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Date : 20080402

Dossier : T-2048-07

Référence : 2008 CF 414

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 2 avril 2008

En présence de monsieur le juge Hugessen

 

ENTRE :

GPEC INTERNATIONAL LTD.

demanderesse

 

et

 

 

CORPORATION COMMERCIALE CANADIENNE

défenderesse

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

INTRODUCTION

[1]               Je suis saisi de trois requêtes interlocutoires qui découlent toutes d’une demande de contrôle judiciaire sous‑jacente présentée par la demanderesse (GPEC) et visant la décision d’un tribunal arbitral constitué en conformité avec le contrat conclu par les parties et la Loi sur l’arbitrage commercial, L.R.C. 1985, ch. 17 (2e suppl.) (la LAC). Dans la première requête, la défenderesse (la CCC) sollicite une ordonnance radiant ou, subsidiairement, suspendant la demande sous‑jacente, ainsi qu’un cautionnement pour frais dans l’éventualité où la demande serait maintenue. Dans la deuxième requête, à laquelle il a été fait droit sur consentement des parties à l’audience du 27 mars 2008, la CCC demandait une prorogation du délai de signification et de dépôt de ses affidavits de réponse. Dans la troisième requête, GPEC sollicite une ordonnance interdisant au tribunal arbitral de tenir la deuxième phase de l’arbitrage tant qu’une décision définitive n’a pas été rendue relativement à la demande sous‑jacente.

 

LES FAITS

[2]               Le différend sous‑jacent qui oppose les parties a trait à un contrat de conception et de construction (le contrat relatif au projet) d’un site d’enfouissement (le projet) pour le St. Lucia Solid Waste Management Authority (l’employeur). Le contrat relatif au projet a été initialement accordé à une coentreprise formée de GPEC et de son partenaire à Sainte‑Lucie en mai 2000. En juin 2000 cependant, ce contrat a fait l’objet d’une novation en faveur de la CCC, à la condition que ce soit GPEC qui exécute les travaux associés au projet. Un contrat a été conclu par les parties à la présente demande en juillet 2000. Dans ce contrat, GPEC s’est engagée à effectuer les travaux associés au projet pour le compte de la CCC (le contrat interne).

 

[3]               Le contrat interne prévoit notamment que les différends doivent être réglés par arbitrage en conformité avec la LAC :

[traduction] Les différends entre la CCC et l’employeur sont régis par les dispositions de l’entente de novation, mais les parties doivent tenter de régler à l’amiable les différends qui surgissent entre le fournisseur et la CCC sous le régime du présent contrat. Si le différend n’est pas réglé de cette façon et que l’une des parties souhaite poursuivre l’affaire, celle‑ci doit être renvoyée à l’arbitrage en conformité avec la Loi sur l’arbitrage commercial (L.R.C. 1985, ch. 17 (2e suppl.)). La décision arbitrale est définitive et lie les deux parties.

 

[4]               La demande sous‑jacente découle du contrat interne. Un certain nombre de problèmes ont surgi relativement au projet et les parties ont renvoyé un certain nombre de différends au tribunal arbitral qui a été constitué au début de 2004. Un conseil d’arbitrage des différends a aussi été établi afin d’examiner les différends découlant du contrat relatif au projet, mais ses instances ne sont pas directement en cause en l’espèce. 

 

[5]               À la demande de GPEC, l’audience devant les arbitres comportait deux phases. Les audiences relatives à la phase 1 ont débuté en juin 2006. Certaines des demandes de GPEC devaient être entendues au cours de la phase 1; il en était de même des demandes reconventionnelles de la CCC qui visaient à contester les demandes présentées par GPEC au cours de cette phase. La phase 2 devait porter sur les autres demandes et demandes reconventionnelles.

 

[6]               La CCC a résilié le contrat interne le 29 juin 2006. Les audiences de la phase 1 se sont cependant poursuivies avec la pleine participation des parties.

 

[7]               Le 4 avril 2007, la CCC a conclu un accord de règlement avec l’employeur relativement au contrat relatif au projet (l’accord de règlement). GPEC a été avisée de ce règlement le 19 avril 2007 et, bien qu’elle ait demandé des détails concernant le règlement, elle ne s’est pas opposée à ce que la procédure arbitrale se poursuive.

 

[8]               Le 24 octobre 2007, le tribunal arbitral a rendu sa décision sur les questions soulevées au cours de la phase 1 (la sentence provisoire). Elle a accueilli la demande de GPEC en partie. C’est cette sentence qui a donné lieu à la présente demande, qui a été déposée par GPEC le 23 novembre 2007. GPEC demande les mesures de redressement suivantes :

[traduction]

1.         une ordonnance, fondée sur les articles 18 et 34 du Code d’arbitrage commercial, lequel est annexé à la LAC (le Code), et sur l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, annulant la sentence provisoire;

2.         une ordonnance déclarant que la clause d’arbitrage du contrat interne n’a plus d’effet ou n’est plus en vigueur par suite de l’avis de résiliation de ce contrat donné par la CCC et de l’accord de règlement.

 

[9]               GPEC fonde sa demande sur un certain nombre d’[traduction] « erreurs de droit et de fait manifestes et dominantes » qui font en sorte que la sentence provisoire est [traduction] « contraire aux principes de justice naturelle et […] à l’ordre public parce qu’elle contrevient aux notions et aux principes fondamentaux de justice ».

 

[10]           Le 7 décembre 2007, le tribunal arbitral a donné un certain nombre d’instructions. Il a notamment invité GPEC à lui présenter une requête concernant sa compétence.

 

LE CODE D’ARBITRAGE COMMERCIAL

[11]           Les dispositions du Code, auxquelles la LAC donne force de loi, sont fondamentales en l’espèce. Les dispositions suivantes sont particulièrement pertinentes :

5. Pour toutes les questions régies par le présent code, les tribunaux ne peuvent intervenir que dans les cas où celui-ci le prévoit.

 

6. Les fonctions mentionnées aux articles 11-3, 11-4, 13-3, 14, 16-3 et 34-2 sont confiées à la Cour fédérale ou à une cour supérieure, de comté ou de district.

 

8. 1. Le tribunal saisi d’un différend sur une question faisant l’objet d’une convention d’arbitrage renverra les parties à l’arbitrage si l’une d’entre elles le demande au plus tard lorsqu’elle soumet ses premières conclusions quant au fond du différend, à moins qu’il ne constate que la convention est caduque, inopérante ou non susceptible d’être exécutée.

 

2. Lorsque le tribunal est saisi d’une action visée au paragraphe 1 du présent article, la procédure arbitrale peut néanmoins être engagée ou poursuivie et une sentence peut être rendue en attendant que le tribunal ait statué.

 

16. 1. Le tribunal arbitral peut statuer sur sa propre compétence, y compris sur toute exception relative à l’existence ou à la validité de la convention d’arbitrage. À cette fin, une clause compromissoire faisant partie d’un contrat est considérée comme une convention distincte des autres clauses du contrat. La constatation de nullité du contrat par le tribunal arbitral n’entraîne pas de plein droit la nullité de la clause compromissoire.

 

2. L’exception d’incompétence du tribunal arbitral peut être soulevée au plus tard lors du dépôt des conclusions en défense. Le fait pour une partie d’avoir désigné un arbitre ou d’avoir participé à sa désignation ne la prive pas du droit de soulever cette exception. L’exception prise de ce que la question litigieuse excéderait les pouvoirs du tribunal arbitral est soulevée dès que la question alléguée comme excédant ses pouvoirs est soulevée pendant la procédure arbitrale. Le tribunal arbitral peut, dans l’un ou l’autre cas, admettre une exception soulevée après le délai prévu, s’il estime que le retard est dû à une cause valable.

 

3. Le tribunal arbitral peut statuer sur l’exception visée au paragraphe 2 du présent article soit en la traitant comme une question préalable, soit dans sa sentence sur le fond. Si le tribunal arbitral détermine, à titre de question préalable, qu’il est compétent, l’une ou l’autre partie peut, dans un délai de trente jours après avoir été avisée de cette décision, demander au tribunal visé à l’article 6 de rendre une décision sur ce point, laquelle ne sera pas susceptible de recours; en attendant qu’il soit statué sur cette demande, le tribunal arbitral est libre de poursuivre la procédure arbitrale et de rendre une sentence.

 

19. 1. Sous réserve des dispositions du présent code, les parties sont libres de convenir de la procédure à suivre par le tribunal arbitral.

 

2. Faute d’une telle convention, le tribunal arbitral peut, sous réserve des dispositions du présent code, procéder à l’arbitrage comme il le juge approprié. Les pouvoirs conférés au tribunal arbitral comprennent celui de juger de la recevabilité, de la pertinence et de l’importance de toute preuve produite.

 

34. 1. Le recours formé devant un tribunal contre une sentence arbitrale ne peut prendre la forme que d’une demande d’annulation conformément aux paragraphes 2 et 3 du présent article.

 

2. La sentence arbitrale ne peut être annulée par le tribunal visé à l’article 6 que si, selon le cas :

 

a)      la partie en faisant la demande apporte la preuve :

 

i)     soit qu’une partie à la convention d’arbitrage visée à l’article 7 était frappée d’une incapacité; ou que ladite convention n’est pas valable en vertu de la loi à laquelle les parties l’ont subordonnée ou, à défaut d’une indication à cet égard, en vertu de la loi du Canada;

 

ii)   soit qu’elle n’a pas été dûment informée de la nomination d’un arbitre ou de la procédure arbitrale, ou qu’il lui a été impossible pour une autre raison de faire valoir ses droits;

 

iii) soit que la sentence porte sur un différend non visé dans le compromis ou n’entrant pas dans les prévisions de la clause compromissoire, ou qu’elle contient des décisions qui dépassent les termes du compromis ou de la clause compromissoire, étant entendu toutefois que, si les dispositions de la sentence qui ont trait à des questions soumises à l’arbitrage peuvent être dissociées de celles qui ont trait à des questions non soumises à l’arbitrage, seule la partie de la sentence contenant des décisions sur les questions non soumises à l’arbitrage pourra être annulée;

 

 

iv) soit que la constitution du tribunal arbitral, ou la procédure arbitrale, n’a pas été conforme à la convention des parties, à condition que cette convention ne soit pas contraire à une disposition de la présente loi à laquelle les parties ne peuvent déroger, ou, à défaut d’une telle convention, qu’elle n’a pas été conforme à la présente loi;

 

b) le tribunal constate :

 

i)     soit que l’objet du différend n’est pas susceptible d’être réglé par arbitrage conformément à la loi du Canada;

ii)   soit que la sentence est contraire à l’ordre public du Canada.

 

3. Une demande d’annulation ne peut être présentée après l’expiration d’un délai de trois mois à compter de la date à laquelle la partie présentant cette demande a reçu communication de la sentence ou, si une demande a été faite en vertu de l’article 33, à compter de la date à laquelle le tribunal arbitral a pris une décision sur cette demande.

 

4. Lorsqu’il est prié d’annuler une sentence, le tribunal peut, le cas échéant et à la demande d’une partie, suspendre la procédure d’annulation pendant une période dont il fixe la durée afin de donner au tribunal arbitral la possibilité de reprendre la procédure arbitrale ou de prendre toute autre mesure que ce dernier juge susceptible d’éliminer les motifs d’annulation.

5. In matters governed by this Code, no court shall intervene except where so provided in this Code.

 

 

6. The functions referred to in articles 11(3), 11(4), 13(3), 14, 16(3) and 34(2) shall be performed by the Federal Court or any superior, county or district court.

 

8. (1) A court before which an action is brought in a matter which is the subject of an arbitration agreement shall, if a party so requests not later than when submitting his first statement on the substance of the dispute, refer the parties to arbitration unless it finds that the agreement is null and void, inoperative or incapable of being performed.

 

(2) Where an action referred to in paragraph (1) of this article has been brought, arbitral proceedings may nevertheless be commenced or continued, and an award may be made, while the issue is pending before the court.

 

16. (1) The arbitral tribunal may rule on its own jurisdiction, including any objections with respect to the existence or validity of the arbitration agreement. For that purpose, an arbitration clause which forms part of a contract shall be treated as an agreement independent of the other terms of the contract. A decision by the arbitral tribunal that the contract is null and void shall not entail ipso jure the invalidity of the arbitration clause.

 

(2) A plea that the arbitral tribunal does not have jurisdiction shall be raised not later than the submission of the statement of defence. A party is not precluded from raising such a plea by the fact that he has appointed, or participated in the appointment of, an arbitrator. A plea that the arbitral tribunal is exceeding the scope of its authority shall be raised as soon as the matter alleged to be beyond the scope of its authority is raised during the arbitral proceedings. The arbitral tribunal may, in either case, admit a later plea if it considers the delay justified.

 

 

 

 

(3) The arbitral tribunal may rule on a plea referred to in paragraph (2) of this article either as a preliminary question or in an award on the merits. If the arbitral tribunal rules as a preliminary question that it has jurisdiction, any party may request, within thirty days after having received notice of that ruling, the court specified in article 6 to decide the matter, which decision shall be subject to no appeal; while such a request is pending, the arbitral tribunal may continue the arbitral proceedings and make an award.

 

 

 

 

 

19. (1) Subject to the provisions of this Code, the parties are free to agree on the procedure to be followed by the arbitral tribunal in conducting the proceedings.

 

(2) Failing such agreement, the arbitral tribunal may, subject to the provisions of this Code, conduct the arbitration in such manner as it considers appropriate. The power conferred upon the arbitral tribunal includes the power to determine the admissibility, relevance, materiality and weight of any evidence.

 

34. (1) Recourse to a court against an arbitral award may be made only by an application for setting aside in accordance with paragraphs (2) and (3) of this article.

 

 

(2) An arbitral award may be set aside by the court specified in article 6 only if:

 

(a)   the party making the application furnishes proof that:

 

(i) a party to the arbitration agreement referred to in article 7 was under some incapacity; or the said agreement is not valid under the law to which the parties have subjected it or, failing any indication thereon, under the law of Canada; or

 

 

(ii) the party making the application was not given proper notice of the appointment of an arbitrator or of the arbitral proceedings or was otherwise unable to present his case; or

 

(iii) the award deals with a dispute not contemplated by or not falling within the terms of the submission to arbitration, or contains decisions on matters beyond the scope of the submission to arbitration, provided that, if the decisions on matters submitted to arbitration can be separated from those not so submitted, only that part of the award which contains decisions on matters not submitted to arbitration may be set aside; or

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(iv) the composition of the arbitral tribunal or the arbitral procedure was not in accordance with the agreement of the parties, unless such agreement was in conflict with a provision of this Code from which the parties cannot derogate, or, failing such agreement, was not in accordance with this Code; or

 

 

 

(b)   the court finds that:

 

(i) the subject-matter of the dispute is not capable of settlement by arbitration under the law of Canada; or

 

 

(ii) the award is in conflict with the public policy of Canada.

 

(3) An application for setting aside may not be made after three months have elapsed from the date on which the party making that application had received the award or, if a request had been made under article 33, from the date on which that request had been disposed of by the arbitral tribunal.

 

 

(4) The court, when asked to set aside an award, may, where appropriate and so requested by a party, suspend the setting aside proceedings for a period of time determined by it in order to give the arbitral tribunal an opportunity to resume the arbitral proceedings or to take such other action as in the arbitral tribunal’s opinion will eliminate the grounds for setting aside.

 

 

 

ANALYSE

1. La requête en radiation de la demande de GPEC

[12]           Il ne fait aucun doute, à mon avis, que, dans la mesure où la demande présentée par GPEC afin que la sentence provisoire soit annulée fait appel à la compétence conférée à la Cour par la Loi sur les Cours fédérales, cette compétence n’existe pas. Le tribunal arbitral n’est pas un « office fédéral » au sens de la Loi sur les Cours fédérales et il ne tire pas ses pouvoirs d’une loi fédérale. Il est vrai que la LAC est une loi fédérale, mais elle ne fait rien de plus qu’établir un cadre dans lequel les parties sont libres, comme elles l’ont fait en l’espèce, de soumettre un différend à l’arbitrage en conformité avec ce qu’elle prévoit. En termes simples, si le Code peut définir l’étendue des pouvoirs des arbitres et la façon de les exercer, ces pouvoirs découlent exclusivement de la décision des parties de recourir à l’arbitrage (Rampton c. Eyre, 2007 ONCA 331, [2007] O.J. No. 1687 (QL)).

 

[13]           Il s’ensuit que la requête en radiation doit être accueillie, mais uniquement dans la mesure où la demande fait appel aux pouvoirs qui sont conférés à la Cour par la Loi sur les Cours fédérales, notamment celui d’accorder une mesure de redressement déclaratoire. Si les avocats ne peuvent s’entendre sur la forme de l’ordonnance détaillée donnant effet à cette conclusion, l’avocat de la CCC peut, au besoin, se servir de l’article 369 des Règles pour obtenir une décision en bonne et due forme.

 

2. La requête visant à suspendre la demande de GPEC

[14]           Il ne fait aucun doute, comme le reconnaît d’ailleurs la CCC, que la demande de GPEC n’est pas fondée uniquement sur la Loi sur les Cours fédérales. Lorsqu’on le lit avec l’article 6 de la LAC, l’article 34 du Code confère clairement aussi à la Cour le pouvoir d’annuler des sentences arbitrales dans certaines circonstances. Ces circonstances sont décrites de manière limitée dans le Code lui‑même et ont aussi, en général, été interprétées strictement par les tribunaux (voir, par exemple, Canada (Procureur général) c. S.D. Myers Inc., [2004] 3 R.C.F. 368, [2004] A.C.F. no 29 (1re inst.) (QL); Corporacion Transnacional de Inversiones, S.A. de C.V. c. STET International, S.p.A. (1999), 45 O.R. (3d) 183, [1999] O.J. No. 3573 (C.S.J.), conf. par (2000), 49 O.R. (3d) 414 (C.A.), autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée : [2000] C.S.C.R. no 581; NetSys Technology Group AB c. OpenText Corp., [1999] O.J. No. 3134 (C.S.J.) (QL)).

 

[15]           L’avocat de la CCC a essayé de me persuader que la demande ne pouvait pas être accueillie en vertu du paragraphe 34(2), mais il s’est gardé avec raison de faire valoir le bien‑fondé de la demande à cette étape de l’instance.

 

[16]           La jurisprudence de la Cour indique clairement, premièrement, que les requêtes en radiation ne doivent être accueillies que s’il ne fait aucun doute que le demandeur ne peut avoir gain de cause (Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959, [1990] A.C.S. no 93 (QL)), et, deuxièmement, que l’économie des ressources judiciaires exige, en particulier dans les affaires de demande de contrôle judiciaire, que les contestations d’actes de procédure soient présentées seulement lors de l’audition de la demande sur le fond, sauf dans les cas les plus évidents (David Bull Laboratories c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588, [1994] A.C.F. no 1629 (C.A.) (QL)).

 

[17]           Si l’absence de compétence de la Cour sous le régime de la Loi sur les Cours fédérales est si évidente qu’il convient, à mon avis, de donner effet à une requête en radiation, il en est autrement en ce qui concerne la compétence conférée par l’article 34 du Code. Par conséquent, je dois examiner la mesure de redressement subsidiaire sollicitée par la CCC, à savoir la suspension de la demande.

 

[18]           À mon avis, il semble ressortir nettement des dispositions du Code qui ont été reproduites précédemment que les décisions touchant la compétence des arbitres relèvent clairement des pouvoirs qui leur sont conférés (voir en particulier l’article 16). L’article 8 oblige la Cour à renvoyer toute question arbitrable aux arbitres, ce qui inclurait logiquement toute question relative aux pouvoirs de ces derniers. C’est d’ailleurs ce que prévoit encore plus clairement le paragraphe 34(4). Le plus haut tribunal a statué que toute contestation de la compétence des arbitres doit, à tout le moins en premier lieu, être soumise aux arbitres eux‑mêmes et être tranchée par eux (Dell Computer Corp. c. Union des consommateurs, 2007 CSC 34, [2007] A.C.S. no 34 (QL). Voir aussi Rogers Wireless Inc. c. Muroff, 2007 CSC 35, aux paragraphes 11 à 13, [2007] A.C.S. no 35 (QL)).

 

[19]           En outre, il me semble que, en principe, la Cour devrait, dans la mesure du possible, favoriser le recours à l’arbitrage et décourager les demandes comme celle en cause en l’espèce, qui a nécessairement pour effet (et peut‑être aussi pour objet) d’interrompre la procédure arbitrale et d’aller à l’encontre de l’intention contractuelle exprimée par les parties d’utiliser l’arbitrage pour régler leurs différends. La Cour n’est pas appelée en l’espèce à appliquer le critère traditionnel à trois volets relatif aux suspensions et aux injonctions interlocutoires (Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores (MTS) Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110, [1987] A.C.S. no 6 (QL); RJR‑MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, [1994] A.C.S. no 17 (QL)). En fait, la Cour ne peut, en l’espèce, que donner effet à une règle claire prévue à la fois par une loi et par un principe qui l’oblige à respecter le souhait exprimé par les parties d’utiliser l’arbitrage (Nanisivk Mines Ltd. c. F.C.R.S. Shipping Ltd., [1994] 2 C.F. 662, [1994] A.C.F. no 171 (C.A.) (QL)). Il n’est pas inutile de mentionner que les arbitres ont déjà tenu des audiences pendant neuf semaines et qu’ils ont rendu ensuite une sentence détaillée et très longue.

 

[20]           En conséquence, j’ordonnerai la suspension de la demande de GPEC et renverrai l’affaire aux arbitres afin que ceux‑ci se prononcent d’abord sur la contestation de leur compétence et, s’ils l’estiment approprié, terminent la procédure arbitrale et rendent une sentence définitive. Je ne pense pas qu’il soit nécessaire ou souhaitable dans les circonstances de fixer un délai dans lequel les arbitres devront exercer leurs pouvoirs.

 

3. La demande de cautionnement pour frais

[21]           La demande sous-jacente ayant été suspendue, la demande de cautionnement pour frais sera rejetée au motif qu’elle est sans objet.

 

4. La requête de GPEC en suspension de la procédure arbitrale

[22]           Pour les motifs justifiant ma décision de suspendre la demande de GPEC qui sont exposés ci‑dessus, je suis d’avis qu’il convient de refuser d’ordonner que la procédure arbitrale soit suspendue.

 

5. Les dépens

[23]           Les requêtes de la CCC ayant été accueillies en grande partie, celle‑ci devrait avoir droit aux dépens, lesquels seront taxés de la façon habituelle.


 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

1.         La requête de la CCC est accueillie avec dépens.

 

2.         La demande de GPEC est radiée, mais uniquement dans la mesure où elle fait appel aux pouvoirs conférés par la Loi sur les Cours fédérales et vise à obtenir une mesure de redressement prévue par cette loi.

 

3.         Ladite demande est suspendue et l’affaire est renvoyée aux arbitres, lesquels devront statuer sur la contestation de leur compétence par GPEC et, s’ils l’estiment approprié, terminer les audiences et rendre une sentence définitive.

 

4.         La requête en suspension d’instance présentée par GPEC est rejetée avec dépens.


« James K. Hugessen »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice-conseil

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-2048-07

 

INTITULÉ :                                      GPEC INTERNATIONAL LTD. c.

                                                            CORPORATION COMMERCIALE CANADIENNE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Les 26 et 27 mars 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      Le juge Hugessen

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 2 avril 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Ronald D. Lunau

Catherine Beaudoin

 

POUR LA DEMANDERESSE

Ivan Whitehall, c.r.

Joy Noonan

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Gowling Lafleur Henderson s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Heenan Blaikie s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

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