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Date : 20080327

Dossier : IMM-3745-07

Référence : 2008 CF 389

Montréal (Québec), le 27 mars 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MAURICE E. LAGACÉ

 

 

ENTRE :

Muhammad Khurram Saleem,

alias Faisal Javed

demandeur

 

et

 

LE MinistRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’Immigration

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision en date du 15 août 2007 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que le demandeur n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi).

 

LES FAITS

[2]               Citoyen du Pakistan, le demandeur est arrivé au Canada en février 2006. Sa demande d’asile est fondée sur sa crainte que son oncle cherche à le faire tuer.

 

[3]               Le demandeur explique que ses problèmes ont commencé en 1999, lorsque son oncle a tué son père parce qu’il refusait de soutenir la Ligue musulmane. Selon le demandeur, son oncle veut le tuer pour s’approprier la propriété familiale qui vaudrait « des millions de dollars ». Le demandeur affirme être la cible des « hommes de main » de son oncle depuis août 2000.

 

[4]               En raison de cette crainte, le demandeur a quitté le Pakistan pour les États-Unis en juin 2001 sous une fausse identité, celle de Faisal Javed. Il est rentré de son plein gré à Lahore, sa ville natale, 28 jours plus tard. En octobre 2002, il est retourné aux États-Unis muni d’un passeport délivré au nom de Faisal Javed. Il a par la suite été expulsé lorsque les autorités américaines ont découvert qu’il était entré au pays sous un faux nom.

 

[5]               Le 7 février 2006, le demandeur est entré au Canada muni d’un visa de visiteur canadien qui lui avait été délivré sous l’identité de Faisal Javed. Il a demandé l’asile deux mois plus tard sous le nom de Muhammad Khurram Saleem le 7 avril 2006, en affirmant qu’il s’agissait de sa véritable identité. La Commission a examiné sa demande d’asile le 2 avril 2007.

 

La décision à l’examen

[6]               Le 15 août 2007, la Commission a conclu que le demandeur n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. La question décisive que la Commission devait trancher était celle de l’identité du demandeur. La Commission a conclu que le demandeur n’avait pas réussi à établir son identité. Ainsi que la Commission l’a dit à la page 2 de sa décision :

Mais malheureusement, après avoir tenu compte du témoignage du demandeur d’asile, des documents qu’il a présentés et de la preuve documentaire du Pakistan, j’en suis arrivée à la conclusion que le demandeur d’asile n’a pas fait la preuve que sa véritable identité est Muhammad Khurram Saleem.

 

[7]               Dans sa décision, la Commission signale que, bien que le demandeur possède deux passeports authentiques, le premier au nom de Faisal Javed et le second au nom de Muhammad Khurram Saleem, il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir lequel des deux passeports établissait la véritable identité du demandeur. La Commission déclare, à la page 6 de sa décision :

Après avoir pris note du témoignage du demandeur d’asile, des différentes pièces d’identité et de la preuve documentaire, des doutes subsistent quant à l’identité du demandeur d’asile. Le fait que le demandeur d’asile ait utilisé un passeport sous un faux nom pour entrer au Pakistan et en sortir pendant une période de quatre ans, le fait qu’il ait pu renouveler ce même passeport en 2005, le fait qu’il a obtenu de nombreux visas sous ce faux nom, ses explications peu convaincantes sur les raisons qui l’ont incité à quitter trois fois le pays sous un nom autre que le sien, le fait que le passeport sous son prétendu véritable nom indique un lieu de naissance différent de ce qui est écrit sur son FRP, le fait que son passeport est manuscrit et ne comporte que peu d’éléments de sécurité, le fait qu’il n’aurait jamais mis à jour sa vieille carte d’identité sous son prétendu véritable nom entre 2002 et 2005, tous ces éléments m’amènent à conclure que le demandeur d’asile n’a pas établi son identité selon la prépondérance des probabilités.

 

[8]               En conséquence, ayant estimé que le demandeur n’avait pas établi de façon suffisante son identité en tant que Muhammad Khurram Saleem, la Commission conclut à la page 7 de sa décision :

Comme le demandeur d’asile n’a pas établi son identité selon la prépondérance des probabilités, j’en arrive à la conclusion qu’il manque de crédibilité en général et je juge que sa demande d’asile n’a pas de minimum de fondement, conformément au paragraphe 107(2) de la Loi.

 

[9]               Le 12 septembre 2007, le demandeur a déposé la présente demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de la Commission.

 

Questions à trancher

[10]           La présente demande soulève deux points litigieux :

1.      La Commission a-t-elle manqué aux règles d’équité en n’accordant pas au demandeur une possibilité suffisante d’établir son identité en tant que Muhammad Khurram Saleem?

2.      La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant qu’elle ne disposait pas de suffisamment d’éléments de preuve probants pour établir l’identité du demandeur en tant que Muhammad Khurram Saleem?

 

NORME DE CONTRÔLE

[11]           Le premier point concerne des questions de justice naturelle et d’équité procédurale, des questions de droit auxquelles s’applique la norme de la décision correcte. En pareil cas, la Cour doit examiner les circonstances particulières de l'affaire et décider si le tribunal en cause a respecté les règles de justice naturelle et d'équité procédurale (Thamotharem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 16, [2006] 3 R.C.F. 168, au paragraphe 15). Si elle arrive à la conclusion qu'il y a eu manquement à la justice naturelle ou à l'équité procédurale, elle n'est pas tenue de faire montre de déférence et elle doit annuler la décision (Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, [2006] 3 R.C.F. 392).

 

[12]           Le second point litigieux porte sur la question de savoir s’il y avait suffisamment de documents pour établir l’identité du demandeur. Compte tenu de l’arrêt récent Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] A.C.S. no 9 (QL) de la Cour suprême du Canada, il est clair que la norme de la décision manifestement déraisonnable a été abandonnée et que les juridictions qui analysent la norme de contrôle doivent désormais s’en tenir à deux normes, celle de la décision correcte et celle de la décision raisonnable.

 

[13]           Il est de jurisprudence constante que l’analyse que la Commission fait de la crédibilité constitue un aspect essentiel du rôle qu’elle est appelée à jouer en tant qu’arbitre des faits et qu’en conséquence, les conclusions qu’elle tire à cet égard ont droit à un degré élevé de retenue judiciaire. La retenue dont la Cour fait preuve envers les conclusions en question justifie l’application de la norme de la décision raisonnable et implique, comme la Cour suprême l’explique, au paragraphe 49 de l’arrêt Dunsmuir, que la Cour « tienne dûment compte des conclusions du décideur ». En conséquence, c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique à la seconde question.

 

ANALYSE

La Commission a-t-elle manqué aux règles d’équité en n’accordant pas au demandeur une possibilité suffisante d’établir son identité en tant que Muhammad Khurram Saleem?

 

[14]           Le 30 mars 2007, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le ministre) a avisé la Commission qu’il souhaitait intervenir en raison de l’existence de [traduction] « la grave question d’identité qui se pose en l’espèce ».

 

[15]           Comme l’audience était prévue pour le 2 avril 2007, l’avis du ministre n’était pas conforme au paragraphe 25(4) des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228 (les Règles), qui exige que l’avis d’intervention soit reçu par la Commission et par le demandeur d’asile « au plus tard vingt jours avant l’audience ». Voici le texte intégral de l’article 25 des Règles :

 

25. (1) Pour intervenir dans une demande d’asile, le ministre transmet :

a) au demandeur d’asile, une copie de l’avis d’intention d’intervenir;

b) à la Section, l’original de cet avis ainsi qu’une déclaration écrite indiquant à quel moment et de quelle façon une copie de l’avis a été transmise au demandeur d’asile.

(2) Le ministre indique dans l’avis la façon dont il interviendra et fournit les coordonnées de son conseil.

(3) S’il croit que les sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés pourraient s’appliquer à la demande d’asile, le ministre énonce également dans l’avis les faits et les règles de droit sur lesquels il s’appuie.

(4) Les documents transmis selon la présente règle doivent être reçus par leurs destinataires au plus tard vingt jours avant l’audience.

 

25. (1) To intervene in a claim, the Minister must provide

(a) to the claimant, a copy of a written notice of the Minister’s intention to intervene; and

(b) to the Division, the original of that notice and a written statement of how and when a copy was provided to the claimant.

 (2) In the notice, the Minister must state how the Minister will intervene and give the Minister’s counsel’s contact information.

(3) If the Minister believes that section E or F of Article 1 of the Refugee Convention may apply to the claim, the Minister must also state in the notice the facts and law on which the Minister relies.

(4) Documents provided under this rule must be received by the Division and the claimant no later than 20 days before the hearing.

 

 

[16]           Dans sa décision, la Commission a abordé la question de l’avis tardif du ministre. Plutôt que de reporter l’audience, la Commission a décidé d’accorder au demandeur un délai supplémentaire pour présenter d’autres pièces pour établir son identité après l’audience. Le raisonnement suivi par la Commission pour en arriver à cette conclusion se trouve aux pages 1 et 2 de sa décision :

[…] J’ai constaté que le délai était inférieur aux 20 jours requis par les Règles de la Section de la protection des réfugiés, mais j’ai décidé de ne pas remettre l’audience et j’ai donné un mois au demandeur d’asile pour qu’il présente davantage de pièces d’identité. Toutes les parties étaient au courant que le demandeur d’asile était entré au Canada sous un nom et qu’il avait demandé l’asile sous un autre nom, et cette question avait déjà été soulevée en avril 2006 lorsqu’une agente d’immigration avait demandé à la représentante du ministre d’intervenir. Le fait que la question de l’identité allait sans doute être soulevée à l’audience ne devrait pas avoir étonné le demandeur d’asile et son conseil.

 

[17]            Le principal reproche que le demandeur adresse à la Commission au sujet de sa décision de tenir l’audience est le fait que ses directives étaient [traduction] « extrêmement embrouillées, confuses et très difficile à saisir » en ce qui concerne la délai qui lui était accordé pour produire des pièces additionnelles. À l’appui de ses dires, le demandeur cite divers extraits de sa décision dans laquelle la Commission lui accorde, selon le cas, « un mois » de plus ou « vingt jours ouvrables » supplémentaires pour soumettre d’autres documents. De plus, lors de l’audience elle-même, la Commission a d’abord estimé qu’il y avait lieu d’accorder « trois semaines » au demandeur pour fournir les pièces exigées, tandis qu’un peu plus loin, la commissaire a tenu les propos suivants :

[traduction] Bon, disons trois semaines. Nous sommes le 2  avril. Je vous donne donc jusqu’à la semaine du 23, jusqu’au 28 avril pour me soumettre les originaux ou tout autre document susceptible selon vous de convaincre la Commission.

 

[Non souligné dans l’original.]

[18]           Il ressort de la transcription que l’avocate du demandeur a accepté la date du 28 avril comme date limite pour produire d’autres preuves originales pour établir son identité.

 

[19]           Après avoir examiné le dossier, la Cour estime que la question clé est celle de savoir si la Commission a accordé au demandeur un délai supplémentaire suffisant pour produire d’autres originaux établissant son identité, et si elle a précisé à l’audience au demandeur la date limite à laquelle il devait produire ces documents.

 

[20]           En conséquence, bien que la décision de la Commission aurait pu être plus claire en ce qui concerne le délai dans lequel elle s’attendait à ce que le demandeur lui communique les éléments complémentaires réclamés, c’est ce qu’elle a indiqué au demandeur à l’audience et non dans sa décision qui compte pour déterminer si la décision de la Commission était équitable eu égard aux circonstances de l’espèce.

 

[21]           Après avoir examiné la transcription des débats, la Cour estime que, dans sa décision, la Commission aborde suffisamment les questions d’équité mettant en cause le demandeur et qu’elle n’a par conséquent commis aucune erreur. Là encore, bien que la Commission aurait pu être plus claire en indiquant la date exacte à laquelle elle s’attendait à recevoir les renseignements complémentaires du demandeur, celui-ci s’est vu offrir un délai d’au moins 21 jours entre la date d’audience et le 23 avril pour soumettre les documents originaux réclamés. Il importe peu de savoir si la Commission lui a donné jusqu’au 23 avril ou jusqu’au 28 avril, car la Cour estime que, dans l’un ou l’autre cas, le délai accordé au demandeur était suffisant pour lui permettre d’obtenir et de transmettre des documents originaux supplémentaires pour établir son identité.

 

[22]           La Cour abonde par ailleurs dans le sens de la Commission lorsqu’elle affirme que le demandeur était déjà au courant que son identité serait remise en question au même titre qu’elle l’avait été il y a plusieurs années lorsque les autorités américaines l’avaient expulsé après avoir découvert qu’il était entré aux États-Unis sous une fausse identité. Il était certainement au courant, lorsqu’il est entré au Canada avec de faux documents, que son identité pouvait susciter des questions auxquelles il lui faudrait donner une réponse satisfaisante pour établir sa véritable identité.

[23]           En conséquence, même si elles n’ont pas été faites en temps utile, l’intervention du ministre et les préoccupations qu’il a exprimées ne devraient pas surprendre indûment le demandeur, compte tenu du fait que ce dernier avait lui-même mentionné qu’il avait deux passeports et qu’un des deux était un faux.

 

[24]           Il convient enfin de signaler que le demandeur était représenté par une avocate à l’audience qui s’est déroulée devant la Commission, et qu’il ne s’est pas opposé à l’intervention tardive du ministre malgré le fait qu’il avait eu amplement l’occasion de le faire. Il convient aussi de signaler que le demandeur n’a pas cherché à obtenir des éclaircissements de la part de la Commission, non seulement en ce qui concerne sa décision de poursuivre l’audience, mais aussi en ce qui avait trait à la date exacte à laquelle elle s’attendait à recevoir les documents originaux supplémentaires.

 

[25]           La Cour estime par conséquent que, dans sa décision, la Commission n’a pas manqué aux règles d’équité auxquelles elle était tenue envers le demandeur, car celui-ci a été en mesure d’exposer sa cause et de répondre à l’intervention au sujet de son identité. La Cour conclut donc qu’il n’existe aucun motif valable de modifier la décision pour ces raisons.

 

[26]           La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant qu’elle ne disposait pas de suffisamment d’éléments de preuve probants pour établir l’identité du demandeur en tant que Muhammad Khurram Saleem?

 

[27]           L’article 106 de la Loi précise que, pour apprécier la crédibilité du demandeur d’asile, on peut notamment tenir compte du fait qu’il est muni ou non de papiers d’identité acceptables et qu’il peut ou non en justifier. Notre Cour estime que la possession de ces documents revêt une importance cruciale pour le succès de la demande d’asile. Dans le jugement Us Saqib Najam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. no 516, la Cour déclare ce qui suit, au paragraphe 16 :

16          La preuve de l'identité du revendicateur est d'une importance cruciale pour sa revendication. Je partage l'avis du défendeur qui affirme que si l'identité du revendicateur n'est pas prouvée, la revendication doit être rejetée; c'est donc dire que la Commission n'a pas besoin de faire une analyse de la preuve concernant d'autres aspects de la revendication. Comme le juge Joyal l'a déclaré au paragraphe 13 de la décision Husein, précitée :

[...] Je suis d'avis qu'il n'était pas nécessaire que la Commission poursuive son analyse de la preuve après avoir conclu que l'identité des revendicateurs n'était pas établie ou que la principale demanderesse n'avait pas prouvé qu'elle était bien la personne qu'elle prétendait être. La question de l'identité revêtait une importance cruciale en l'espèce. Le défaut de la principale demanderesse de prouver qu'elle appartenait bien à un clan victime de persécution a véritablement porté atteinte à la crédibilité de sa prétention qu'elle avait une crainte bien fondée d'être persécutée.

                         [Non souligné dans l’original.]

 

[28]           Dans le cas qui nous occupe, le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en concluant qu’il n’avait pas présenté suffisamment d’éléments de preuve pour établir son identité, d’autant plus que le ministre avait conclu que le passeport que le demandeur avait joint à sa demande d’asile était authentique. Toutefois, comme il a déjà été signalé, le demandeur avait en sa possession deux passeports pakistanais « authentiques », l’un au nom de Muhammad Khurram Saleem, dont le demandeur s’était servi pour sa demande d’asile au Canada et qui établit à ses dires sa véritable identité, et l’autre au nom de Faisal Javed, dont le demandeur s’est servi à deux reprises pour se rendre aux États-Unis en 2001 et en 2002, et qu’il a réussi à faire renouveler en août 2005. Même la date de naissance indiquée dans ces deux passeports est différente.

 

[29]           La Cour est d’accord avec le défendeur pour dire que la conclusion du ministre suivant laquelle le passeport délivré au nom de Muhammad Khurram Saleem est authentique n’empêchait pas la Commission de conclure que le demandeur n’avait pas réussi à établir son identité. La question soumise à la Commission était celle de la véritable identité du demandeur. L’authenticité du passeport utilisé pour la demande d’asile du demandeur ne fournissait pas de réponse définitive à cette question. Qui plus est, l’existence d’un autre passeport authentique, que le demandeur a utilisé pour voyager d’un pays à un autre pendant cinq ans, permettait de douter de sa véritable identité, et l’authenticité de l’un ou l’autre de ces documents ne répondait pas adéquatement à cette question.

 

[30]           Le demandeur soutient en outre que la Commission a commis une erreur en déclarant que le passeport délivré au nom de Muhammad Khurram Saleem qui n’avait servi qu’à demander l’asile au Canada n’était pas authentique. Le demandeur fait reposer son argument sur la conclusion de la Commission suivant laquelle, parce qu’il s’agit d’un passeport manuscrit qui ne comporte pas les mêmes éléments de sécurité que ceux contenus dans le passeport délivré au nom de Faisal Javed, « il est manifestement plus facile à falsifier que le plus récent ».

 

[31]           En tirant cette conclusion, la Commission ne déclarait pas que l’un ou l’autre passeport n’était pas authentique; elle concluait simplement que le fait que le passeport de Saleem était un passeport manuscrit soulevait d’autres questions sur la façon dont ce document avait été obtenu et pour quelles fins il l’avait été. Il entre parfaitement dans le cadre de la compétence spécialisée de la Commission, en tant qu’arbitre des faits, d’apprécier les éléments de preuve avant de trancher la question de l’identité du demandeur d’asile. Cette conclusion relevait de sa compétence et elle ne sera pas annulée au motif qu’elle serait déraisonnable.

 

[32]           Par ailleurs, le demandeur ne fait nulle part allusion au fait révélateur suivant, en l’occurrence que le passeport sur la foi duquel il cherche à établir son identité (le passeport délivré au nom de Saleem) indique un lieu de naissance différent de celui qu’il a lui-même déclaré tant dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) que dans le témoignage qu’il a donné devant la Commission. Ainsi que la Commission le signale dans sa décision, bien que le demandeur ait affirmé être né à Lahore, le passeport qu’il a produit au soutien de sa demande d’asile indiquait qu’il était né à Karachi.

 

[33]           Confronté à ces éléments de preuve contradictoires, le demandeur a expliqué qu’il avait demandé aux autorités de modifier le lieu de naissance figurant dans son passeport pour le cacher à son oncle, qui aurait pu l’empêcher de quitter le Pakistan. La Commission a estimé que cette explication du demandeur n’était pas plausible, étant donné que, si le passeport était légitime, il serait improbable que les autorités acquiescent à la requête du demandeur. Le demandeur ne conteste pas cette conclusion. La Cour souscrit au raisonnement suivi par la Commission et considère qu’il s’agit d’éléments de preuve convaincants qui permettent de douter encore plus de la véritable identité du demandeur.

 

[34]           Le demandeur soutient également que la Commission a commis une erreur dans la façon dont elle a évalué les pièces qui ont été produites à l’audience et qui, selon lui, renferment d’autres éléments de preuve qui confirment son identité en tant que Muhammad Khurram Saleem. Une de ces pièces est la carte d’identité nationale pour les Pakistanais outre-mer (NICOP) qui a été délivrée au nom de Muhammad Khurram Saleem en avril 2007, tout de suite après l’audience de la Commission. Au lieu de transmettre la NICOP originale à la Commission comme on le lui avait demandé, le demandeur a soumis une photocopie à l’appui de sa demande d’asile. Voici ce que la Commission déclare, à la page 7 de sa décision au sujet de cette copie :

Le document no 2 (envoyé après l’audience) consiste en une copie de la carte d’identité nationale pour les Pakistanais outre-mer (NICOP) récemment délivrée. L’original de ce document n’a pas été envoyé. Voilà qui met en doute l’authenticité du document […] Le demandeur d’asile n’a aucune explication à donner sur le fait qu’il n’a pas envoyé l’original du document, bien qu’il ait fait parvenir l’original des autres documents envoyés après l’audience.

 

En conséquence, la Commission n’a accordé aucune valeur probante à la copie de cette prétendue nouvelle carte d’identité. 

 

[35]           Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en n’accordant aucune valeur à la NICOP, étant donné que ces cartes comportent d’importants éléments de sécurité et que la preuve documentaire reconnaît qu’elles constituent une « preuve concluante » établissant l’identité et la nationalité de l’intéressé. Dans son argument, le demandeur néglige d’aborder le fait que la Commission a expressément déclaré à l’audience que le demandeur devait transmettre tous les documents originaux permettant d’établir son identité.

 

[36]           En ne donnant pas suite à la directive que la Commission lui avait donnée de ne produire que des originaux comme pièces complémentaires, le demandeur a amené la Commission à conclure que la copie qu’il avait fournie n’avait pas la même valeur probante qu’un original, de sorte qu’elle n’était pas suffisante pour établir son identité en tant que Muhammad Khurram Saleem. Bien que la preuve documentaire précise effectivement que les cartes en question comportent des caractéristiques de sécurité importantes, il est impossible de vérifier si ces caractéristiques sont présentes ou absentes lorsque ce n’est pas le document original qui est produit. En conséquence, il était raisonnable de la part de la Commission de remettre en question la valeur à accorder à la NICOP compte tenu du fait que le demandeur n’avait fourni qu’une photocopie, d’autant plus que la Commission avait expressément réclamé des originaux et que le demandeur avait reconnu avoir auparavant utilisé de faux passeports pour entrer au Canada et aux États-Unis.

 

[37]           Le demandeur soutient enfin que la Commission a commis une erreur en écartant tous les autres documents qu’il a soumis au motif qu’ils n’avaient aucune valeur probante tout en ne mentionnant que trois de ces documents dans la décision elle-même. Il est cependant de jurisprudence constante que la Commission n’a pas à analyser chacun des éléments de preuve lorsqu’elle conclut au manque de crédibilité de la demande d’asile sous-jacente. La Commission avait par ailleurs le droit de tenir compte des documents qui avaient selon elle été modifiés et qui « semblent avoir été falsifiés » et de ne leur accorder aucune valeur. L’appréciation de la valeur à accorder aux pièces portées à sa connaissance relève de la compétence spécialisée de la Commission. Lorsque la preuve révèle qu’un document a été falsifié, la Commission a le droit de ne lui accorder aucune valeur et elle n’a pas besoin de recourir à des connaissances spécialisées plus poussées pour le faire.

 

[38]           En conséquence, pour les motifs qui ont été exposés, la demande du demandeur sera rejetée. La conclusion de la Commission suivant laquelle le demandeur n’a pas réussi à établir son identité en tant que Muhammad Khurram Saleem était raisonnable compte tenu de l’ensemble de la preuve et la Cour ne le modifiera pas.

 

[39]           Les parties ont été invitées à soumettre des questions graves de portée générale à certifier mais elles ont refusé l’invitation.


JUGEMENT

 

Pour ces motifs, la COUR :

 

REJETTE la présente demande de contrôle judiciaire.

 

 

 

« Maurice E. Lagacé »

Juge suppléant

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-3745-07

 

INTITULÉ :                                                   MUHAMMAD KHURRAM SALEEM (FAISAL JAVED)

                                                                        c.

                                                                        M.C.I.

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE18 MARS 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE SUPPLÉANT LAGACÉ

 

DATE  DES MOTIFS :                                 LE 27 MARS 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael Dorey

 

POUR LE DEMANDEUR

Sylviane Roy

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Michael Dorey & Associates

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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