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Date : 20080327

Dossier : T-2181-06

Référence : 2008 CF 380

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 27 mars 2008

En présence de madame la juge Simpson

 

 

ENTRE :

GORDON GOLDSWORTHY

demandeur

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 25 janvier 2006 (la décision) par le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) (le Tribunal), qui a rejeté la demande de prestations d’invalidité présentée par le demandeur pour le syndrome discal cervical dont il souffre.

 

[2]               Le demandeur était représenté par un avocat devant le Tribunal, mais dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, il a agi pour son propre compte.

 

[3]               Le demandeur affirme que le syndrome discal cervical dont il est atteint est dû à des microtraumatismes asymptomatiques, qu’il a décrits comme étant de nombreuses lésions microscopiques qui ont été causées au cours de ses 28 années de service en tant que membre de la Gendarmerie Royale du Canada (GRC).

 

Les faits

[4]               Le demandeur a affirmé que tout au long de sa carrière, ses activités et ses expériences de travail comprenaient, entre autres, de longues périodes de navigation à bord d’embarcations sur des eaux agitées, des déplacements en motoneige sur des terrains raboteux et des trajets en camion sur des chemins cahoteux. Il a également eu six accidents de la route (trois véhicules ont été déclarés perte totale) et a été impliqué dans de nombreuses empoignades. Bien que le demandeur ait subi des effets sur tout le corps et des entorses aux bras et aux épaules en raison de ces activités, il n’a jamais été admis à l’hôpital. Il n’a reçu des soins médicaux que pour trois blessures : une côte fracturée en 1977, une blessure à des tissus mous en 1985 et une déchirure au genou en 1988. Avant de prendre sa retraite, le demandeur a déclaré souffrir de problèmes au genou, d’une perte partielle de l’audition et de douleurs au bas du dos. Il reçoit une pension pour ces trois problèmes de santé.

 

[5]               Ce n’est qu’en 2000 que le demandeur a eu le diagnostic du syndrome discal cervical, environ quatre ans après avoir pris sa retraite, et le diagnostic n’est pas contesté. Cependant, étant donné que pendant ses années de service, aucune blessure à la nuque ni aucun symptôme du syndrome discal cervical n’a été déclaré, sa demande a été rejetée. Essentiellement, le Tribunal n’était pas d’avis que le syndrome discal cervical dont le demandeur est atteint avait été causé par des microtraumatismes asymptomatiques répétés.

 

Les avis d’expert médical présentés par le demandeur

[6]               Le Dr Winsor, un omnipraticien, a rédigé ce qui suit dans sa lettre du 25 mars 2003 :

[traduction]

Tout comme les nombreuses années de service de M. Goldsworthy au sein de la GRC ont probablement entraîné des blessures à la région lombaire (bas du dos), ces mêmes mécanismes – décrits précédemment comme étant, entre autres, des empoignades et des accidents de la route dans le cadre de son travail ainsi que l’utilisation de motos marines et de véhicules hors route – ont également occasionné le syndrome discal cervical dont il est maintenant atteint. J’ai fourni des précisions sur la pathologie de ces blessures et les conséquences dans mon rapport du 22 janvier 2003 susmentionné.

 

Par conséquent, il est probable que les années de service de M. Goldsworthy au sein de la GRC soient une importante cause du syndrome discal cervical dont il est atteint. Cependant, il n’est pas évident de déterminer l’étendue exacte de ces facteurs et il serait nécessaire d’obtenir l’avis d’un spécialiste de la colonne vertébrale (soit un chirurgien orthopédiste, soit un neurochirurgien, pour avoir des explications complètes).

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

 

[7]               Le Dr T.G. Hogan, MD, FRCSC, est chirurgien orthopédiste. Il a examiné le dossier et les radiographies du demandeur et a déclaré ce qui suit :

[traduction]

Je crois savoir que le ministère n’accepte pas que des blessures non symptomatiques répétées entraînent le syndrome discal cervical, mais je crois que les études épidémiologiques prouveraient peut‑être le contraire. Il semblerait que M. Goldsworthy ait conduit sur des chemins de terre pendant de nombreuses années, subissant ainsi d’importantes vibrations de tout le corps. Ces vibrations sont sûrement liées à la discopathie dégénérative, qui peut entraîner par la suite une spondylose cervicale. En outre, M. Goldsworthy a été impliqué dans de nombreuses empoignades et j’ai également noté qu’il a eu quelques accidents de la route, ce qui aurait pu provoquer des blessures aux tissus mous au-dessus de la nuque et entraîner par la suite la spondylose cervicale.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

La décision

 

[8]               Même si le Tribunal a cru le récit du demandeur au sujet des activités exercées au cours de sa carrière qui auraient pu entraîner une invalidité, il a refusé d’accorder à M. Goldsworthy le droit à une pension pour le syndrome discal cervical parce que, premièrement, il n’avait pas démontré qu’il avait réellement subi des blessures à la nuque pendant ses années de service au sein de la GRC. Deuxièmement, le ministère des Anciens Combattants n’est pas d’avis que des microtraumatismes asymptomatiques peuvent entraîner le syndrome discal cervical. Et enfin, la preuve d’expert présentée par le demandeur était conjecturale. Le Tribunal a déclaré ce qui suit :

[traduction]

Après avoir examiné toutes les questions, le Tribunal a décidé de ne pas accorder le droit à une pension pour le syndrome discal cervical. Le Tribunal a conclu que le témoignage et les déclarations du demandeur étaient crédibles. Cependant, M. Goldsworthy n’a pas présenté de preuves factuelles quant à l’importance des blessures subies et aux traitements. Il n’a présenté aucune preuve factuelle concernant les accidents de la route ni la valeur des dommages matériels. Encore une fois, le Tribunal n’a reçu aucune preuve corroborante quant aux incidents révélés lors du témoignage.

 

Vu l’absence de données cliniques documentées sur les blessures et/ou les traitements, les avis d’expert médical ayant trait à la présente affaire pouvaient seulement être considérés comme conjecturaux et se fondant sur les déclarations relatives aux douleurs à la nuque qu’a éprouvées le demandeur. Le Tribunal a noté que le diagnostic du syndrome discal cervical avait été posé quatre années après que le demandeur eut pris sa retraite. Par conséquent, le Tribunal confirme la décision de révision de l’admissibilité du 8 décembre 2004.

 

 

Les questions en litige

[9]               Le demandeur présente les questions en litige de la façon suivante dans son mémoire des faits et du droit :

(i)                  Le Tribunal a-t-il commis une erreur de droit en ne tenant pas compte d’avis médicaux crédibles et non contredits alors qu’il n’avait aucune compétence médicale propre et, parallèlement, qu’il avait la possibilité de requérir et de communiquer des avis médicaux indépendants sur les points qui le préoccupaient?

(ii)                Le Tribunal a-t-il commis une erreur de droit en ne tenant pas compte des faits présentés en preuve par le demandeur, qu’il a estimés crédibles, concernant les nombreux microtraumatismes ainsi que les nombreuses perturbations et tensions découlant des fonctions policières que M. Goldsworthy avait assumées pendant ses 28 années de service?

(iii)               Le Tribunal a-t-il commis une erreur de droit en omettant d’appliquer l’article 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) (la Loi) après avoir conclu que le témoignage et les déclarations du demandeur étaient crédibles?   

 

La norme de contrôle

[10]           Bien que le demandeur caractérise toutes les questions en litige comme étant des erreurs de droit, j’estime que la deuxième question en litige, portant sur l’appréciation de la preuve par le Tribunal, est une question qui dépend des faits et à laquelle la norme de contrôle applicable est la décision raisonnable. La première et la troisième questions en litige sont des questions mixtes de fait et de droit. La première question en litige consiste essentiellement à savoir si, dans les circonstances de la présente affaire, le Tribunal était tenu, en vertu du paragraphe 38(1) de la Loi, de requérir l’avis d’un expert médical. La troisième question en litige est de savoir si l’article 39 de la Loi a été appliqué correctement étant donné que le Tribunal avait conclu que la preuve du demandeur était crédible. À mon avis, puisque les aspects juridiques de ces questions découlent de la Loi et ne sont pas des questions qui touchent essentiellement l’administration de la justice, il y a lieu d’examiner ces questions en appliquant la décision raisonnable comme norme de contrôle; voir Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 60.

 

[11]           La Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), L.C. 1995, ch. 18, compte une disposition privative (article 31), qui prévoit que les décisions du Tribunal sont définitives et exécutoires. Cela donne également à penser que la norme de contrôle qui s’applique est la décision raisonnable.

 

[12]           Dans Wannamaker c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 126, la Cour d’appel fédérale a conclu aux paragraphes 12 et 13 que la décision raisonnable est la norme de contrôle qui s’applique aux questions mixtes de fait et de droit, notamment les suivantes :

i)                    de savoir si une blessure particulière est consécutive au service;

ii)                   de savoir si l’article 39 de la Loi a été appliqué de la façon appropriée;

iii)                 de savoir si la crédibilité de la preuve a été appréciée convenablement.

[13]           La Cour d’appel a aussi conclu que la décision manifestement déraisonnable est la norme applicable au contrôle de la décision du Tribunal lorsqu’il statue sur l’existence du lien de causalité entre une blessure particulière et une invalidité. Cependant, étant donné que dans Dunsmuir la Cour suprême du Canada a éliminé la décision manifestement déraisonnable comme norme de contrôle, j’estime que la causalité est maintenant susceptible d’être examinée selon la décision raisonnable.

 

[14]           Eu égard à l’analyse de la Cour d’appel fédérale dans Wannamaker, à l’existence de la disposition privative et à mon interprétation de l’arrêt Dunsmuir, je suis convaincue que la norme de contrôle applicable à la décision du Tribunal concernant toutes les questions en litige est la décision raisonnable.

 

Analyse

[15]           Le demandeur n’a pas établi qu’il a subi des microtraumatismes asymptomatiques, et donc non déclarés, à la nuque par suite des empoignades, des accidents et des fonctions de conducteur qui ont eu lieu au cours de ses années de service. De plus, même en supposant qu’il ait subi ces microtraumatismes à la nuque, le demandeur n’a pas établi de lien de causalité convaincant entre ces microtraumatismes et le syndrome discal cervical dont il est atteint. Même les rapports médicaux qu’il a présentés révélaient que bien que le lien de causalité soit [traduction] « probable » (Dr Winsor) et [traduction] « sûr » (Dr Hogan), des avis d’expert et des études épidémiologiques justificatives n’étaient pas disponibles.

 

[16]           Le demandeur affirme que la preuve de Dr Hogan était crédible et non contredite. Le Tribunal a décidé que sa conclusion était conjecturale. À mon avis, le Tribunal en est arrivé à cette conclusion parce que, comme l’a admis le Dr Hogan, aucune étude ne permettait d’étayer sa conclusion, qui pourrait être tout à fait exacte. À l’avenir, des demandes relatives au syndrome discal cervical causé par des microtraumatismes pourraient être accueillies. Toutefois, en l’absence d’études démontrant le lien de causalité, la décision du Tribunal était raisonnable.

 

[17]           Le demandeur soutient que le Tribunal ne lui a pas accordé le bénéfice de l’article 39 de la Loi, qui prévoit ce qui suit :

39. Le Tribunal applique, à l’égard du demandeur ou de l’appelant, les règles suivantes en matière de preuve :

 

a) il tire des circonstances et des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possible à celui-ci;

 

b) il accepte tout élément de preuve non contredit que lui présente celui-ci et qui lui semble vraisemblable en l’occurrence;

 

c) il tranche en sa faveur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande.

 

39. In all proceedings under this Act, the Board shall

 

(a) draw from all the circumstances of the case and all the evidence presented to it every reasonable inference in favour of the applicant or appellant;

(b) accept any uncontradicted evidence presented to it by the applicant or appellant that it considers to be credible in the circumstances; and

 

(c) resolve in favour of the applicant or appellant any doubt, in the weighing of evidence, as to whether the applicant or appellant has established a case.

 

 

 

 

[18]           Cependant, dans Wannamaker, au paragraphe 5, la Cour d’appel a déclaré ce qui suit :

L’article 39 assure que la preuve au soutien de la demande de pension est examinée sous le jour lui étant le plus favorable possible. Toutefois, l’article 39 ne dispense le demandeur de la charge d’établir par prépondérance de la preuve les faits nécessaires pour ouvrir droit à une pension : Wood c. Canada (Procureur général) (2001), 199 F.T.R. 133 (C.F. 1re inst.), Cundell c. Canada (Procureur général) (2000), 180 F.T.R. 193 (C.F. 1re inst.).

 

 

[19]           À mon avis, cette déclaration tranche la troisième question en litige du demandeur. L’article 39 s’applique à l’appréciation de la preuve par le Tribunal; il ne permet pas au Tribunal de se prononcer sur une question en l’absence d’éléments de preuve comme c’est le cas dans la présente affaire.

 

[20]           Enfin, dans les circonstances de l’espèce, j’estime que le Tribunal n’est pas tenu, en vertu de l’article 38 de la Loi, de requérir des renseignements supplémentaires sur les microtraumatismes et le syndrome discal cervical. Comme l’a souligné le juge Michael Kelen dans Cramb c. Canada (Procureur général), 2006 CF 638, 292 F.T.R. 306, au paragraphe 31, les termes de l’article 38 de la Loi expriment une faculté et non un impératif. Cet article est rédigé comme suit :

 

38. (1) Pour toute demande de révision ou tout appel interjeté devant lui, le Tribunal peut requérir l’avis d’un expert médical indépendant et soumettre le demandeur ou l’appelant à des examens médicaux spécifiques.

 (2) Avant de recevoir en preuve l’avis ou les rapports d’examens obtenus en vertu du paragraphe (1), il informe le demandeur ou l’appelant, selon le cas, de son intention et lui accorde la possibilité de faire valoir ses arguments.

 

38. (1) The Board may obtain independent medical advice for the purposes of any proceeding under this Act and may require an applicant or appellant to undergo any medical examination that the Board may direct.

 (2) Before accepting as evidence any medical advice or report on an examination obtained pursuant to subsection (1), the Board shall notify the applicant or appellant of its intention to do so and give them an opportunity to present argument on the issue.

 

 

[21]           À mon avis, le problème médical principal en l’espèce n’était pas l’absence d’avis d’expert médical, mais plutôt l’absence d’études pertinentes permettant d’étayer les avis en question. Le Tribunal ne pouvait pas résoudre ce problème en appliquant l’article 38.

 

Conclusion

[22]           Pour tous les motifs susmentionnés, je conclus que la décision du Tribunal était raisonnable.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande est par les présentes rejetée sans dépens vu que l’avocat du défendeur y a renoncé.

 

 

« Sandra J. Simpson »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Annie Beaulieu


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-2181-06

 

INTITULÉ :                                       GORDON GOLDSWORTHY c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 23 octobre 2007

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT               La juge Simpson

ET JUGEMENT :                             

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 27 mars 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Gordon Goldsworthy                                                                EN SON PROPRE NOM

 

 

Adam Rambert                                                                         POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

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