses motifs sont énoncés en « termes clairs et explicites » (Khrystych c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 498, [2005] A.C.F. no 624 (QL), paragraphe 4; R.K.L., précitée, paragraphe 9). 

 

[23]           Les conclusions quant à la vraisemblance qui sont exposées en « termes vagues et généraux » vicieront l’appréciation de la crédibilité effectuée par la Commission (Hilo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1991] A.C.F. no 228 (C.A.F.) (QL)). Par conséquent, « la Commission doit expliquer ces conclusions et non simplement déclarer qu'un événement ou un acte particulier lui paraît invraisemblable » (Tuggrh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 927, [2005] A.C.F. no 158 (QL), paragraphe 5).

 

[24]           L’explication doit être fondée sur la rationalité et le bon sens et doit être compatible avec la preuve documentaire (R.K.L., précitée, aux paragraphes 10 et 14). Comme le juge Muldoon l’a affirmé au paragraphe 7 de Valtchev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, [2001] A.C.F. no 1131 (QL) :

Le tribunal administratif ne peut cependant conclure à l'invraisemblance que dans les cas les plus évidents, c'est-à-dire que si les faits articulés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s'attendre ou si la preuve documentaire démontre que les événements ne pouvaient pas se produire comme le revendicateur le prétend.

 

[25]           Dans les cas où la Commission fonde ses conclusions quant à la crédibilité sur des « invraisemblances présumées dans les histoires des [demandeurs] plutôt que sur des inconsistances et des contradictions internes dans leur récit ou dans leur comportement lors de leur témoignage » l’obligation de justifier ses conclusions est particulièrement importante (Leung c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 774 (QL), paragraphe 15). Les conclusions de la Commission doivent être fondées sur « un raisonnement clair à l'appui [de ses] déductions » et doivent faire état « des éléments de preuve pertinents qui pourraient réfuter lesdites conclusions » (Santos  c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 937, [2004] A.C.F. no 1149 (QL), paragraphe 15).

 

[26]           L’exigence susmentionnée que la Commission doit fournir des motifs détaillés lorsque qu'elle tire des conclusions d’invraisemblance découle du principe, énoncé au paragraphe 6 de Valtchev et à la page 305 de Maldonado c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 C.F. 302 (C.A.), selon lequel les allégations du demandeur d’asile sont présumées être vraies à moins qu’il y ait une raison de douter de leur véracité. Par conséquent, il doit y avoir des motifs convaincants de ne pas croire un demandeur (Vodics c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 783, [2005] A.C.F. no 1000 (QL), paragraphe 11). 

 

[27]           En l’espèce, la Commission a conclu que le demandeur « ne s’est pas appliqué de bonne foi à se réclamer de la protection de son pays d’origine relativement aux présumées lettres de menace de la NPA [NAP] avant de demander l’asile à l’étranger » et qu’il « n’a pas réussi à réfuter la présomption relative à la protection de l’État ».

 

[28]           Les doutes de la Commission en matière de crédibilité sont survenus à la suite des motifs invoqués par le demandeur quant à la raison pour laquelle il n’était pas allé montrer les deux lettres de menace à la police et lui demander sa protection. L’explication du demandeur était qu’il craignait que s’il faisait cela, la NAP serait davantage en colère contre lui. Mais le demandeur était déjà allé voir les autorités lorsqu’il avait vu des personnes rôder autour de sa maison et son épouse était allée montrer la troisième lettre de menace à la police après qu'il eut quitté le pays.

 

[29]           Donc, le motif invoqué par la Commission pour douter de l'affirmation du demandeur selon laquelle craignait de rendre la NAP davantage en colère était qu’il était déjà allé voir la police et que son épouse était allée voir la police après qu’il eut quitté le pays. La Commission a accepté l'affirmation du demandeur selon laquelle il avait reçu des lettres de menace.

 

[30]           Comme motifs de douter de la crédibilité du demandeur sur ce point, la position de la Commission me semble déraisonnable. Je ne vois tout simplement pas en quoi le fait que l’épouse du demandeur soit allée montrer la troisième lettre à la police après que celui‑ci eut quitté le pays ne donne aucunement à attendre que le demandeur ne craignait pas de mettre la NAP en colère pendant qu’il se trouvait au pays. Et je ne vois pas en quoi le fait que le demandeur soit déjà allé voir la police signifiait qu’il n’avait pas peur de la NAP après que les menaces à sa vie se soient concrétisées par les lettres de menace et qu'il a réalisé ce à quoi il avait vraiment affaire.

 

[31]           La Commission avait certainement raison d’être préoccupée par la question de savoir pourquoi le demandeur n’était pas allé voir la police, mais les motifs qu’elle invoque pour rejeter sa réponse ne sont pas suffisants et, selon moi, sont déraisonnables.

 

[32]           J’ai également beaucoup de difficulté à comprendre la conclusion de la Commission quant à la vraisemblance :

Le tribunal n’estime pas vraisemblable que le demandeur d'asile informe le gouverneur des lettres de menaces de la NPA [NAP] et que le gouverneur lui recommande de se calmer et de quitter le pays sans lui offrir de conseils concrets ni lui dire à qui s’adresser pour obtenir une protection.

 

[33]           Tout en gardant à l’esprit qu’une tentative d’assassinat a plus tard été perpétrée contre le gouverneur et que certains membres de son personnel ont été tués au cours de cette tentative, selon moi, il n’y a rien de fondamentalement invraisemblable à ce que celui‑ci conseille au demandeur de quitter le pays. La réponse du gouverneur est aussi compatible avec la conclusion selon laquelle rien ne pouvait être fait afin de protéger le demandeur et qu'il était préférable qu'il s'en aille. La Commission ne fait que des suppositions sans que celles‑ci ne soient vraiment étayées par la preuve.

 

[34]           Il se peut que le demandeur n’avait aucune raison pour ne pas aller montrer les lettres à la police et pour quitter le pays sans demander aucune protection, mais, selon moi, la Commission ne donne aucune raison acceptable pour rejeter ses explications. Je dois conclure que cette partie de la décision de la Commission est déraisonnable.

 

 

(2)          La Commission a‑t‑elle commis une erreur en accordant une valeur probante plus importante à la preuve documentaire?

 

[35]           Le demandeur prétend que la Commission a commis une erreur susceptible de révision en accordant une valeur probante plus importante à la preuve documentaire qu’à son témoignage et il renvoie au passage suivant de la décision de la Commission :

Le tribunal accorde beaucoup plus d’importance à la preuve documentaire qu’au témoignage du demandeur d'asile en ce qui concerne l’accès à la protection de l’État aux Philippines. À cet égard, le tribunal s’inspire de la décision rendue dans l’affaire Edomsky, où la Cour a soutenu que la Commission peut préférer la preuve documentaire objective au témoignage subjectif des demandeurs d'asile. La preuve documentaire citée en l’espèce provient de diverses sources fiables et indépendantes, dont aucune n’a un intérêt direct à ce que le demandeur d'asile se voie reconnaître ou non la qualité de réfugié au sens de la Convention. Elles sont donc exemptes de parti pris.

 

[36]           Je souligne qu’il est en effet loisible à la Commission de préférer la preuve documentaire au témoignage d’un demandeur d’asile (Edomsky c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1311 (QL), paragraphe 10; Zhou c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1087 (F.C.A.) (QL), paragraphe 1); toutefois, il convient de faire preuve de prudence dans de tels cas.

 

[37]           Comme la Cour l’a mentionné dans de nombreuses décisions, l'énoncé général que la preuve documentaire doit être privilégiée aux dépens du témoignage du demandeur d’asile car elle est davantage objective et désintéressée eu égard à l’issue de l’audience pose problème. En effet :

[…] Cela revient à dire qu'on devrait toujours privilégier la preuve documentaire aux dépens de la preuve présentée par le demandeur d'asile parce que ce dernier a un intérêt dans l'issue de l'audience. Si on l'acceptait, ce raisonnement aurait pour effet de toujours écarter la preuve soumise par un demandeur d'asile. (Coitinho c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et l’Immigration), 2004 CF 1037, [2004] A.C.F. no 1269 (QL), paragraphe 7).

 

Si le principe sous‑jacent à cet énoncé général était juste, le fardeau de présentation imposé aux demandeurs d’asile deviendrait beaucoup trop lourd.

 

[38]           De plus, ces affirmations catégoriques semblent nier, sinon infirmer, la présomption de véracité du témoignage du demandeur d’asile établie dans Maldonado, précitée (voir Kosta c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 994, [2005] A.C.F. no 1233 (QL), paragraphes 28 à 35). En l’absence de motifs additionnels, le fait de privilégier la preuve documentaire aux dépens de la preuve du demandeur d’asile pour le seul motif qu’elle émane du demandeur d’asile constitue une erreur susceptible de révision. Par conséquent, la Commission doit mentionner pourquoi il y a « raison de douter » du témoignage du demandeur d’asile et de privilégier la preuve documentaire.   

 

[39]           Dans la décision rendue en l’espèce, la Commission ne tente pas de soulever ce que le demandeur a réellement dit sur cette question et d’en discuter ou de relever les aspects de la preuve documentaire qui devraient être privilégiés et pourquoi ils devraient être privilégiés et elle ne tente pas de se prononcer sur les aspects de la preuve documentaire qui sont susceptibles d’étayer la position du demandeur. Tout ce que nous avons c’est un rejet général dans lequel la Commission n’explique rien. Selon moi, cela n’est pas suffisant dans les circonstances et ces aspects de la décision de la Commission comportent une erreur susceptible de révision.

 

(3)          La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans son analyse en fournissant des motifs inadéquats et en ne tenant pas compte d’éléments de preuve pertinents?

 

 

[40]           Le demandeur prétend que la Commission n’a pas fourni de motifs suffisants à l’appui de sa décision et n’a pas tenu compte d’éléments de preuve documentaire importants dans le cadre de son analyse sur la disponibilité et l’efficacité de la protection de l’État. Par conséquent, la question pertinente consiste à savoir si, en rendant sa décision relative à la protection de l’État, la Commission

[…] doit exposer ses conclusions de fait et les principaux éléments de preuve sur lesquels reposent ses conclusions. Les motifs doivent traiter des principaux points en litige. Il faut y retrouver le raisonnement suivi par le décideur et l'examen des facteurs pertinents. (Via Rail Canada Inc. c. Office national des transports (C.A.), [2000] 2 C.F. 25, [2000] A.C.F. no 1685 (QL), paragraphe 22.)

 

À l’instar de l’ensemble des tribunaux administratifs, la Commission est tenue de fournir des motifs qui sont suffisants dans les circonstances.

 

[41]           Toutefois, lorsqu’on apprécie la suffisance des motifs, « il ne faut pas scruter les motifs à la loupe ni leur appliquer la norme de la perfection » (Thomas, au paragraphe 35; Andryanov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 186, [2007] A.C.F. no 272 (QL), paragraphe 21; Liang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1501, [2003] A.C.F. no 1904 (QL), paragraphe 42). Comme la Cour d’appel fédérale l’a affirmé au paragraphe 15 de Ragupathy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 CAF 151, [2006] A.C.F. no 654 (C.A.F.) (QL) :  

[…] la cour de révision doit faire preuve de réalisme lorsqu'elle décide si les motifs fournis par un tribunal administratif sont juridiquement suffisants. C'est là un principe fondamental bien connu. Il convient de lire les motifs dans leur ensemble, et non pas de les analyser de près, phrase par phrase, pour y rechercher des erreurs ou des omissions; il faut les lire en essayant de les comprendre, et non pas en se posant des questions sur chaque possibilité de contradiction, d'ambiguïté ou sur chaque expression malheureuse

 

Par conséquent, lorsqu’elle apprécie la suffisance des motifs fournis dans une décision, une cour de révision doit examiner l’ensemble du raisonnement qui a mené à cette décision.

 

 

[42]           Un facteur connexe est la question de savoir si la Commission a omis de tenir compte d’éléments de preuve pertinents dans le cadre de son appréciation. En effet, non seulement l’omission d’analyser des éléments de preuve pertinents donne à penser qu’il y a eu conclusion de fait erronée, elle met également en cause le caractère suffisant des motifs fournis.

 

[43]           Il existe une présomption voulant que la Commission a examiné l’ensemble de la preuve documentaire qui lui a été soumise (Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.F.) (QL), paragraphe 1). Par conséquent, le fait que la Commission n’a pas mentionné un certain nombre des éléments de preuve documentaire ne porte pas un coup fatal à la décision (Hassan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] A.C.F. no 946 (C.A.F.) (QL)).

 

[44]           Toutefois, comme le juge Evans l’a déclaré dans Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1425 (QL), au paragraphe 15, la Cour peut inférer qu’un organisme administratif a tiré une conclusion de fait erronée du fait qu’il n’a pas « mentionné dans ses motifs certains éléments de preuve dont il était saisi et qui étaient pertinents à la conclusion, et en arriver à une conclusion différente de celle de l'organisme ».

 

[45]           De même, comme je l’ai déclaré dans Simpson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration), 2006 CF 970, [2006] A.C.F. no 1224 (QL), au paragraphe 44 :

Bien qu'il soit exact qu'il existe une présomption que la Commission a examiné toute la preuve, et qu'il n'est pas nécessaire qu'elle mentionne tous les éléments de preuve documentaire dont elle disposait, lorsqu'il existe dans le dossier des éléments de preuve importants qui contredisent la conclusion de fait de la Commission, une déclaration générale dans la décision selon laquelle la Commission a examiné toute la preuve ne sera pas suffisante. La Commission doit fournir les motifs pour lesquels la preuve contradictoire n'a pas été jugée pertinente ou digne de foi […]

 

[46]           Plus précisément, selon moi, les remarques qu’a formulées la juge Layden-Stevenson dans le contexte de la protection de l’État sont particulièrement utiles compte tenu des faits dont je suis saisi en l’espèce :

La question de l'efficacité de la protection de l'État a été identifiée comme étant la question principale. Lorsqu'une preuve qui a trait à la question principale est soumise, le fardeau d'explication qui incombe à la Commission augmente quand celle-ci n'accorde que peu ou pas de poids à cette preuve ou quand elle retient une certaine preuve documentaire de préférence à une autre. En l'espèce, il n'y a presque aucun indice qui montre que la DPR a examiné la preuve documentaire des demanderesses ou les observations de leur avocat concernant la question de la protection de l'État. Les demanderesses avaient le droit de savoir si la Commission n'avait pas ignoré ces questions. Dans les circonstances, une déclaration générale indiquant que la totalité de la preuve a été examinée ne suffit pas (Castillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 56, [2004] A.C.F. no 43 (QL), paragraphe 9).

 

 

Par conséquent, le fardeau d’explication augmente avec la pertinence des éléments de preuve quant à la question principale qui est soumise à la Commission.

 

[47]           En l’espèce, la Commission a renvoyé à un seul élément de preuve documentaire : le U.S Department of State Country Report on Human Rights Practices du 8 mars 2006. Par conséquent, il semble que la Commission se soit fiée, à tout le moins, au US Department of State report pour étayer ses conclusions. Toutefois, je ne vois rien qui indique en quoi ce rapport étaye les conclusions de la Commission. Outre le fait de déclarer que les Philippines sont une république démocratique et que le gouvernement respecte de façon générale les droits de la personne de ses citoyens, la plus grande partie du rapport analyse la force de la NAP et les faiblesses de l’État en matière de protection de ses citoyens.

 

[48]           Bien que la Commission pût arriver à sa conclusion en se fondant sur la preuve documentaire, elle devait faire une analyse sérieuse pour que ses motifs soient jugés suffisants. Il est clair que, dans les cas de protection de l’État, le fardeau de la preuve qui incombe au demandeur d’asile est directement proportionnel au degré de démocratie atteint chez l’État en cause (Kadenko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] 143 D.L.R. (4e) 532, [1996] A.C.F. no 1376 (F.C.A.), page 534; Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, [2007] A.C.F. no 584 (C.A.F.) (QL), paragraphe 57). Toutefois, cela ne libérait pas la Commission de son obligation de fournir des motifs suffisants, en termes clairs, quant à savoir pourquoi le demandeur ne s’était pas acquitté de ce fardeau. En l’espèce, la Commission n’a pas réussi à cet égard.

 

[49]           Pour les motifs susmentionnés, je conclus que la Commission a commis des erreurs susceptibles de révision quant aux trois points soulevés par le demandeur et la présente affaire doit être envoyée pour nouvel examen.

 

[50]           Les avocats devront signifier et déposer leurs observations relatives à la certification d’une question de portée générale dans les sept jours suivant la réception des présents motifs. Chaque partie disposera ensuite de trois jours pour signifier et déposer sa réponse aux observations de l’autre partie. Un jugement sera ensuite rendu.

 

 

 

     « James Russell »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Claude Leclerc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                             IMM-6519-06

 

INTITULÉ :                                                            DENNIS MALVEDA

                                                                                 alias DENNIS M. MALVEDA

                                                                                 c.           

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                      TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                    LE 4 DÉCEMBRE 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                 LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                                           LE 4 AVRIL 2008

 

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

 

Vaska Bozinovski                                                      POUR LE DEMANDEUR

 

Jennifer Dagsvik                                                        POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Vaska Bozinovski

4665 rue Younge                                                       POUR LE DEMANDEUR

Suite 304

Toronto (Ontario)

                       

John H. Sims, c.r..                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada

 

 

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