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Date : 20080325

Dossier : IMM-3533-07

Référence: 2008 CF 375

Ottawa (Ontario), le 25 mars 2008

En présence de Monsieur le juge de Montigny

 

ENTRE :

MADAME ZINEB BELKACEM

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision prise par l’agente de visa Karine Roy-Tremblay, de l’Ambassade du Canada à Rabat au Maroc, refusant la demande de résidence permanente de la demanderesse sous la catégorie « travailleurs qualifiés – Québec – ». La demanderesse allègue qu’il y a eu violation de l’équité procédurale, et que l’agente de visa a tiré une conclusion de fait erronée au regard de la preuve au dossier. Pour les motifs qui suivent, je souscris aux prétentions de la demanderesse.

 


I. Faits

 

[2]               La demanderesse a fait une demande de certificat de sélection du Québec en octobre 2002 qui lui fut finalement octroyé en 2005. La demanderesse a alors déposé une demande de visa au niveau fédéral auprès du Service des visas canadiens de Rabat en avril 2005. Selon les termes de l’Accord Canada-Québec, il appartient au gouvernement fédéral de déterminer l’admissibilité du candidat présélectionné par le Québec.

 

[3]               Dans son formulaire, la demanderesse a déclaré avoir travaillé entre 1996 et décembre 2006. Elle a donc fourni les documents suivants au soutien de sa déclaration : une attestation de déclaration des salaires par le Directeur de la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) de Rabat pour la période de janvier 1993 à août 1999 concernant son emploi pour la société CIEME Maroc, une lettre d’attestation d’emploi de la société DMW de 2001 à aujourd’hui et trois bulletins de paye datés de 2006.

 

[4]               L’agente de visa a tenté de vérifier l’emploi de la demanderesse au sein de DMW, et a pour ce faire consulté le site internet de la CNSS qui ne faisait état d’aucune déclaration postérieure à 1999. L’agente de visa a donc essayé de contacter le directeur de DMW ayant rempli l’attestation d’emploi. Cependant, il s’est avéré que le numéro de téléphone figurant sur cette attestation n’était pas celui de la société. L’agente a, par la suite, cherché à obtenir les informations nécessaires par le biais des renseignements du Centre de téléphonie de Rabat, qui lui a finalement confirmé que la société DMW n’existait pas.

[5]               Afin de clarifier cette situation, la demanderesse a été convoquée en entrevue le 2 avril 2007. La demanderesse a réitéré l’existence de DMW et son emploi au sein de cette entreprise. L’agente de visa a alors donné à la demanderesse un délai de 30 jours pour fournir tous documents additionnels qui permettraient de confirmer ses dires.

 

[6]               Se conformant à cette demande, Mme Belkacem a fait parvenir à l’agente de visa les documents suivants : une copie du Registre de commerce pour la compagnie DMW, un certificat du Ministère des Finances et des Investissements Extérieurs, une attestation de la CNSS concernant la masse salariale de la société, une attestation de la CNSS relative à un autre employé de DMW, des copies de résultats de consultations en ligne de la CNSS pour deux autres employés et deux avis de crédit pour un compte de banque détenu par la demanderesse.

 

II. La décision contestée

 

[7]               Estimant que cette preuve additionnelle ne confirmait pas l’emploi de la demanderesse et la nouvelle adresse de DMW, l’agente de visa a conclu qu’elle était dans l’impossibilité de vérifier l’emploi de la demanderesse pour la période de 2001 à 2006. Elle a donc rejeté la demande de résidence permanente le 25 juin 2007 par la lettre suivante :

[…]

 

J’ai maintenant terminé l’examen de votre demande et je suis arrivée à la conclusion que vous ne répondez pas aux critères pour être admis au Canada à titre de travailleur qualifié au Québec.

 

Au paragraphe 16(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés de 2001, il est dit que « l’auteur d’une demande au titre de cette loi doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées lors du contrôle, donner les renseignements et tous éléments de preuve pertinents et présenter les visa et documents requis ». Lors d’un entretien avec l’immigration le 02-04-2007, il vous a été demandé de fournir des informations suivantes en vue d’évaluer votre admissibilité au Canada :

 

-         preuves de votre emploi à la société D.M.W.

 

Vous avez déclaré que vous avez travaillé à cette société de janvier 2001 à décembre 2006, mais vous n’avez fourni aucune preuve qui démontre votre emploi à cette société. Tout ce que vous avez fourni c’est le registre de commerce de la société, deux virements que vous aurez reçu de cette société, une attestation d’affiliation de la société à la CNSS et des relevés de la CNSS d’autres employés. Vous avez indiqué que vous n’étiez pas déclarée à la CNSS alors que vos fiches de paie indiquent des retenus de la CNSS.

 

Le paragraphe 11(1) de la Loi stipule que « l’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par le règlement, lesquels sont délivrés sur preuve, à la suite d’un contrôle, qu’il n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi ».

 

Après examen des renseignements en ma possession, je ne suis pas convaincue que vous répondez aux critères d’admissibilité et aux exigences prescrites par la Loi. Je refuse donc votre demande.

 

[…]

 

 

[8]               C’est de cette décision de l’agente de visa que la demanderesse demande le contrôle judiciaire devant cette Cour.

 


III. Questions en litige

 

[9]               Deux questions ressortent des représentations écrites et orales des parties : 

a) L’agente de visa a-t-elle erré en rejetant la demande de résidence permanente de la demanderesse? Plus particulièrement, l’agente pouvait-elle conclure à l’impossibilité de contrôler l’admissibilité de la demanderesse en vertu des articles 34 à 38 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (la LIPR) sur la seule base des doutes qu’elle entretenait sur son lien d’emploi avec la société DMW?

 

b) Les exigences de l’équité procédurale ont-elles été respectées? La demanderesse a-t-elle été suffisamment informée du fait qu’elle devait soumettre une preuve non seulement de l’existence de la société DMW, mais également de son lien d’emploi avec cette société aux dates pertinentes?

 

IV. Les dispositions législatives pertinentes

 

[10]           Les dispositions pertinentes de la LIPR se lisent comme suit :

Visa et documents

 

 

11. (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement, lesquels sont délivrés sur preuve, à la suite d’un contrôle, qu’il n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

 

 

 

Obligation du demandeur

 

 

16. (1) L’auteur d’une demande au titre de la présente loi doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées lors du contrôle, donner les renseignements et tous éléments de preuve pertinents et présenter les visa et documents requis.

 

Éléments de preuve

 

(2) S’agissant de l’étranger, les éléments de preuve pertinents visent notamment la photographie et la dactyloscopie et il est tenu de se soumettre, sur demande, à une visite médicale.

 

 

 

 

Établissement de l’identité

 

(3) L’agent peut exiger ou obtenir du résident permanent ou de l’étranger qui fait l’objet d’une arrestation, d’une mise en détention, d’un contrôle ou d’une mesure de renvoi tous éléments, dont la photographie et la dactyloscopie, en vue d’établir son identité et vérifier s’il se conforme à la présente loi.

Application before entering Canada

 

11. (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document shall be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

 

Obligation — answer truthfully

 

16. (1) A person who makes an application must answer truthfully all questions put to them for the purpose of the examination and must produce a visa and all relevant evidence and documents that the officer reasonably requires.

 

 

Obligation — relevant evidence

 

(2) In the case of a foreign national,

(a) the relevant evidence referred to in subsection (1) includes photographic and fingerprint evidence; and

 

(b) the foreign national must submit to a medical examination on request.

 

Evidence relating to identity

 

(3) An officer may require or obtain from a permanent resident or a foreign national who is arrested, detained or subject to a removal order, any evidence — photographic, fingerprint or otherwise — that may be used to establish their identity or compliance with this Act.

 

V. Analyse

 

[11]           Les parties sont en désaccord en ce qui concerne la norme de contrôle applicable. Alors que le demandeur prétend qu’il s’agit d’une question mixte de fait et de droit nécessitant l’application de la norme raisonnable simpliciter, le défendeur soutient plutôt que la décision de l’agente de visa devrait être révisée seulement si elle est manifestement déraisonnable.

 

[12]           Ce que l’agente de visa devait déterminer dans le cadre du présent dossier, c’était l’admissibilité de la demanderesse au vu du dossier et de la preuve qui étaient devant elle. C’est là, me semble-t-il, une question purement factuelle dans la détermination de laquelle cette Cour ne devrait pas intervenir à moins qu’il puisse être démontré qu’elle s’appuie sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, c. F-7, art. 18.1(4)(d)).

 

[13]           Il est vrai que dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], le plus haut tribunal a écarté la distinction entre la norme du raisonnable et celle du manifestement déraisonnable au motif que la distinction entre les deux concepts était difficilement applicable et somme toute illusoire. Ce faisant, la Cour a bien pris soin de noter que la norme de la raisonnabilité est empreinte de déférence à l’égard du législateur, et qu’elle commande « le respect de la volonté du législateur de s’en remettre, pour certaines choses, à des décideurs administratifs, de même que des raisonnements et des décisions fondés sur une expertise et une expérience dans un domaine particulier, ainsi que de la différence entre les fonctions d’une cour de justice et celles d’un organisme administratif dans le système constitutionnel canadien » (au para. 49). Par conséquent, les tribunaux devront se garder d’intervenir lorsque la décision attaquée constitue l’une des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (au para. 47).

 

[14]           Il en va autrement, bien entendu, en ce qui concerne la question relative à l’équité procédurale. En cette matière, il ne saurait être question d’appliquer l’analyse pragmatique et fonctionnelle; l’agente de visa n’avait pas droit à l’erreur, et se devait de respecter les exigences découlant des principes de justice naturelle et d’équité.

 

[15]           En ce qui concerne la première question en litige, la demanderesse ne conteste pas qu’il revient au gouvernement fédéral de déterminer l’admissibilité d’un requérant au niveau médical, sécuritaire et criminel une fois que ce requérant a été sélectionné par le Québec conformément à l’Accord intervenu entre cette province et les autorités canadiennes. Il est également exact de prétendre que l’agente n’a pas conclu à l’inadmissibilité de la demanderesse, mais s’est tout simplement dite incapable de rendre une décision à l’égard de cette question.

 

[16]           Ceci étant dit, pouvait-elle néanmoins rejeter la demande de résidence permanente au motif qu’elle ne pouvait se décharger de son devoir d’évaluer l’admissibilité de Mme Belkacem, du seul fait qu’elle n’était pas satisfaite des preuves soumises par cette dernière eu égard à son emploi de 2001 à 2006? Dans son affidavit, l’agente de visa a précisé qu’elle était satisfaite que la demanderesse et les membres de sa famille n’étaient pas inadmissibles aux termes des articles 36 (criminalité) et 38 (raisons médicales) de la LIPR. Ne restaient donc plus que les vérifications relatives à la sécurité, l’atteinte aux droits humains ou internationaux, et les activités de criminalité organisée.

 

[17]           Il est vrai, comme le prévoient les articles 11 et 16 de la LIPR, que l’étranger doit établir qu’il n’est pas interdit de territoire pour obtenir un visa ou tout autre document requis par règlement, et qu’il doit pour ce faire « répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées lors du contrôle, donner les renseignements et tous éléments de preuve pertinents et présenter les visas et documents requis ». Mais une preuve d’emploi constitue-t-elle un renseignement ou un élément de preuve pertinent aux fins de déterminer si la demanderesse s’est livrée à des activités de terrorisme, de crime organisé ou à des violations des droits humains?

 

[18]           Dans son affidavit, l’agente de visa a déclaré qu’elle se devait de refuser la demande de Mme Belkacem à partir du moment où elle ne pouvait déterminer les activités de cette dernière durant les années 2001-2006, n’étant pas satisfaite qu’elle répondait aux critères d’admissibilité et aux autres exigences prescrites par la LIPR. Ce raisonnement me paraît fallacieux. En supposant même que Mme Belkacem n’ait pas travaillé pour la firme DMW durant ces cinq années (une question sur laquelle je reviendrai en réponse à la deuxième question en litige), cela ne permettrait de tirer aucune inférence sur son admissibilité au Canada. Elle aurait pu œuvrer pour une autre entreprise, être travailleuse autonome ou tout simplement avoir quitté le marché du travail sans pour autant se livrer à des activités illégales. À l’inverse, le fait d’avoir véritablement travaillé pour la firme DMW ne prouverait rien quant à son admissibilité eu égard aux articles 34, 35 et 37 de la LIPR.

 

[19]           Lors de son interrogatoire sur affidavit, l’agente de visa a confirmé que l’information visant à déterminer l’implication d’un candidat dans une activité visée aux articles 34, 35 et 37 de la LIPR provenait normalement des autorités canadiennes. Le Guide ENF 1 du Ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration sur l’Interdiction de territoire décrit par ailleurs les éléments de preuve sur lesquels un agent de visa peut s’appuyer aux fins de l’application de ces dispositions législatives. On y mentionne notamment des rapports de police ou des rapports secrets, des déclarations solennelles, et d’autres preuves documentaires comme des articles de médias, des publications savantes ou des preuves d’experts, toutes choses qui n’ont rien à voir avec la preuve d’un lien d’emploi.

 

[20]           Dans ce contexte, il m’apparaît donc que l’agente de visa a erré en mettant un terme à l’enquête de sécurité et en rejetant le dossier de Mme Belkacem avant même que les services canadiens aient pu compléter leurs investigations. L’existence ou l’absence d’un lien d’emploi ne prouvait rien à ce chapitre, et il était donc prématuré de rejeter la demande de résidence permanente au motif que l’admissibilité de la demanderesse ne pouvait être vérifiée. Le lien d’emploi peut être pertinent pour établir qu’un candidat fait partie de la catégorie des « travailleurs qualifiés » (art. 76 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227), par exemple. Mais il n’est tout au plus que d’une utilité marginale pour vérifier qu’une personne n’a pas commis d’actes terroristes ou n’a pas participé à des activités de criminalité organisée ou de violation des droits de la personne. Bref, cette conclusion ne constituait pas l’une des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit », pour reprendre les termes des juges Bastarache et LeBel dans l’arrêt Dunsmuir.

 

[21]           Cette erreur, à elle seule, suffirait pour disposer de la présente demande de contrôle judiciaire. Mais il y a plus. Il appert de la preuve déposée au dossier que les demandes formulées par l’agente de visa lors de la réunion du 2 avril 2007 ont engendré une certaine confusion chez la demanderesse. Cette dernière, croyant que les préoccupations de l’agente portaient uniquement sur l’existence de la société DMW, a fourni par le biais de son consultant, et ce dès le 19 avril 2007, une série de documents visant à établir que cette société existait bel et bien et qu’elle était toujours en activité. Or, l’agente a estimé que cette nouvelle documentation n’établissait pas le lien d’emploi de la demanderesse avec la société DMW et a par conséquent rejeté sa demande.

 

[22]           Il m’apparaît tout à fait raisonnable de croire que les deux parties aient pu avoir une compréhension différente des renseignements additionnels requis de la demanderesse suite à l’entrevue du 2 avril 2007. Il ne faut pas perdre de vue que cette entrevue a été très courte (entre 5 et 15 minutes, selon que l’on se fie à la version de la demanderesse ou de la défenderesse), et la demande de renseignements supplémentaires n’a fait l’objet d’aucune communication écrite, avant ou après l’entrevue. Quant aux notes informatisées STIDI, elles sont pour le moins ambigües, comme en témoigne l’entrée faite le jour de l’entrevue :

J’ai confronté RQ sur les bulletins de paie et l’attestation de travail. RQ m’assure que c’est une vraie compagnie et elle dit qu’elle va me le démontrer entre autres avec le registre du commerce, preuve d’affiliation à la CNSS. Les bulletins de paie présentés précise[nt] des déductions pour la CNSS et pourtant RQ n’est pas déclaré[e] et cet emploi [n]e figure pas sur l’historique de la CNSS.

 

J’ai demandé ce que RQ faisait depuis janvier 2001 et elle assure qu’elle travaillait à DMW.

 

J’ai donné 30 jours à RQ pour fournir docs supplémentaires.

 

 

[23]           La lettre du consultant accompagnant la documentation additionnelle fournie par la requérante suite à cette entrevue semble corroborer la version de la demanderesse à l’effet que l’agente ne lui avait demandé que des éclaircissements sur l’existence de la société DMW. Le consultant écrit, entre autres :

Notre cliente devait faire la preuve que son ancien employeur, la société Distribution and Marketing Word, ci-après désignée par l’abréviation D.M.W., existait toujours.

 

[…]

 

Nous pensons à présent que si vous avez eu des doutes sur l’existence antérieure ou actuelle de la société DMW, ces nombreux documents sauront les dissiper.

 

(Dossier du Tribunal, pp. 18-19)

 

 

[24]           Dans son affidavit, l’agente de visa prétend au contraire que le délai de 30 jours consenti à la demanderesse avait pour but de lui permettre de fournir des documents additionnels afin de la satisfaire de deux choses : 1) l’existence de la société DMW et, 2) son lien d’emploi pour cette même société pour toute la période de janvier 2001 à décembre 2006 (affidavit de Mme Karine Roy-Tremblay, para. 30). Pourtant, au paragraphe 28 de ce même affidavit, elle affirme avoir fait part à la demanderesse des doutes qu’elle avait « quant à l’existence de la société DMW et, par le fait même, quant à son emploi avec cette entreprise » (mes soulignés), ce qui tend plutôt à entériner la version de Mme Belkacem.

 

[25]           Il faut par ailleurs noter que cet affidavit a été complété plus de six mois après l’entrevue, soit le 24 octobre 2007. L’agente a donc procédé à de nombreuses autres entrevues dans l’intervalle, au rythme de 5 à 15 par jour selon ses propres dires. Sans remettre en question la bonne foi de l’agente, il se peut bien que sa mémoire des termes précis qu’elle a pu utiliser pour préciser la nature des documents que Mme Belkacem devait lui transmettre ait pu être défaillante. Dans de telles circonstances, les notes STIDI m’apparaissent plus fiables, puisque contemporaines à l’entrevue, et la jurisprudence de cette Cour est d’ailleurs constante à l’effet d’accorder peu de poids à l’affidavit subséquent : voir, entre autres, Kalra c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 941; Alam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 182; Abdullah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1185.

 

[26]           Je suis bien conscient que le consultant, dans sa lettre de suivi du 4 juin 2007, apporte en quelque sorte de l’eau au moulin à la thèse du défendeur. Il écrit en effet :

Nous aimerions savoir si le problème ayant été soulevé lors de l’entrevue de sécurité de notre cliente (donc le fait que notre cliente avait bien travaillé pour l’employeur qu’elle avait déclaré) est réglé, suite à la preuve déposée par nous afin de corroborer les déclarations de notre cliente.

 

(Dossier du Tribunal, p. 17)

 

 

[27]            Tout bien considéré, j’estime cependant que cette lettre ne fait qu’ajouter, si besoin était, à la confusion entourant les demandes précises de l’agente de visa. Elle ne saurait certainement pas suffire, à elle seule, à départager les deux versions contradictoires de la demanderesse et du défendeur eu égard à ce qui s’est vraiment dit lors de l’entrevue du 2 avril 2007.

 

[28]           La demanderesse a déposé devant cette Cour de nouveaux éléments de preuve (relevés bancaires et avis de crédit) pour établir sa crédibilité. Elle soumet qu’il serait illogique de penser qu’elle n’aurait pas soumis ces documents si elle avait su qu’elle devait démontrer non seulement l’existence de la société DMW mais également son lien d’emploi avec cette société.

 

[29]           Le défendeur s’est évidemment objecté à l’introduction de cette nouvelle preuve, au motif que la révision du bien-fondé d’une décision faisant l’objet d’un contrôle judiciaire doit s’apprécier à la lumière des éléments de preuve ayant effectivement été soumis au décideur administratif au moment où il a pris sa décision. Sur ce point, je me dois de donner raison au défendeur. La jurisprudence est sans équivoque à l’effet que cette Cour ne peut considérer une preuve dont l’agente de visa n’aurait pas été saisie : voir, par exemple, Gitxsan Treaty Society c. Hospital Employees Union, [2000] 1 C.F. 135 (C.A.F.); Noor c. Canada (Développement des ressources humaines), [2000] A.C.F. n˚ 574 (C.A.) (QL) au para. 6; Zolotareva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 FC 1274 au para. 36. De toute façon, je me permettrais d’ajouter que la nouvelle preuve soumise par la demanderesse ne suffit pas à démontrer son lien d’emploi avec la société DMW pour toute la période entre 2001 et 2006.

 

[30]           Étant donné le problème évident de communication entre la demanderesse et l’agente de visa, j’estime que cette dernière aurait dû, en toute équité, donner à Mme Belkacem une deuxième chance de répondre à ses préoccupations en lui précisant davantage ses attentes. J’en arrive à cette conclusion en considérant d’abord la coopération et la célérité dont a fait preuve Mme Belkacem tout au long du processus. D’autre part, l’importance de la décision rendue par l’agente de visa pour la demanderesse ne saurait être sous-estimée. Il est vrai que cette dernière pourrait toujours faire une nouvelle demande auprès des autorités canadiennes, mais déjà près de trois ans se sont écoulés depuis le dépôt de sa demande initiale, et l’obligation de refaire une demande entraînerait de nouveaux délais. Qui plus est, il n’est pas acquis que Mme Belkacem se qualifierait de nouveau pour fins de sélection auprès du gouvernement du Québec.

 

[31]           Étant donné les conséquences qu’entraînait pour la demanderesse le refus de l’agente de visa et l’importance que revêtait pour la demanderesse et sa famille la possibilité de venir s’établir au Canada, c’eut été la moindre des choses de communiquer avec Mme Belkacem pour obtenir les renseignements souhaités, comme l’y invitait d’ailleurs son consultant dans sa lettre du 4 juin 2007. Comme l’écrivait la Cour suprême dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 au para. 28 :

Les valeurs qui sous-tendent l’obligation d’équité procédurale relèvent du principe selon lequel les personnes visées doivent avoir la possibilité de présenter entièrement et équitablement leur position, et ont droit à ce que les décisions touchant leurs droits, intérêts ou privilèges soient prises à la suite d’un processus équitable, impartial et ouvert, adapté au contexte légal, institutionnel et social de la décision.

 

 

[32]           Bref, j’estime que l’agente de visa a manqué à son devoir d’équité procédurale en prenant sa décision sans permettre à la demanderesse d’éclaircir les zones d’ombre qui subsistaient dans son dossier, dans la mesure où il était manifeste que les informations manquantes pouvaient résulter d’un problème de communication lors de l’entrevue du 2 avril 2007. Il s’agit donc là d’un deuxième motif justifiant que soit accueillie la demande de contrôle judiciaire.

 

[33]           La décision de l’agente de visa doit donc être annulée, et l’affaire doit être renvoyée à un autre agent de visa pour que celui-ci procède à une nouvelle entrevue et statue de nouveau sur l’affaire en conformité avec les présents motifs.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie.

 

 

« Yves de Montigny »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3533-07

 

INTITULÉ :                                       Madame Zineb Belkacem

                                                            c.

                                                            MCI

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal, Québec

 

DATE DE L’AUDIENCE :               11 mars 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT PAR :                     LE JUGE de MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :                      25 mars 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Patricia Guerrero

 

POUR LA DEMANDERESSE

Me Isabelle Brochu

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Sophie Patricia Guerrero

304 rue St-Antoine Est

Montréal (Québec)  H2Y 1A3

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

                                                                             

 

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