Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Date : 20080404

Dossier : IMM-2465-07

Référence : 2008 CF 442

ENTRE :

FABIAN BIELECKI

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

 

INTRODUCTION

[1]               Les présents motifs font suite à l’audition à Toronto, le 12 mars 2008, d’une demande de contrôle judiciaire visant une décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration (la « SAI ») de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté un appel interjeté à l’encontre d’une décision rendue par un commissaire de la Section de l’immigration, à la suite d’une enquête, selon laquelle Fabian Bielecki (le « demandeur ») est une personne visée par l’alinéa 36(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés[1] (la « Loi »).

 

[2]               La disposition liminaire du paragraphe 36(1) de la Loi et l’alinéa a) de ce paragraphe sont ainsi libellés :

36. (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

 

36. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for

 

a) être déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ou d’une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé;

 

(a) having been convicted in Canada of an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years, or of an offence under an Act of Parliament for which a term of imprisonment of more than six months has been imposed;

 

 

[3]               En raison de la conclusion du commissaire de la Section de l’immigration, une ordonnance portant renvoi du Canada du demandeur a été rendue.

 

CONTEXTE

[4]               Le demandeur, un citoyen polonais, a eu vingt-cinq (25) ans le 12 juillet 2007. Il est devenu résident permanent du Canada le 16 octobre 1992, alors qu’il avait dix (10) ans. Lui, ses parents et au moins un (1) autre enfant font partie de la communauté rom et ont immigré au Canada pour fuir l’hostilité à l’égard des Roma en Pologne. Ils ont été admis au Canada dans la catégorie admissible des demandeurs du statut de réfugié dans le cadre d’un « programme d’élimination de l’arriéré ». Comme ils appartenaient à cette catégorie, il fallait un « minimum de fondement » pour revendiquer le statut de réfugiés, mais aucune décision sur le bien-fondé de leurs demandes d’asile n’était nécessaire ni n’a été rendue.

 

[5]               Le demandeur vit en union de fait. Lui et sa conjointe de fait ont deux (2) jeunes enfants.

 

[6]               Le demandeur a un casier judiciaire chargé, qui est ouvert depuis au moins février 1998 alors qu’il a été reconnu coupable de vol qualifié. À la date de son audience devant la SAI, sa dernière déclaration de culpabilité était pour conduite dangereuse. Cette condamnation remonte au 7 juin 2006. Toutefois, l’infraction principale qui conduit à la conclusion que le demandeur est une personne visée par l’alinéa 36(1)a) de la Loi concerne le trafic de cocaïne. Cette déclaration de culpabilité a été prononcée contre le demandeur le 15 mai 2001. La quantité de cocaïne dont le demandeur a fait le trafic était très petite.

 

[7]               Le demandeur a peu d’instruction et ses antécédents de travail sont plutôt lamentables.

 

LES QUESTIONS PRÉLIMINAIRES

[8]               Lors du premier jour d’audience devant la SAI, l’avocat du demandeur a soulevé la question du statut de ce dernier au Canada. L’avocat a fait valoir que le demandeur est un réfugié au sens de la Convention compte tenu de son admission dans le cadre du « programme d’élimination de l’arriéré ». Ainsi, a-t-il allégué, la conclusion que le demandeur est une personne visée par l’alinéa 36(1)a) de la LIPR est entachée d’un vice fatal puisque aucun « avis de danger », lequel constitue une condition préalable à une telle décision, n’a d’abord été obtenu du défendeur. La SAI a rejeté cet argument.

 

[9]               À la suite du second jour d’audience devant la SAI, l’avocat du défendeur a présenté une demande pour produire après l’audience des éléments de preuve démontrant que deux (2) jours avant la fin de l’audience, le demandeur a été accusé de plusieurs autres infractions criminelles. Ni le demandeur ni son père n’ont divulgué ces accusations au cours de leur témoignage devant la SAI. Bien que la SAI ait reconnu qu’elle ne pouvait pas s’appuyer sur de nouvelles accusations en instance comme une preuve d’activités criminelles en cours, elle a décidé de recevoir les éléments de preuve déposés après l’audience dans le but d’évaluer la crédibilité du demandeur et, bien entendu, la crédibilité du père du demandeur. La SAI a écrit ce qui suit :

Bien que, selon Thanaratnam, le tribunal ne puisse pas s’appuyer sur des accusations en instance comme une preuve d’activités criminelles en cours, le fait que l’appelant [le demandeur en l’espèce] et son père aient tous deux dissimulé des accusations en instance met en doute la crédibilité et la fiabilité de leurs éléments de preuve, ce vers quoi s’orientent les observations du ministre. Le tribunal estime que l’appelant et son père n’ont pas démontré la plus grande franchise dans leur témoignage. Les nouveaux éléments de preuve sont donc pertinents pour ce qui a trait à la crédibilité de l’appelant et de son père. Par conséquent, la demande du ministre visant à recevoir de nouveaux éléments de preuve est acceptée. Les éléments de preuve sont reçus dans le but d’évaluer la crédibilité de l’appelant[2].

 

[10]           Je reviendrai sur ces deux (2) questions préliminaires dans la partie « Analyse » des présents motifs.

 

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE JUDICIAIRE

[11]           La SAI a commencé son analyse par les paragraphes suivants :

Il appartient à l’appelant [le demandeur en l’espèce] de justifier pourquoi cet appel ne devrait pas être rejeté. Le tribunal a entendu les témoignages de l’appelant, de son père et de l’épouse en relation de fait de l’appelant. Une preuve documentaire a également été présentée. À la fin de l’audience, le conseil de l’appelant a fait valoir qu’il existait des motifs d’ordre humanitaire suffisants pour suspendre l'exécution de la mesure de renvoi pendant une période de deux ans, avis que ne partageait pas la conseil du ministre. Celle-ci a fait valoir que l’appel devrait être rejeté ou, au choix, qu’un sursis d’au moins quatre ans devrait être imposé.

 

Après avoir examiné l’ensemble de la preuve présentée, le tribunal a pris en compte les facteurs non exhaustifs énoncés dans Ribic et approuvés par la Cour suprême du Canada dans Chieu. Comme on le voit dans l’exposé ci-après, l’examen objectif des éléments de preuve révèle des facteurs à la fois positifs et négatifs. L’intérêt supérieur des enfants de l’appelant sont (sic) le facteur qui a le plus pesé en sa faveur[3].

 

[12]           La SAI a ensuite analysé les éléments de preuve qui lui ont été soumis en fonction des variantes suivantes des facteurs énoncés dans Ribic :

-          Gravité des infractions ayant entraîné la mesure de renvoi;

-          Temps passé au Canada par l'appelant et degré d'enracinement;

-          Soutien dont bénéficie l’appelant de la famille et de la collectivité;

-          Intérêt supérieur des enfants de l’appelant;

-          Difficultés possibles dans le pays d’origine; et

-          Autres considérations.

 

[13]           À la suite de son analyse sous les rubriques susmentionnées et sous la rubrique « Constat », et après avoir énoncé les différents choix possibles, à savoir accueillir l’appel, prononcer un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi ou rejeter l’appel, la SAI a conclu :

Selon le tribunal, lorsque aux questions de crédibilité énoncées plus haut s’ajoutent la gravité des crimes de l’appelant, son absence d’enracinement profond au Canada, ses remords équivoques et ses efforts limités de réadaptation, et que ces éléments sont évalués au regard de la protection de la santé et de la sécurité des Canadiens, et les conséquences de l’expulsion de l’appelant pour son épouse et ses enfants, la balance ne penche pas en faveur de l’appelant. Étant parvenu à cette conclusion, le tribunal estime, en conformité avec l’article 69 de la LIPR, devoir rejeter l’appel.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[14]           Dans l’exposé des arguments déposé au nom du demandeur, l’avocat soulève cinq (5) questions en litige dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, les deux (2) premières découlant des questions préliminaires qui ont été abordées plus tôt dans les présents motifs : premièrement, la SAI a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur n’est pas un réfugié au sens de la Convention ou une personne protégée?; deuxièmement, la SAI a-t-elle enfreint les principes d’équité et de justice naturelle en recevant des éléments de preuve déposés après l’audience relativement à de nouvelles accusations portées contre le demandeur au criminel?; troisièmement, la SAI a-t-elle commis une erreur en omettant de tenir compte de certains éléments de preuve, notamment du rapport d’évaluation neuropsychologique du Dr Celinski?; quatrièmement, la SAI a-t-elle fait erreur sur l’état du droit applicable ou a-t-elle appliqué de façon erronée le droit applicable relativement aux difficultés auxquelles risque d’être confronté le demandeur dans son pays d’origine?; enfin, la SAI a-t-elle commis des erreurs dans son appréciation de la preuve et a-t-elle tiré des conclusions manifestement déraisonnables relativement à la crédibilité?

 

[15]           Outre les questions en litige susmentionnées, la norme de contrôle demeure une question applicable à toutes les demandes de contrôle judiciaire dont est saisie la Cour, comme en l’espèce.

 

ANALYSE

            a)         La norme de contrôle judiciaire

[16]           La présente affaire a été entendue le 13 mars 2008, à Toronto. Moins d’une semaine plus tôt, la Cour suprême du Canada a rendu sa décision dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick[4]. Cet arrêt a eu une incidence considérable sur l’analyse de la norme de contrôle applicable aux demandes de contrôle judiciaire. Bien qu’aucun des avocats devant moi n’ait commenté longuement la question de la norme de contrôle, je consignerai néanmoins mes observations.

 

[17]           Jusqu’à tout récemment, il était généralement reconnu que la norme de contrôle applicable aux décisions de la SAI varie en fonction de la nature de la décision. Pour les questions de droit, la norme de contrôle applicable était celle de la décision correcte, pour les questions mixtes de fait et de droit, celle de la décision raisonnable et pour les questions de fait, celle de la décision manifestement déraisonnable[5]. Plus particulièrement, la norme de contrôle applicable aux conclusions de fait tirées par la SAI à l'égard de demandes comme celle qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire était celle de la décision manifestement déraisonnable[6]. La Cour avait statué qu’elle n’interviendrait pas tant que la SAI exercerait son pouvoir discrétionnaire de bonne foi et sans égard à des considérations extrinsèques ou non pertinentes[7].

 

[18]           Le vendredi 7 mars, tout a basculé. Dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême a fusionné la norme de la « décision manifestement déraisonnable » et celle de la décision raisonnable simpliciter, ce qui ramène le nombre de normes de contrôle de trois (3) à deux (2), soit la norme de la « décision correcte » et la norme la « décision raisonnable ». Par ailleurs, la Cour a rebaptisé la notion d’« analyse pragmatique et fonctionnelle » qui conserve la même approche mais sera dorénavant appelée « analyse relative à la norme de contrôle » [8].

 

[19]           Certains paragraphes des motifs majoritaires rédigés par les juges Bastarache et Lebel sont pertinents en l’espèce. Au paragraphe 51, les juges ont écrit ce qui suit :

Après avoir examiné la nature des normes de contrôle, nous nous penchons maintenant sur le mode de détermination de la norme applicable dans un cas donné. Nous verrons qu’en présence d’une question touchant aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à la politique, et lorsque le droit et les faits ne peuvent être aisément dissociés, la norme de la raisonnabilité s’applique généralement. De nombreuses questions de droit commandent l’application de la norme de la décision correcte, mais certaines d’entre elles sont assujetties à la norme plus déférente de la raisonnabilité.

 

Sous réserve de ce qui suit, j’interprète le paragraphe qui précède comme obligeant la Cour à réviser sa position à l’égard des contrôles judiciaires comme en l’espèce.

 

[20]           Les juges Bastarache et Lebel poursuivent ainsi au paragraphe 57 de leurs motifs :

Il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse exhaustive pour arrêter la bonne norme de contrôle. Là encore, la jurisprudence peut permettre de cerner certaines des questions qui appellent généralement l’application de la norme de la décision correcte […] En clair, l’analyse requise est réputée avoir déjà eu lieu et ne pas devoir être reprise.

[renvoi omis]

 

Je suis d’avis que le paragraphe qui précède vise également les cas où on doit statuer sur des questions qui appelaient généralement l’application de la norme de la « décision raisonnable simpliciter » ou celle de la « décision manifestement déraisonnable », telles qu’elles existaient auparavant. Compte tenu de la jurisprudence antérieure de la Cour, je suis convaincu qu’en l’espèce l’analyse généralement requise a déjà eu lieu et ne doit donc pas être reprise.

 

[21]           Dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour n’a pas examiné l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales[9]. Les dispositions pertinentes du paragraphe 18.1(4) sont reproduites ci-dessous :

18.1 (4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises si la Cour fédérale est convaincue que l'office fédéral, selon le cas :

 

18.1 (4) The Federal Court may grant relief under subsection (3) if it is satisfied that the federal board, commission or other tribunal

 

d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;

 

( d) based its decision or order on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it;

 

 

 

À mon avis, il est clair que, lorsque la Cour est appelée à examiner les conclusions d’un office fédéral, dont la décision fait l’objet d’un contrôle judiciaire devant la Cour, la Cour a encore le droit, voire l’obligation, de prendre des mesures si elle détermine qu’il s’agit bien de conclusions de fait et qu’elles ont été tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont dispose l’office fédéral. Cette « norme de contrôle » a été interprétée comme s’apparentant à la norme de la « décision manifestement déraisonnable », laquelle est maintenant abolie[10].

 

[22]           Par conséquent, je suis convaincu que, au vu des faits en l’espèce, très peu de choses ont changé en ce qui concerne la question de la norme de contrôle, sauf que l’appellation « manifestement déraisonnable » ne convient plus à l’examen des conclusions de fait et doit laisser place à la norme de contrôle prévue à l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, précité.

 

[23]           Les juges Bastarache et Lebel ont aussi longuement commenté la notion de déférence que doivent manifester les tribunaux judiciaires envers tout office fédéral possédant une expertise dans un domaine particulier. Je suis d’avis que la SAI est un office fédéral possédant une expertise dans un domaine particulier. Par conséquent, il faut faire montre de beaucoup de déférence à l’égard de ses décisions et, en particulier, de celles se fondant sur l’évaluation et l’appréciation de la preuve dont elle dispose.

 

b)         Le demandeur est-il un réfugié au sens de la Convention ou une personne protégée?

[24]           La notion de « personne protégée » définie à l’article 97 de la Loi n’existait pas lorsque le demandeur et ses parents sont arrivés au Canada. On ne peut alléguer au nom du demandeur aucune disposition de la Loi qui permettrait de donner un effet rétroactif à cette notion.

 

[25]           Dans l’arrêt Chieu[11], le juge Iacobucci, s’exprimant au nom de la Cour, a écrit ce qui suit au paragraphe 84 :

Seule la S.S.R. [maintenant la S.P.R.] a compétence pour déterminer qu’un individu est un réfugié au sens de la Convention. La S.A.I. ne peut pas le faire, et elle ne le fait pas non plus lorsqu’elle exerce son pouvoir discrétionnaire pour autoriser un résident permanent frappé de renvoi à demeurer au Canada. Lorsqu’elle exerce son pouvoir discrétionnaire, la S.A.I. n’applique pas directement la Convention de Genève 1951, qui protège les individus contre la persécution fondée sur la race, la religion, la nationalité, l’appartenance à un groupe social particulier et les opinions politiques. Elle examine plutôt une vaste gamme de facteurs, dont plusieurs sont étroitement liés à l’individu frappé de renvoi comme les considérations relatives à la langue, à la famille, à la santé et aux enfants. Même lorsqu’elle examine la situation du pays, la S.A.I. peut tenir compte de facteurs, comme la famine, qui ne sont pas pris en considération par la S.S.R. pour déterminer si un individu est un réfugié au sens de la Convention. Dans sa décision finale sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, la S.A.I. soupèse ces préoccupations relatives à la situation à l’étranger par rapport aux considérations intérieures. En raison de cet exercice global de pondération, les protections offertes aux résidents permanents non réfugiés sont d’une nature différente de celles accordées aux réfugiés au sens de la Convention. À ce sujet, je répète que seuls les réfugiés sont protégés contre le refoulement, en vertu de l’article 33 de la Convention de Genève de 1951 […]

 

[26]           De même, ni la S.S.R. ni son successeur n’ont déterminé que le demandeur, ou ses parents, sont des réfugiés au sens de la Convention. Le demandeur et ses parents ont été admis au Canada dans le cadre d’un « programme d’élimination de l’arriéré ». On ne leur a jamais reconnu le statut de réfugiés au sens de la Convention. En fait, on a plutôt jugé qu’ils s’étaient limités à démontrer un « minimum de fondement » pour leurs demandes d’asiles. Comme l’a souligné la SAI dans ses motifs, le fait de démontrer un « minimum de fondement » pour une demande d’asile n’est tout simplement pas la même chose que de faire une demande d’asile et d’obtenir de la S.S.R. ou de son successeur une décision sur le bien-fondé de la demande d’asile.

 

[27]           D’après la norme de la décision correcte, ou toute autre norme moins stricte qui serait applicable à tous les faits en l’espèce, la SAI n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle en tranchant cette question comme elle l’a fait.

 

c)         La SAI a-t-elle enfreint les principes d’équité et de justice naturelle en recevant des éléments de preuve déposés après l’audience relativement à de nouvelles accusations portées contre le demandeur, non pas dans le but de faire la preuve d’activités criminelles en cours mais dans le but de mettre en doute la crédibilité et la fiabilité de la preuve que lui ont soumis le demandeur et son père?

[28]           Lorsqu’une question d’équité procédurale est soulevée, et il n’a pas été contesté devant la Cour qu’il s’agissait bien d’une question d’équité procédurale, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte.

 

[29]           Les « nouvelles accusations » que le défendeur a portées à la connaissance de la SAI ont été déposées seulement deux (2) jours avant le dernier jour de l’audience du demandeur devant la SAI. Cela dit, le demandeur a comparu pour la première fois devant la Cour relativement à ces accusations le jour même où elles ont été déposées, c’est-à-dire avant la clôture de l’audience du demandeur devant la SAI. Comme d’habitude, les accusations contiennent une description détaillée des circonstances qui les entourent. Compte tenu de toutes les circonstances, il est déraisonnable de laisser entendre que le demandeur et son père n’étaient pas au courant des nouvelles accusations lorsqu’ils ont témoigné le dernier jour de l’audience du demandeur devant la SAI. J’estime que le dernier jour de l’audience devant la SAI le demandeur avait une connaissance suffisante des accusations pour témoigner de leur existence et pour contester leur validité. Cependant, le demandeur et son père ne l’ont tout simplement pas fait.

 

[30]           Dans la décision Kharrat c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)[12], mon collègue le juge Teitelbaum a écrit au paragraphe 20 de ses motifs :

Cependant, c’est dans l’affaire récente Sittampalam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) […] que la Cour d’appel fédérale confirme le principe de droit à appliquer face à la question à savoir si l’on peut prendre en considération de la preuve relative à d’accusations dans une décision :

 

Il ressort de la jurisprudence de la Cour que la preuve relative à des accusations qui ont été retirées ou rejetées peut être prise en considération lors des audiences en matière d'immigration. Ces accusations ne peuvent toutefois pas être utilisées comme seule preuve de la criminalité d'une personne : […]

[renvois omis]

 

 

Bien que les accusations ici en cause n’aient pas été « retirées » ou « rejetées », je suis convaincu que le même principe devrait s’appliquer aux faits en l’espèce.

 

[31]           Je suis convaincu que la SAI n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle au regard de la norme de la décision correcte en tenant compte de la preuve relative aux nouvelles accusations portées contre le demandeur, dans le seul but d’évaluer la crédibilité du témoignage fait devant elle par le demandeur et son père.

 

d)         La SAI a-t-elle commis une erreur en omettant de tenir compte du rapport d’évaluation neuropsychologique dont elle disposait?

[32]           Un office fédéral est présumé avoir considéré toute la preuve dont il est saisi[13]. L’essentiel du pouvoir discrétionnaire d’un tel office fédéral consiste à apprécier la preuve dont il dispose puisque il est le seul à avoir l’avantage de pouvoir observer les personnes comme le demandeur en l’espèce, et son père, qui témoignent devant lui. La SAI a écrit au paragraphe 37 de ses motifs :

Durant l’audience, il a été question de problèmes d’incapacité mentale de l’appelant résultant d’une chute pendant son enfance. Le rapport psychologique n’appuie pas cette affirmation; à la page 4, il évoque un accident d’escalade en 2000 au cours duquel l’appelant se serait cogné la tête. L’activité criminelle de l’appelant a débuté six ans auparavant, en 1994, ce qui contredit les déclarations du père de l’appelant. En outre, le psychologue a eu l’impression que l’appelant n’avait pas de parents en Pologne susceptibles de le soutenir financièrement, ce qui contredit le témoignage du père selon lequel l’appelant a plusieurs cousins en Pologne qui sont prêts à l’accueillir. Ainsi, bien que le psychologue ait suggéré que l’appelant ne devrait pas être expulsé du Canada, le tribunal accorde peu d’importance à son opinion.

 

Par conséquent, la SAI n’a pas omis de tenir compte du rapport d’évaluation neuropsychologique qui avait été mis à sa disposition, mais elle l’a plutôt apprécié en même temps que l’ensemble de la preuve dont elle disposait et elle a décidé de lui accorder peu d’importance. Au regard de la norme de contrôle applicable à la question de savoir si la décision de la SAI a été rendue de façon abusive, arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait, je ne puis tout simplement pas conclure que la SAI a commis une erreur susceptible de contrôle à cet égard. Le demandeur et son avocat auraient sans aucun doute apprécié la preuve de façon différente. Il ne s’agit pas là du critère applicable. Je suis convaincu qu’il était loisible à la SAI de se prononcer comme elle l’a fait au sujet de l’appréciation de cet élément de preuve particulier qui lui avait été soumis.

 

e)         La SAI a-t-elle fait erreur sur l’état du droit applicable ou a-t-elle appliqué de façon erronée le droit applicable relativement aux difficultés auxquelles risquerait d’être confronté le demandeur s’il retournait en Pologne, ou la SAI a-t-elle commis une erreur en tirant des conclusions manifestement déraisonnables relativement à la crédibilité?

[33]           Sous cette rubrique, j’examinerai brièvement les deux (2) dernières questions soulevées au nom du demandeur. Elles concernent toutes deux la question de l’évaluation ou de l’appréciation par la SAI de la preuve dont elle dispose.

 

[34]           En ce qui a trait aux conditions régnant en Pologne et aux « difficultés » auxquelles risque d’être confronté le demandeur s’il retournait dans ce pays, la SAI a écrit ce qui suit :

[28]  L’appelant [le demandeur en l’espèce] a indiqué qu’il n’était pas retourné en Pologne depuis son arrivée au Canada. Il a également affirmé qu’il n’avait pas de parents au Canada [sic, devrait être remplacé par « en Pologne »], alors que, comme cela a été indiqué plus haut, le témoignage de son père l’a contredit, puisque ce dernier a en fait déclaré que l’appelant avait bien des cousins en Pologne et que c’est chez eux qu’il irait s’il devait retourner dans ce pays. De plus, le tribunal est convaincu de la capacité de l’appelant à parler polonais puisque celui-ci a fait appel aux services d’un interprète polonais pour l’aider au cours de l’audience.

 

[29]  Le tribunal est convaincu que si l’appelant était perçu comme un membre de la communauté Rom, il pourrait être victime de discrimination en Pologne. Les conditions régnant dans le pays présentées par les deux conseils indiquent en effet que les membres appartenant à la communauté Rom sont victimes de discrimination en Pologne. Toutefois, le tribunal estime que les documents sur les conditions régnant dans le pays ne constituent pas un fondement suffisant pour conclure que l’appelant serait victime de persécutions en Pologne, comme il le prétend.

 

[35]           Hormis le fait que le demandeur n’a pas fait appel aux services d’un interprète polonais pour l’aider au cours de l’audience devant la SAI, il demeure exact de dire qu’il parle polonais. Bien que ce ne soit peut-être pas sa langue principale après tant d’années au Canada, la preuve démontre clairement qu’il aide ses parents grâce à sa maîtrise du polonais.

 

[36]           Les « difficultés » ne constituent pas le critère applicable pour déterminer si les personnes comme le demandeur, qui font l’objet d’une mesure de renvoi qui est valide en droit, et, en l’espèce, la validité en droit de la mesure de renvoi visant le demandeur n’a pas été contestée, n’est pas le critère applicable. Plus exactement, la question dont était saisie la SAI consistait tout simplement à savoir si des motifs d’ordre humanitaire, appréciés en fonction de toutes les circonstances ayant conduit à l’adoption de la mesure de renvoi visant le demandeur, justifiaient soit d’accueillir son appel interjeté à l’encontre de l’adoption de la mesure de renvoi ou de prononcer un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi. Dans cet exercice de pondération, les circonstances auxquelles le demandeur serait confronté en Pologne s’il retournait dans ce pays constituent seulement un (1) facteur.

 

[37]           J’arrive à la conclusion que la SAI n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle dans sa brève analyse sous la rubrique « Difficultés possibles dans le pays d’origine ».

 

[38]           J’ai également la conviction que la SAI n’a pas commis d’erreur sur un point important dans son appréciation de la preuve et n’a pas tiré de conclusions manifestement déraisonnables relativement à la crédibilité du demandeur.

 

[39]           Dans l’affaire Phon c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration)[14], le juge Rouleau a écrit au paragraphe 21 de ses motifs :

Par ses prétentions, le demandeur tente essentiellement de substituer son opinion à celle de la Section d’appel quant à l’appréciation de la preuve soumise à l’audition; il tente également de fournir tardivement des explications concernant les lacunes relevées dans sa preuve par le tribunal. À ma lecture du dossier de la Section d’appel, je suis satisfait que celle-ci a exercé sa discrétion “objectivement, lucidement et de bonne foi après l’examen attentif des facteurs pertinents”: voir Chieu, supra au para. 90.

 

[40]           Je suis convaincu qu’il est possible de dire exactement la même chose au sujet des faits de l’espèce et à propos des questions soulevées au nom du demandeur qui sont mentionnées dans la rubrique qui précède. À mon avis, d’après les éléments de sa décision qui font l’objet de la présente analyse, la SAI n’a pas fondé sa décision sur une ou plusieurs conclusions de fait erronées tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait.

 

CONCLUSION

[41]           Pour les motifs qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

CERTIFICATION D’UNE QUESTION

[42]           Les présents motifs seront remis aux avocats. L’avocat du demandeur disposera d’un délai de sept (7) jours à compter de la date de remise de ces motifs pour signifier et déposer toutes les observations qu’il désire relativement à la certification d’une question. Par la suite, l’avocat du défendeur disposera d’un délai de trois (3) jours pour signifier et déposer une réponse à ces observations. Ce n’est que par la suite qu’une ordonnance sera rendue, donnant ainsi effet aux conclusions de la Cour et tenant compte des observations des avocats au sujet de la certification d’une question et des conclusions de la Cour à cet égard.

 

 

 

« Frederick E. Gibson »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 4 avril 2008

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Edith Malo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2465-07

 

INTITULÉ :                                       FABIAN BIELECKI

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 12 MARS 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LE JUGE GIBSON

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 4 AVRIL 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Milan Tomasevic

 

POUR LE DEMANDEUR

Ian Hicks

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Milan Tomasevic

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 



[1] L.C. 2001, ch. 27.

[2] La référence de l’affaire Thanaratnam dans le paragraphe précité est Thanaratnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] 3 C.F. 301 (C.F.) et 2005 CAF 122, 8 avril 2005 (C.A.F.).

[3] Dans l’extrait précité, la référence de Ribic est Ribic c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), CAI T84‑9623, 20 août 1985, et la référence de Chieu est Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84.

[4] 2008 CSC 9, 7 mars 2008, (« Dunsmuir »).

[5] Voir : Buttar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. no 1607, au paragraphe 8.

[6] Voir : Chang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. no 217, au paragraphe 21.

[7] Voir : Mohammed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] 3 C.F. 299 (1re inst.).

[8] Dunsmuir, supra, paragraphe 63.

[9] L.R.C. 1985, ch. F-7.

[10] Voir :  Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, [2005] A.C.F. no 2056 (QL), au paragraphe 65.

[11] Supra, note 3.

[12] [2007] A.C.F. no 1096 (QL), décision non citée devant la Cour.

[13] Voir : Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.F.) (QL).

[14] (2003), 236 F.T.R. 161, 2003 CFPI 552.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.