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Date : 20080327

Dossier : T‑865‑07

Référence : 2008 CF 390

Ottawa (Ontario), le 27 mars 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

 

 

ENTRE :

NING WANG

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’un appel d’une décision datée du 29 avril 2007 (la décision) par laquelle une juge de la citoyenneté a refusé d’attribuer au demandeur la citoyenneté canadienne parce que ce dernier n’avait pas satisfaisait à la condition de résidence prévue à l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C‑29 (la Loi).

 

LE CONTEXTE

 

[2]               Le demandeur, M. Ning Wang, est né en Chine le 7 décembre 1969 et il a obtenu le statut de résident permanent au Canada le 10 octobre 2000. Propriétaire unique d’une entreprise canadienne, il est négociant en œuvres d’art et en antiquités chinoises. Vu la nature de son travail, il se rend souvent en Chine, à Hong Kong, à Londres et à New York pour voir des collections et assister à des ventes aux enchères. Ses parents et sa sœur vivent à Beijing. Il est membre de nombreuses associations et de nombreux clubs au Canada, ainsi que bénévole et solliciteur de fonds pour le compte du Musée royal de l’Ontario et du Centre culturel chinois du District principal de l’Ontario.

 

[3]               M. Wang a demandé la citoyenneté canadienne le 1er mars 2006. L’audience relative à la citoyenneté a eu lieu le 20 février 2007, et sa demande a été refusée le 29 avril suivant.

 

La décision faisant l’objet du présent contrôle

 

[4]               La juge de la citoyenneté a conclu que le demandeur avait été physiquement présent au Canada durant 507 jours au cours de la période applicable, soit 588 de moins que le nombre minimal requis de 1 095 jours.

 

[5]               La juge a rejeté l’argument du demandeur selon lequel ses absences du Canada s’inscrivaient dans le cadre des exceptions qui permettent à un demandeur de maintenir sa résidence et, en fait, d’accumuler des jours de résidence tout en étant absent du pays. Il y a deux raisons pour lesquelles elle a conclu que les exceptions ne s’appliquaient pas au demandeur : premièrement, la Loi n’autorise pas un demandeur à accumuler des jours de résidence pendant qu’il se trouve à l’étranger pour affaires et ce, même si l’entreprise pour laquelle il travaille est constituée en société au Canada (la seule exception à cette règle est celle qui figure au paragraphe 5(1.1), lequel s’applique aux époux ou conjoints de citoyens canadiens au service des Forces armées canadiennes ou de l’administration publique fédérale ou de celle d’une province); deuxièmement, la juge de la citoyenneté a conclu qu’il n’y avait pas assez de preuves pour confirmer que les absences du demandeur correspondaient aux exceptions admissibles, et a souligné que ceci était d’autant plus important qu’il avait passé plus de temps à l’étranger qu’au Canada au cours de la période applicable de quatre ans.

 

[6]               À l’appui de cette conclusion, la juge de la citoyenneté a cité la décision que la Cour a rendue dans l’affaire Leung (Re) :

Un grand nombre de citoyens canadiens, qu’ils soient nés au Canada ou naturalisés, doivent passer une grande partie de leur temps à l’étranger en relation avec leur entreprise, et il s’agit là de leur choix. Une personne qui veut obtenir la citoyenneté, toutefois, ne dispose pas de la même liberté, à cause des dispositions du paragraphe 5(1) de la Loi [(1991), 42 F.T.R. 149, au paragraphe 32, [1991] A.C.F. no 160.]

 

 

[7]               La juge de la citoyenneté a ensuite conclu qu’en dépit de quelques indices de résidence favorables (le fait que le demandeur était revenu au Canada après chacune de ses absences, le fait qu’il prenait part aux activités de plusieurs organisations sociales et culturelles, le fait qu’il ne semblait pas posséder de biens à l’étranger, et le fait que, lorsqu’il voyageait pour affaires, il vivait à l’hôtel ou chez des membres de sa famille), selon la prépondérance de la preuve, elle n’était pas convaincue que le demandeur était demeuré au Canada pendant un temps suffisant pour y établir sa résidence. Elle a ensuite rejeté la demande au motif que le demandeur ne satisfaisait pas à la condition de résidence contenue à l’alinéa 5(1)c) de la Loi.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[8]               Le demandeur conteste la décision pour deux raisons :

 

1.       La juge de la citoyenneté a‑t‑elle commis une erreur en concluant que le demandeur ne satisfaisait pas à la condition de résidence contenue à l’alinéa 5(1)c) de la Loi?

 

2.       La juge de la citoyenneté a‑t‑elle commis une erreur en omettant d’énoncer clairement quel critère elle a appliqué pour trancher la question de la résidence?

 

LES MOTIFS

 

[9]               La Cour s’entend généralement pour dire que la norme de contrôle qui s’applique aux décisions que rendent les juges de la citoyenneté quant à la question de savoir si un demandeur a satisfait à la condition de résidence que prévoit la Loi est la décision raisonnable simpliciter : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Chang, 2003 CF 1472; Rizvi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1641; Morales c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2005), 45 Imm. L.R. (3d) 284, 2005 CF 778; Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 85; Zhao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1536 [Zhao]; Tulupnikov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1439; Farrokhyar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 697; Farshchi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 487. Eu égard à cette jurisprudence ainsi qu’à l’arrêt que la Cour suprême du Canada a récemment rendu dans l’affaire Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, j’estime que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Le paragraphe 5(1) de la Loi énonce les critères qu’il est nécessaire de remplir pour obtenir la citoyenneté. Aux termes de l’alinéa c) de ce paragraphe, une personne doit avoir accumulé au moins trois années - ou 1 095 jours - de résidence au cours des quatre années ayant précédé la date de sa demande de citoyenneté. Il incombe à chaque demandeur d’établir qu’il satisfait à la condition de résidence selon la prépondérance de la preuve.

 

[10]           Comme en conviennent le défendeur et le demandeur, pour satisfaire aux normes de la Loi sur la citoyenneté il est nécessaire d’établir et de maintenir sa résidence : Ahmed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2002), 225 F.T.R. 215, 2002 CFPI 1067, au paragraphe 6. Il ressort de la jurisprudence que cette obligation implique une analyse en deux étapes : une décision préliminaire, sur le fait de savoir si la résidence au Canada a été établie ou non et, ensuite, dans l’affirmative, une décision additionnelle, sur le fait de savoir si la résidence du demandeur en question satisfait ou non au nombre total de jours requis. Comme en conviennent également le demandeur et le défendeur, étant donné que la « résidence » n’est pas définie dans la Loi, le ou la juge de la citoyenneté peut appliquer un des trois critères établis pour décider si un demandeur a satisfait à la condition de résidence. L’un de ces trois critères est la présence physique : Ping c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 777, au paragraphe 4.

 

[11]           Le défendeur déclare que, en l’espèce, la juge de la citoyenneté a décidé que le demandeur n’avait pas satisfait à la condition préliminaire. Il soutient, subsidiairement, que la juge a appliqué le critère de la présence physique pour trancher la question du maintien de la résidence et a conclu que les conditions prescrites à l’alinéa 5(1)c) de la Loi n’étaient pas remplies.

 

[12]           En examinant la décision dans son ensemble, il me semble que la juge de la citoyenneté dit tout simplement que le demandeur n’a pas établi sa résidence au sens de l’alinéa 5(1)c) parce qu’il n’a pas satisfait pas au critère de la présence physique.

 

[13]           Le demandeur dit que l’on ne sait trop quel critère la juge de la citoyenneté a appliqué en l’espèce et, en particulier, que les renvois qu’elle fait à la décision Leung (Re) et le fait de citer des critères d’ordre qualitatif montrent qu’elle n’a manifestement pas appliqué le critère de la présence physique de la façon proposée par le défendeur.

 

[14]           Il ressort de mon examen de la décision que, quelle que soit l’utilité que peut avoir la décision Leung (Re), la juge de la citoyenneté a estimé que celle‑ci étayait son raisonnement voulant qu’une présence physique au Canada soit nécessaire pour confirmer la résidence en l’espèce.

 

[15]           La juge reconnaît certes les critères d’ordre qualitatif que le demandeur a invoqués, mais je crois qu’elle indique clairement que le fondement de sa décision est le suivant : [traduction] « Je ne suis pas convaincue que vous êtes demeuré au Canada pendant un temps suffisant pour y établir votre résidence. » Cette position fondamentale est étayée par les motifs manuscrits que l’on trouve dans l’avis au ministre : [traduction] « Le demandeur n’a pas satisfait à la condition de résidence de base de 1 095 jours. Il a passé plus de temps à l’étranger qu’au pays. » La juge axe sa décision sur le nombre de jours.

 

[16]           Dans la décision elle‑même, la juge de la citoyenneté déclare ceci : [traduction] « [P]our les motifs qui précèdent, il m’est impossible d’approuver votre demande car vous n’avez pas rempli la condition de résidence que prévoit l’alinéa 5(1)c) de la Loi. » Les « motifs qui précèdent » se réduisent à la conclusion finale suivante : [traduction] « selon la prépondérance de la preuve, je ne suis pas convaincue que vous êtes demeuré au Canada pendant un temps suffisant pour y établir votre résidence. »

 

[17]           Même si la juge reconnaît divers facteurs qualitatifs et positifs qu’invoque le demandeur, elle ne combine pas les critères applicables et je crois qu’elle indique clairement que, selon elle, le facteur décisif est d’ordre quantitatif, et il s’agit là du fondement de sa décision en vertu de l’alinéa 5(1)c).

 

[18]           Étant donné que le critère de la présence physique qui est énoncé dans la décision Pourghasemi (Re) (1993), 62 F.T.R. 122, semble être une démarche admissible pour les besoins de l’application de l’alinéa 5(1)c) de la Loi, je ne puis dire que la décision rendue par la juge en l’espèce est soit erronée parce qu’elle a appliqué le mauvais critère, soit déraisonnable à cause des conclusions tirées sur la question de savoir si le demandeur remplissait la condition de résidence. Même si le demandeur satisfaisait bel et bien à la condition de résidence préliminaire, il n’a pas convaincu la juge, sur le fondement du critère de la présence physique, qu’il remplissait les conditions prévues à l’alinéa 5(1)c).

 

[19]           Il est demandé aux avocats de signifier et de produire des observations, s’il y en a, au sujet de la certification d’une question de portée générale dans les sept jours qui suivent la réception des présents motifs de jugement. Chacune des parties disposera d’un délai additionnel de trois jours pour signifier et produire une réponse aux observations de la partie adverse. À la suite de cela, le jugement sera rendu.

 

 

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Aleksandra Koziorowska, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T‑865‑07

 

INTITULÉ :                                       NING WANG c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 13 NOVEMBRE 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE 27 MARS 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Wennie Lee

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Kareena R. Wilding

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lee & Company

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

 

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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