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Date: 20080401

Dossier: IMM-1991-07

Référence: 2008 CF 404

Ottawa (Ontario), le 1er avril 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE

 

 

ENTRE :

NARESH BHOONAHESH RAMNANAN

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.  Aperçu

[1]               Les objectifs de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), énoncés à l’article 3, sont doubles : les alinéas a) à g) énoncent les objectifs qui visent à faciliter l’immigration et la réunification des familles, tandis que les alinéas h) et i) visent à protéger la santé et la sécurité des Canadiens.

 

[2]               Lorsqu’il a rédigé la nouvelle loi sur l’immigration, le législateur a décidé que l’on en était arrivé à un tournant et a voulu, pour assurer la sécurité de la société canadienne, restreindre l’accès au Canada aux personnes interdites de territoire pour criminalité ou grande criminalité et à celles qui se sont livrées à des actes de violence ou de terrorisme ou ont porté atteinte aux droits humains ou internationaux. [L’intention du législateur à cet égard s’est concrétisée dans diverses dispositions, par exemple à l’article 64, au paragraphe 68(4), ainsi qu’aux articles 196 et 197 de la LIPR. (Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 539; Martin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 60)]

 

[3]               La nouvelle loi en question exprime une décision politique ainsi qu’il ressort clairement d’un extrait tiré des témoignages entendus par le Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration de la Chambre des communes, le 8 mai 2001, cité par la juge en chef du Canada Beverley McLachlin dans le jugement unanime Medovarski (elle y fait référence aux paragraphes 9 à 12 inclusivement).

 

[4]               Il est admis que le jugement Medovarski a été revu dans l’arrêt unanime Charkaoui c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CSC 9, [2007] 1 R.C.S. 350, aux paragraphes 16 et 17.

 

[5]               Dans le cadre d’un examen des risques avant renvoi (ERAR), par exemple, il y a lieu de prendre en considération :

[16]      … que « [l]e principe le plus fondamental du droit de l’immigration veut que les non‑citoyens n’aient pas un droit absolu d’entrer ou de demeurer au Canada ».  La Cour a ajouté « À elle seule, l’expulsion d’un non‑citoyen ne peut mettre en cause les droits à la liberté et à la sécurité garantis par l’art. 7 » (Medovarski, par. 46 (je souligne)).

 

[17]      Ainsi, Medovarski ne permet pas d’affirmer que la procédure d’expulsion, dans le contexte de l’immigration, échappe à l’examen fondé sur l’art. 7.  Si l’expulsion d’un non‑citoyen dans le contexte de l’immigration n’enclenche peut‑être pas en soi l’application de l’art. 7 de la Charte, certains éléments rattachés à l’expulsion, telles la détention au cours du processus de délivrance et d’examen d’un certificat ou l’éventualité d’un renvoi vers un pays où il existe un risque de torture, pourraient en entraîner l’application.

(Charkaoui, précité)

 

II.  Introduction

[6]               Le demandeur est un citoyen de Trinité‑et‑Tobago. Il conteste la décision par laquelle, le 24 avril 2007, la Section d’appel de l’immigration (la SAI) a statué que le sursis qui lui avait été accordé était révoqué de plein droit et que son appel était classé, conformément au paragraphe 68(4) de la LIPR.

 

[7]               Le 2 novembre 2004, le demandeur s’est vu accorder un sursis à l’exécution de la mesure d’expulsion le visant. Il a par la suite manqué à la quatrième condition dont était assorti le sursis accordé par la SAI — qu’il ne commette aucune infraction criminelle — en étant reconnu coupable de possession de biens d’une valeur de plus de 5 000 $ obtenus par suite de la perpétration d’un crime au Canada, infraction prévue au paragraphe 354(1) du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46. Le demandeur tombait de ce fait sous le coup du paragraphe 68(4) de la LIPR, puisque la déclaration de culpabilité est visée par le paragraphe 36(1) de la LIPR. Conformément au paragraphe 68(4) de la LIPR, le sursis qui lui avait été accordé a été révoqué de plein droit et son appel à la SAI, classé.

 

[8]               Le demandeur fait valoir que la SAI a conclu à tort qu’elle n’était pas compétente pour statuer sur des questions de droit, plus précisément sur la validité constitutionnelle du paragraphe 68(4) de la LIPR, et qu’elle a mal interprété les paramètres du paragraphe 68(4); il cherche à obtenir un jugement déclarant que le paragraphe 68(4) de la LIPR contrevient à la Charte canadienne des droits et libertés, Annexe B, Partie I de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.) 1982, ch. 11 (la Charte), et qu’il est par conséquent inconstitutionnel.

 

[9]               Le paragraphe 68(4) de la LIPR limite expressément la compétence de la SAI en révoquant automatiquement et de plein droit le sursis accordé au demandeur et en classant l’appel si, à la suite de l’octroi d’un sursis, le demandeur est reconnu coupable d’une infraction mentionnée au paragraphe 36(1) de la LIPR. Dans la présente affaire, le demandeur a été déclaré coupable d’une infraction de grande criminalité, ce que personne ne conteste, de sorte qu’il tombe clairement sous le coup du paragraphe 68(4) de la LIPR. Par conséquent, la SAI n’a commis aucune erreur dans la manière dont elle a interprété les paramètres du paragraphe 68(4) de la LIPR et en concluant qu’une fois que les faits attributifs de compétence ont été établis, elle perd compétence, conformément au paragraphe 68(4). La SAI n’est donc pas habilitée à se prononcer sur la contestation constitutionnelle du paragraphe 68(4).

 

III.  Contexte

[10]           Le demandeur, M. Naresh Bhoonahesh Ramnanan, est un citoyen de Trinité‑et‑Tobago. Il est entré au Canada en février 1988.

 

[11]           Il a acquis le statut de résident permanent le 10 décembre 1992.

 

[12]           Le 27 janvier 2000, une mesure d’expulsion a été prise contre M. Bhoonahesh Ramnanan, celui‑ci ayant été jugé interdit de territoire pour criminalité.

 

[13]           M. Bhoonahesh Ramnanan a interjeté appel de la mesure d’expulsion devant la SAI, sans succès. Son appel a été rejeté le 12 décembre 2001.

 

[14]           Le 14 juin 2002, la requête de M. Bhoonahesh Ramnanan en vue de faire rouvrir son appel à la SAI a été rejetée. M. Bhoonahesh Ramnanan a présenté une demande d’autorisation et demande de contrôle judiciaire de la décision de la SAI, laquelle a été accueillie sur consentement le 26 mai 2003.

 

[15]           Le 11 juin 2003, la SAI a accueilli la requête de M. Bhoonahesh Ramnanan en vue de faire rouvrir son appel.

 

[16]           L’appel de M. Bhoonahesh Ramnanan a été réexaminé et, le 2 novembre 2004, la SAI a prononcé le sursis à l’exécution de la mesure de renvoi, qu’elle a assorti de nombreuses conditions; l’appel devait être réexaminé le 17 mai 2007. Parmi les conditions pertinentes, le demandeur devait :

4) ne pas commettre d’infraction criminelle;

5) signaler au ministère, par écrit et sans délai, toute accusation criminelle portée contre lui;

6) signaler au ministère et à la Section d’appel de l’immigration, par écrit et sans délai, toute condamnation au pénal prononcée contre lui.

 

[17]           Le 27 octobre 2005, M. Bhoonahesh Ramnanan a été déclaré coupable de plusieurs infractions, notamment de possession de plus de 5 000 $, de voies de fait, de deux chefs de possession de biens de moins de 5 000 $ obtenus par suite de la perpétration d’un crime et de possession d’une arme dangereuse. Il a été condamné à des peines d’emprisonnement concurrentes de 90 jours et à 12 mois de probation.

 

[18]           Le 19 décembre 2005 et le 6 mars 2006, les défendeurs ont écrit à M. Bhoonahesh Ramnanan pour l’informer que le sursis à la mesure d’expulsion prononcé par la SAI avait été révoqué de plein droit, et que son appel devant la SAI était classé en application du paragraphe 68(4) de la LIPR en raison de sa déclaration de culpabilité ultérieure, datée du 27 octobre 2005, fondée sur le paragraphe 354(1) du Code criminel relativement à la possession de biens ayant une valeur de plus de 5 000 $ obtenus par suite de la perpétration d’un crime au Canada, infraction visée par l’alinéa 36(1)a) de la LIPR. Il avait donc contrevenu à une condition du sursis.

 

[19]           Le 20 décembre 2006, l’audience relative au réexamen oral a été tenue devant la SAI. Celle‑ci a, le 24 avril 2007, révoqué le sursis accordé à M. Bhoonahesh Ramnanan et classé son appel.

 

[20]           Le 15 mai 2007, M. Bhoonahesh Ramnanan a déposé une demande d’autorisation et demande de contrôle judiciaire de la décision de la SAI du 24 avril 2007, à savoir la décision qui fait l’objet de la présente demande. (dossier de demande, décision de la SAI datée du 2 novembre 2004, [2004] D.S.A.I. no 1310, p. 25 à 31; décision de la SAI datée du 24 avril 2007 (motifs), p. 5 à 16)

 

[21]           La Commission a prononcé les motifs suivants à l’appui de la conclusion suivant laquelle le sursis accordé à M. Bhoonahesh Ramnanan devait être révoqué de plein droit, et son appel, classé, en vertu du paragraphe 68(4) de la LIPR :

a)         La SAI a conclu que, compte tenu des circonstances de l’affaire, sa compétence en ce qui concerne la conduite de l’audition du réexamen oral se limitait à déterminer si les faits attributifs de compétence existaient et s’ils avaient été démontrés relativement aux parties exécutoires du paragraphe 68(4) de la LIPR. La SAI a conclu que les faits attributifs de compétence, pertinents aux fins de l’application du paragraphe 68(4), avaient été prouvés, que le sursis accordé au demandeur avait été révoqué de plein droit et que son appel avait été classé. Parmi ces faits, mentionnons les suivants : le demandeur était un résident permanent du Canada; il avait antérieurement été jugé interdit de territoire pour grande criminalité ou criminalité; la SAI avait antérieurement ordonné, le 2 novembre 2004, qu’il soit sursis à la mesure de renvoi datée du 27 janvier 2000 prononcée contre lui; après avoir obtenu qu’il soit sursis à l’exécution de la mesure de renvoi, le demandeur avait commis une autre infraction, visée par le paragraphe 36(1). Étant donné que les faits attributifs de compétence avaient été établis et compte tenu des dispositions du paragraphe 68(4) de la LIPR, le tribunal a conclu qu’il avait perdu sa compétence à l’égard du demandeur et, donc, que le sursis ordonné concernant la mesure de renvoi était révoqué de plein droit et son appel, classé.

b)         La SAI a conclu que, dans les circonstances, le paragraphe 68(4) de la LIPR avait pour effet de la priver de la compétence pour trancher des questions de droit, notamment pour se prononcer sur la validité constitutionnelle du paragraphe 68(4). La SAI a conclu que le Parlement lui a accordé explicitement un pouvoir général de trancher les questions de droit, y compris de compétence, se rapportant à l’exercice de son mandat en vertu de la Loi et, par extension, le pouvoir de se prononcer sur la constitutionnalité d’une disposition prévue dans sa loi habilitante. La SAI a conclu que le texte du paragraphe 68(4) a pour effet de limiter expressément sa compétence à l’égard des particuliers qui sont dans une situation semblable à celle du demandeur.

(dossier du demandeur, motifs, p. 5 à 16)

 

IV.  Questions en litige

[22]           (1)  Le commissaire de la SAI a‑t‑il commis une erreur en concluant que la SAI n’avait pas compétence pour trancher des questions de droit, notamment de se prononcer sur la validité constitutionnelle du paragraphe 68(4) de la LIPR?

(2)  Le commissaire de la SAI a‑t-il mal interprété les paramètres du paragraphe 68(4) de la LIPR?

(3) Le paragraphe 68(4) contrevient‑il à la Charte?

 

V.  Norme de contrôle

[23]           La norme de contrôle qui s’applique à l’égard de la décision de la SAI en ce qui a trait à l’interprétation des dispositions pertinentes de la LIPR est celle de la décision correcte. (Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 417, par. 23; Carbonaro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 102, par. 19 à 21; Bautista c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 30, par. 9; Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 4 F.C.R. 48 (C.A.F.), conf. par [2005] R.C.S. 539, par. 18; Ferri c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1580, par. 14)

 

VI.  Dispositions pertinentes

[24]           En vertu du paragraphe 68(4) de la LIPR, il est mis fin aux appels devant la SAI à l’encontre de mesures d’expulsion prononcées en raison de grande criminalité ou de criminalité, qui subsistent à cause de l’octroi antérieur d’un sursis par la Section d’appel, si l’appelant est déclaré coupable d’une autre infraction prévue par la loi :

68.      (4) Le sursis de la mesure de renvoi pour interdiction de territoire pour grande criminalité ou criminalité est révoqué de plein droit si le résident permanent ou l’étranger est reconnu coupable d’une autre infraction mentionnée au paragraphe 36(1), l’appel étant dès lors classé.

68.      (4) If the Immigration Appeal Division has stayed a removal order against a permanent resident or a foreign national who was found inadmissible on grounds of serious criminality or criminality, and they are convicted of another offence referred to in subsection 36(1), the stay is cancelled by operation of law and the appeal is terminated.

 

[25]           Le paragraphe 36(1) de la LIPR énonce les infractions qui seront visées par le paragraphe 68(4) :

36.      (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

 

a) être déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ou d’une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé;

36.      (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for

 

(a) having been convicted in Canada of an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years, or of an offence under an Act of Parliament for which a term of imprisonment of more than six months has been imposed;

 

[26]           Le paragraphe 162(1) de la LIPR prévoit ce qui suit :

162.      (1) Chacune des sections a compétence exclusive pour connaître des questions de droit et de fait — y compris en matière de compétence — dans le cadre des affaires dont elle est saisie.

162.     (1) Each Division of the Board has, in respect of proceedings brought before it under this Act, sole and exclusive jurisdiction to hear and determine all questions of law and fact, including questions of jurisdiction.

 

[27]           Dans la présente affaire, le tribunal a conclu, et M. Bhoonahesh ne le conteste pas, qu’il a été déclaré coupable le 27 octobre 2005 de possession de biens ayant une valeur de plus de 5 000 $ obtenus par suite de la perpétration d’un crime au Canada, contrairement au paragraphe 354(1) du Code criminel, ce qui constitue une infraction visée par l’alinéa 36(1)a) de la LIPR; en conséquence, M. Bhoonahesh Ramnanan tombe clairement sous le coup du paragraphe 68(4). (dossier du demandeur, motifs, p. 8)

 

[28]           La présente affaire n’est visée par aucune des dispositions transitoires de la LIPR, à savoir les articles 192, 196 ou 197. Le sursis de la mesure d’expulsion à laquelle était assujetti M. Bhoonahesh Ramnanan a été prononcé le 2 novembre 2004, soit après l’entrée en vigueur de la LIPR, le 28 juin 2002. En conséquence, le paragraphe 68(4) de la LIPR s’applique clairement en l’espèce.

 

VII.  Analyse

            (1)  Le pouvoir de la SAI d’examiner des questions de droit et de constitutionnalité

[29]           Comme M. Bhoonahesh Ramnanan est visé par les dispositions de la LIPR, il a demandé à la SAI de se déclarer compétente pour se prononcer sur le caractère inconstitutionnel du paragraphe 68(4).

 

[30]           La SAI a compétence pour examiner les questions constitutionnelles en général et pour accorder des réparations, compte tenu du pouvoir général du tribunal de connaître « des questions de droit et de fait — y compris en matière de compétence ». La SAI reconnaît l’existence de ce pouvoir général; cependant, le paragraphe 68(4) limite expressément sa compétence dans des circonstances semblables à la situation dans laquelle se trouve M. Bhoonahesh Ramnanan dans la présente affaire. (LIPR, par. 162(1); dossier du demandeur, motifs, p. 12 à 15)

 

[31]           L’arrêt de principe sur la compétence des tribunaux administratifs pour examiner la validité constitutionnelle de leur loi habilitante et de ses dispositions est l’arrêt récent de la Cour suprême du Canada Nouvelle‑Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin, [2003] 2 R.C.S. 504. La Cour a récemment, dans la décision Ferri, précitée, appliqué cet arrêt lors d’un contrôle d’une décision de la SAI. Le contexte était semblable à celui de la présente affaire. Aux paragraphes 16 à 23, la juge Anne Mactavish a signalé que, dans Martin, la Cour suprême du Canada a reconsidéré et reformulé les règles concernant la compétence des tribunaux administratifs en matière d’application de la Charte. Dans Nouvelle‑Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin, la Cour suprême a énoncé une série de facteurs qui doivent être pris en considération lorsque l’on décide si un tribunal a compétence pour se prononcer sur la validité constitutionnelle de sa loi habilitante. Cette affaire démontre que les tribunaux se sont éloignés de l’approche qui avait été adoptée dans des décisions antérieures, qui mettaient l’accent sur des facteurs politiques; par conséquent, leur applicabilité est limitée.

 

[32]           Dans Nouvelle‑Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin, au paragraphe 40, la Cour suprême du Canada a statué que l’attribution du pouvoir de trancher des questions de droit découlant de l’application d’une disposition législative est présumée conférer également le pouvoir de se prononcer sur la validité de cette disposition. (On renvoie également à Ferri, précité, par. 24 et 25.)

 

[33]           Donc, la question fondamentale qui se pose pour déterminer si un tribunal est habilité à se prononcer sur la constitutionnalité d’une disposition prévue dans sa loi habilitante est de savoir si le tribunal a le pouvoir de trancher des questions de droit sous le régime de la disposition même qui est contestée. Lorsqu’un tribunal a le pouvoir de se pencher sur des questions de droit découlant de l’application de la disposition contestée, il a également compétence pour entendre une contestation de cette disposition fondée sur la Charte :

[39]      … la question qu’il faut se poser dans chaque cas n’est pas de savoir si l’attribution expresse de compétence est formulée dans des termes assez généraux pour englober la Charte elle‑même, mais plutôt de savoir si l’attribution expresse de compétence confère au tribunal administratif le pouvoir de trancher les questions de droit découlant de l’application de la disposition contestée, auquel cas le tribunal sera présumé avoir compétence pour se prononcer sur la constitutionnalité de cette disposition.

 

(Nouvelle‑Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin, précité; Ferri, précité, par. 24 à 26 et 36)

 

[34]           Par conséquent, la SAI est habilitée à trancher des questions de droit de manière générale, notamment des contestations fondées sur la Charte dans certaines circonstances. La question de savoir si la SAI est compétente pour examiner une contestation fondée sur la Charte visant n’importe quelle disposition dépend de la nature de la disposition contestée. (Ferri, précitée, par. 36)

 

[35]           La SAI n’a pas compétence pour se prononcer sur la constitutionnalité du paragraphe 68(4) de la LIPR. Dans la présente affaire, la disposition qui est contestée n’habilite pas la SAI à examiner des questions de droit : cela ressort clairement du libellé explicite du paragraphe 68(4). Tout pouvoir décisionnel en vertu du paragraphe 68(4) est strictement factuel. La SAI n’a le pouvoir que de décider si la disposition s’applique à l’égard de l’appelant en déterminant si certains faits ont été établis, notamment si une personne est un résident permanent ou un ressortissant étranger, si cette personne a antérieurement été déclarée interdite de territoire pour grande criminalité ou criminalité; si la SAI a antérieurement sursis à l’exécution d’une mesure d’expulsion à l’encontre de la personne, et si cette personne a été déclarée coupable d’une autre infraction visée par le paragraphe 36(1). S’il est décidé que la disposition s’applique, sur le fondement des faits établis, la SAI perd automatiquement sa compétence. (LIPR, paragraphe 68(4); Nouvelle‑Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin, précité, par. 39; Ferri, précité, par. 36 à 43; Bautista, précité, par. 15 et 16)

 

[36]           La SAI a appliqué ce raisonnement à l’appel interjeté par M. Bhoonahesh Ramnanan, ce qui ne constituait pas une erreur de sa part.

 

[37]           Contrairement à ce que M. Bhoonahesh Ramnanan fait valoir dans ses observations, la SAI a bel et bien énoncé les motifs pour lesquels elle en est arrivée à la conclusion que la présomption de compétence relativement à la Charte avait été réfutée. Elle a conclu que, bien qu’elle puisse avoir un pouvoir général de trancher des questions de droit et de compétence de même que la compétence présumée relativement à la Charte de s’acquitter de son mandat en vertu de la LIPR, le libellé du paragraphe 68(4) a pour effet de limiter expressément sa compétence à l’égard des personnes qui se trouvent dans la même situation que M. Bhoonahesh Ramnanan à une décision sur les seuls faits qui déclencheraient l’application du paragraphe 68(4). L’effet du libellé explicite de cette disposition ne peut être annulé par d’autres considérations. (dossier du demandeur, motifs, p. 14 et 15; Ferri, précité, par. 35 et 36)

 

[38]           Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Hyde, 2006 CAF 379, la Cour d’appel fédérale a examiné la manière dont l’article 64 et le paragraphe 68(4) s’appliqueraient dans les affaires postérieures à l’adoption de la LIPR pour faciliter l’interprétation de l’article 197 de la LIPR. Cette analyse est conforme à la décision Ferri, précitée. La Cour a dit ceci :

[26]      Par contraste, une personne frappée d’une mesure d’expulsion parce qu’elle a été reconnue coupable d’une infraction pour laquelle une peine d’emprisonnement de moins deux ans a été imposée peut quand même interjeter appel devant la SAI après l’entrée en vigueur de la LIPR. Si la SAI sursoit à l’exécution de la mesure de renvoi, l’appel n’est automatiquement classé que si l’appelant est reconnu coupable d’une infraction punissable d’un emprisonnement maximal de dix ans, ou s’il est condamné à une peine d’emprisonnement de plus de six mois. Par conséquent, lorsqu’une mesure d’expulsion est fondée sur une peine d’emprisonnement de moins de deux ans, et si l’appelant convainc la SAI que « vu les autres circonstances de l’affaire », il faudrait surseoir à l’exécution de la mesure de renvoi, l’appel ne peut être classé, aux termes du paragraphe 68(4), qu’en cas de reconnaissance de culpabilité subséquente à l’égard d’une ou plusieurs des infractions graves décrites au paragraphe 36(1).

 

 

[28]      L’article 64 traite des personnes ayant fait l’objet d’une mesure d’expulsion pour avoir été condamnées à une peine d’emprisonnement de plus de deux ans, et qui, de ce fait, n’ont aucun droit d’appel. Le paragraphe 68(4) traite nécessairement des personnes ayant fait l’objet d’une mesure d’expulsion à cause d’une peine moins sévère, et ces personnes disposent donc d’un droit d’appel, qu’elles peuvent perdre si, après avoir obtenu un sursis, elles commettent une infraction visée au paragraphe 36(1).

 

[29]      Par définition, il s’agit de deux groupes de personnes différents, puisqu’une personne qui a commis une infraction visée à l’article 64, et qui interjette appel auprès de la SAI après l’entrée en vigueur de la LIPR, n’a aucun droit d’appel et ne peut donc jamais obtenir un sursis à son renvoi sous réserve d’un certain nombre de conditions. Dans un appel interjeté après l’entrée en vigueur de la LIPR, le paragraphe 68(4) ne peut donc s’appliquer qu’aux personnes qui n’ont pas commis une infraction visée à l’article 64. Cela étant, il serait anormal que l’article 197 traite de la même façon ceux qui, après l’entrée en vigueur de la LIPR, n’avaient absolument aucun droit d’appel en vertu de l’article 64, et ceux qui bénéficiaient d’un droit d’appel.

 

(La Cour renvoie également à la décision Bautista, précitée.)

 

 

[39]           Contrairement à ce que soutient M. Bhoonahesh Ramnanan, l’arrêt Medovarski, précité, est pertinent puisque les commentaires de la Cour suprême du Canada sur les objectifs de la LIPR s’appliquent à l’égard de la présente affaire étant donné qu’ils sont de nature générale. En outre, il ressort clairement d’un examen de l’arrêt Medovarski que la Cour suprême du Canada a eu la possibilité de passer en revue les comptes rendus des audiences qui ont précédé l’adoption de la LIPR.

 

[40]           Dans les décisions Bautista, précitée, et Carbonaro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 102, la Cour adopte l’analyse de la Cour suprême du Canada sur les objectifs de la LIPR à l’égard de la série de dispositions qui portent sur la criminalité et la grande criminalité, ces dispositions étant liées entre elles. (Bautista, précité, par. 10 à 13; Medovarski, précité, par. 9 à 13; Carbonaro, précité, par. 29 à 39)

 

[41]           La SAI n’a commis aucune erreur lorsqu’elle a conclu que le libellé explicite du paragraphe 68(4) limitait clairement sa compétence pour examiner une contestation du paragraphe 68(4) fondée sur la Charte puisque les faits qui déclenchent l’application du paragraphe 68(4) de la LIPR avaient été établis dans cette affaire; la SAI avait par conséquent perdu sa compétence.

 

(2)  La SAI n’a pas mal interprété les paramètres du paragraphe 68(4) de la LIPR

[42]           Dans l’arrêt Medovarski, la Cour suprême du Canada a examiné les remarques qui avaient été formulées lors des audiences du comité qui ont précédé l’adoption de la LIPR. Elle a donc examiné le but, l’objet, le texte et le contexte des dispositions pertinentes. (Medovarski, précité, par. 9 à 13)

 

[43]           Ainsi qu’il a été mentionné précédemment, la Cour d’appel fédérale a, dans l’arrêt Hyde, précité, examiné l’application de l’article 64 et du paragraphe 68(4) de la LIPR aux affaires qui ont suivi l’adoption de la LIPR et a élargi son analyse pour faciliter son interprétation des dispositions transitoires puisque ces dispositions sont liées entre elles. En outre, la Cour a suivi une telle approche dans la décision Bautista, précitée, où la Cour s’est exprimée dans les termes suivants :

[14]      Il est utile d’examiner la façon selon laquelle, suivant la LIPR, sont traités les résidents permanents qui ont fait l’objet de déclarations de culpabilité. Suivant le régime actuel de la LIPR, un étranger qui est interdit de territoire en raison d’une infraction punissable d’une peine d’emprisonnement maximal d’au moins dix ans et pour laquelle une peine d’emprisonnement de deux ans et plus a été infligée n’a pas le droit d’interjeter appel à la SAI (paragraphe 36(1) et article 64). Par conséquent, cet étranger n’aurait pas le droit d’obtenir de la SAI un sursis prévu par la loi comme l’énonce l’article 68 de la LIPR. Il faut mentionner que, même si la définition de grande criminalité inclut une peine de six mois ou plus (le paragraphe 36(1)), dans le cas de grande criminalité, le droit d’appel n’est retiré que si la peine infligée est de plus de deux ans (paragraphe 64(2)).

[15]      Un autre aspect du régime de la LIPR est prévu à l’article 68, qui traite de la compétence de la SAI d’ordonner des sursis à des mesures de renvoi. Le paragraphe 68(4) a pour effet de révoquer le sursis et de classer l’appel d’un étranger : (a) qui a fait l’objet d’une interdiction de territoire pour grande criminalité ou criminalité; (b) qui fait l’objet d’un sursis quant à sa mesure de renvoi; (c) qui est déclaré coupable d’une autre infraction mentionnée au paragraphe 36(1).

[16]      Par conséquent, suivant les dispositions de la LIPR, un étranger qui satisfait aux critères de l’article 64 ou du paragraphe 68(4) n’aura pas le droit d’invoquer devant la SAI des circonstances exceptionnelles. C’est ce qui se passe indépendamment de la situation personnelle de l’individu et indépendamment du moment où ont eu lieu les déclarations de culpabilité

 

 

[44]           De plus, les commentaires présentés lors des audiences du comité qui ont précédé l’adoption de la LIPR, cités par M. Bhoonahesh Ramnanan, se rapportent principalement à l’article 64 de la LIPR. Les personnes visées par l’article 64 de la LIPR n’ont clairement aucun droit d’appel, de sorte que ces commentaires ne s’appliquent pas dans la présente affaire. En outre, ces personnes ne tomberaient jamais sous le coup du paragraphe 68(4). Par ailleurs, les personnes visées par le paragraphe 68(4) de la LIPR, bien qu’elles aient été antérieurement déclarées interdites de territoire pour criminalité ou grande criminalité, ont un droit d’appel devant la SAI. Elles peuvent également demander le sursis à l’exécution de la mesure de renvoi et bénéficier d’un tel sursis; toutefois, si après l’octroi du sursis, elles sont déclarées coupables d’une infraction visée par le paragraphe 36(1) de la LIPR, le sursis dont elles bénéficient est automatiquement révoqué de plein droit et leur appel est classé. Cette interprétation est conforme aux objectifs de la LIPR.

 

[45]           Le principe suivant régit l’interprétation législative :

[traduction] Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

 

(Professeur Ruth Sullivan, Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, Toronto, Butterworths, 4e éd. 2002, p. 1)

 

[46]           Les objectifs de la LIPR, énumérés à l’article 3, sont doubles : les alinéas a) à g) énoncent les objectifs qui visent à faciliter l’immigration et la réunification des familles, tandis que les alinéas h) et i) s’intéressent à la protection de la santé et de la sécurité des Canadiens.

3.      (1) En matière d’immigration, la présente loi a pour objet :

 

[…]

 

h) de protéger la santé des Canadiens et de garantir leur sécurité;

 

 

i) de promouvoir, à l’échelle internationale, la justice et la sécurité par le respect des droits de la personne et l’interdiction de territoire aux personnes qui sont des criminels ou constituent un danger pour la sécurité;

 

3.      (1) The objectives of this Act with respect to immigration are

 

 

(h) to protect the health and safety of Canadians and to maintain the security of Canadian society;

 

(i) to promote international justice and security by fostering respect for human rights and by denying access to Canadian territory to persons who are criminals or security risks; and

 

[47]           Lorsqu’il a rédigé la nouvelle loi sur l’immigration, le législateur a décidé que l’on en était arrivé à un tournant et a voulu, pour assurer la sécurité de la société canadienne, restreindre l’accès au Canada aux personnes interdites de territoire pour criminalité ou grande criminalité et à celles qui se sont livrées à des actes de violence ou de terrorisme ou ont porté atteinte aux droits humains ou internationaux. L’intention du législateur à cet égard s’est concrétisée dans diverses dispositions, par exemple à l’article 64, au paragraphe 68(4), ainsi qu’aux articles 196 et 197 de la LIPR (Medovarski, précité; Martin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), précité).

 

[48]           La nouvelle loi en question exprime une décision politique, ainsi qu’il ressort clairement d’un extrait tiré des témoignages entendus par le Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration de la Chambre des communes, le 8 mai 2001, cité par la juge en chef McLachlin dans le jugement unanime Medovarski (elle y fait référence aux paragraphes 9 à 12 inclusivement).

 

[49]           Il est admis que le jugement Medovarski a été revu dans l’arrêt unanime Charkaoui, précité, aux paragraphes 16 et 17.

 

[50]           Dans le cadre d’un ERAR, par exemple, il y a lieu de prendre en considération :

[16]      … que « [l]e principe le plus fondamental du droit de l’immigration veut que les non‑citoyens n’aient pas un droit absolu d’entrer ou de demeurer au Canada ».  La Cour a ajouté « À elle seule, l’expulsion d’un non‑citoyen ne peut mettre en cause les droits à la liberté et à la sécurité garantis par l’art. 7 » (Medovarski, par. 46 (je souligne)).

 

[17]      Ainsi, Medovarski ne permet pas d’affirmer que la procédure d’expulsion, dans le contexte de l’immigration, échappe à l’examen fondé sur l’art. 7.  Si l’expulsion d’un non‑citoyen dans le contexte de l’immigration n’enclenche peut‑être pas en soi l’application de l’art. 7 de la Charte, certains éléments rattachés à l’expulsion, telles la détention au cours du processus de délivrance et d’examen d’un certificat ou l’éventualité d’un renvoi vers un pays où il existe un risque de torture, pourraient en entraîner l’application.

(Charkaoui, précité)

 

[51]           Le législateur a exprimé clairement son intention d’être strict à l’égard des personnes qui sont déclarées interdites de territoire pour grande criminalité, décrite à l’article 36 de la LIPR. Si l’appelant s’est vu accorder un sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi par la SAI, sous le régime de la Loi sur l’immigration et de la LIPR, l’article 197 et le paragraphe 68(4) prescrivent que le sursis est révoqué et l’appel, classé, de plein droit, c’est‑à‑dire automatiquement, si l’appelant contrevient à une condition dont le sursis est assorti et qu’il est déclaré coupable d’une autre infraction décrite au paragraphe 36(1) de la LIPR.

 

[52]           L’intention du législateur de révoquer automatiquement un sursis et de classer un appel dont la SAI est saisie lorsque l’appelant a été déclaré coupable d’une infraction criminelle grave ressort clairement de l’examen d’une analyse article par article de l’article 68 du projet de loi C‑11 effectuée par Citoyenneté et Immigration Canada :

Article 68

Effet de la disposition :

 

·        Autorise la Section d’appel de l’immigration à surseoir à une mesure de renvoi sur preuve qu’il y a, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché, des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

 

·        Exige que, lorsque la Section d’appel de l’immigration sursoit à une mesure de renvoi, elle impose les conditions prévues par règlement, et lui permet d’imposer celles qu’elle estime indiquées.

 

·        Prévoit que, si la Commission d’appel de l’immigration accorde un sursis d’une mesure de renvoi, les conditions imposées par la Section de l’immigration sont annulées.

 

·        Autorise la Section d’appel de l’immigration à modifier les conditions non réglementaires ou à annuler un sursis.

 

·        Permet à la Section d’appel de l’immigration de reconsidérer un appel lorsqu’il y a eu sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi.

 

·        Prévoit que le sursis à l’exécution de la mesure de renvoi pour criminalité est annulé de plein droit, l’appel étant alors classé, si la personne est par la suite reconnue coupable d’une infraction grave.

 

Explication

 

La référence aux conditions prévues par règlement que doit imposer la Section d’appel de l’immigration lorsqu’elle accorde un sursis d’une mesure de renvoi est nouvelle et vise à garantir que des conditions générales minimum sont imposées dans ces cas, par exemple informer CIC et la SAI par écrit et à l’avance de tout changement d’adresse, se présenter à CIC conformément aux directives, garder en vigueur un passeport existant et soumettre à CIC une copie de ses titres de voyage ou remplir une demande de titre de voyage. Ces conditions générales visent à assurer l’uniformité d’application et à permettre la prise de mesures d’exécution si le sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi est annulé.

 

La Loi actuelle ne mentionne pas si les conditions imposées par la Section de l’immigration, par exemple, lors de la remise en liberté, sont révoquées lorsque la Section d’appel de l’immigration accorde un sursis d’une mesure de renvoi et impose ses propres conditions. Le projet de loi C-11 énonce clairement que les conditions imposées par la Section d’appel de l’immigration remplacent les conditions précédemment imposées par la Section de l’immigration. En accordant le sursis, la Section d’appel de l’immigration assume toute la responsabilité de la surveillance de l’étranger qui n’a plus alors à se présenter devant plusieurs instances.

 

L’annulation d’office par la Loi du sursis d’une mesure de renvoi si une personne est reconnue coupable d’une infraction grave est une nouvelle disposition. Cette disposition accélérera le renvoi de criminels dangereux qui continuent à commettre des crimes après avoir eu une deuxième chance.

 

(Citoyenneté et Immigration Canada, Projet de loi C‑11 : Analyse article par article (Ottawa: Citoyenneté et Immigration Canada, 2001), p. 134 (Projet de loi C-11 : Article par article))

 

 

[53]           Il est clair que l’objet du paragraphe 68(4) de la LIPR est de permettre le renvoi rapide des personnes qui continuent de commettre des infractions criminelles malgré la deuxième chance qui leur a été donnée. On doit interpréter cette disposition dans ce contexte, en gardant à l’esprit les principes énoncés précédemment ainsi que les objectifs et le régime de la LIPR dans son ensemble.

 

[54]           La SAI n’a pas mal interprété les paramètres du paragraphe 68(4) de la LIPR. Après avoir  décidé que les faits attributifs de compétence existaient et qu’ils avaient été établis, la SAI a perdu sa compétence et le sursis accordé à M. Bhoonahesh Ramnanan a été révoqué de plein droit, c’est‑à‑dire automatiquement, et son appel a été classé; en conséquence, étant donné que la SAI n’était plus compétente à l’égard de M. Bhoonahesh Ramnanan, elle n’avait plus compétence non plus pour se prononcer sur la constitutionnalité du paragraphe 68(4) de la LIPR.

 

(3)  Le paragraphe 68(4) ne contrevient pas à la Charte et, en conséquence, il n’y a pas lieu de déclarer qu’il y a eu violation

 

[55]           M. Bhoonahesh Ramnanan peut solliciter, par voie de demande de contrôle judiciaire, une déclaration selon laquelle une disposition législative contrevient à la Charte; toutefois, cette mesure n’est pas justifiée dans la présente affaire. M. Bhoonahesh Ramnanan n’a pas demandé à la Cour de déclarer que le paragraphe 68(4) est inconstitutionnel dans sa demande d’autorisation et demande de contrôle judiciaire; il n’a demandé cette mesure de réparation que dans son mémoire. (Gwal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 3 C.F. 404 (C.A.F.); Moktari c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 2 C.F. 341 (C.A.F.))

 

[56]           Le droit de l’immigration repose sur le principe fondamental suivant lequel les non‑citoyens n’ont pas un droit absolu d’entrer et de demeurer au Canada; par conséquent, l’expulsion d’un non‑citoyen comme M. Bhoonahesh Ramnanan ne peut en soi mettre en jeu les droits à la liberté et à la sécurité qui lui sont garantis par l’article 7 de la Charte. (Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 85 (C.A.F.), par. 59 à 62, conf. dans R.C.S., précité, par. 46; Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Chiarelli, [1992] 1 R.C.S. 711)

 

[57]           Les facteurs d’ordre humanitaire invoqués par M. Bhoonahesh Ramnanan, dont l’intérêt supérieur de ses enfants, peuvent être examinés dans le cadre d’une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire, en vertu de l’article 25 de la LIPR. (Medovarski, précité, conf. dans R.C.S., précité, par. 47)

 

[58]           Il est loisible à M. Bhoonahesh Ramnanan de présenter une autre demande d’ERAR, laquelle pourrait donner lieu à l’examen de tous les risques, le cas échéant, qu’il courrait s’il était expulsé. M. Bhoonahesh Ramnanan risque d’être renvoyé à Trinidad et Tobago. Son exclusion du Canada ne met pas en péril sa vie, sa liberté ou la sécurité de sa personne. (Rudolph c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1992] C.F. 653 (C.A.))

 

[59]           M. Bhoonahesh Ramnanan a pu profiter d’un droit d’appel à la SAI, et il a été sursis à son renvoi pour des raisons d’ordre humanitaire; toutefois, il a contrevenu à une condition de son sursis en ayant été déclaré coupable d’une infraction criminelle, et le sursis a été révoqué de plein droit et son appel, classé. (Rudolph, précité; dossier du demandeur, décision de la SAI, p. 25 à 31)

 

[60]           De plus, M. Bhoonahesh Ramnanan n’a pas démontré qu’il existe deux manières également plausibles d’interpréter le paragraphe 68(4) de la LIPR en raison d’une ambiguïté dans l’interprétation de cette disposition. Au contraire, il ressort clairement du libellé exprès du paragraphe 68(4) que le législateur avait l’intention de limiter la compétence de la SAI en révoquant de plein droit le sursis au renvoi d’une personne et en classant son appel si cette dernière était déclarée coupable d’une infraction mentionnée au paragraphe 36(1) de la LIPR. (Medovarski, précité, par. 48)

 

[61]           Dans l’arrêt Medovarski, précité, la Cour suprême du Canada a conclu que l’extinction d’un droit d’appel d’une personne déclarée interdite de territoire fondée sur l’article 64 de la LIPR ne contrevient pas à l’article 7 de la Charte. Dans la présente affaire M. Bhoonahesh Ramnanan a bénéficié d’un droit d’appel, qui a permis qu’un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi soit prononcé. Il est tombé sous le coup du paragraphe 68(4) de la LIPR à cause de ses propres actions, de sorte qu’il a été interdit de territoire pour criminalité.

 

VIII.  Conclusion

[62]           Pour tous les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.                  que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée;

2.                  qu’aucune question grave de portée générale ne soit certifiée.

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1991-07

 

INTITULÉ :                                       Naresh Bhoonahesh Ramnanan

                                                            c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

                                                            et

                                                            LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               21 février 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      1er avril 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

M. Timothy Wichert

 

PÔUR LE DEMANDEUR

M. Jamie Todd

Mme Margherita Braccio

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

JACKMAN ET ASSOCIÉS

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LES DÉFENDEURS

 

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