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Date : 20080328

Dossier : IMM-2976-07

Référence : 2008 CF 401

Ottawa (Ontario), le 28 mars 2008

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE DAWSON

 

ENTRE :

 

ROSMIRA GERARDO DE VON

JEFFREY VON

MEE LAY VON GERARDO

 

 

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]        Rosmira Gerardo De Von, son fils Jeffrey Von, et sa fille Mee Lay Von Gerardo, sont des citoyens de la Colombie qui ont demandé l’asile, quoique Jeffrey ait retiré sa demande avant qu’elle ne soit entendue. Mme Gerardo De Von et sa fille ont allégué qu’elles craignaient avec raison d’être persécutées par les Forces armées révolutionnaires de Colombie (les FARC). La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SPR) a rejeté leur demande au motif que leur témoignage n’était pas crédible et que, quoi qu’il en soit, elles pouvaient se prévaloir d’une possibilité de refuge intérieur viable à Bogotá.

 

[2]        La présente demande de contrôle judiciaire de cette décision est rejetée puisque la SPR n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle en arrivant à ces conclusions.

 

Nature de la demande des demandeurs

[3]        Mme Gerardo De Von et son mari étaient propriétaires d’un restaurant qu’ils exploitaient à Cartagena, en Colombie.

 

[4]        En décembre 2000, trois hommes s’étant présentés comme des membres des FARC auraient menacé le mari de Mme Gerardo De Von et tenté de lui extorquer de l’argent. Ni Mme Gerardo De Von ni son mari n’ont signalé ces menaces à la police, puisqu’ils croyaient que les FARC avaient des informateurs au sein des services de police. Mme Gerardo De Von et son mari ont décidé de quitter la Colombie pour se rendre aux États-Unis.

 

[5]        Mme Gerardo De Von et son mari ont trois enfants : Jeffrey, Elaine et Mee Lay. Les membres de la famille ont quitté la Colombie pour se rendre à Miami, en Floride, comme suit :

 

·        Jeffrey et Elaine ont quitté le pays le 18 janvier 2001;

·        Mee Lay a quitté le pays le 1er février 2001, après avoir renouvelé son passeport le 23 janvier 2001;

·        Mme Gerardo De Von a quitté le pays le 16 février 2001;

·        Le mari de Mme Gerardo De Von a quitté le pays en mars 2001, après avoir recouvré les sommes que ses clients lui devaient.

 

[6]        Les membres de la famille ont présenté une demande d’asile aux États-Unis. Le 17 janvier 2006, leur demande a été rejetée pour manque de crédibilité.

 

[7]        Le 3 octobre 2006, Mme Gerardo De Von, sa fille Mee Lay et son fils Jeffrey se sont rendus au Canada. Ils y ont par la suite demandé l’asile. Le mari de Mme Gerardo De Von est demeuré aux États-Unis, mais il a depuis été expulsé en Colombie.

 

Décision de la SPR

[8]        En ce qui a trait à la question de la crédibilité, la SPR a exprimé des doutes quant à cinq aspects de la demande des demandeurs :

 

  1. La SPR a constaté le départ tardif des demandeurs de la Colombie suivant les prétendues menaces des FARC. La SPR a précisément souligné la période de deux mois s’étant écoulée avant que le mari de Mme Gerardo De Von ne quitte le pays, indiquant qu’il n’était pas raisonnable qu’il ait risqué d’être tué afin de recouvrer des sommes de ses clients. Comme les FARC avaient montré qu’elles surveillaient la famille, elles auraient remarqué que Mme Gerardo De Von et ses enfants avaient quitté la Colombie entre le 18 janvier et le 16 février 2001. La SPR a jugé que ce départ tardif démentait la crainte subjective des demandeurs.

 

  1. La SPR a souligné le retour de Jeffrey, le fils de Mme Gerardo De Von, en Colombie, et son séjour d’environ un mois dans ce pays. Bien qu’elle ait reconnu que Mme Gerardo De Von ne voulait pas que son fils aille en Colombie, la SPR s’est demandé pourquoi le mari de la demanderesse n’avait pas empêché leur fils d’y retourner. Le mari de Mme Gerardo De Von avait plutôt payé le voyage de Jeffrey. La SPR a conclu que le retour de Jeffrey dans son pays sans incident mettait sérieusement en doute l’allégation des demandeurs selon laquelle les FARC les tueraient à leur retour en Colombie.

 

  1. La SPR a souligné le séjour de deux semaines du mari de Mme Gerardo De Von en Colombie suivant son expulsion des États-Unis. Compte tenu du témoignage de Mme Gerardo De Von selon lequel son mari était d’origine chinoise et qu’il était donc facilement reconnaissable, la SPR a indiqué que la probabilité que les FARC apprennent son retour se trouvait même accrue, malgré la courte durée de son séjour. Selon la SPR, l’absence d’éléments de preuve établissant que les FARC avaient communiqué avec le mari de Mme Gerardo De Von ou qu’elles avaient pris des mesures contre lui permettait de douter que les demandeurs avaient raison de craindre les FARC et que les FARC s’intéressaient toujours à eux.

 

  1. La SPR a relevé une contradiction entre le récit contenu dans le Formulaire de renseignements personnels de Mme Gerardo De Von, son entrevue au point d’entrée et son témoignage. Dans son Formulaire de renseignements personnels et dans son entrevue au point d’entrée, Mme Gerardo De Von n’a jamais mentionné que son mari avait versé des sommes aux FARC. Elle a seulement indiqué qu’il avait refusé de se plier à leurs demandes. Cependant, Mme Gerardo De Von a témoigné que son mari avait en fait versé des sommes aux FARC en janvier et en février 2001. La SPR a jugé que cette contradiction minait davantage la crédibilité de la demande des demandeurs.

 

  1. La SPR a souligné que le rejet de la demande d’asile des demandeurs aux États-Unis pour manque de crédibilité avait contribué à ses doutes relativement à la crédibilité. La SPR a considéré comme suspect le fait que Mme Gerardo De Von ait jeté les documents relatifs à cette demande et a fait observer que les documents contenaient peut‑être des renseignements défavorables à la demande d’asile présentée au Canada. La SPR a conclu que, même si elle ne tranchait pas la question de la crédibilité, la conclusion défavorable antérieure donnait une idée du manque de crédibilité des demandeurs.

 

[9]        La SPR, en tenant compte de l’ensemble des aspects susmentionnés, a conclu que la demande des demandeurs n’était pas crédible.

 

[10]      « Même si la crédibilité n’était pas en cause », la SPR a ensuite examiné s’il existait une possibilité de refuge intérieur. Selon la SPR, il existait une possibilité de refuge intérieur viable à Bogotá; elle a souligné à cet égard que d’autres membres de la famille s’étaient auparavant réclamés à nouveau de la protection de la Colombie, sans incident, et que six années s’étaient écoulées depuis que les demandeurs avaient quitté la Colombie. La SPR a fait état de la dimension de Bogotá et de sa distance de Cartagena, l’ancienne ville des demandeurs, et a ensuite conclu qu’il n’existait aucune possibilité sérieuse que les demandeurs soient découverts. La SPR a souligné que les demandeurs allaient devoir prendre des précautions raisonnables lorsqu’ils aviseraient les membres de leur famille de leur changement d’adresse. La SPR a aussi noté que les demandeurs avaient de l’expérience dans l’exploitation d’un commerce et qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que le mari de Mme Gerardo De Von rejoindrait sa famille puisqu’il n’avait pas de statut au Venezuela.

 

Norme de contrôle

[11]      Selon la jurisprudence récente de la Cour, les conclusions de fait de la SPR, y compris les conclusions relatives à la crédibilité et à l’existence d’une possibilité de refuge intérieur, étaient susceptibles de contrôle suivant la norme de la décision manifestement déraisonnable.

 

[12]      À l’audience, les avocats n’étaient pas prêts à traiter de l’impact de l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, rendu par la Cour suprême du Canada. Plus précisément, on leur a demandé de traiter de la question de savoir si la norme de contrôle appropriée à appliquer aux conclusions de fait de la SPR demeurait celle énoncée à l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, ou était celle de la raisonnabilité, ou si les deux normes étaient semblables dans ce contexte.

 

[13]      Après avoir entendu les observations quant aux questions de fond, j’ai avisé les avocats qu’ils n’auraient pas à fournir des observations écrites sur la norme de contrôle. Je suis convaincue que les conclusions de la SPR résistent à un examen approfondi peu importe la norme de contrôle appliquée. Par conséquent, il n’est pas nécessaire d’examiner plus en détail la question de la norme de contrôle.

 

Conclusions relatives à la crédibilité tirées par la SPR

[14]      À mon avis, la SPR a exprimé clairement les motifs précis justifiant ses conclusions, lesquelles reposaient sur la preuve; plus particulièrement :

 

1.      La menace qui aurait été faite par les FARC était que, si le mari de Mme Gerardo De Von ne leur payait pas une certaine somme d’argent, il serait tué ou d’autres membres de la famille le seraient. Vu la nature de la menace, il était loisible à la SPR de tirer une inférence défavorable du fait que le mari de Mme Gerardo De Von était demeuré à Cartagena pendant deux mois afin de recouvrer des sommes dues.

 

2.      Le fils de Mme Gerardo De Von est retourné en Colombie et y est demeuré pendant environ six semaines, période durant laquelle il est resté chez des membres de la famille et n’a éprouvé aucune difficulté. Vu la durée du séjour du fils chez les membres de la famille et l’absence d’éléments de preuve établissant qu’il se cachait pendant cette période, la conclusion de la SPR selon laquelle son séjour mettait en doute la validité de l’allégation que les FARC s’intéressaient toujours à la famille était raisonnable.

 

3.      Selon la preuve, pendant une des deux semaines ayant suivi son expulsion en Colombie, le mari de Mme Gerardo De Von est retourné à Cartagena. Mme Gerardo De Von et sa fille ont toutes deux témoigné que le mari de la demanderesse était physiquement très facile à reconnaître et qu’il avait un nom de famille rare. Eu égard à la preuve, il n’était pas déraisonnable pour la SPR de tirer une inférence défavorable relativement à ce séjour.

 

4.      Le fait que Mme Gerardo De Von n’a pas déclaré dans son Formulaire de renseignements personnels que son mari avait versé des sommes aux FARC constituait une omission importante. Lorsque cette omission a été portée à son attention, Mme Gerardo De Von a témoigné de façon vague. La conclusion de la SPR selon laquelle cela a nuit à la crédibilité de Mme Gerardo De Von était raisonnable.

 

5.      Lorsqu’on lui a posé d’autres questions afin de savoir pourquoi elle avait jeté les documents relatifs à la demande d’asile aux États-Unis, Mme Gerardo De Von a avoué que son mari avait menti dans le cadre de cette instance, ce qui a raisonnablement donné lieu aux doutes de la SPR.

 

[15]      Selon moi, la SPR a adéquatement exprimé les motifs appuyant ses conclusions relatives à la crédibilité. Sa conclusion finale quant à la crédibilité ne peut pas être considérée comme n’appartenant pas aux issues acceptables pouvant se justifier au regard de la preuve dont elle disposait. Sa décision était donc raisonnable.

 

Conclusion d’une possibilité de refuge intérieur

[16]      Comme la SPR a jugé que le retour des demandeurs en Colombie ne comportait aucun risque et, par conséquent, qu’ils ne pouvaient craindre avec raison d’être persécutés, il n’est pas nécessaire d’examiner sa conclusion selon laquelle il existait une possibilité de refuge intérieur à Bogotá. Cependant, par souci d’exhaustivité, je ferai les brefs commentaires suivants.

 

[17]      Les demandeurs soutiennent que la preuve documentaire établit qu’il n’existe pas de possibilité de refuge intérieur viable en Colombie.

 

[18]      Comme l’a reconnu le ministre, la preuve documentaire n’est pas claire à ce sujet. Un document de demande d’information contient les passages suivants :

[traduction] [L]es groupes de guérilla et paramilitaires utilisent souvent des bases de données et des réseaux informatiques extrêmement évolués. Une personne menacée dans une région du pays ne sera pas particulièrement plus en sécurité en se déplaçant dans une autre région. Selon la nature et les motifs des menaces, les victimes peuvent être poursuivies sans relâche. Il existe d’innombrables récits d’hommes ou de femmes ayant été menacés à Bogotá ou à Medellín après s’être déplacés d’une autre région et avoir tenté de vivre anonymement dans la grande ville. Beaucoup ont été assassinés après s’être réfugiés dans une autre région du pays. Il existe aussi des cas où des personnes ont quitté le pays pendant des mois ou des années et ont été assassinées à leur retour. Les gens ont la mémoire longue et les données sont systématiquement enregistrées et analysées. [Notes de bas de page omises.] [Non souligné dans l’original.]

 

[19]      En revanche, le même document énonce aussi :

[traduction] [L]e déplacement interne en Colombie peut, dans une certaine mesure, généralement augmenter la sécurité d’une personne, à moins qu’il ne s’agisse d’une personnalité nationale […]

 

[…] Même si les FARC et les AUC disposent d’une capacité d’action sur l’ensemble de la Colombie, la [traduction] « grande majorité des personnes menacées ou déplacées à l’intérieur du pays présentent un intérêt limité aux yeux de [ces groupes] dès qu’elles cessent leurs activités politiques/communautaires et quittent » leur région […]

 

[traduction] Si un demandeur [d’asile] veut faire valoir qu’il ne peut pas être déplacé à l’intérieur du pays, [il] doit convaincre le préposé à l’entrevue qu’en raison de son importance et de son rôle dans le conflit, les FARC ou les AUC seraient fortement motivées à le poursuivre de bout en bout d’un vaste pays […]

 

[…]

 

[L]a possibilité d’échapper aux menaces en se déplaçant à l’intérieur du pays était tributaire de deux facteurs principaux. Premièrement, il faut tenir compte de la portée du groupe armé en question, la capacité d’action des FARC sur l’ensemble du pays étant bien plus élevée que celle de l’ELN. Deuxièmement, il faut évaluer les raisons pour lesquelles la personne est recherchée. Par exemple, si la personne menacée est un témoin dans un procès et peut identifier un membre important d’un groupe armé, tout sera mis en œuvre afin de trouver cette personne et de la tuer, peu importe l’endroit où elle pourrait se cacher. Toutefois, même lorsque les groupes sont moins motivés à retrouver des personnes, […] [ces dernières] devraient tout de même déménager si elles demeurent à Bogotá, ou quitter leurs villes de résidence si elles demeurent ailleurs. [Notes de bas de page omises.] [Non souligné dans l’original.]

 

[20]      Compte tenu de ces derniers éléments de preuve et de la conclusion de la SPR selon laquelle les FARC ne s’intéressaient plus aux demandeurs, la conclusion de la SPR portant qu’il existait une possibilité de refuge intérieur était fondée sur la preuve et n’était pas déraisonnable.

 

[21]      Cependant, l’examen de cette question par la SPR n’était pas très approfondi. S’il s’était agi du seul motif justifiant le rejet de la demande des demandeurs, l’examen de la SPR n’aurait peut-être pas satisfait à l’exigence voulant que la décision soit adéquatement justifiée.

 

Conclusion

[22]      Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Les avocats n’ont proposé aucune question aux fins de certification et je suis d’accord que le présent dossier n’en soulève aucune.

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE QUE :

 

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

                                                                                                            « Eleanor R. Dawson »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Isabelle D’Souza, LL.B., M.A.Trad. jur.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                IMM-2976-07

 

INTITULÉ :                                                               ROSMIRA GERARDO DE VON ET AL.

                                                                                    c.

                                                                                    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                                    ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 18 MARS 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                      LA JUGE DAWSON

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                                               LE 28 MARS 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Joel Etienne                                                                  POUR LES DEMANDEURS

 

Sally Thomas                                                                POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Joel Etienne                                                                  POUR LES DEMANDEURS

Avocat

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                         POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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