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Date : 20080403

Dossier : IMM‑1356‑07

Référence : 2008 CF 405

Ottawa (Ontario), le 3 avril 2008

En présence de monsieur le juge Shore

 

 

ENTRE :

MOZAFAR CHOGOLZADEH

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I. Aperçu

[1]               Le demandeur, M. Mozafar Chogolzadeh, a de longs antécédents de participation au Moudjahidine‑E-Khalq (MEK). Le MEK est une organisation inscrite à titre d’entité terroriste par le gouvernement canadien pour l’application de la partie II.1 du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46.

 

[2]               Dans la décision Miller c. Canada (Solliciteur général), 2006 CF 912, [2006] A.C.F. no 1164 (QL), M. le juge en chef Allan Lutfy a traité de l’incapacité de la Cour d’apprécier des facteurs que le ministre a pris en compte lorsqu’il a pris sa décision :

[83]      La demanderesse déplore sans doute la faible importance accordée dans le mémoire aux facteurs qui, selon elle, auraient dû avoir plus de valeur, ou la manière dont certains aspects ont été exposés, mais elle n’a pas réussi à démontrer que le mémoire ne « traitait pas » des « principaux points en litige » (VIA Rail Canada Inc. c. Office national des transports et autre (2000), 193 D.L.R. (4th) 357, [2000] A.C.F. no 1685 (C.A.F.), au paragraphe 22).

 

[84]      Comme je l’ai indiqué ci‑dessus au paragraphe 41, la Cour suprême écrivait ce qui suit, dans l’arrêt Suresh, au paragraphe 37 :

 

[...] Cet arrêt [l’arrêt Baker] n’a pas pour effet d’autoriser les tribunaux siégeant en révision de décisions de nature discrétionnaire à utiliser un nouveau processus d’évaluation, mais il repose plutôt sur une jurisprudence établie concernant l’omission d’un délégataire du ministre de prendre en considération et d’évaluer des restrictions tacites ou des facteurs manifestement pertinents […].

 

À mon avis, la demanderesse n’a pas prouvé que la ministre a négligé d’« examiner et apprécier » les « facteurs manifestement pertinents » […].

 

 

[3]               Une fois de plus, il s’agit d’un exercice de mise en balance; on demandait au ministre d’évaluer et d’apprécier la preuve présentée par M. Chogolzadeh. Le ministre pouvait conclure que tout élément de preuve favorable à une dispense ne l’emportait pas sur l’effet qu’avait la longue appartenance passée de M. Chogolzadeh à une organisation terroriste. Le ministre disposait de renseignements relatifs à la rupture de M. Chogolzadeh avec le MEK et à l’établissement de sa famille au Canada, comme les motifs le mentionnaient. Les conclusions de fait à l’égard de « l’appartenance » de M. Chogolzadeh au MEK et de sa participation aux activités de cette organisation étaient raisonnables et se fondaient sur le dossier.

 

[4]               M. Chogolzadeh mentionnait sans cesse sa prétendue opposition au MEK. De manière significative toutefois, il ne s’opposait pas aux tactiques terroristes du MEK, mais plutôt à l’orientation prise par cette organisation du fait de son appui à la campagne de Saddam Hussein contre les Kurdes d’Iraq. M. Chogolzadeh n’a commencé à manifester son opposition qu’après avoir pendant dix ans participé aux activités du MEK et eu connaissance de la nature terroriste de ces activités. Il s’agit là de facteurs aggravants importants.

 

[5]               Comme la Cour suprême du Canada l’a déclaré dans l’arrêt Thomson c. Canada (Sous-ministre de l’Agriculture), [1992] 1 R.C.S. 385 : « Le terme « recommandations » doit être interprété suivant son sens ordinaire. « Recommandations » renvoie ordinairement au fait de conseiller et ne saurait équivaloir à une décision obligatoire. » [Non souligné dans l’original.]

 

[6]               En outre, comme la Cour l’a déclaré dans la décision Khalil c. Canada, 2007 CF 923, [2007] A.C.F. no 1221 (QL), au paragraphe 342 : « […] [l]es fonctionnaires sont chargés de présenter une recommandation au ministre, mais c’est au ministre seul qu’il appartient de dire si une dérogation sera accordée ». [Non souligné dans l’original.]

 

[7]               Il est clair qu’on a refusé d’admettre au pays M. Chogolzadeh en raison de sa longue appartenance à une organisation terroriste, de son appui matériel à cette organisation et de sa connaissance des activités de l’organisation. Il a mis fin à son association à cette organisation lorsqu’il a cessé de souscrire à l’orientation du MEK (non à ses tactiques).

 

[8]               M. Chogolzadeh a consacré plus de dix ans de sa vie au MEK et, en fin de compte, il a presque perdu la vie du fait de son association à l’organisation lorsque cette dernière s’est retournée contre lui. Le fait que le ministre a considéré que l’appartenance de longue date M. Chogolzadeh au MEK était déterminante quant à sa décision est raisonnable.

 

II. La procédure judiciaire

[9]               Il s’agit d’une demande, présentée suivant l’article 72 de la LIPR, en vue du contrôle judiciaire de la décision par laquelle le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile a refusé, en date du 20 février 2007, la demande présentée par le demandeur en vue d’obtenir une « dispense ministérielle », suivant le paragraphe 34(2) de la LIPR.

 

III. Le contexte

[10]           Le demandeur, M. Mozafar Chogolzadeh, est entré au Canada le 26 janvier 1993 avec son épouse, Mme Mina Baranji. Leur demande au Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) a été acceptée et le gouvernement canadien leur a accordé un permis ministériel à titre de réfugié au sens de la Convention valide pour un an, leur permettant de rejoindre leurs enfants au Canada.

 

[11]           M. Chogolzadeh et son épouse ont cinq enfants, dont l’une, Diyana, est née à London, en Ontario, le 12 août 2002 et est citoyenne canadienne.

 

[12]           Les quatre autres enfants, maintenant adultes, sont entrés au Canada le 13 mars 1991, en tant que mineurs non accompagnés. M. Chogolzadeh et son épouse les ont rejoints deux ans plus tard. Seule leur fille aînée, Mme Mastoureh Chogolzadeh, qui réside à Vancouver avec son époux et ses deux enfants mineurs, a été acceptée à titre de résidente permanente du Canada. Les dossiers des trois autres enfants sont liés au dossier de leurs parents et ils ne sont pas admissibles à demander le statut de résident permanent de leur propre chef.

 

[13]           M. Chogolzadeh est un ressortissant iranien d’origine ethnique kurde. Il est né le 23 août 1951 à Piranshah, en Iran. Il a travaillé en tant que dentiste adjoint, puis il est devenu un dentiste expérimenté; il a travaillé de 1966 à 1981 dans un bureau à Piranshah.

 

[14]           M. Chogolzadeh a commencé ses activités politiques en mars ou avril 1979, l’année de la révolution iranienne. Il s’agissait d’une période de bouleversement politique au cours de laquelle de nombreuses organisations politiques se sont formées. Le Kurdistan est devenu un centre pour les organisations politiques qui étaient déçues de l’issue de la révolution.

 

[15]           M. Chogolzadeh a d’abord commencé ses activités en lisant et en distribuant de la documentation de nature politique pour le MEK. Il a poursuivi sa participation pendant les années 1980, et c’est le MEK qui lui procurait sa source de revenus puisqu’il distribuait de la documentation et recueillait des médicaments, des armes, de la nourriture et de l’essence, puis livrait ces biens au MEK. Le MEK fournissait à M. Chogolzadeh et à sa famille tous les produits de première nécessité. Le MEK a même pris des dispositions pour que les quatre enfants mineurs de M. Chogolzadeh viennent au Canada, en 1991. Au cours de la guerre du Golfe, le MEK a envoyé à l’extérieur de l’Iraq environ 1 200 enfants de ses membres et partisans.

 

[16]           Le MEK a été formé dans les années 1960, afin de s’opposer au schah qui était pro-occidental, mais s’est ensuite opposé au régime de la République islamique d’Iran qui lui a succédé, devenant sa principale menace d’insurrection. Au cours des années 1980, Saddam Hussein en Iraq – alors en guerre avec l’Iran – appuyait le MEK en lui fournissant des ressources, des armes et de la protection.

 

[17]           Des incidents liés au MEK incluent ce qui suit : des attentats au mortier, des assassinats, des explosions et des attentats coordonnés contre des ambassades iraniennes dans treize pays, y compris contre la mission canadienne en 1992, des meurtres de membres du personnel militaire américain et d’entrepreneurs civils de la défense en Iran et un appui à la prise de contrôle de l’ambassade américaine, en Iran, en novembre 1979.

 

[18]           M. Chogolzadeh soutient qu’à compter de 1989 il a commencé à avoir certains désaccords avec le MEK. Il ne souscrivait pas aux orientations prises par le MEK et à la manière selon laquelle l’organisation était dirigée. Il a soulevé le manque de démocratie au sien du MEK et le fait que le MEK commençait à combattre des organisations kurdes en Iraq. Lorsqu’il s’est exprimé contre les politiques du MEK, on l’a qualifié de traître et on lui a fait des menaces.

 

[19]           M. Chogolzadeh a cessé d’appuyer le MEK en 1991 lorsque l’organisation a annoncé qu’elle combattrait les Kurdes d’Iraq aux côtés du gouvernement iraquien de Saddam Hussein. M. Chogolzadeh a refusé de participer aux activités du MEK en mars 1991; il a été détenu et, le 23 mai 1991, il a été conduit à un camp de prisonniers dans le nord de l’Iraq.

 

[20]           M. Chogolzadeh s’est échappé de la détention qu’il subissait par le MEK, le 30 octobre 1991, alors que les gardiens du MEK l’amenaient aux autorités iraquiennes. Il a rejoint son épouse et il a réussi à entrer en Turquie en 1991.

 

[21]           En Turquie, M. Chogolzadeh et son épouse ont demandé l’asile auprès du bureau de l’UNHCR à Ankara. Ils ont rempli les formulaires d’inscription de réinstallation de l’UNHCR le 8 décembre 1991. Leurs demandes ont été acceptées par l’UNHCR le 12 août 1992, à Ankara, en Turquie.

 

[22]           M. Chogolzadeh et son épouse se sont installés au Canada, le 26 janvier 1993, suivant un permis ministériel de réfugié au sens de la Convention valide pour un an. Ils ont présenté une demande de résidence permanente le 13 avril 1993. Leur demande a été rejetée en 1995, mais ils ont continué à bénéficier de renouvellements de leur permis ministériel.

 

[23]           À la suite d’une entrevue avec M. Chogolzadeh, le 13 septembre 2000, un agent d’immigration a estimé qu’il était interdit de territoire au Canada en raison de sa participation aux activités du MEK. Un rapport à cet effet a été préparé et une enquête a été ordonnée. L’audience, qui a débuté le 7 juin 2001, a été ajournée le 13 septembre 2001 et il n’y a jamais eu de reprise d’audience.

 

[24]           M. Chogolzadeh a présenté une demande en vue d’obtenir une dispense ministérielle en 2001. Après l’achèvement de consultations externes, une recommandation a été préparée. Par suite des commentaires formulés par M. Chogolzadeh, il y a eu une recommandation finale de refus de la dispense. Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile a reçu la recommandation le 6 décembre 2006 et, le 20 février 2007, il a refusé la dispense demandée par M. Chogolzadeh.

 

IV. La décision faisant l’objet du contrôle

[25]           Le ministre a conclu que M. Chogolzadeh avait contribué à la réalisation des objectifs du MEK au moyen de son travail d’approvisionnement dans les années 1980; par conséquent, même si M. Chogolzadeh n’avait personnellement commis aucune atrocité, il a fait partie intégrante du maintien du fonctionnement de l’organisation, laquelle est inscrite à titre d’organisation terroriste au Canada.

 

[26]           Le ministre a conclu que M. Chogolzadeh était au courant des activités du MEK (attentats à la bombe, meurtres, assassinats) par la lecture dans les journaux de récits des succès du MEK dans les camps où il travaillait. Le ministre a conclu que M. Chogolzadeh bénéficiait au sien du MEK d’un certain niveau de confiance étant donné que le MEK avait pris des dispositions pour le déplacement de ses enfants au Canada en 1991. Le ministre a conclu que les activités de M. Chogolzadeh, pour le compte du MEK, indiquaient une forte allégeance à l’organisation qui se livrait à la violence et de telles considérations l’emportaient sur tout intérêt national qui permettrait au ministre d’approuver la demande. (Dossier du demandeur, note d’information destinée au ministre, aux pages 10 et 11.)

 

[27]           M. Chogolzadeh soutient que le ministre a retardé le traitement des demandes de résidence permanente présentées pour les membres de sa famille et qu’il n’avait aucunement l’intention de les mener à terme.

 

[28]           M. Chogolzadeh estime qu’il n’a été énoncé aucun motif justifiant qu’on continue à soutenir que sa présence est préjudiciable à l’intérêt national du Canada. M. Chogolzadeh et sa famille sont au Canada depuis plus de quinze ans. Selon M. Chogolzadeh, la seule conclusion qui puisse être tirée des faits, compte tenu de la longue période écoulée, est que le défendeur et ses fonctionnaires agissent de mauvaise foi.

 

V. Le texte de loi pertinent

            Dispense ministérielle – disposition quant à l’interdiction de territoire

[29]           Le pouvoir discrétionnaire d’accorder une dispense suivant le paragraphe 34(2), à l’égard d’une conclusion quant à l’interdiction de territoire, est un pouvoir conféré exclusivement au ministre. Contrairement à la plupart des autres décisions ministérielles, aucune délégation n’est autorisée à l’égard de cette décision. (Paragraphe 6(3) de la LIPR.)

 

[30]           Les portions pertinentes de l’article 34 de la LIPR sont les suivantes :

34.     (1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants :

 

[…]

 

c) se livrer au terrorisme;

 

[…]

 

f) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte visé aux alinéas a), b) ou c).

 

 

Exception

 

(2) Ces faits n’emportent pas interdiction de territoire pour le résident permanent ou l’étranger qui convainc le ministre que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national.

 

34.      (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on security grounds for

 

 

(c) engaging in terrorism;

 

 

(f) being a member of an organization that there are reasonable grounds to believe engages, has engaged or will engage in acts referred to in paragraph (a), (b) or (c).

 

Exception

 

(2) The matters referred to in subsection (1) do not constitute inadmissibility in respect of a permanent resident or a foreign national who satisfies the Minister that their presence in Canada would not be detrimental to the national interest.

 

(Paragraphe 34(1) de la LIPR; auparavant la division 19(1)(f)(iii)(B) de la Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2.)

 

VI. La question en litige

[31]           La décision du ministre de refuser la dispense était-elle manifestement déraisonnable ou était-elle fondée sur des conclusions de fait erronées ou des inférences déraisonnables?

 

VII. La norme de contrôle

[32]           La décision rendue suivant le paragraphe 34(2) est l’exercice par excellence de la prérogative du pouvoir exécutif de décider qui peut ou ne peut pas être admis au Canada. (Grillas c. Canada (Ministre de la Main-d’Oeuvre et de l’Immigration), [1972] R.C.S. 577.)

 

[33]           En outre, comme M. le juge Richard Mosley l’a récemment déclaré dans la décision Sounitsky c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 345, qui a été discutée avec les avocats des parties lors d’une conférence téléphonique tenue après l’audience du 20 février 2008 par suite de l’arrêt de la Cour suprême du Canada rendu le 7 mars 2008, Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] CSC 9 :

[15]      […] Antérieurement à l’arrêt Dunsmuir, l’opinion générale admise par la Cour était que la décision […] devait être assujettie à la norme de la décision manifestement déraisonnable pour les questions de fait, à la norme de la décision raisonnable simpliciter pour les questions mixtes de fait et de droit, et à la norme de la décision correcte pour les questions de droit. La norme de contrôle applicable à la décision dans son ensemble devait être celle de la décision raisonnable : Demirovic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1284, [2005] A.C.F. n1560.

 

[16]      Dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême a conclu que les deux normes de la décision raisonnable créaient un système peu clair et particulièrement difficile à appliquer. Ainsi, il y a lieu de les fondre en une seule norme, ce qui établit une distinction entre les questions de droit, qui continuent d’être examinées en fonction de la norme de la décision correcte, et toutes les autres conclusions des organismes administratifs, qui seront maintenues à moins qu’on parvienne à établir qu’elles sont déraisonnables.

 

[17]      En appliquant la norme de la décision raisonnable, les juges doivent désormais se demander si la décision était raisonnable, « en t[enant] dûment compte des conclusions du décideur » : paragraphe 49 de l’arrêt Dunsmuir. La Cour suprême a reconnu que la suprématie législative appelle la déférence judiciaire à l’égard des décisions administratives rendues en vertu d’un pouvoir régulièrement délégué.

 

[18]      La Cour suprême a également conclu qu’il n’est plus nécessaire d’appliquer l’analyse pragmatique et fonctionnelle dans tous les cas où il existe un précédent indiquant clairement la norme applicable. Par conséquent, je n’ai pas à réexaminer les degrés de déférence qu’appelle la décision […], si ce n’est que de souligner que les questions de fait ne sont plus susceptibles de contrôle en fonction de la norme de la décision manifestement déraisonnable. Désormais, toutes les questions tranchées […], autres que les pures questions de droit, seront confirmées, sauf si elles sont jugées déraisonnables.

 

VIII. L’analyse

[34]           Il appartient au demandeur, lorsqu’il sollicite une dispense ministérielle suivant le paragraphe 34(2), de démontrer que son admission au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national. (Kashmiri c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. no 997 (QL).)

 

[35]           Le ministre, lorsqu’il exerce son pouvoir discrétionnaire, doit non seulement examiner les paragraphes 34(1) et 34(2), mais il doit de plus tenir compte de l’alinéa 3(1)i) de la LIPR :

Objet en matière d’immigration

 

3.      (1) En matière d’immigration, la présente loi a pour objet :

 

i) de promouvoir, à l’échelle internationale, la justice et la sécurité par le respect des droits de la personne et l’interdiction de territoire aux personnes qui sont des criminels ou constituent un danger pour la sécurité;

Objectives — immigration

 

 

3.      (1) The objectives of this Act with respect to immigration are

 

(i) to promote international justice and security by fostering respect for human rights and by denying access to Canadian territory to persons who are criminals or security risks; and

 

 

[36]           La Cour, dans la décision Miller, précitée, a déclaré ce qui suit : « Le libellé général du paragraphe 34(2) montre que ce que voulait le législateur, c’était que [le] ministre soit libre de prendre en compte un large éventail de facteurs dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire ».

 

[37]           L’intérêt national est en outre modelé par le contexte historique à un moment donné et n’est pas un concept statique. Combattre le terrorisme sur les fronts national et international est une préoccupation au tout premier rang de l’actuel intérêt national du Canada.

 

[38]           La décision du ministre de ne pas admettre M. Chogolzadeh au Canada, à titre de résident permanent, est raisonnable et conforme à la loi. Les motifs du ministre quant à cette décision exposent des considérations appropriées. Le refus du ministre ne soulève aucune question nécessitant l’intervention de la Cour.

 

[39]           M. Chogolzadeh demande à la Cour d’évaluer à nouveau la preuve et de tirer une conclusion qui lui serait plus favorable. Tous les principaux points en litige ont été traités d’une façon appropriée dans la note d’information, notamment la rupture de M. Chogolzadeh avec le MEK et son établissement au Canada qui en a suivi. (Dossier du demandeur, note d’information, à la page 10; Miller, précitée, au paragraphe 83; VIA Rail Canada Inc. c. Canada (Office national des transports) (2000), 193 D.L.R. (4th) 357 (C.A.F.), au paragraphe 22.)

 

[40]           Dans la décision Miller, précitée, le juge en chef Lutfy a traité de l’incapacité de la Cour d’apprécier des facteurs que le ministre a pris en compte lorsqu’il a pris sa décision :

[83]      La demanderesse déplore sans doute la faible importance accordée dans le mémoire aux facteurs qui, selon elle, auraient dû avoir plus de valeur, ou la manière dont certains aspects ont été exposés, mais elle n’a pas réussi à démontrer que le mémoire ne « traitait pas » des « principaux points en litige » (VIA Rail Canada Inc. c. Office national des transports et autre (2000), 193 D.L.R. (4th) 357, [2000] A.C.F. no 1685 (C.A.F.), au paragraphe 22).

 

[84]      Comme je l’ai indiqué ci‑dessus au paragraphe 41, la Cour suprême écrivait ce qui suit, dans l’arrêt Suresh, au paragraphe 37 :

 

[...] Cet arrêt [l’arrêt Baker] n’a pas pour effet d’autoriser les tribunaux siégeant en révision de décisions de nature discrétionnaire à utiliser un nouveau processus d’évaluation, mais il repose plutôt sur une jurisprudence établie concernant l’omission d’un délégataire du ministre de prendre en considération et d’évaluer des restrictions tacites ou des facteurs manifestement pertinents […].

 

À mon avis, la demanderesse n’a pas prouvé que la ministre a négligé d’« examiner et apprécier » les « facteurs manifestement pertinents » […].

 

 

[41]           Une fois de plus, il s’agit d’un exercice de mise en balance; on demandait au ministre d’évaluer et d’apprécier la preuve présentée par M. Chogolzadeh. Le ministre pouvait conclure que tout élément de preuve favorable à une dispense ne l’emportait pas sur l’effet qu’avait la longue appartenance passée de M. Chogolzadeh à une organisation terroriste. Le ministre disposait des renseignements relatifs à la rupture de M. Chogolzadeh avec le MEK et à l’établissement de sa famille au Canada, comme les motifs le mentionnaient. Les conclusions de fait à l’égard de « l’appartenance » de M. Chogolzadeh au MEK et de sa participation aux activités de cette organisation étaient raisonnables et se fondaient sur le dossier.

 

[42]           M. Chogolzadeh mentionnait sans cesse sa prétendue opposition au MEK. De manière significative toutefois, il ne s’opposait pas aux tactiques terroristes du MEK, mais plutôt à l’orientation prise par cette organisation du fait de son appui à la campagne de Saddam Hussein contre les Kurdes d’Iraq. M. Chogolzadeh n’a commencé à manifester son opposition qu’après avoir pendant dix ans participé aux activités du MEK et eu connaissance de la nature terroriste de ces activités. Il s’agit là de facteurs aggravants importants.

 

[43]           Les considérations dénombrées, énumérées et soulevées par M. Chogolzadeh comme étant des considérations dont le ministre n’aurait pas tenu compte avaient été présentées au ministre. La position de M. Chogolzadeh est indéfendable et elle ne donne lieu à aucune question nécessitant l’intervention de la Cour. M. Chogolzadeh ne s’est pas opposé aux faits comme ils ont été exposés dans la note d’information lorsqu’elle lui a été communiquée pour ses commentaires.

 

[44]           La note d’information indique clairement que le ministre a examiné les documents présentés par M. Chogolzadeh; elle constate que M. Chogolzadeh n’a mis fin à son association au MEK qu’après l’avoir appuyé ou en avoir été membre pendant plus de dix ans. De plus, on comprend par conséquent que M. Chogolzadeh et sa famille se sont établis au Canada et n’ont pas de lien avec le MEK depuis leur arrivée au pays. Les motifs soulignent en outre que le MEK est une organisation terroriste inscrite et que M. Chogolzadeh était au courant des tactiques du MEK lorsqu’il fournissait son appui matériel à l’organisation. Le fait que M. Chogolzadeh avait donné une forte allégeance à une organisation terroriste, qui utilisait la violence pour faire avancer ses objectifs, l’emporte sur tout autre intérêt national qui pourrait justifier qu’une décision favorable soit rendue. (Dossier du demandeur, note d’information, à la page 11.)

 

[45]           L’exposé raisonné du ministre porte de façon adéquate sur la demande de M. Chogolzadeh. M. Chogolzadeh soutient avec insistance que sa présence n’est pas préjudiciable à l’intérêt national, qu’il n’a personnellement jamais commis des actes de violence et qu’il bénéficierait de l’acceptation de sa demande. Toutefois, rien n’oblige le ministre à accorder une dispense dans ces circonstances.

 

Aucune recommandation favorable antérieure

[46]           M. Chogolzadeh est d’avis que le ministre était tenu de prendre en compte la recommandation favorable antérieure, faite dans la présente affaire, par l’agent de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC), qui connaissait bien la famille et avait personnellement tenu des entrevues avec ses membres. Il souligne que, dans sa recommandation détaillée, l’agent a conclu ce qui suit : [traduction] « Je soumets et je recommande que la dispense soit accordée dans la présente affaire ». (Dossier du demandeur, motifs de l’Unité régionale des crimes de guerre de CIC, aux pages 389 à 391.)

 

[47]           M. Chogolzadeh précise que la note d’information ne tient pas compte de cette recommandation antérieure. Cette note d’information n’énonce aucun motif pour s’écarter de la recommandation et expose que M. Chogolzadeh doit obtenir une dispense.

 

[48]           M. Chogolzadeh déclare que le ministre n’a pas le droit d’omettre de prendre en compte l’évaluation faite par un agent qui a l’expertise voulue pour faire une telle recommandation : l’erreur à cet égard est d’autant plus extrême étant donné que l’auteur de la deuxième recommandation, en 2005, n’a eu aucune expérience particulière ni aucun rapport avec M. Chogolzadeh. En outre, selon M. Chogolzadeh, le fait de ne pas prendre en compte la recommandation de l’agent a pour effet de rendre illusoire le processus réglementaire, puisqu’il ne sert à rien de demander une telle évaluation.

 

[49]           Contrairement à la prétention de M. Chogolzadeh, le défendeur explique qu’aucune recommandation favorable antérieure n’a été faite au ministre. Un fonctionnaire local de CIC a simplement recommandé qu’il soit recommandé au ministre d’accorder une dispense ministérielle. Des fonctionnaires à Ottawa, chargés de faire des recommandations au ministre, ne partageaient pas l’opinion à cet égard et se sont prononcés contre une dispense ministérielle; par conséquent, aucune recommandation favorable n’a été faite dans la présente affaire. Le fait qu’un fonctionnaire local du ministère gouvernemental recommande qu’un pouvoir ministériel largement discrétionnaire soit exercé, d’une manière particulière, ne donne lieu à aucune question litigieuse lorsque le pouvoir discrétionnaire quant à la décision n’est pas exercé de cette manière.

 

[50]           Le ministre n’était pas lié par la recommandation et il pouvait rendre une décision en se fondant sur les documents présentés par M. Chogolzadeh, lesquels mentionnaient le fait qu’un employé de CIC avait recommandé qu’une recommandation favorable soit faite. Une décision défavorable n’indique pas que des éléments de preuve n’ont pas été pris en compte.

 

[51]           Comme l’a déclaré la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Thomson, précité : « Le terme « recommandations » doit être interprété suivant son sens ordinaire. « Recommandations » renvoie ordinairement au fait de conseiller et ne saurait équivaloir à une décision obligatoire. » [Non souligné dans l’original.]

 

[52]           En outre, M. le juge Peter deCarteret Cory a souligné que la « recommandation […] est un rapport présenté comme étant digne d’acceptation. Elle sert à garantir l’authenticité des renseignements sur lesquels le sous-ministre fonde sa décision et lui donne l’avantage d’une seconde opinion, rien de plus ». (Thomson, précité.) [Non souligné dans l’original.]

 

[53]           En outre, comme la Cour l’a déclaré dans la décision Khalil, précitée : « [l]es fonctionnaires sont chargés de présenter une recommandation au ministre, mais c’est au ministre seul qu’il appartient de dire si une dérogation sera accordée ». [Non souligné dans l’original.]

 

[54]           La dispense, au paragraphe 34(2), n’est pas illusoire, mais elle est clairement exceptionnelle.

 

[55]           Il est clair qu’on a refusé d’admettre au pays M. Chogolzadeh en raison de sa longue appartenance à une organisation terroriste, de son appui matériel à cette organisation et de sa connaissance des activités de l’organisation. Il a mis fin à son association à cette organisation lorsqu’il a cessé de souscrire à l’orientation du MEK (non à ses tactiques). Il n’y a pas d’entrave au pouvoir discrétionnaire dans les cas où un facteur est en fin de compte considéré comme le plus important parmi de nombreux autres facteurs, et lorsqu’il fait pencher la balance contre un demandeur.

 

[56]           Le MEK était le principal centre d’intérêt de M. Chogolzadeh depuis qu’il était adulte : il a consacré plus de dix ans de sa vie au MEK et, en fin de compte, il a presque perdu la vie du fait de son association à l’organisation lorsque cette dernière s’est retournée contre lui. Le fait que le ministre a considéré que l’appartenance de longue date M. Chogolzadeh au MEK était déterminante quant à sa décision est raisonnable.

 

IX.       La conclusion

[57]           Contribuer à la réalisation des objectifs d’une organisation connue comme une organisation qui s’est livrée à des actes, décrits à l’article 34 de la LIPR, fait partie intégrante du maintien du fonctionnement de l’organisation. (Dossier du demandeur, note d’information, à la page 11.)

 

[58]           La note d’information confirme que le ministre avait constaté les faits et avait pris en compte les considérations pertinentes à cet égard. Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire de décision, le ministre pouvait tout à fait conclure que l’appartenance de M. Chogolzadeh au MEK définissait largement sa vie et ainsi décider que le demandeur ne s’est pas acquitté de son fardeau; par conséquent, le ministre a décidé de ne pas admettre au pays M. Chogolzadeh en tant que résident permanent.

 

[59]           Compte tenu de ce qui précède, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

 

Danièle Laberge, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑1356‑07

 

INTITULÉ :                                       Mozafar Chogolzadeh

                                                            c.

                                                            le Ministre de la sécurité publique et

                                                            et de la protection civile

                                                           

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 20 FÉVRIER 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 3 AVRIL 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Hadayt Nazami

Barbara Jackman

 

POUR LE DEMANDEUR

Lorne McClenaghan

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jackman & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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