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Date : 20080327

Dossier : T‑518‑07

Référence : 2008 CF 393

Ottawa (Ontario), le 27 mars 2008

En présence de monsieur le juge Martineau

 

ENTRE :

JOHN BATEMAN

demandeur

et

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision datée du 9 février 2007 (la décision) par laquelle Sébastien Sigouin, directeur, Commission canadienne des droits de la personne (la Commission), a rejeté, suivant l’alinéa 44(3)b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 (la Loi), la plainte de discrimination déposée par le demandeur contre son employeur, le ministère des Ressources humaines et Développement des compétences du Canada (RHDCC).

 

[2]               Les dispositions pertinentes de la Loi sont rédigées de la façon suivante :

3. (1) Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial, la situation de famille, l’état de personne graciée ou la déficience.

[…]

 

7. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

 

a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu;

 

b) de le défavoriser en cours d’emploi.

[…]

 

 

 

44. (1) L’enquêteur présente son rapport à la Commission le plus tôt possible après la fin de l’enquête.

[…]

 

 

 

(3) Sur réception du rapport d’enquête prévu au paragraphe (1), la Commission :

[…]

 

b) rejette la plainte, si elle est convaincue :

 

 

(i) soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle-ci n’est pas justifié,

 

(ii) soit que la plainte doit être rejetée pour l’un des motifs énoncés aux alinéas 41c) à e).

[…]

3. (1) For all purposes of this Act, the prohibited grounds of discrimination are race, national or ethnic origin, colour, religion, age, sex, sexual orientation, marital status, family status, disability and conviction for which a pardon has been granted.

 

 

7. It is a discriminatory practice, directly or indirectly,

 

(a) to refuse to employ or continue to employ any individual, or

 

(b) in the course of employment, to differentiate adversely in relation to an employee,

 

on a prohibited ground of discrimination.

 

44. (1) An investigator shall, as soon as possible after the conclusion of an investigation, submit to the Commission a report of the findings of the investigation.

 

(3) On receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission

 

(b) shall dismiss the complaint to which the report relates if it is satisfied

 

(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is not warranted, or

 

(ii) that the complaint should be dismissed on any ground mentioned in paragraphs 41(c) to (e).

 

 

[3]               Les parties s’entendent sur les faits saillants qui donnent lieu à la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[4]               Le demandeur, John Bateman, a travaillé pour RHDCC entre 1974 et le 13 octobre 2004, la date de sa retraite. Le demandeur était un employé compétent et méthodique. Au cours des dernières années pendant lesquelles il a travaillé, il a commencé à éprouver dans son travail des difficultés se rapportant à l’utilisation des technologies. La direction était consciente de ces difficultés et a réduit sa charge de travail afin de répondre de façon non officielle à ses besoins.

 

[5]               En mai 2004, l’omnipraticien que consultait le demandeur a diagnostiqué une dépression. Le demandeur a rencontré son superviseur pour l’informer que, suivant l’avis de son médecin, il prendrait un congé de maladie.

 

[6]               Dès 1999, le demandeur avait informé RHDCC de son intention de prendre une retraite anticipée le 13 octobre 2004. En juillet 2004, alors qu’il était en congé de maladie, le demandeur a présenté une demande de retraite anticipée devant prendre effet le 13 octobre 2004. Peu de temps après qu’il a fait cette demande, le demandeur a rencontré son conseiller en rémunération qui lui a fourni des renseignements quant aux différentes options à sa disposition, notamment, mais sans s’y limiter, l’utilisation de ses crédits de congé de maladie avant qu’il prenne sa retraite. Le demandeur, qui reconnaît avoir à ce moment été pleinement informé de ses droits, a refusé toute autre option. Le demandeur a pris sa retraite avec pleine pension en octobre 2004.

 

[7]               Un mois plus tard, le psychologue que consultait le demandeur l’a informé qu’il était probable qu’il reçoive, par suite d’autres tests, un diagnostic de trouble neurologique. L’épouse du demandeur, en sa qualité de mandataire, a pris contact avec RHDCC par téléphone et par écrit pour demander que l’acceptation de la décision prise par son époux à l’égard de sa retraite soit réexaminée parce qu’il n’avait pas pu participer pleinement au processus. Aucun élément de preuve de nature médicale n’a été fourni à RHDCC au soutien de la prétention du demandeur selon laquelle il n’avait pas pu participer pleinement au processus décisionnel.

 

[8]               On a diagnostiqué chez le demandeur une atrophie corticale postérieure (PCA) le 16 décembre 2004. Le médecin du demandeur l’a informé qu’il était possible que son PCA remonte à 1998 ou 1999. La PCA est un trouble dégénératif qui fait que des cellules nerveuses dans la partie postérieure du cerveau meurent avec le temps, ce qui cause une perte progressive de la vision. Les premiers symptômes de la PCA apparaissent souvent chez des individus de plus de cinquante ans et comportent des problèmes de vision embrouillée, des difficultés à lire et des problèmes de perception des distances.

 

[9]               L’épouse du demandeur a communiqué de nouveau avec RHDCC en avril 2005; elle a affirmé que le demandeur avait été incapable de prendre une décision éclairée à l’égard de sa retraite et elle a demandé que sa déficience fasse l’objet d’une mesure d’accommodement par l’annulation de la décision. Aucune preuve de nature médicale n’a été présentée au soutien de l’allégation selon laquelle il n’avait pas pu participer pleinement à la décision à l’égard de sa retraite.

 

[10]           La demande présentée par le demandeur en vue d’obtenir une mesure d’accommodement a été refusée en juillet 2005 pour le motif que sa décision de prendre sa retraite avait été acceptée de bonne foi et seulement après qu’il a été complètement informé de ses droits et de ses options.

 

[11]           Le 6 septembre 2005, le demandeur a déposé auprès de la Commission une plainte dans laquelle il soutenait que RHDCC avait exercé à son endroit de la discrimination du fait de sa déficience, en contravention de l’article 7 de la Loi. La plainte était, en partie, rédigée de la façon suivante : [traduction] « J’ai des motifs raisonnables de croire que mon employeur [RHDCC] a exercé à mon endroit de la discrimination. J’ai cette conviction parce que mon employeur n’a pas pris en compte ma déficience lorsque je travaillais et lorsque ma demande de retraite a été acceptée et traitée ».

 

[12]           La Commission a nommé Deborah Olver, enquêteuse (l’enquêteuse), pour mener une enquête à l’égard de la plainte du demandeur afin d’établir si RHDCC a omis de répondre aux besoins du demandeur dans son emploi du fait de ne pas avoir pris de mesures à l’égard du changement de son rendement au travail et du fait de ne pas avoir annulé sa demande de retraite après qu’il eut déjà pris sa retraite en raison de sa déficience. L’enquêteuse conclut que le demandeur ne savait pas qu’il était atteint d’une déficience pendant qu’il travaillait (avant son congé de maladie en mai 2004) et qu’il a admis qu’on a répondu de façon non officielle à ses besoins en lui fournissant l’aide de ses collègues. L’enquêteuse a en outre déclaré que RHDCC [traduction] « ne savait pas que le [demandeur] était atteint d’une déficience et, par conséquent, qu’aucune référence n’a été faite en vue d’obtenir une évaluation médicale et qu’aucun plan officiel visant des mesures d’accommodement n’a été établi ». Quant à savoir si le demandeur avait demandé des mesures d’accommodement au cours du processus de retraite, l’enquêteuse déclare que le demandeur a reçu un diagnostic de PCA deux mois après qu’il a pris sa retraite et que RHDCC ne savait pas qu’il était atteint d’une déficience avant qu’il prenne sa retraite. L’enquêteuse a alors analysé la question de savoir si le demandeur a informé RHDCC qu’il avait besoin de mesures d’accommodement pendant qu’il travaillait (et pendant qu’il était en congé de maladie) et alors qu’il était à la retraite. L’enquêteuse souligne que la preuve de nature médicale dont elle disposait indique qu’il était possible que le demandeur ait été atteint de la déficience avant la date de sa retraite. Cependant, l’enquêteuse conclut que le demandeur ne savait pas qu’il était atteint de cette déficience pendant qu’il travaillait. Par conséquent, il n’avait pas fait connaître son besoin d’obtenir des mesures d’accommodement à ce moment et il n’avait pas non plus demandé des mesures d’accommodement pendant la retraite.

 

[13]           Le demandeur n’a demandé des mesures d’accommodement que rétroactivement, deux mois après le début de sa retraite. À l’égard de la question de savoir si la demande présentée par le demandeur en vue d’obtenir des mesures d’accommodement a été refusée, l’enquêteuse conclut ce qui suit :

[traduction]

[…] le [demandeur] a obtenu des mesures d’accommodement de la part de ses collègues et de son superviseur avant sa retraite […] et après qu’il a pris sa retraite, puisqu’il a reçu des prestations de retraite pour des raisons médicales qui ont maximisé ses prestations de retraite. Il aurait pu reporter sa retraite et utiliser les avantages liés à ses congés de maladie accumulés, et cette question a été discutée avec le [demandeur], mais il a rejeté cette option.

[…]

 

[RHDCC] avait fourni au [demandeur] tous les renseignements nécessaires pour qu’il prenne quant à sa retraite une décision éclairée; le [demandeur] affirme qu’il estimait être suffisamment bien pour prendre une telle décision.

 

[14]           Compte tenu de ses conclusions, l’enquêteuse recommande que la plainte du demandeur soit rejetée suivant l’alinéa 44(3)b) de la Loi pour les motifs suivants :

[traduction]

·         la preuve indique que le [demandeur] avait exprimé dès 1999 son intention de prendre sa retraite en octobre 2004;

·         le [demandeur] n’a demandé des mesures d’accommodement que deux mois après qu’il a volontairement pris sa retraite;

·         compte tenu de ce qu’on savait en octobre 2004, il ne semble pas raisonnable de présumer que [RHDCC] devait savoir que le [demandeur] avait besoin de mesures d’accommodement;

·         la preuve indique que [RHDCC] a par la suite fourni des mesures d’accommodement au [demandeur] en prenant des dispositions pour qu’il reçoive des prestations d’invalidité après qu’il a pris sa retraite.

 

 

[15]           Les deux parties ont reçu des copies du rapport d’enquête et se sont prévalues de la possibilité de faire des commentaires quant aux conclusions y contenues. La Commission, après avoir examiné la plainte du demandeur, le rapport d’enquête et les observations des parties, a rendu sa décision le 9 février 2007. La plainte a été rejetée suivant l’alinéa 44(3)b) pour des motifs identiques aux recommandations de l’enquêteuse (comme précédemment citées).

 

[16]           Le demandeur sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision pour les motifs ci‑après exposés. Premièrement, le demandeur soutient que la Commission a omis d’appliquer correctement le critère juridique dégagé dans l’arrêt Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. British Columbia Government and Service Employees' Union (B.C.G.S.E.U.) (Grief Meiorin), [1999] 3 R.C.S. 3 (Meiorin), pour décider si HRDCC a exercé de la discrimination à l’endroit du demandeur. L’omission de la Commission d’avoir premièrement déterminé si la plainte du demandeur établit une preuve prima facie de l’existence de discrimination constitue une erreur susceptible de contrôle suffisante pour permettre à la Cour d’annuler la décision. Deuxièmement, le demandeur soutient que la Commission n’a pas mené une enquête avec rigueur. En particulier, l’enquêteuse n’a pas eu d’entretiens avec les collègues du demandeur en vue d’établir la nature des problèmes que le demandeur avait avant de prendre un congé de maladie, elle n’a pas eu d’entretiens avec les médecins du demandeur en vue d’établir sa capacité de prendre une décision quant à sa retraite en octobre 2004 et elle a omis d’examiner la question de savoir si la demande de mesures d’accommodement causerait une contrainte excessive à RHDCC.

 

[17]           Au cours de l’enquête menée à l’égard de sa plainte, le demandeur a expliqué à l’enquêteuse que, rétrospectivement, il n’était pas conscient du degré auquel son rendement au travail avait été amoindri et qu’il était incapable de défendre lui-même sa cause. Le demandeur décrit la façon selon laquelle sa déficience a gravement influé sur sa décision de prendre sa retraite et sur le processus de retraite. En fait, le demandeur soutient que, en acceptant que la décision a été prise de « bonne foi » et en omettant de communiquer avec lui, par son mandataire, RHDCC n’était pas disposé à prendre en compte la manière selon laquelle sa déficience avait une influence sur le processus habituel de retraite ou à remédier à la situation.

 

[18]           Le demandeur sollicite l’annulation de la décision et le renvoi de l’affaire à la Commission afin qu’une nouvelle décision soit rendue par suite d’une enquête menée de façon appropriée à l’égard de sa plainte.

 

[19]           Il y a à la Cour et à la Cour d’appel fédérale des décisions contradictoires à l’égard de la norme de contrôle applicable à une décision de la Commission de renvoyer ou non une plainte au Tribunal pour examen. À mon avis, les affaires dépendent de la question de savoir si le litige est considéré comme une question de fait, de droit ou mixte de fait et de droit. La Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, [2005] A.C.F. no 2056 (QL) (Sketchley), a fait ressortir l’importance de procéder à une analyse pragmatique et fonctionnelle à l’égard de chaque décision faisant l’objet d’un contrôle, indépendamment de la question de savoir si la même question ou une question semblable a été tranchée dans une affaire antérieure.

 

[20]           En l’espèce, la Commission était chargée de décider si RHDCC avait l’obligation de fournir des mesures d’accommodement au demandeur pendant qu’il travaillait et pendant qu’il était à la retraite. Il s’agit clairement d’une question mixte de fait et de droit. Après avoir effectué une analyse pragmatique et fonctionnelle et en me fondant sur le raisonnement adopté dans l’arrêt Sketchley, précité, je conclus que la décision dans son ensemble doit faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la raisonnabilité. À la suite de l’audition sur le bien-fondé de l’affaire, la Cour suprême du Canada a rendu l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] A.C.S. no 9 (QL) (Dunsmuir), qui clarifie la ligne de conduite canadienne à l’égard du contrôle judiciaire des décisions administratives. Toutefois, rien dans ce récent arrêt ne modifie ma conclusion à l’égard de la norme de contrôle à appliquer à la décision dans son ensemble. La Cour partage l’opinion des parties selon laquelle la deuxième question en litige dans le présent contrôle judiciaire, c’est-à-dire la question de savoir si l’enquête de la Commission a été faite avec rigueur, est une question d’équité procédurale qui est assujettie à un contrôle selon la norme de la décision correcte. Une fois de plus, l’arrêt Dunsmuir ne modifie pas cette conclusion. Comme dernier point préliminaire, je mets l’accent sur le fait que je considère le rapport de l’enquêteuse comme constituant le raisonnement de la Commission : arrêt Sketchley, précité, au paragraphe 30.

 

[21]           Passant au bien-fondé de la présente demande, comme point de départ, je souligne qu’il n’y a rien dans la preuve qui donne à penser que l’enquêteuse a omis d’appliquer de façon appropriée le critère dégagé dans l’arrêt Meiorin. Au contraire, après avoir examiné en détail la décision et le rapport de l’enquêteuse, je conclus que l’enquêteuse a compris le critère de l’arrêt Meiorin et l’a appliqué de façon appropriée aux faits comme ils sont soulevés en l’espèce. Le demandeur n’a par conséquent pas réussi à convaincre la Cour que l’enquêteuse a commis une erreur susceptible de contrôle à cet égard.

 

[22]           En outre, j’estime que la décision dans son ensemble était raisonnable et on peut dire que son caractère raisonnable tient à « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

[23]           Dans sa plainte auprès de la Commission, le demandeur soutient que RHDCC a exercé à son endroit de la discrimination du fait de sa déficience en omettant d’annuler sa décision de prendre sa retraite. Cependant, il appert que l’enquêteuse n’était pas convaincue que la preuve établissait un fondement suffisant de l’existence de discrimination au cours de l’emploi du demandeur pour les motifs suivants : ni le demandeur ni RHDCC ne savaient que le demandeur était atteint d’une déficience au cours de son emploi; RHDCC attribuait les difficultés que le demandeur avait dans son travail à la perte de son ancien superviseur et à la mise en œuvre de nouvelles directives qui causaient du stress à tout le personnel; on avait répondu de façon non officielle aux besoins du demandeur en lui fournissant l’aide de ses collègues; le demandeur n’a pas fait connaître son besoin d’obtenir des mesures d’accommodement.

 

[24]           En outre, l’enquêteuse n’était pas convaincue que la preuve établissait un fondement suffisant de l’existence de discrimination après que le demandeur a pris sa retraite pour les motifs suivants : le demandeur n’a demandé des mesures d’accommodement qu’une fois qu’il n’était plus un employé de RHDCC; le demandeur avait exprimé à RHDCC, dès 1999, son souhait de prendre sa retraite le 13 octobre 2004; le demandeur a été informé en juillet 2004 des options à sa disposition à l’égard de sa retraite; le demandeur reconnaît qu’il estimait avoir été parfaitement informé des options à sa disposition à l’égard de sa retraite; le demandeur a eu de l’aide pour faire une demande quant à des prestations d’invalidité qu’il reçoit actuellement; compte tenu de la nature dégénérative de la maladie du demandeur, il est peu probable qu’il puisse reprendre le poste qu’il occupait avant sa retraite.

 

[25]           La jurisprudence établit clairement qu’il appartient au demandeur d’établir prima facie l’existence de discrimination. Dans l’arrêt Sketchley, précité, au paragraphe 86, M. le juge Linden résume le fardeau à cet égard de la façon suivante :

Je dois commencer par rappeler les principes fondamentaux du critère établi dans l’arrêt Colombie‑ Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3, (Meiorin), en vertu duquel les affaires concernant les droits de la personne doivent être tranchées. Au départ, il incombe au plaignant d’établir qu’il y a eu discrimination à première vue. Une preuve prima facie est celle qui « porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l’absence de réplique de l’employeur intimé » (Commission ontarienne des droits de la personne et O’Malley) c. Simpson‑Sears Ltd. et autres, [1985] 2 R.C.S. 536, à la page 558). La preuve ayant été faite, il incombe ensuite à l’employeur de démontrer que la discrimination est une exigence professionnelle justifiée (EPJ).

 

 

[26]           L’enquêteuse a reconnu qu’il y avait des éléments de preuve de nature médicale établissant que la déficience du demandeur avait eu un effet pendant une période pouvant remonter à sept ans avant sa retraite et en particulier en 2004. Néanmoins, le demandeur n’a produit aucun élément de preuve donnant à penser que sa déficience a été un facteur dans sa décision de prendre sa retraite. Pour comprendre la capacité du demandeur à prendre une décision éclairée et volontaire à l’égard de sa retraite, il faut avoir une compréhension approfondie de l’état de santé du demandeur. Cependant, le demandeur n’a jamais fourni ces renseignements de nature médicale nécessaires à l’enquêteuse. En fait, le demandeur n’a pas présenté d’éléments de preuve qui permettraient à l’enquêteuse de raisonnablement conclure que la décision du demandeur de prendre sa retraite devrait être annulée. Au contraire, le demandeur lui-même a reconnu qu’il avait reçu les renseignements et les conseils appropriés à l’égard de ses droits et de ses options quant aux congés. À cet égard, l’enquêteuse n’avait pas de dossier de preuve sur lequel elle pouvait appuyer une conclusion selon laquelle la décision du demandeur de prendre sa retraite n’avait pas été volontaire.

 

[27]           Je suis également d’avis que l’enquête a été faite avec rigueur. Pour qu’une enquête soit considérée comme « juste et adéquate », au moins deux conditions doivent être remplies : la neutralité et la rigueur : Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 2 C.F. 574 (Slattery), au paragraphe 49, confirmée par (1996), 205 N.R. 383 (C.A.F.). Dans la présente affaire, le demandeur ne conteste que la rigueur de l’enquête. M. le juge Nadon, aux paragraphes 56 et 57 de la décision Slattery, précitée, déclare qu’il peut y avoir eu dans une enquête un manque quant au degré de rigueur légalement requis si, par exemple, un enquêteur « n’a pas examiné une preuve manifestement importante » :

Il faut faire montre de retenue judiciaire à l’égard des organismes décisionnels administratifs qui doivent évaluer la valeur probante de la preuve et décider de poursuivre ou non les enquêtes. Ce n’est que lorsque des omissions déraisonnables se sont produites, par exemple lorsqu’un enquêteur n’a pas examiné une preuve manifestement importante, qu’un contrôle judiciaire s’impose. Un tel point de vue correspond à la retenue judiciaire dont la Cour suprême a fait preuve à l’égard des activités d’appréciation des faits du Tribunal des droits de la personne dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554.

 

Dans des situations où les parties ont le droit de présenter des observations en réponse au rapport de l’enquêteur, comme c’est le cas en l’espèce, les parties peuvent compenser les omissions moins graves en les portant à l’attention du décideur. Par conséquent, ce ne serait que lorsque les plaignants ne sont pas en mesure de corriger de telles omissions que le contrôle judiciaire devrait se justifier. Même s’il ne s’agit pas d’une liste exhaustive, il me semble que les circonstances où des observations supplémentaires ne sauraient compenser les omissions de l’enquêteur devraient comprendre : (1) les cas où l’omission est de nature si fondamentale que le seul fait d’attirer l’attention du décideur sur l’omission ne suffit pas à y remédier; ou (2) le cas où le décideur n’a pas accès à la preuve de fond en raison de la nature protégée de l’information ou encore du rejet explicite qu’il en a fait.

 

 

[28]           M. le juge Teitelbaum, dans la décision Boahene-Agbo c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1994] A.C.F no 1611 (QL), au paragraphe 79, expose les considérations pertinentes pour établir si l’enquête a été faite avec rigueur :

Pour déterminer le degré de rigueur de lenquête qui doit correspondre aux règles déquité procédurale, il faut tenir compte des intérêts en jeu : les intérêts respectifs du plaignant et de lintimé, à légard de léquité procédurale, et lintérêt de la CCDP à préserver un système qui fonctionne et qui soit efficace sur le plan administratif [...].

 

 

[29]           En l’espèce, je suis convaincu que le rapport d’enquête traitait de toutes les questions fondamentales soulevées dans la plainte du demandeur et que, par conséquent, il y a eu suffisamment de rigueur. Je souligne que « [l]’enquêteur n’est pas tenu d’interroger chaque personne que proposent les parties » (Slattery, précitée, au paragraphe 69). À cet égard, je ne puis partager l’opinion de l’avocate du demandeur selon laquelle l’omission de l’enquêteuse d’avoir eu un entretien avec l’un ou l’autre des collègues du demandeur ou de ses médecins constitue une erreur susceptible de contrôle.

 

[30]           Comme il a été déclaré, il appartient au demandeur (qui invoque son incapacité en juillet 2004 à prendre une décision éclairée quant à sa retraite) de présenter des éléments de preuve au soutien de sa prétention à cet égard. Il n’appartient pas à l’enquêteur de prendre contact avec les médecins qui traitent un demandeur en vue de démontrer le bien-fondé des prétentions du demandeur. En outre, je ne suis pas convaincu que l’enquêteuse devait avoir des entretiens avec les collègues de travail du demandeur. Le demandeur a reconnu qu’il était gêné que ses collègues aient constaté la détérioration de son rendement au travail. En outre, je suis d’accord avec le défendeur lorsqu’il affirme que les collègues de travail du demandeur ne sont pas des médecins et ne sont par conséquent pas les mieux placés pour établir la [traduction] « la nature et l’étendue des problèmes [que le demandeur] avait, et la manière dont ces problèmes influençaient son travail et son comportement en milieu de travail ».

 

[31]           Mon dernier commentaire est que l’article 7 de la Loi prévoit expressément ce qui suit : « Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects : a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu; b) de le défavoriser en cours d’emploi. » [Non souligné dans l’original.] Les parties reconnaissent qu’en l’espèce il ne s’agit pas d’une affaire dans laquelle l’alinéa 7a) s’applique. En effet, le demandeur ne prétend pas qu’il y a eu un congédiement déguisé ou qu’il a été forcé de prendre une retraite anticipée. Plutôt, le demandeur prétend que RHDCC a exercé de la discrimination à son endroit en contravention de l’alinéa 7b) en omettant d’annuler sa décision de prendre sa retraite. Il convient de souligner que la Cour n’est pas convaincue que l’alinéa 7b) s’applique à la plainte déposée par le demandeur auprès de la Commission. La demande du demandeur visant à obtenir une mesure d’accommodement (sous la forme de l’annulation de la décision de prendre sa retraite) a été présentée deux mois après qu’il a pris sa retraite. Cette demande d’accommodement a par conséquent été présentée alors que le demandeur n’était plus un employé de RHDCC. De même, on peut soutenir que le refus de RHDCC de fournir une mesure d’accommodement au demandeur n’a pas non plus eu lieu en cours de l’emploi du demandeur. Compte tenu du langage actuel de l’alinéa 7b) de la Loi et compte tenu du dossier de preuve dont je dispose, la Cour n’est pas convaincue que l’annulation de la décision de prendre une retraite est une réparation facilement accessible à un demandeur qui, en raison de sa retraite volontaire, n’est plus un employé d’un employeur particulier. Toutefois, compte tenu de ma conclusion selon laquelle il n’y a dans la décision aucune erreur justifiant l’intervention de la Cour, et puisque l’enquêteuse n’a pas examiné cette question (et qu’aucune des parties ne l’a soulevée), il n’est pas nécessaire que mon refus d’intervenir soit fondé sur ce motif particulier.

 

[32]           Pour les motifs énoncés, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens au défendeur.

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée avec dépens au défendeur.

 

« Luc Martineau »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

 

Danièle Laberge, LL.L.


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T‑518‑07

 

INTITULÉ :                                       JOHN BATEMAN

                                                            c.

                                                            PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 12 FÉVRIER 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 27 MARS 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Alison Dewar

 

POUR LE DEMANDEUR

Gregory Tzemenakis

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Raven, Cameron, Ballentyne & Yazbeck

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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