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Date : 20080327

Dossier : T-1052-07

Référence : 2008 CF 395

Ottawa (Ontario), le 27 mars 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

 

 

ENTRE :

NILOUFAR POURZAND

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour statue sur l’appel d’une décision en date du 31 mars 2007 (la décision) par laquelle une juge de la citoyenneté a refusé d’accorder la citoyenneté canadienne à la demanderesse, Mme Niloufar Pourzand, au motif qu’elle ne remplissait pas les conditions de résidence prévues à l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29 (la Loi).

 

Historique

[2]               La demanderesse, qui est citoyenne de l’Iran, est devenue une résidente permanente du Canada le 27 mars 2001.

 

[3]               La demanderesse est coordonnatrice de programmes et agente locale à l’UNICEF. Elle travaille pour l’UNICEF depuis une vingtaine d’années et est présentement en détachement à la Barbade. Elle a accepté cette affectation environ un mois après avoir présenté sa demande de citoyenneté. En raison de la nature de son travail, la demanderesse doit passer la plus grande partie de son temps à l’extérieur du Canada.

 

[4]               Le mari et les deux filles de la demanderesse ont la citoyenneté canadienne. Sa mère est une résidente permanente qui a été parrainée par la demanderesse. Le mari, les filles et la mère de la demanderesse vivent à Toronto dans une maison appartenant à la demanderesse et à son mari. Le mari de la demanderesse est à la retraite; les enfants fréquentent l’école à Toronto. La demanderesse n’a ni frère ni sœur et son père est décédé.

 

[5]               La demanderesse n’a pas vécu en Iran depuis 1997. Elle n’est propriétaire d’aucun immeuble en Iran. Sa demande de citoyenneté révèle qu’au cours de la période de quatre ans applicable, elle s’est rendue en Iran à trois reprises dans le cadre de son travail pour l’UNICEF.

 

[6]               La demanderesse n’a aucun lien avec d’autres pays. Les séjours qu’elle a faits dans d’autres pays ont été temporaires et n’étaient motivés que par des raisons d’ordre professionnel. La demanderesse a effectué la majeure partie de son travail pour l’UNICEF au Pakistan, en Afghanistan et au Tadjikistan.

 

[7]               En mars 2002, au début de la période de quatre ans applicable, la demanderesse vivait et travaillait au Pakistan. Elle est rentrée au Canada en juin 2002 en compagnie de ses filles, qui avaient vécu et étudié au Pakistan.

 

[8]               La demanderesse a pris congé de son travail à l’UNICEF et est demeurée au Canada de juin 2002 à août 2003. Pendant cette période, elle a travaillé à sa thèse de doctorat en qualité de chercheuse invitée à l’Université York de Toronto.

 

[9]               Durant cette période, la demanderesse s’est rendue à cinq reprises au Royaume-Uni pour rencontrer son superviseur d’études doctorales à l’Université de Greenwich à Londres, en Angleterre. Alors qu’elle se trouvait au Royaume-Uni, elle a participé à deux conférences et a donné une communication dans une école.

 

[10]           La demanderesse a travaillé à l’UNICEF comme coordonnatrice de programmes au Tadjikistan d’août 2003 à février 2006. Pendant cette période, elle est revenue fréquemment au Canada pour rendre visite aux membres de sa famille.

 

[11]           En mars 2004, l’Université de Greenwich a décerné un doctorat à la demanderesse.

 

[12]           En février 2006, la demanderesse a commencé son affectation à la Barbade comme administratrice de programmes pour l’UNICEF.

 

[13]           La demanderesse a présenté sa demande de citoyenneté canadienne le 3 janvier 2006. Une audience sur la résidence a été jugée nécessaire parce que la demanderesse avait été effectivement présente au Canada pendant moins de 900 jours et que des doutes avaient été émis au sujet de sa crédibilité. L’audience a eu lieu le 21 février 2007. 

 

Décision à l’examen

 

[14]           La juge de la citoyenneté a conclu que la demanderesse avait été effectivement présente au Canada pendant 691 jours et qu’elle en avait été absente pendant 769 jours, de sorte qu’il lui manquait 404 jours pour satisfaire à la norme minimale requise de 1095 jours au cours de la période applicable de quatre ans prévue à l’alinéa 5(1)c) de la Loi. Appliquant le critère énoncé dans le jugement Koo, [1993] 1 C.F. 286 (C.F. 1re inst.), la juge de la citoyenneté a refusé la demande de citoyenneté après avoir conclu que la demanderesse n’avait pas centralisé son mode d’existence au Canada. Il ressort aussi de ses notes que la juge a estimé que la demanderesse n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve écrits ou oraux pour remplir les conditions de résidence. Elle a également souligné que la demanderesse avait passé plus de temps à l’étranger qu’au Canada.

 

Questions à trancher

 

[15]           La demanderesse invoque trois moyens pour contester la décision :

1.                       La juge de la citoyenneté a-t-elle commis une erreur en concluant que la demanderesse ne satisfaisait pas aux exigences de l’alinéa 5(1)c) de la Loi?

2.                       La juge de la citoyenneté a-t-elle manqué à l’équité procédurale en n’indiquant pas à la demanderesse, lors de l’audience sur la résidence, les aspects qui la préoccupaient et qui étaient susceptibles d’influencer sa décision, niant ainsi à la demanderesse la possibilité de répondre à ses préoccupations?

 

3.                       La juge de la citoyenneté a-t-elle commis une erreur en n’expliquant pas pourquoi elle refusait d’exercer son pouvoir discrétionnaire de manière à faire une recommandation favorable à la ministre en vertu des paragraphes 5(3) et 5(4) de la Loi?

 

Motifs

 

[16]           Le paragraphe 5(1) de la Loi énonce les critères qui doivent être respectés pour se voir attribuer la citoyenneté. L’alinéa 5(1)c) exige que, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, l’intéressé ait résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout. La Loi ne définit pas le terme « résider ». La jurisprudence de notre Cour est partagée au sujet du critère à appliquer pour déterminer si celui qui demande la citoyenneté remplit les conditions de résidence. En résumé, ces critères sont énoncés dans les affaires Koo, précitée, Pourghasemi (1993), 62 F.T.R. 122 (C.F. 1re inst.), et Papadogiorgakis [1978] 2 C.F. 208 (C.F. 1re inst.). Le juge de la citoyenneté peut adopter l’un ou l’autre des trois critères de résidence proposés sans qu’aucune erreur ne lui soit reprochée pour cette raison.

 

[17]           Dans le cas qui nous occupe, le juge de la citoyenneté a appliqué le critère du mode d’existence centralisé énoncé dans le jugement Koo, qui permet à une personne de satisfaire à l’obligation en matière de résidences en établissant que le Canada est le pays où elle vit régulièrement, normalement ou ordinairement.

 

[18]           La demanderesse conteste la décision au motif qu’elle est entachée de plusieurs erreurs de fait et que la juge s’est méprise en ce qui concerne l’application du critère légal permettant de déterminer la résidence en vertu du paragraphe 5(1) de la Loi. La demanderesse affirme aussi que la juge de la citoyenneté a violé les règles d’équité procédurale.

 

[19]           Il est de jurisprudence constante, à la Cour fédérale, que la norme de contrôle applicable en ce qui concerne les décisions des juges de la citoyenneté sur la question de savoir si les demandeurs respectent ou non l’obligation de résidence, laquelle est une question mixte de fait et de droit, est la norme de la décision raisonnable simpliciter (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Chang, 2003 CF 1472; Rizvi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1641; Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 85; Zhao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1536). Vu l’arrêt récent Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], dans lequel la Cour suprême du Canada a fondu la norme de la décision raisonnable simpliciter et la norme de la décision manifestement déraisonnable en une seule norme, celle de la décision raisonnable, j’estime que la norme de contrôle applicable à la conclusion tirée en l’espèce par la juge de la citoyenneté sur la question de savoir si la demanderesse satisfaisait ou non l’obligation en matière de résidence est celle de la décision raisonnable.

 

[20]           Pour ce qui est des erreurs factuelles reprochées, notre Cour a jugé, dans plusieurs décisions antérieures à l’arrêt Dunsmuir, qu’il convenait d’appliquer la norme de la décision manifestement déraisonnable aux conclusions de fait tirées par un juge de la citoyenneté. Il y a lieu de faire preuve d’un degré élevé de retenue à l’égard des conclusions de fait des juges de la citoyenneté, car ils ont accès aux documents originaux et ont la possibilité de discuter des faits pertinents avec les demandeurs. Ainsi, si j’applique le critère de l’arrêt Dunsmuir, je conclus que c’est également le critère de la décision raisonnable qui s’applique au contrôle de ces conclusions. Je constate toutefois que, même si la norme de la décision manifestement déraisonnable avait été appliquée en l’espèce au contrôle des conclusions de fait de la juge de la citoyenneté, mes conclusions auraient été les mêmes.

 

 

[21]           Les questions d’équité procédurale sont de pures questions de droit qui sont assujetties à la norme de contrôle de la décision correcte. La deuxième question est donc susceptible de contrôle judiciaire en fonction de cette norme. La troisième question qui a été soulevée au sujet de la suffisance des motifs est également une question d’équité procédurale et de justice naturelle et elle est également assujettie à la norme de contrôle de la décision correcte (Andryanov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 186, au paragraphe 15; Jang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2004), 250 F.T.R. 303, 2004 CF 486 au paragraphe 9; Adu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 565, au paragraphe 9).

 

1.                  La juge de la citoyenneté a-t-elle commis une erreur en concluant que la demanderesse ne satisfaisait pas aux exigences de l’alinéa 5(1)c) de la Loi?

 

[22]           Dans ses observations, la demanderesse relève de nombreuses erreurs de fait dont l’effet cumulatif a suffi, selon elle, à inciter la juge de la citoyenneté à refuser de lui attribuer la citoyenneté et qui constituent à eux seuls des motifs justifiant de faire droit au présent appel. Le défendeur, en revanche, affirme que bon nombre des erreurs reprochées ne sont que des divergences d’opinion alors que d’autres sont mineures et ne tirent pas à conséquence. La thèse du défendeur est qu’une fois rectifiées, aucune de ces erreurs n’aurait pu influer sur la décision et que, même si la décision était annulée, ordonner un nouvel examen de la présente affaire aboutirait au même résultat.

 

[23]           Après avoir examiné attentivement la décision, le dossier du tribunal, ainsi que les observations des parties, il m’apparaît évident que la juge de la citoyenneté a non seulement mal appliqué en partie le critère du jugement Koo, mais qu’elle a également commis de graves erreurs de fait qui, si elles n’avaient pas été commises, auraient fort bien pu donner lieu à une conclusion différente. À mon avis, la demanderesse a le droit de faire juger sa demande au fond à la lumière des faits de l’affaire.

[24]           Voici quelques-unes des erreurs en question :

a)                  La juge de la citoyenneté a fait observer que les renseignements contenus, d’une part, dans le questionnaire sur la résidence de la demanderesse et, d’autre part, dans son curriculum vitae semblaient se contredire en ce qui concerne les dates où la demanderesse avait travaillé comme agent de la protection de l’enfance en Afghanistan. Ainsi, selon le questionnaire sur la résidence, elle avait occupé ce poste de mars 2001 à juin 2002, tandis que son curriculum vitae indiquait qu’elle avait exercé cette fonction de janvier 2000 à février 2002. Le questionnaire sur la résidence invite les demandeurs à énumérer leurs emplois et leurs études depuis leur arrivée au Canada. Conformément à ces directives, la demanderesse a déclaré qu’en mars 2001, lorsqu’elle était arrivée au Canada, elle était agente de protection de l’enfance en Afghanistan. Il n’y a donc pas de contradiction, ce qui n’est pas sans intérêt si l’on tient compte des réserves exprimées par la juge de la citoyenneté au sujet de la crédibilité de la demanderesse. J’estime toutefois que cette erreur ne justifierait pas à elle seule de renvoyer l’affaire pour qu’elle soit jugée de nouveau;

b)                  La juge de la citoyenneté explique que certains timbres de passeport semblent contredire les absences indiquées dans le questionnaire sur la résidence de la demanderesse. Il y avait notamment deux timbres qui, selon la juge de la citoyenneté, émanaient du Pakistan et avaient été obtenus alors que la demanderesse déclarait s’être trouvée au Tadjikistan. Il ressort de l’examen de ces timbres que la juge de la citoyenneté s’est méprise à l’égard de ces deux timbres. Ils émanent tous les deux du Tadjikistan;

c)                  Bien que la juge de la citoyenneté ait signalé que la demanderesse avait affirmé qu’elle était rentrée au Canada en juin 2002 et y était demeurée jusqu’en août 2003, et qu’elle ait également fait observer que la demanderesse avait vécu un an au Canada alors qu’elle travaillait à sa thèse de doctorat en tant que chercheuse invitée, la juge de la citoyenneté s’est méprise en déclarant ce qui suit :

[traduction] En mars 2004, vous avez obtenu un doctorat en études des rapports sociaux entre les sexes et en études ethniques de l’Université de Greenwich, de Londres, en Angleterre, au terme d’un an d’études. On ne sait pas avec certitude si votre mari vous a rendu visite à Londres ou s’il y habitait avec vous. Vos filles sont demeurées au Canada […]

 

Il s’agit à mon sens d’une erreur de fait importante, car la demanderesse n’a jamais vécu à Londres au cours de la période de quatre ans applicable, pas même au cours de la période de ses études doctorales. Entre juin 2002 et août 2003, elle vivait au Canada avec son mari et ses deux filles. D’août 2003 à mars 2004, la demanderesse vivait au Tadjikistan dans le cadre de son travail à l’UNICEF. La demanderesse s’est rendue à Londres à cinq reprises au cours de la période de quatre ans applicable pour rencontrer son superviseur d’études doctorales. Ces visites étaient pour de courtes périodes au cours desquelles la demanderesse n’aurait pas pu être considérée comme étant une résidante du Royaume-Uni;

 

d)                  Au sujet du courriel envoyé par la demanderesse après l’expiration du délai de quatre ans applicable au Canadian Women’s Club de la Barbade, courriel dans lequel la demanderesse demande si le Club compte parmi ses membres des Iraniens-Canadiens, la juge de la citoyenneté signale ce qui suit :

[traduction] On peut raisonnablement supposer que c’est au Canada et non à la Barbade que l’on peut le plus facilement rencontrer des femmes iraniennes-canadiennes. Votre courriel laisse donc supposer que vous n’avez pas développé de liens d’amitié avec beaucoup de femmes iraniennes‑canadiennes lorsque vous avez passé un an au Canada comme chercheuse invitée dans le cadre de vos études doctorales.

 

Cette conclusion de fait est déraisonnable et elle n’est pas appuyée par la preuve. Ce n’est pas parce que la demanderesse a entrepris des démarches pour pouvoir rencontrer d’autres femmes iraniennes-canadiennes qu’on peut pour autant penser qu’elle n’a pas développé des liens d’amitié avec des femmes de la même nationalité qu’elle au Canada. Qui plus est, il ressort de ce courriel et du fait que la demanderesse faisait partie de ce groupe que, peu importe l’endroit où elle vit, la demanderesse prend l’initiative de s’entourer de Canadiens, ainsi que le confirment la lettre de recommandation de M. William Patton, coordonnateur résident des Nations Unies au Tadjikistan, qui affirme que la demanderesse [traduction] « garde de bons contacts avec d’autres Canadiens au Tadjikistan », ainsi que le questionnaire sur la résidence dans lequel la demanderesse énumère les nombreux organismes canadiens dont elle est membre et ajoute : [traduction] « Par ailleurs, certains de mes meilleurs amis ─ tant des immigrants que des Canadiens “de souche” ─ sont basés au Canada ».

 

[25]           Pour ce qui est de l’application que la juge de la citoyenneté a faite des facteurs énoncés dans le jugement Koo, voici les erreurs de principe qu’elle a commises :

a)         La juge de la citoyenneté a affirmé que la demanderesse avait été présente au Canada pendant 283 jours au cours de la période de quatre ans pertinente. En fait, la demanderesse a été effectivement présente au Canada en tout et partout 691 jours et non 283 jours, contrairement à ce qui était affirmé. La juge de la citoyenneté a toutefois cité le chiffre exact de jours où la demanderesse avait été effectivement présente au Canada tant dans ses conclusions écrites que dans son appréciation du quatrième facteur du jugement Koo. Cette erreur ne suffit pas, à elle seule, selon moi, pour justifier d’ordonner un nouvel examen de la demande. Je considère qu’il s’agit d’une erreur typographique;

b)         Dans son analyse du troisième facteur du jugement Koo, la juge de la citoyenneté a notamment fait remarquer ce qui suit :

[traduction] Vous n’avez pas présenté suffisamment d’éléments de preuve pour établir que vous aviez l’intention de faire du Canada votre lieu de résidence habituel, ou que vous cherchiez à élire domicile au Canada à un endroit que votre famille peut considérer comme son foyer. Il vous incombe de fournir des éléments de preuve documentaires suffisants pour prouver votre résidence. Il n’y a pas de relevés d’opérations avec cartes de crédit, de relevés d’appels téléphoniques, de reçus de travaux ménagers ou de relevés d’opérations bancaires quotidiennes qui permettraient de connaître les achats que vous avez effectués au cours de la période de quatre ans en question. À cause du peu de pièces produites pour démontrer une présence soutenue au Canada et vu le fait que vous vivez présentement à la Barbade et que vous continuerez à y habiter jusqu’à l’expiration de votre contrat en 2019, il est raisonnable de conclure que vous ne résidez pas au Canada et qu’il se peut que vous n’ayez pas l’intention de rentrer au Canada de façon permanente.

 

La juge de la citoyenneté énumère au début de sa décision les éléments de preuve documentaires soumis par la demanderesse mais elle néglige de les examiner lorsqu’elle vérifie si la demanderesse avait l’intention de faire du Canada son lieu de résidence habituel. Bien que la demanderesse n’ait pas soumis les indices passifs susmentionnés que la juge de la citoyenneté avait énumérés, la juge de la citoyenneté disposait d’autres éléments de preuve documentaires y compris les suivants :

-         Elle est co-propriétaire d’une maison à Toronto;

-         Elle effectue presque chaque mois depuis août 2001 des virements télégraphiques dans un compte bancaire canadien dont elle est la titulaire conjointe avec son mari;

-         Il y a des factures de services publics (bien que bon nombre d’entre eux n’entrent pas dans la période de quatre ans applicable, il y a un compte qui remonte à 2004 et l’autre à 2005);

-         On trouve une carte d’assurance-maladie de l’Ontario et une lettre de son médecin de Toronto attestant que la demanderesse est sa patiente depuis 2002 et qu’elle le consulte quelques fois par année.

 

La juge de la citoyenneté a par ailleurs omis de tenir compte du fait que : (i) la demanderesse ne possède pas de propriété ailleurs; (ii) la demanderesse revient au Canada après chacune de ses absences et aussi souvent que possible; (iii) les séjours que la demanderesse effectue à l’étranger sont temporaires et sont toujours liés à son travail. La juge de la citoyenneté a également commis une erreur en n’abordant pas la question des liens familiaux de la demanderesse en fonction des autres indices de résidence qui, pris globalement, permettent de penser que la demanderesse a l’intention de conserver des racines permanentes au Canada. Ainsi que la Cour l’explique dans le jugement Ho, [1997] A.C.F. no 1747 (C.F. 1re inst.) au paragraphe 7 :

… la résidence au Canada aux fins d'obtenir la citoyenneté n'implique pas la présence physique en tout temps. Le lieu où réside une personne n'est pas celui où elle travaille, mais bien celui où elle retourne après avoir travaillé. Donc, un demandeur de la citoyenneté qui élit domicile de façon évidente et définitive au Canada, dans l'intention bien claire d'avoir des racines permanentes dans ce pays ne doit pas être privé de la citoyenneté simplement parce qu'il doit gagner sa vie et celle de sa famille en travaillant à l'étranger. Les indices les plus éloquents du maintien de la résidence sont l'établissement permanent d'une personne et de sa famille dans le pays

 

c)         C’est, à mon avis, dans son analyse du sixième facteur du jugement Koo que la juge de la citoyenneté a commis l’erreur la plus importante. Ce facteur concerne la qualité des attaches de la demanderesse avec le Canada : il s’agit de savoir si ces attaches sont plus importantes que celles qu'elle a avec un autre pays. La juge de la citoyenneté a fait observer ce qui suit :

[traduction]

 

Il ne fait aucun doute que vous avez effectué un travail admirable sur le plan international en tant qu’employée de l’UNICEF. Néanmoins, vous avez choisi d’accepter du travail à l’étranger à un moment où vous saviez que, ce faisant, vous risquiez de ne pas avoir accumulé suffisamment de jours de résidence au Canada au moment de la présentation de votre demande de citoyenneté. Vous avez passé plus de temps à l’étranger qu’au Canada. Quant à votre famille, votre mari et vos filles ont la citoyenneté canadienne, mais vous ne les retrouverez au Canada qu’en 2019. D’ici là, la dynamique familiale aura peut-être changé et il se peut qu’ils vivent ailleurs, que leur situation ait changé ou même qu’ils habitent dans différents pays. Compte tenu de ce fait et vu l’ensemble des éléments de preuve dont je dispose, je ne suis pas convaincue que vous avez établi que vous avez des attaches significatives avec le Canada.

 

Ce facteur obligeait la juge de la citoyenneté à procéder à une comparaison pour déterminer si les attaches de la demanderesse avec le Canada étaient plus importantes que celles qui pouvaient exister avec tout autre pays. Dans le cas qui nous occupe, la comparaison devait être faite avec la Barbade, l’Iran ou tout autre pays où la demanderesse a passé beaucoup de temps ou avec lequel elle entretient des liens importants. En n’effectuant pas cette comparaison, la juge de la citoyenneté n’a pas appliqué correctement ce volet du critère du jugement Koo aux faits de l’espèce, ce qui permet de se demander si la juge de la citoyenneté comprenait bien les règles de droit applicables. Vu l’ensemble des faits de la présente affaire, le Canada est le seul pays où l’on peut dire que la demanderesse a effectivement centralisé son mode d’existence. C’est au Canada que se trouvent ses enfants et sa famille et c’est au Canada qu’elle rentre chaque fois qu’elle prend un temps d’arrêt dans le cadre de son exigeante carrière internationale et de son travail à l’UNICEF. J’estime qu’il est fort révélateur que la juge de la citoyenneté n’ait pas effectué de comparaison entre les attaches de la demanderesse avec le Canada et ses attaches avec « tout autre pays ». Si elle l’avait fait, la seule conclusion à laquelle elle pouvait arriver, vu l’ensemble des faits, était que le Canada est le seul pays avec lequel la demanderesse a des attaches, et cette conclusion aurait influé sur l’appréciation que la juge aurait faite de la qualité des attaches de la demanderesse avec le Canada. Le fait de ne pas avoir fait cette comparaison rend la décision déraisonnable, ce qui est d’autant plus le cas si l’on considère également les autres erreurs commises;

d)         La juge critique par ailleurs sévèrement la réponse que la demanderesse a donnée à la question 13 du questionnaire sur la résidence et elle reproche à la demanderesse de se concentrer sur ses liens avec des institutions et des établissements d’enseignement et de ne pas parler [traduction] « de son adaptation à la vie quotidienne au Canada, de ne pas préciser en quoi elle a fait du Canada son pays d’adoption, ni d’expliquer les difficultés qu’elle rencontre dans son adaptation à la société et aux coutumes canadiennes ». Ce qui est troublant dans cette réponse est le fait que la question 13 du Questionnaire sur la résidence invite expressément les personnes qui demandent la citoyenneté, lorsqu’il s’agit de décrire leurs liens sociaux, à se concentrer sur leur [traduction] « appartenance active à des organismes communautaires ou religieux, [sur leurs] activités de bénévolat, etc. ». C’est bien ce que la demanderesse a fait et pourtant on lui reproche de ne pas avoir fait autre chose. À défaut d’explications de la juge de la citoyenneté sur ce point, cette critique semble déraisonnable compte tenu des directives contenues à la question 13.

 

[26]           Je n’ai pas mentionné chacune des méprises et des erreurs commises par la juge. Mais celles que j’ai citées suffisent, à mon avis, pour qu’on puisse qualifier sa décision de déraisonnable.

 

[27]           En l’espèce, le nombre d’erreurs de fait et l’application erronée des facteurs du jugement Koo ont une telle ampleur que je doute fort de la justesse des autres conclusions tirées par la juge de la citoyenneté. Bien qu’à elles seules, certaines de ces erreurs ne seraient peut-être pas suffisantes pour justifier un réexamen de la demande, je suis convaincu qu’elles sont suffisantes, de par leur effet cumulatif, pour justifier l’intervention de notre Cour. Pour ces motifs, l’appel est accueilli. En raison de cette conclusion, il n’est pas nécessaire que j’examine les autres questions soulevées par la demanderesse dans le présent appel.

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  L’appel est accueilli et l’affaire est renvoyée pour être jugée de nouveau par un autre juge de la citoyenneté.

 

 

 

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T-1052-07

 

INTITULÉ :                                                   NILOUFAR POURZAND c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                        ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 14 NOVEMBRE 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE 27 MARS 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Gary L. Segal

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

Judy Michaely

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Gary L. Segal

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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