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Date : 20080401

Dossier : IMM-3690-07

Référence : 2008 CF 408

Montréal (Québec), le 1er avril 2008

En présence de L'honorable Maurice E. Lagacé

 

ENTRE :

JASWANT SINGH

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               M. Jaswant Singh (demandeur) présente une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision de la Commission de l’immigration et de statut de réfugié, Section de la protection des réfugiés (le Tribunal) qui conclut que le demandeur n’est ni un réfugié au sens de la Convention ni une « personne à protéger », au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la Loi).

 

[2]               Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre) s’oppose à la demande.

 

Question en litige

[3]               Le Tribunal a-t-il commis une erreur déraisonnable dans son appréciation négative de la crédibilité du demandeur?

 

Faits

[4]               Âgé de 49 ans et citoyen de l’Inde, le demandeur invoque des problèmes survenus dans son pays d’origine, entre novembre 1986 et juillet 1997 et ceux-ci découleraient du fait qu’il est un Sikh baptisé. Il aurait été arrêté à plusieurs reprises et torturé par les policiers parce que soupçonné de maintenir des liens et d’aider la cause des militants sikhs et de promouvoir l’indépendance du Punjab.

 

[5]               Le demandeur quitte l’Inde en juillet 1997 à destination des États-Unis où il présente une demande d’asile qu’on lui refuse. Menacé par les autorités américaines de refoulement vers son pays d’origine, il arrive finalement au Canada en août 2005 et fait une demande de protection.

 

[6]               Malgré le temps écoulé depuis sa fuite de l’Inde, le demandeur soutient toujours que les policiers là-bas ne l’ont pas oublié et continuent de harceler sa famille, à tel point que sa vie serait toujours en danger advenant un retour au pays d’origine.

 

Décision du Tribunal

[7]               Après avoir considéré et commenté les principaux éléments de la preuve et mis en relief les contradictions du demandeur entre ses déclarations au Formulaire de renseignements personnels (FRP), son témoignage devant l’agent d’immigration, son témoignage à l’audience et la preuve documentaire, le Tribunal juge son récit ni crédible ni compatible avec la preuve documentaire. Conséquemment, il n’accepte pas les allégations du demandeur à l’effet que son refoulement dans le pays d’origine l’exposerait à un risque réel et actuel de torture ou de danger pour sa vie et rejette donc sa demande.

 

Prétentions des parties

[8]               Le demandeur allègue que le Tribunal a procédé à une analyse incomplète de la preuve, et tiré des conclusions contraires à la preuve. Plus précisément, il soutient que la conclusion visant sa crédibilité découle d’erreurs suffisamment importantes dans l’appréciation de la preuve pour  justifier l’intervention de cette Cour.

 

[9]               Le ministre soutient pour sa part la raisonnabilité des conclusions tirées par le Tribunal de la preuve qu’il lui appartient dans l’exercice de sa juridiction et avec son expertise d’analyser et d’apprécier, et conséquemment le ministre ne constate aucun motif valable pouvant justifier cette Cour d’intervenir pour écarter la décision du Tribunal.

 

La norme de contrôle

[10]           La récente décision de la Cour suprême du Canada Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 (Dunsmuir), a pour effet d’assujettir dorénavant le contrôle judiciaire des décisions des tribunaux administratifs à seulement deux normes : celle de la « décision correcte » et celle de la « décision raisonnable ». Cet arrêt invite aussi une nouvelle fois les cours à traiter avec déférence les décisions des tribunaux administratifs spécialisés, tels le Tribunal bénéficiant d’une certaine expertise dans les affaires où s’exerce leur juridiction.

 

[11]           La norme de la « décision raisonnable » s’applique au présent cas et n’ouvre pas la porte à une plus grande intervention malgré le souhait du demandeur. Comme le souligne cette Cour dans l’affaire Navarro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 358,  « [c]e n’est pas le sens et la portée qui me semble devoir être attribués à l’arrêt Dunsmuir. Bien au contraire ».

 

[12]           Il faut toujours se demander si la décision contestée est raisonnable, compte tenu de la « justification de la décision », et de « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, ci-dessus, par. 47; Navarro, ci-dessus, par. 13).

 

[13]           À l’intérieur de cette norme de contrôle, la Cour peut-elle conclure que le Tribunal erre lorsqu’il décide que le demandeur n’est ni un « réfugié au sens de la Convention » ni une « personne à protéger », au sens la Loi?

 

Analyse

[14]           Partant du fait que le Tribunal ne commente pas dans sa décision certaines parties de la preuve que le demandeur considère plus importantes que celles retenues, celui-ci soutient que le tribunal n’a pas considéré toute la preuve qu’il se devait de considérer et que sa décision n’est pas raisonnable.

 

[15]           Cet argument du demandeur écarte la présomption voulant que le Tribunal a considéré toute la preuve qu’on lui a présentée (Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.) (QL). Il oublie aussi que lorsque le Tribunal conclut qu’un revendicateur d’asile n’est pas crédible, il n’a pas l’obligation d’expliquer les raisons pour lesquelles il n’accorde aucune valeur probante aux documents qui soutiennent les allégations jugées par lui non crédibles (Ahmad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 471, juge Rouleau, au par. 26).

 

[16]           En tentant de convaincre la Cour que le Tribunal erre dans les inférences négatives qu’il tire de la preuve sur sa crédibilité, le demandeur cherche en fait à justifier les parties de témoignage que le Tribunal écarte parce qu’il les juge non fiables ou insatisfaisantes. N’oublions pas que le demandeur a eu l’occasion de présenter pleinement ses explications au Tribunal. Mais  malheureusement pour lui, le Tribunal les juge non crédibles. Il n’appartient pas à cette Cour de refaire l’exercice. Le Tribunal bénéficie de l’avantage de compter sur son expertise et surtout d’avoir entendu le demandeur et ses explications, ce qui le qualifie sûrement mieux que cette Cour pour juger sa crédibilité. Il n’appartient pas à cette Cour de faire le travail du Tribunal, mais seulement de vérifier si sa décision est déraisonnable dans le sens indiqué par l’arrêt Dunsmuir, précité.

 

[17]           Quand le demandeur plaide que la décision du Tribunal passe sous silence une preuve que lui considère importante, ou que cette décision ne retient qu’une certaine partie de la preuve de préférence à une autre qu’il considère plus importante, il demande ni plus et ni moins  à cette Cour de réévaluer la preuve présentée à l’appui de la revendication d’asile et de substituer son opinion à celle du Tribunal. Une telle avenue est interdite dans le cadre d’un contrôle judiciaire (Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 551 (C.A.) (QL), au par. 5, appliquant Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301 c. Ville de Montréal, [1997] 1 R.C.S. 793).

 

[18]           Certes, le demandeur aurait préféré que le Tribunal insiste davantage sur un différent passage d’une pièce particulière (section 8.4.2, au lieu de 8.6, du « Report on fact-finding mission to Punjab »). Mais un tel argument ne constitue pas un motif valable de contrôle judiciaire puisqu’il est bien établi que le Tribunal n’a pas en principe l’obligation de mentionner tous les éléments de preuve soumis par les parties (Florea, ci-dessus). Lorsque le Tribunal décide comme il le fait ici, que le récit du demandeur manque de crédibilité, ce principe s’impose davantage (Ahmad, ci-dessus; Sheikh c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 C.F. 238 (C.A.)).

 

[19]            Lorsqu’un demandeur présente une preuve documentaire au décideur, il peut s’attendre à ce que celui-ci l’accepte entièrement ou pour partie seulement ou encore la rejette dans son entier. Il revient ici au Tribunal comme décideur de choisir et retenir les parties de la preuve jugées par lui les plus probantes pour appuyer ses conclusions. Si subséquemment, comme dans l’espèce, ce choix ne convient pas au demandeur parce que nuisible à sa cause, ceci ne constitue pas pour autant un motif valable pour contrôler la décision.

 

[20]           Enfin, contrairement à ce qu’allègue le demandeur, les contradictions notées par le Tribunal n’apparaissent aucunement fondées sur des erreurs. Elles ressortent au contraire clairement des nuances et variations entre les déclarations du demandeur dans son FRP, celles faites à l’agent d’immigration et son témoignage lors de l’audience. De l’avis de la Cour, la preuve justifiait le Tribunal de conclure au manque de crédibilité du demandeur et de décider qu’il n’est ni un « réfugié » au sens de la Convention ni « une personne à protéger », au sens de la Loi.

 

[21]           Pour ces motifs la requête du demandeur doit être rejetée. Aucune question n’a été soumise pour fins de certification, et la Cour convient que cette affaire ne soulève aucune question de portée générale.

 

 

 

 

 

 

 


JUGEMENT

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

REJETTE  la demande de contrôle judiciaire.

 

« Maurice E. Lagacé »

Juge suppléant

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3690-07

 

INTITULÉ :                                       JASWANT SINGH c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 20 mars 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                               LAGACÉ J.S.

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 1er avril 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Michel Le Brun

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Alexandre Tavadian

Me Bassam Khouri

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Michel Le Brun

LaSalle (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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