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Date : 20080328

Dossier : IMM-1248-08

Référence : 2008 CF 398

Ottawa (Ontario), le 28 mars 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE

 

ENTRE :

KO KO WIN

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

I. Introduction

[1]               L’agent d’examen des risques avant renvoi (ERAR) a reconnu que la junte du Myanmar opprime violemment ceux qu’elle considère comme ses adversaires. Ce fait ressort également clairement de la documentation sur le pays d’origine. Le demandeur a manifesté très ouvertement à l’extérieur du consulat d’un pays allié du Myanmar en brandissant une affiche et en militant au sein d’un groupe qui condamne activement les crimes commis par le régime du Myanmar. Les photographies déposées par le demandeur confirment cette manifestation publique. Étant donné la nature publique de cette action, laquelle n’est pas contestée, il était déraisonnable de la part de l’agent d’ERAR de décider qu’elle ne serait pas portée à la connaissance de la junte du Myanmar. De plus, l’agent d’ERAR a commis une erreur en appliquant une norme de certitude à cette question. Voici comment il s’est exprimé : [traduction] « Cependant, ces photos n’ont pas été considérées en soi comme une preuve suffisante pour établir qu’il avait attiré l’attention des autorités du Myanmar et qu’il serait victime de persécution ou de mauvais traitements... » (non souligné dans l’original) (décision d’ERAR, pages 4 et 5).

 

[2]               La norme à appliquer pour évaluer la preuve relative à une demande d’asile présentée sur place est la vraisemblance ou la prépondérance des probabilités. L’agent d’ERAR aurait dû se demander si, eu égard à la nature publique des manifestations auxquelles il a participé à l’encontre du gouvernement du Myanmar, le demandeur avait de fortes chances d’attirer l’attention du gouvernement de ce pays. L’agent d’ERAR n’a pas appliqué cette norme et a donc commis une erreur de droit.

 

II. Les faits à l’origine du litige

[3]               Le demandeur, M. Ko Ko Win, est né le 16 février 1966 à Rangoon, en Birmanie (aujourd’hui le Myanmar); il est citoyen du Myanmar et n’a la citoyenneté d’aucun autre pays.

 

[4]               Le demandeur a quitté le Myanmar le 5 août 2002 afin de rendre visite à sa mère, qui se trouvait au Canada et qui était malade. Le demandeur a une épouse, Mme Aye Aye Myat, et quatre enfants au Myanmar. Trois de ses enfants sont adoptés et l’autre est son enfant biologique. Dénommés Thura Phyo Aung, Chit Phyo Lin, Chan Phyo Lin et Shun Le Snow, ils sont âgés respectivement de 20, 18, 18 et 5 ans et résident à Rangoon. Le demandeur communique régulièrement avec eux par téléphone, environ trois fois par semaine. Il leur envoie également de l’argent en passant par un agent de Toronto, qui prend les dispositions nécessaires pour le leur faire parvenir au Myanmar.

 

[5]               Dans une décision en date du 8 octobre 2004, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (Commission) a rejeté la demande du demandeur au motif que celui-ci n’était pas crédible :

Les nombreuses préoccupations que j’avais concernant la crédibilité n’ont pas été résolues en faveur du demandeur d’asile. Les failles dans sa preuve suffisaient amplement à réfuter la présomption de véracité de sa part.

 

(Décision de la Commission, page 5.)

 

[6]               La Commission a reconnu que le demandeur formulait une demande d’asile sur place, qui était fondée sur la présence à sa résidence, à Rangoon, de représentants des services de renseignement militaire alors qu’il se trouvait déjà au Canada. Le demandeur soutient que, en raison de son association avec un opposant de la junte militaire du Myanmar, il a subséquemment fait l’objet d’enquêtes par la police.

 

[7]               Après les attaques de l’armée contre les moines et d’autres dissidents du gouvernement du Myanmar en 2007, le demandeur a participé à Toronto à des manifestations visant à condamner les agissements du gouvernement de ce pays. Il a également participé à deux rassemblements à Toronto, à l’extérieur du consulat de la Chine. Le Myanmar n’a pas de consulat à Toronto. La Chine est un grand partisan du régime du Myanmar. Les manifestations étaient jugées importantes et étaient couvertes par des médias comme City TV. Le demandeur a vu plus tard des séquences télévisées des manifestations et s’est reconnu dans ces séquences. Ces photographies et ces séquences exposent le demandeur à un risque et c’est pourquoi celui-ci a finalement décidé de soumettre les photos à l’agent d’ERAR (dossier de la requête, pages 6 et 113 à 116).

 

[8]               Les photos montrent le demandeur tenant une affiche sur laquelle il est permis de lire : [traduction] « Le peuple uni ne sera jamais défait » (dossier de la requête, ci-dessus).

 

[9]               L’organisation des étudiants du Myanmar au Canada se compose d’anciens étudiants de niveau collégial et universitaire du Myanmar qui ont fui ce pays après les émeutes de 1988 et ont vécu le long de la frontière Myanmar-Thaïlande pendant de nombreuses années. Ils participent à des activités visant à sensibiliser la population du Canada aux crimes commis par la junte du Myanmar. C’est au sein de cette organisation que le demandeur a participé aux manifestations de septembre 2007. Le demandeur continue à militer activement au sein de ce groupe. Une manifestation a été fixée au 27 mars 2008 à l’hôtel de ville de Toronto, soit six mois après les meurtres des moines au Myanmar. Le demandeur participe à la préparation de cette manifestation en distribuant des documents au sujet des manifestations de dissidence prévues. Des politiciens du Canada participent également à l’événement et seront présents ce jour-là (dossier de la requête, pages 6 et 7).

 

[10]           Le renvoi du demandeur du Canada au Myanmar a maintenant été fixé au samedi 29 mars 2008.

 

[11]           Le demandeur craint de retourner au Myanmar. Le régime militaire a infligé des traitements brutaux à toute personne qu’il considère comme un adversaire. Il est fort probable que le régime sera mis au courant de la participation du demandeur aux manifestations de Toronto. La collectivité du Myanmar en place au Canada croit qu’elle compte parmi ses membres des informateurs du gouvernement du Myanmar. De plus, les journaux et les bulletins de nouvelles télévisés sont surveillés. Le demandeur croit que, dès son retour forcé au Myanmar, il sera interrogé et torturé afin de fournir des renseignements au sujet des dissidents qui se trouvent au Canada.

 

La décision de l’agent d’ERAR

 

[12]           L’agent d’ERAR a tiré les conclusions suivantes :

[traduction] L’ERAR est un mécanisme visant principalement à permettre au demandeur de présenter des éléments de preuve concernant l’évolution des risques auxquels il est exposé en raison d’un changement touchant sa situation personnelle ou la situation dans son pays d’origine depuis que la CISR a rejeté sa demande d’asile, ou encore des éléments de preuve qui n’étaient pas alors normalement accessibles ou au sujet desquels il n’était pas raisonnable dans les circonstances de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet, plutôt que d’interjeter appel de la décision de la CISR ou de demander une réévaluation de sa demande d’asile.

 

[13]           Le demandeur n’a pas présenté suffisamment d’éléments de preuve nouveaux qui, selon la définition qui précède, inciteraient l’agent d’ERAR à en arriver à une conclusion différente de celle de la Commission :

[traduction] Le fondement de la demande d’ERAR du demandeur a toutefois été jugé identique à celui de sa demande d’asile de sorte qu’il a déjà fait l’objet d’un examen par le tribunal de la CISR.

 

[…]

 

Le demandeur a présenté dans sa demande d’ERAR une version anglaise d’un bref d’assignation dont l’original était joint à sa demande CH. Bien que le bref d’assignation ait été délivré le 12 mai 2005, le document n’a pas été considéré comme un élément de preuve nouveau au sens de la définition qui précède, pour les raisons qui suivent.

 

 

[14]           L’agent d’ERAR a décidé que ce bref d’assignation était lié au même incident que la Commission avait déjà examiné et au sujet duquel elle avait conclu que la preuve du demandeur n’était généralement pas crédible, plus précisément parce qu’il avait fabriqué la preuve selon laquelle les services de renseignement militaire voulaient l’arrêter afin de soutenir sa demande d’asile. Compte tenu de cette conclusion, l’agent d’ERAR a alors décidé que le bref d’assignation délivré en mai 2005 ne constituait pas [traduction] « un élément de preuve nouveau et ne serait pas réévalué » (non souligné dans l’original).

 

[15]           L’agent d’ERAR a ensuite examiné les photos déposées qui montrent le demandeur alors que celui-ci participe à une manifestation contre le régime du Myanmar à l’extérieur du consulat de la Chine à Toronto. L’agent a conclu que les photos ne constituaient pas en soi une preuve suffisante du fait que le demandeur avait attiré l’attention des autorités du Myanmar et serait victime de persécution ou de mauvais traitements.

 

III. La question en litige

[16]           Le demandeur a-t-il établi le critère tripartite énoncé dans Toth c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1988), 86 N.R. 302 (C.A.F.), selon lequel il doit avoir démontré

a)      qu’il existe une question sérieuse à juger;

b)      qu’il subirait un préjudice irréparable en cas de renvoi;

c)      que la prépondérance des inconvénients milite en sa faveur?

 

IV.  Analyse

            Question sérieuse à juger

[17]           Dans Jaouadi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 587, [2006] A.C.F. n° 753 (QL), le juge Sean Harrington s’est exprimé comme suit au sujet de l’établissement d’une question sérieuse à juger dans le cadre d’une demande d’injonction :

[10]      Les juges Sopinka et Cory, s'exprimant au nom de la cour, ont déclaré à la page 348 de l'arrêt RJR-MacDonald :

 

À la première étape, le requérant d'un redressement interlocutoire [...] doit établir l'existence d'une question sérieuse à juger. Le juge de la requête doit déterminer s'il est satisfait au critère, en se fondant sur le bon sens et un examen extrêmement restreint du fond de l'affaire.

 

[11]      Comme critère, la demande non futile et non vexatoire est moins exigeante que celui auquel il faut satisfaire pour obtenir l'autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire, qui nécessite que le demandeur ait une cause défendable (Bains c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1990), 109 NR 239), et beaucoup moins exigeant que le fardeau lors d'un contrôle judiciaire entendu sur le fond, qui repose sur la prépondérance des probabilités.

 

 

Question 1 :    L’agent d’ERAR a-t-il appliqué le critère erroné relativement à la détermination de l’existence d’éléments de preuve nouveaux en application de l’article 113 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR)?

 

 

[18]           Les éléments de preuve que les agents d’ERAR doivent examiner sont décrits comme suit à l’alinéa 113a) de la LIPR :

Examen de la demande

 

113.      Il est disposé de la demande comme il suit :

 

 

a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet;

 

Consideration of application

 

113.       Consideration of an application for protection shall be as follows:

 

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection;

 

[19]           La Cour fédérale a récemment examiné la question des éléments de preuve nouveaux dans le contexte de l’alinéa 113a) dans Elezi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 240, [2007] A.C.F. n° 357 (QL). Dans cette affaire, l’agent d’ERAR a conclu qu’il n’examinerait pas vingt des trente documents parce qu’ils ne constituaient pas des éléments de preuve nouveaux au sens de l’alinéa 113a) de la LIPR. Au cours de la révision de cette décision, la Cour a décidé que la norme à appliquer pour savoir si l’agent avait mal interprété la disposition elle-même était la norme de la décision correcte.

[20]           Dans Elezi, la Cour a également reconnu que, pour déterminer le sens de l’alinéa 113a), elle devait lire les trois possibilités qui y sont prévues en tant que propositions disjonctives :

[26]      Je suis disposé à admettre que l’alinéa 113a) mentionne trois possibilités distinctes et que ces trois volets doivent être lus en tant que propositions disjonctives... Quant aux éléments de preuve dont l’existence est postérieure à la décision de la Commission, elles ne requièrent aucune explication. Le simple fait qu’elles n’existaient pas à l’époque où la décision a été rendue suffit à établir qu’elles n’auraient pas pu être présentées plus tôt à la Commission.

 

 

[21]           La Cour a limité la portée des éléments qui constituent des éléments de preuve nouveaux et a rejeté l’argument selon lequel le simple fait que les éléments sont apparus après l’audience permet de les considérer comme des éléments de preuve nouveaux. Après avoir révisé la jurisprudence sur cette question, la Cour a conclu comme suit :

[27]      [...] la jurisprudence insiste pour que les nouveaux éléments de preuve se rapportent à des faits nouveaux, concernant soit la situation ayant cours dans le pays, soit la situation personnelle du demandeur, au lieu de mettre l’accent sur la date à laquelle les éléments de preuve sont apparus.

 

 

[22]           Après avoir conclu que les éléments de preuve étaient probants et pouvaient réfuter les conclusions de la Commission, la Cour a reconnu, dans Elezi, que les éléments de preuve en question étaient nouveaux et rejeté l’argument selon lequel cette preuve devait révéler de nouveaux risques pour être considérée comme une preuve admissible :

[38]      [...] Si [M. Elezi] avait communiqué ces preuves à la Commission durant l’audience le concernant, la Commission aurait très probablement rédigé une décision très différente. Or, ces documents ne font pas état de risques « nouveaux » en tant que tels. Les risques évoqués étaient les mêmes que ceux que M. Elezi avai[]t allégué[s] au cours de l’audience tenue devant la Commission. Était‑il alors raisonnable pour l’agent d’ERAR d’exclure tous ces documents pour ce motif? Selon moi, non.

 

[23]           Récemment, dans Mendez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 111, [2005] A.C.F. n° 115 (QL), la Cour fédérale a annulé une décision de l’agent d’ERAR au motif que celui-ci avait commis une erreur en concluant qu’une lettre postérieure à la décision de la Commission n’était pas un élément de preuve nouveau. Voici comment la Cour s’est exprimée :

[17]      Comme je l'ai mentionné au cours de l'audition de la présente demande, à mon avis, l'agent d'ERAR a commis une erreur dans l'application de l'alinéa 113a) à l'égard de la lettre signée par M. Flores. L'alinéa 113a) exige qu'une décision soigneuse soit rendue à l'égard de l'admissibilité de la preuve quant aux trois motifs prévus. À mon avis, il est nécessaire d'être précis lorsque l'on tire une conclusion suivant cette disposition, étant donné qu'il y a d'importantes ramifications à la décision rendue à l'égard des risques auxquels un demandeur en particulier sera exposé. À mon avis, l'agent d'ERAR n'a pas répondu à l'attente à cet égard.

 

[18]      La lettre de M. Flores datée du 17 mars 2004 est clairement postérieure à la décision rendue par la Commission dans la présente affaire. Il semble que l'agent d'ERAR n'a pas compris ce fait puisqu'il a mis cette lettre dans la même catégorie que les éléments de preuve présentés qui étaient antérieurs à la décision de la Commission. ...

 

[24]           La Cour d’appel fédérale s’est récemment prononcée sur ce qu’est un élément de preuve nouveau dans Raza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 111, [2005] A.C.F. n° 115 (QL) :

[traduction]

[13]      À mon avis, l’alinéa 113a) est fondé sur la prémisse voulant que l’agent d’ERAR doit respecter la décision par laquelle la SPR a rejeté une demande d’asile, à moins qu’il n’existe de nouveaux éléments de preuve factuels qui auraient pu toucher le résultat de l’audience tenue par la SPR s’ils avaient été présentés à celle‑ci. L’alinéa 113a) soulève plusieurs questions dont certaines sont explicites et d’autres, implicites, au sujet des nouveaux éléments de preuve proposés. Voici un résumé de ces questions :

 

1.  Crédibilité : La preuve est-elle crédible, eu égard à sa source et aux circonstances dans lesquelles elle est née? Dans la négative, il n’est pas nécessaire que la preuve soit examinée.

 

2.  Pertinence : La preuve est-elle pertinente quant à la demande d’ERAR, au sens où elle permet d’établir ou de réfuter un fait qui est pertinent quant à la demande de protection? Dans la négative, il n’est pas nécessaire que la preuve soit examinée.

 

3.  Nouveauté : La preuve est-elle nouvelle au sens où elle permet

 

a)  de démontrer la situation actuelle dans le pays de renvoi ou encore un événement qui s’est produit ou une circonstance qui est survenue après l’audience tenue devant la SPR,

b)  d’établir un fait qui était inconnu du demandeur d’asile lors de l’audience devant la SPR,

c)  de contredire une conclusion de fait de la SPR (y compris une conclusion relative à la crédibilité)?

 

Dans la négative, il n’est pas nécessaire que la preuve soit examinée.

 

4.  Importance : La preuve est-elle importante au sens où la demande d’asile aurait probablement été accueillie si la preuve avait été portée à la connaissance de la SPR? Dans la négative, il n’est pas nécessaire que la preuve soit examinée.

 

5.  Conditions législatives explicites :

 

a)   Si la preuve permet d’établir uniquement un événement qui s’est produit ou des circonstances qui sont survenues avant l’audience de la SPR, le demandeur a-t-il établi que cette preuve n’était pas alors normalement accessible ou qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il l’ait présentée à l’audience en question? Dans la négative, il n’est pas nécessaire que la preuve soit examinée.

 

b)      Si la preuve permet d’établir un événement qui s’est produit ou des circonstances qui sont survenues après l’audience de la SPR, la preuve doit être examinée (à moins qu’elle ne soit rejetée parce qu’elle n’est pas crédible, ni n’est pertinente, nouvelle ou importante).

 

 

[25]           La Cour d’appel a également décidé que la preuve ne peut être rejetée pour le simple motif qu’elle porte sur la même question relative au risque que la Commission a examinée. Cependant, la Cour a ajouté qu’un agent d’ERAR peut rejeter à bon escient cette preuve si celle-ci ne permet pas d’établir que les faits pertinents à la date de la demande d’ERAR sont différents sous un aspect important par rapport à ceux dont la Commission a reconnu l’existence (Raza, plus haut).

 

[26]           Dans la présente affaire, l’agent d’ERAR n’a procédé à aucune analyse de la crédibilité, de la pertinence, de la nouveauté ou de l’importance en ce qui a trait au bref d’assignation délivré au demandeur en mai 2005, après la tenue de l’audience et le prononcé de la décision dans sa demande d’asile. L’agent d’ERAR a souligné que le bref d’assignation en date de mai 2005 ne serait pas évalué plus à fond parce qu’il ne constituait pas un élément de preuve nouveau, étant donné que la Commission avait déjà évalué les motifs invoqués à l’égard du bref en question. L’agent d’ERAR a commis une erreur en omettant d’évaluer le bref d’assignation. Ce bref constitue un élément de preuve relatif à un fait qui serait apparemment survenu en mai 2005, soit le fait que la police s’était présentée à la résidence du demandeur à Rangoon à une date postérieure à laquelle la Commission avait déjà examiné et rejeté la demande de celui-ci au Canada. Il s’agissait donc d’un élément de preuve relatif à un fait nouveau qui est survenu après l’audience et cet élément de preuve est visé par le critère que la Cour d’appel fédérale a énoncé dans Raza, ci-dessus. Il est visé par l’alinéa 5b) qui précède en ce qu’il concerne un événement qui est survenu après l’audience. Après l’avoir admis et examiné, l’agent d’ERAR pouvait lui accorder le poids qui lui semblait opportun; cependant, en mettant de côté le bref d’assignation au motif qu’il ne constituait pas un élément de preuve nouveau, l’agent a commis une erreur de droit.

 

Question 2 :    L’agent d’ERAR a-t-il commis une erreur au cours de son appréciation de la preuve selon laquelle le demandeur était un réfugié sur place?

 

[27]           Un réfugié sur place est ainsi défini dans la documentation :

[traduction] La définition du réfugié au sens de la Convention ne prévoit aucune distinction entre les personnes qui fuient leur pays afin d’éviter d’être persécutées et celles qui, alors qu’elles se trouvent déjà à l’étranger, décident qu’elles ne peuvent retourner dans leur pays d’origine ou qu’elles n’y retourneront pas parce qu’elles risquent d’y être persécutées [...]

 

En plus d’être fondée sur une nouvelle circonstance ou sur une détermination majeure des conditions préexistantes dans le pays d’origine, la demande d’asile sur place peut également reposer sur les activités que le demandeur a poursuivies depuis son départ du pays. Il est reconnu en droit international que la personne qui, alors qu’elle se trouve à l’étranger, exprime des opinions ou poursuit des activités mettant en péril la possibilité qu’elle a de retourner sans danger dans son pays peut être considérée comme un réfugié au sens de la Convention. Les questions clés à trancher sont de savoir si les activités poursuivies à l’étranger sont susceptibles d’avoir attiré l’attention des autorités du pays d’origine du demandeur [...]

 

(The Law of Refugee Status, James Hathaway, Butterworths, 1991.)

 

 

[28]           Dans Ejtehadian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 158, [2007] ACF n° 214 (QL), la Cour fédérale a énoncé la norme que la Commission doit appliquer pour évaluer les demandes d’asile sur place. Le juge Edmond Blanchard s’est exprimé comme suit :

[11]      La formulation du critère par la CISR en ce qui a trait à une demande d’asile sur place est incorrecte. Dans le cadre d’une demande d’asile sur place, la preuve crédible des activités d’un demandeur au Canada susceptibles d’attester le risque d’un préjudice dès son retour doit être expressément prise en considération par la CISR, même si la motivation derrière ces activités n’est pas sincère [...]

[29]           L’agent d’ERAR a reconnu que la junte du Myanmar opprime violemment ceux qu’elle considère comme ses adversaires. Ce fait ressort également clairement de la documentation sur le pays d’origine. Le demandeur a manifesté très ouvertement à l’extérieur du consulat d’un pays allié du Myanmar en brandissant une affiche et en militant au sein d’un groupe qui condamne activement les crimes commis par le régime du Myanmar. Les photographies déposées par le demandeur confirment cette manifestation publique. Compte tenu de la nature publique de cette action, laquelle n’est pas contestée, il était déraisonnable de la part de l’agent d’ERAR de décider qu’elle ne serait pas portée à la connaissance de la junte du Myanmar. De plus, l’agent d’ERAR a commis une erreur en appliquant une norme de certitude à cette question. Voici comment il s’est exprimé : [traduction] « Cependant, ces photos n’ont pas été considérées en soi comme une preuve suffisante pour établir qu’il avait attiré l’attention des autorités du Myanmar et qu’il serait victime de persécution ou de mauvais traitements... » (non souligné dans l’original) (motifs, p. 4 et 5).

 

[30]           La norme à appliquer pour évaluer la preuve relative à une demande d’asile présentée sur place est la vraisemblance ou la prépondérance des probabilités. L’agent d’ERAR aurait dû se demander si, eu égard à la nature publique des manifestations auxquelles il a participé à l’encontre du gouvernement du Myanmar, le demandeur avait de fortes chances d’attirer l’attention du gouvernement de ce pays. L’agent d’ERAR n’a pas appliqué cette norme et a donc commis une erreur de droit.

 

Question 3 : Norme de contrôle

[31]           Compte tenu du jugement que la Cour suprême du Canada a rendu dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 8, la norme de contrôle relative à une décision d’un agent d’ERAR est la décision correcte et, dans le cas d’une conclusion de fait, la décision raisonnable. La norme du caractère manifestement déraisonnable ne s’applique plus.

 

Préjudice irréparable

[32]           Un préjudice irréparable peut être établi lorsqu’il est possible pour le demandeur de démontrer qu’il subira un préjudice irréparable dont il ne pourrait être indemnisé par des dommages-intérêts (Toth, ci-dessus).

 

[33]           Lorsque le demandeur est exposé à subir, à son retour dans son pays, un risque de très mauvais traitements dont l’ampleur n’a pas encore été évaluée, ces circonstances constituent un préjudice irréparable (Monemi c. Canada (Solliciteur général), [2005] A.C.F. n° 10 (QL), décision du juge James O’Reilly).

 

[34]           Le demandeur a démontré qu’il risque de subir de très mauvais traitements s’il est renvoyé au Myanmar, notamment d’être torturé et d’être tué. Ces mauvais traitements ne pourraient être indemnisés par l’octroi de dommages-intérêts, ce qui constitue un préjudice irréparable.

 

[35]           Dans l’avis déposé en preuve, Paul Copeland, avocat et spécialiste reconnu en matière de droits de la personne au Myanmar, s’exprime comme suit :

[traduction] Je sais que Ko Ko Win a participé à des manifestations devant le consulat de la Chine à Toronto. J’ai aidé à organiser ces manifestations et d’autres manifestations à Toronto afin de protester contre les attaques brutales à l’endroit des manifestants qui prônent la démocratie au Myanmar.

 

Il appert de la jurisprudence du Royaume-Uni ainsi que des rapports provenant du Myanmar que les personnes qui sont renvoyées dans ce pays après avoir demandé l’asile dans un autre pays sont souvent emprisonnées et maltraitées.

 

(Dossier de la requête, p. 176.)

 

 

[36]           La Cour est d’avis que M. Ko Ko Win sera exposé à un risque imminent d’être emprisonné, maltraité et torturé s’il est renvoyé au Myanmar.

 

[37]           Il appert des rapports sur les droits de la personne relatifs au Myanmar que les demandeurs d’asile déboutés qui sont renvoyés dans ce pays risquent d’être emprisonnés et que les dissidents subissent de mauvais traitements, y compris la torture et l’incarcération prolongées.

 

[38]           Le demandeur risque de subir de très mauvais traitements à son retour au Myanmar, notamment d’être emprisonné et d’être torturé. Ce risque découle du fait qu’il a manifesté contre la junte du Myanmar et qu’il est un demandeur d’asile débouté.

 

[39]           De plus, si le demandeur est renvoyé avant que la Cour examine la demande d’autorisation pendante, celle-ci deviendra théorique et ce résultat constituerait indéniablement un préjudice irréparable pouvant atteindre l’intégrité physique du demandeur, voire lui coûter la vie.

 

Prépondérance des inconvénients

[40]           Le demandeur ayant démontré l’existence d’une question sérieuse à juger en l’espèce ainsi qu’un préjudice irréparable, la prépondérance des inconvénients joue en sa faveur (Membreno‑Garcia c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, (1992), 17 Imm. L.R. (2d) 291, p. 295, décision de la juge Barbara Reed).

 

[41]           Bien que les défendeurs soient tenus de renvoyer les personnes qui font l’objet d’une mesure de renvoi valide, cette obligation passe au second plan par rapport aux préoccupations légitimes relatives à la sécurité humaine (Monemi, ci-dessus).

 

VII. Conclusion

[42]           Le demandeur ayant établi les trois volets du critère énoncé dans l’arrêt Toth, l’exécution de la mesure de renvoi prise contre lui est suspendue jusqu’à ce qu’une décision définitive soit rendue au sujet de sa demande d’ERAR.


 

ORDONNANCE

 

Le demandeur ayant établi les trois volets du critère énoncé dans l’arrêt Toth, LA COUR ORDONNE que l’exécution de la mesure de renvoi prise contre lui soit suspendue jusqu’à ce qu’une décision définitive soit rendue au sujet de sa demande d’ERAR.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1248-08

 

INTITULÉ :                                       KO KO WIN c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 27 MARS 2008 (PAR TÉLÉCONFÉRENCE)

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE   

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 28 MARS 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Ronald Poulton

 

POUR LE DEMANDEUR

Michael Butterfield

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ronald Poulton

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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