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Date : 20080403

Dossier : IMM‑3517‑07

Référence : 2008 CF 431

Toronto (Ontario), le 3 avril 2008

En présence de Monsieur le juge Campbell

 

ENTRE :

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

demandeur

 

et

 

SHAZAM ALI

 

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Le demandeur conteste une décision de la Section d’appel de l’immigration (la SAI), rendue conformément aux dispositions transitoires de l’article 197 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), dont le texte est le suivant :

197. Malgré l’article 192, l’intéressé qui fait l’objet d’un sursis au titre de l’ancienne loi et qui n’a pas respecté les conditions du sursis, est assujetti à la restriction du droit d’appel prévue par l’article 64 de la présente loi, le paragraphe 68(4) lui étant par ailleurs applicable.

197. Despite section 192, if an appellant who has been granted a stay under the former Act breaches a condition of the stay, the appellant shall be subject to the provisions of section 64 and subsection 68(4) of this Act.

Au vu des faits soumis à la SAI, la question était de savoir si des infractions au Code de la route de l’Ontario constituent un manquement à la condition du sursis accordé, une condition qui obligeait le défendeur à ne pas troubler l’ordre public et à avoir une bonne conduite.

 

[2]               Il est admis que les faits soumis à la SAI sont fidèlement reproduits, comme il suit, dans la décision contestée :

1     Shazam ALI (l’appelant) est âgé de 39 ans. Il est né en Guyana le 23 janvier 1968. Il est devenu résident permanent du Canada lorsque le droit d’établissement lui a été accordé, ainsi qu’à sa mère, son frère et quatre de ses sœurs, le 10 mars 1995. Il a été parrainé par une sœur.

 

2     L’appelant a été frappé d’expulsion du Canada le 15 mars 2000 par l’arbitre A. Martens, aux termes de l’alinéa 27(1)d) de l’ancienne Loi sur l’immigration (l’ancienne Loi). L’expulsion fut ordonnée pour des motifs de criminalité, et plus particulièrement en raison de déclarations de culpabilité, en janvier 1999, pour enlèvement, en infraction à l’alinéa 279(1)a) du Code criminel du Canada, et pour vol qualifié, en contravention à l’article 344 du Code criminel du Canada, crimes pour lesquels il a été condamné à 20 mois d’emprisonnement en plus des 10 mois d’emprisonnement purgés avant la tenue du procès. Ces déclarations de culpabilité le rendent interdit de territoire pour grande criminalité [1 : Voir le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (RIPR), alinéa 320(5)a)], aux termes de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR). Sous le régime de la LIPR, il n’aurait aucun droit d’appel devant la Section d’appel de l’immigration (SAI) en raison des articles 197 et 64.

 

3     L’appelant a déposé un avis d’appel le 15 mars 2000. Son appel a été entendu par le commissaire E. Whist de la SAI. Dans une décision du 26 janvier 2001, ce dernier a accordé à l’appelant un sursis de cinq (5) ans à l’exécution de la mesure de renvoi, sous réserve de certaines conditions. Le casier judiciaire de l’appelant contient les deux déclarations de culpabilité sur la base desquelles a été prononcée la mesure d’expulsion.

 

4     Le 29 novembre 2005, un avis de réexamen a été envoyé par la SAI, selon lequel le cas de l’appelant serait réexaminé en cabinet, à moins que le ministre ne demande un réexamen oral. Par lettre du 18 janvier 2006, le ministre (de la Sécurité publique et de la Protection civile) a envoyé un avis de révocation du sursis à la SAI, à l’appelant et à son conseil, déclarant que, pour lui, le sursis avait été révoqué par application de la loi et que l’appel était par conséquent rejeté [2 : Pièce R‑1].

 

5     Par décision interlocutoire du 15 janvier 2007, le commissaire Whist (SAI) a décidé que la question devait être débattue oralement afin de décider si l’appelant avait enfreint les conditions de sursis et si, par conséquent, ce sursis avait été révoqué par application de la loi et l’appel, classé.

 

La SAI s’est prononcée ainsi sur les faits susmentionnés :

 

12     Les infractions au Code de la route n’ont pas été contestées à l’audience. Depuis l’imposition du sursis, l’appelant a fait l’objet de cinq déclarations de culpabilité aux termes du Code de la route. L’appelant n’a pas nié avoir commis ces infractions et avoir fait l’objet de déclarations de culpabilité à cet égard. Bien que le Réseau intégré d’information sur les infractions (RIII) ait révélé deux amendes non payées, l’appelant a déclaré que toutes ses amendes avaient été payées et avait une preuve de paiement pour l’une des deux amendes [6 : Pièce A‑3].

 

1.                           Le 5 août 2003, il a été condamné in absentia pour avoir conduit un véhicule à moteur sans plaques minéralogiques ou dont les plaques étaient peu visibles. Pour explication, il a dit qu’il avait les plaques avec lui dans la voiture et qu’il s’en allait chez un ami pour les installer sur la voiture. Il a témoigné avoir payé l’amende et avoir jeté le reçu.

2.                           Le 7 janvier 2004, il a été condamné in absentia pour avoir conduit un véhicule non sécuritaire et ne pas avoir eu ou ne pas avoir présenté les papiers d’assurance de la voiture. L’appelant ne s’est pas souvenu de ces déclarations de culpabilité, mais a déclaré avoir payé toutes les amendes et avoir négligé de conserver les reçus pour la plupart d’entre elles.

3.                           Le 12 janvier 2006, il a été déclaré coupable d’avoir négocié un changement de voie dangereux et d’avoir fait un excès de vitesse (70 dans une zone de 50). L’appelant pense que ce changement de voie dangereux s’est produit quand il a franchi un feu jaune qui passait au rouge. Il a soutenu avoir payé cette amende‑là et a fourni un reçu prouvant le paiement de l’amende pour excès de vitesse.

 

13     Le tribunal a examiné l’analyse de son collègue, M. Whist, dans la décision Cao [7 : Cao, Yuke c. Ministre de la Sécurité et de la Protection civile (SAI TA1‑06387), Whist, 26 septembre 2006]. Ce tribunal est d’avis que le fait de ne pas avoir « une bonne conduite » peut résulter d’un manquement aux lois et règlements fédéraux, provinciaux et municipaux, mais que le fait de ne pas respecter les lois et règlements fédéraux, provinciaux et municipaux ne signifie pas nécessairement qu’il y a un manquement à une règle de « bonne conduite ». Il est difficile d’imaginer qu’une déclaration de culpabilité relativement mineure et sans importance aux termes des lois et règlements fédéraux, provinciaux et municipaux puisse signifier qu’un manquement à la condition « de ne pas troubler l’ordre public et d’avoir une bonne conduite » s’est effectivement produit et qu’il faille refuser à l’appelant l’occasion de le contester.

 

14 En se fondant sur les décisions R. c. R (D) [8 : R. c. R (D) Nfld. C.A. 96/195, juges d’appel Mahoney, Cameron et Green, août 1999], Borland [9 : Regina c. Borland [M.W.T.]] et Avalos [10 : Avalos, Manuel Chuquin c. M.C.I. (C.F., IMM‑6655‑04), Blanchard, 10 juin 2005; 2005 CF 830], le commissaire Whist a déclaré :

 

            Le tribunal a la ferme conviction qu’on ne devrait pas conclure, comme le voudrait l’intimé, qu’il y a manquement à cette condition [ne pas troubler l’ordre public et avoir une bonne conduite] dans tous les cas où un appelant a été condamné en vertu d’une loi fédérale, provinciale ou territoriale. Selon le tribunal, suivant Borland et Avalos, l’appelant a le droit de présenter des éléments de preuve et de donner une explication à l’appui de la prétention qu’une telle condamnation n’implique pas nécessairement un manquement et qu’il faut trancher la question de savoir s’il y a eu un manquement dans le contexte d’une preuve et d’arguments liés à cette question spécifique.

 

15     Le tribunal a soigneusement examiné l’ensemble de la preuve, les témoignages et les observations. Sans pardonner les infractions de l’appelant au Code de la route, les incidents pour lesquels il a été déclaré coupable aux termes de celui‑ci sont relativement mineurs. La preuve n’a pas révélé toutes les circonstances, mais ce qu’au mieux le tribunal a pu déterminer, à différents moments en 2003 et 2004, chaque fois à une occasion, c’est que l’appelant avait, dans sa voiture, des plaques minéralogiques qu’il avait l’intention d’installer sur sa voiture; qu’il n’avait pas de papiers d’assurance sur lui; qu’il conduisait un véhicule considéré comme non sécuritaire; qu’il avait négocié un changement de voie dangereux et qu’il dépassait la vitesse limite de 20 km/h. Bien que ces infractions relèvent des lois provinciales, le tribunal ne les juge pas suffisamment graves pour les considérer comme des manquements à la condition « ne pas troubler l’ordre public et avoir une bonne conduite », selon la compréhension commune qu’en ont généralement les commissaires de la SAI lorsqu’ils en font une condition habituelle du sursis à une mesure de renvoi. Naturellement, il existe de nombreuses infractions ou tendances d’infraction au Code de la route que le tribunal considèrerait suffisamment graves pour représenter un manquement à la condition de ne pas troubler l’ordre public et d’avoir une bonne conduite, mais ce n’est pas le cas en l’espèce.

 

La SAI est donc arrivée à la conclusion suivante :

 

17                En vertu de l’alinéa 74(3)b) et du sous‑alinéa 74(3)b)(ii) de l’ancienne Loi, le tribunal ordonne d’annuler la décision de surseoir à l’exécution de la mesure de renvoi prise par la SAI le 26 janvier 2001 et d’accueillir l’appel.

 

 

[3]               L’avocat du demandeur fait valoir que la décision contestée comporte une erreur susceptible de contrôle parce qu’elle est contraire au jugement Cooper c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1253, un précédent qui rend compte de l’état du droit. Plus exactement, pour avoir une bonne conduite, il faut se conformer aux lois et réglementations fédérales et provinciales et aux règlements municipaux, et, sur ce fondement, toute inobservation, si insignifiante soit‑elle, est une violation de l’obligation d’avoir une bonne conduite, et donc constitue une violation des conditions d’un sursis selon l’article 197. Malheureusement, je ne crois pas que la décision Cooper puisse être validement admise comme l’état du droit.

 

[4]               La décision Cooper s’appuie sur une décision de droit criminel rendue par la Cour d’appel de Terre‑Neuve. Le paragraphe 14 de la décision Cooper est ainsi rédigé :

Bien qu’il reste à décider si la condition intimant à un individu « d’avoir une bonne conduite » peut être transgressée sans que l’individu ait enfreint une loi ou un règlement (voir R. c. Gosai, [2002] O.J. no 359, paragraphe 27), la jurisprudence en matière criminelle établit clairement que pour « avoir une bonne conduite », il faut se conformer aux lois et aux règlements fédéraux, provinciaux et municipaux : R. c. R. (D.) 1999 CanLII 13903 (NL C.A.), (1999), 138 C.C.C. (3d) 405 (C.A. T.‑N.).

 

[Non souligné dans l’original]

 

En fait, le paragraphe 13 de l’arrêt R. c. R. (D.) et la note infrapaginale 2 accompagnant ce paragraphe atténuent le sens du passage de la décision Cooper sur lequel se fonde l’avocat du demandeur :

[traduction]

13     En toute déférence pour la position contraire exposée dans la décision Stone, je suis arrivé à la conclusion que la notion de manquement à l’obligation d’avoir une bonne conduite, énoncée dans les conditions d’une ordonnance de probation, se limite à l’inobservation des obligations imposées par les lois et réglementations fédérales et provinciales et par les règlements municipaux, ainsi qu’à l’inobservation des obligations énoncées dans des ordonnances judiciaires expressément applicables à l’accusé, et que cette notion ne s’étend pas à un comportement par ailleurs licite, même si l’on peut dire que ce comportement n’atteint pas telle ou telle norme collective au respect de laquelle s’attend la totalité des citoyens paisibles [note 2]. Je suis arrivé à cette conclusion après examen de l’évolution historique de la notion d’obligation de ne pas troubler l’ordre public, et de la notion d’obligation d’avoir une bonne conduite, ainsi qu’après examen du rôle que telles notions devraient jouer dans le contexte du droit criminel et constitutionnel canadien.

 

Note 2 : Cela ne signifie pas cependant que toute violation de la loi, si insignifiante soit‑elle, conduira nécessairement à la conclusion qu’il y a eu manquement à l’obligation d’avoir une bonne conduite. Aux fins de la présente affaire, il suffit de dire que l’inobservation de la loi est une condition nécessaire à une conclusion de manquement à l’obligation d’avoir une bonne conduite. Pour un examen de la question de savoir s’il peut y avoir des cas où la violation insignifiante d’un règlement pourra ne pas être considérée comme un manquement à l’obligation d’avoir une bonne conduite, voir Chasse, « Breach of Probation as an Offence », 5 C.R.N.S. 255. Voir aussi, la décision R. c. Abbott (1940), 74 C.C.C. 318 (C.A. Alb., Section d’appel), le juge Harvey, pages 323 et 324.

 

[Non souligné dans l’original]

 

[5]               L’arrêt R. c. R. (D.) est donc sans rapport avec une responsabilité stricte. À mon avis, il signifie en réalité que, pour savoir si une personne a manqué à son obligation d’avoir une bonne conduite, il faut d’abord établir qu’elle a contrevenu à une loi ou réglementation fédérale ou provinciale ou à un règlement municipal et, dans l’affirmative, il faut alors se demander si cette contravention permet ou non d’affirmer qu’il y a eu manquement à l’obligation d’avoir une bonne conduite. Par conséquent, dans cette analyse, la conduite générale d’une personne est un facteur important qui doit être pris en compte.

 

[6]               Je suis d’avis que le jugement récent rendu dans l’affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Stephenson, 2008 CF 82, qui confirme l’argument du demandeur au regard du droit, se distingue de la décision contestée en l’espèce parce que ce jugement n’a pas été rendu d’après les dispositions transitoires de la LIPR.

 

[7]               En conséquence, puisque la SAI a correctement appliqué l’arrêt R. c. R. (D.), je suis d’avis que la décision contestée ne contient aucune erreur susceptible de contrôle.

 

[8]               Les avocats s’accordent à dire qu’une question dont on avait proposé la certification dans l’affaire Stephenson, mais qui ne l’a pas été, devrait être certifiée en l’espèce, pour examen par la Cour d’appel fédérale. Je reconnais qu’il s’agit là d’une question de portée générale et qu’elle est déterminante pour la présente demande.

 

ORDONNANCE

 

Par conséquent, la présente demande est rejetée, mais la question suivante est certifiée :

L’obligation de ne pas troubler l’ordre public et d’avoir une bonne conduite, qui est imposée comme condition d’un sursis d’exécution d’une mesure d’expulsion par la Section d’appel de l’immigration de la CISR est‑elle transgressée dès que l’intéressé est reconnu coupable d’une infraction à une loi ou réglementation fédérale ou provinciale et/ou à un règlement municipal, partout au Canada?

 

                                                                                                            « Douglas R. Campbell »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑3517‑07

 

 

INTITULÉ :                                       LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE c. SHAZAM ALI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 31 MARS 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE CAMPBELL

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 3 AVRIL 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Kevin Lunney                                                                           POUR LE DEMANDEUR

 

Robert I. Blanshay                                                                    POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada                                           POUR LE DEMANDEUR

 

Robert I. Blanshay

Avocat

Toronto (Ontario)                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

 

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