Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Date : 20080327

Dossier : T-280-07

Référence : 2008 CF 385

ENTRE :

SHUK FONG CHIN

appelante

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

intimé

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE GIBSON

 

INTRODUCTION

[1]               Les présents motifs font suite à l’audience d’un appel interjeté en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté[1] (la Loi) à l’encontre d’une décision rendue par un juge de la citoyenneté (le juge) par laquelle il a rejeté la demande de citoyenneté canadienne présentée par l’appelante. Par souci de commodité, les éléments essentiels de l’avis de la décision et des motifs du juge sont annexés aux présents motifs. Dans la décision faisant l’objet du présent contrôle, le juge a rejeté la demande de l’appelante pour deux motifs : premièrement, parce que, selon lui, l’appelante n’avait pas accumulé un nombre suffisant de jours de résidence au Canada au cours de la période pertinente prévue par la loi et; deuxièmement, parce qu'il a conclu que l’appelante ne possédait pas une connaissance suffisante du Canada et des responsabilités et privilèges conférés par la citoyenneté canadienne.

 

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[2]               Le préambule du paragraphe 5(1) de la Loi et les alinéas c) et e) de ce paragraphe sont ainsi libellés :

5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

 

 

5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

[…]

c) est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante :

(c) is a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his or her application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

 

(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

 

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and

 

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

 

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

[…]

e) a une connaissance suffisante du Canada et des responsabilités et avantages conférés par la citoyenneté;

(e) has an adequate knowledge of Canada and of the responsibilities and privileges of citizenship; and

[…]

 

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[3]               L’avocat de l’appelante a fait valoir les points suivants : premièrement, le juge n’a pas tenu compte d’éléments de preuve pertinents et a tenu compte d’éléments de preuve non pertinents lorsqu’il a conclu que l’appelante n’avait pas satisfait aux exigences en matière de résidence prévues à l’alinéa 5(1)c) de la Loi; deuxièmement, il n’a pas tenu compte d’éléments de preuve pertinents, ou n’a pas fait subir correctement l’examen pour l’obtention de la citoyenneté lorsqu’il a conclu que l’appelante n’avait pas satisfait aux conditions relatives aux connaissances prévues à l’alinéa 5(1)e) de la Loi; enfin, il n’a pas respecté son obligation d’équité procédurale envers l’appelante lorsqu’il lui a reproché de n’avoir présenté aucun élément de preuve à l’appui de sa demande alors qu’on ne lui avait pas demandé expressément de le faire, et il a refusé d’examiner les éléments de preuve soumis après l’audience, mais avant la date à laquelle l’avis de la décision du juge a été envoyé à l’appelante.

 

L’ANALYSE

[4]               Après avoir examiné les documents soumis à la Cour et après avoir pris en compte les prétentions des avocats à l’audience, je suis convaincu, en appliquant la norme de contrôle appropriée qui régit le présent appel prévu par la loi, c’est‑à‑dire, la norme de la « décision correcte », que le juge n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle relativement aux motifs soulevés pour le compte de l’appelante, étant donné qu’il y a en l’espèce un droit d’appel prévu par la loi et compte tenu de la nature de la décision en litige[2].

 

[5]               En revanche, encore une fois en appliquant la norme de contrôle de la décision correcte, et ce, parce qu’il s’agit d’une question d’équité procédurale[3], je suis convaincu qu’il y a lieu d’accueillir le présent appel en raison du caractère inadéquat des motifs.

 

[6]               Dans l'arrêt VIA Rail Canada Inc. c. Office national des transports[4], la Cour d'appel fédérale a affirmé :

On ne s’acquitte pas de l’obligation de donner des motifs suffisants en énonçant simplement les observations et les éléments de preuve présentés par les parties, puis en formulant une conclusion. Le décideur doit plutôt exposer ses conclusions de fait et les principaux éléments de preuve sur lesquels reposent ses conclusions. Les motifs doivent traiter des principaux points en litige. Il faut y retrouver le raisonnement suivi par le décideur et l’examen des facteurs pertinents.

 

[7]               Dans Eltom c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)[5], mon collègue le juge Russell a déclaré :

Dans la décision Gao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), […], le juge O’Keefe a conclu que les motifs du juge de la citoyenneté [sur la question des jours de résidence au Canada] étaient inadéquats parce que le critère appliqué n’y était pas explicité. Une exigence semblable a été énoncée dans la décision Yang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), […] où le juge Rouleau a statué que si le juge de la citoyenneté n’avait pas explicité le critère qu’il appliquait, il semblait avoir appliqué le critère de la décision Koo; cependant, selon ses motifs, on ne pouvait pas être certain qu’il comprenait bien la jurisprudence, et il n’avait pas correctement appliqué l’approche adoptée. Dans la décision Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), il a de nouveau été statué que des motifs n’indiquant pas clairement que le juge de la citoyenneté comprenait le critère appliqué étaient inadéquats […]

[Renvois et certains passages omis.]

 

 

 

 

 

[8]               Dans Abdollahi-Ghane c. Canada (Procureur général)[6], mon collègue le juge Shore a traité une affaire dans laquelle le juge de la citoyenneté n’a pas expliqué en détails les critères qu’il a utilisés quant à « la connaissance suffisante du Canada » pour arriver à sa décision. Au paragraphe 23 de ses motifs, le juge Shore a conclu que le juge de la citoyenneté doit expliquer les critères qu’il a utilisés pour conclure que la demanderesse ne connait pas assez le Canada et quel pourcentage des questions qui ont été posées et auxquelles on a répondu correctement aurait été suffisant pour satisfaire aux conditions relatives aux connaissances.

 

[9]               Aucune des conditions susmentionnées applicables pour conclure au caractère adéquat des motifs invoqués par le juge de la citoyenneté dans le cadre d’une demande comme celle de l’appelante n’ont été satisfaites en l’espèce. 

 

CONCLUSION

[10]           Pour les brefs motifs qui précèdent, l’appel prévu par la loi sera accueillie. La décision qui fait l’objet du présent appel sera annulée et la demande de citoyenneté canadienne présentée par l’appelante sera renvoyée au Bureau de la citoyenneté afin d’être examinée de nouveau par un autre juge de la citoyenneté.

 

 

 

« Frederick E. Gibson »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 27 mars 2008

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Claude Leclerc, LL.B.

 

 


 

ANNEXE

 

 

[Traduction]

 

[…]

 

Madame,

 

Le 4 décembre 2006, vous avez comparu devant moi dans le cadre d’une audience relative à votre demande de citoyenneté canadienne. En conformité avec le paragraphe 14(3) de la Loi sur la citoyenneté, voici l’avis de ma décision, des motifs qui l’ont motivée et de votre droit d’interjeter appel.

 

Les faits

 

Voici un résumé de la preuve documentaire ou orale que vous avez présentée à l’audience tenue devant moi :

 

(1)           Vous avez obtenu le droit d’établissement au Canada le 25 octobre 2001.

(2)           Vous avez demandé la citoyenneté canadienne le 11 juillet 2004.

(3)           Vous avez comparu devant moi le 4 décembre 2006 dans le cadre d’une audience relative à  votre demande.

 

La question en litige

 

Madame Chin, avez‑vous résidé au Canada pendant au moins trois ans (1 095 jours) en tout dans les quatre ans (1 460 jours) qui ont précédé la date de votre demande de citoyenneté canadienne?

 

L’analyse

 

Avant d’accueillir une demande de citoyenneté présentée en vertu du paragraphe 5(1) de la Loi, je dois décider si le demandeur satisfait aux exigences de la Loi et des règlements, notamment à l’exigence énoncée à l’alinéa 5(1)c) selon laquelle il doit avoir résidé au Canada pendant au moins trois ans (1 095 jours) en tout dans les quatre ans (1 460 jours) qui ont précédé la date de sa demande. L’expression « pendant au moins trois ans » ne signifie pas moins de trois ans; elle signifie pas moins de trois ans.

 

Selon la jurisprudence de la Cour fédérale, la présence effective du demandeur de citoyenneté n’est pas requise pendant toute la période de 1 095 jours, lorsqu’il existe des circonstances particulières ou exceptionnelles. Toutefois, selon moi, une absence trop longue du Canada, comme c’est le cas en l’espèce, même si elle est temporaire, pendant la période minimale établie par la Loi, est contraire à l’objet des exigences de la Loi en matière de résidence. En effet, la Loi permet déjà à une personne qui a été légalement admise au Canada à titre de résident permanent de ne pas résider au Canada pendant l'une des quatre années précédant la date à laquelle elle demande la citoyenneté

 

Dans votre cas, dans une lettre datée du 7 juillet 2005, Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) vous a demandé de fournir une preuve de résidence au Canada. J’ai examiné les documents soumis et je ne suis pas convaincu que vous satisfaites au critère mentionné à l’alinéa 5(1)c) de la Loi au sujet de la résidence.

 

Votre demande, votre questionnaire sur la résidence et les documents que vous avez soumis ne faisaient état d’aucune activité sociale, économique ou culturelle au Canada au cours de la période allant du 11 juillet 2004 au 25 octobre 2001. Il s’agit d’une période de 1 225 jours. Le fait d’avoir possédé une maison en copropriété, d’avoir fréquenté une école pendant une courte période ne suffit pas à me convaincre que vous avez satisfait aux exigences en matière de résidence. Vous avez également déclaré être allée à Hong Kong, où votre mari demeure, afin de recevoir des soins médicaux.

 

Les absences que vous avez décrites semblent concorder avec les timbres qui figurent sur vos deux passeports, toutefois, vos passeports ne font pas nécessairement état de tous les voyages que vous avez effectués à l’extérieur du Canada. De nombreux pays, notamment les États‑Unis, le Canada et l’Union européenne, ne timbrent pas automatiquement les passeports des personnes qui arrivent et qui partent. Par conséquent, même si un passeport constitue une excellente preuve de recensement de voyages, il ne s’agit pas d’une liste complète des voyages qui ont été effectués.

 

À la suite de votre départ de l’Alberta (Canada), en juin 2004, vous avez déclaré que vous vous êtiez allée aux États‑Unis, puis que vous étiez revenue vous installer en Ontario en juin 2004, au 67 Golding Crescent, à Markham. Vous avez déclaré que vous aviez vécu à cette adresse jusqu’à la date de votre audience inclusivement, c’est‑à‑dire jusqu’au 4 décembre 2006.

 

À l’audience, vous avez déclaré que vous n’étiez pas capable de produire une carte d’assurance‑maladie de l’Ontario ou un permis de conduire de l’Ontario. Au lieu de cela, vous avez produit une carte personnelle de soins de santé de l’Alberta et un permis de conduire de l’Alberta, et ce, malgré que vous ayez affirmé avoir déménagé en Ontario en juin 2004.

 

Je conclus que les éléments de votre récit ne se tiennent pas, et cela, conjugué à l’absence d’indices démontrant que vous avez vécu au Canada, m’amène à conclure que, selon la prépondérance des probabilités, je ne peux pas me fier aux renseignements que vous avez fournis lors de votre audience. Je dois conclure que vous ne satisfaites également pas aux critères mentionnés à l’alinéa 5(1)c) de la Loi relativement à la résidence.

 

De plus, lors de l’audience, j’ai conclu que vous ne possédiez pas une connaissance suffisante du Canada et des responsabilités et avantages conférés par la citoyenneté. L’alinéa 5(1)e) de la Loi sur la citoyenneté mentionne que le demandeur de citoyenneté doit avoir une connaissance suffisante du Canada et des responsabilités et avantages conférés par la citoyenneté pour être admissible à la citoyenneté. Lors de l’audience, vous avez été incapable de répondre correctement aux questions figurant dans les catégories suivantes [...]

 

Sous‑alinéa 15c)(iii)

La géographie physique et politique du Canada

 

1) Donnez les noms des provinces des Prairies?

    Vous avez répondu ce qui suit : Ontario, Québec, Nouveau‑Brunswick

 

2) Donnez les noms de trois grands fleuves au Canada.

    Vous avez répondu ce qui suit : le lac Ontario, le fleuve Saint‑Laurent, le lac Érié

 

Sous‑alinéa 15c)(ii)

L’histoire politique et la structure du Canada

 

3) Quand on vous a demandé qui était le premier ministre de l’Ontario, vous avez répondu ce qui suit :

     « James Bartleman ».

 

4) Vous avez été incapable de donner les noms des parties politiques à la Chambre des communes, sauf le Parti libéral.

 

Selon l’article 15 du Règlement sur la citoyenneté, lequel énonce les critères permettant de déterminer si oui ou non un demandeur possède une connaissance suffisante du Canada et des responsabilités et privilèges attachés à la citoyenneté, vous devez être capable de répondre correctement aux questions rédigées par le ministre en vous fondant sur les renseignements qui figurent dans les documents autodidactique approuvés par le ministre et présentés aux demandeurs de la citoyenneté.

 

En vertu du paragraphe 15(1) de la Loi sur la citoyenneté, j'ai examiné s'il y avait lieu que je recommande l'exercice du pouvoir discrétionnaire prévu aux paragraphes 5(3) et 5(4) de la Loi.

 

Le paragraphe 5(3) de la Loi confère notamment au ministre le pouvoir discrétionnaire d’exempter dans tous les cas, pour des raisons d’ordre humanitaire, des exigences en matière de connaissance auxquelles le demandeur n'a pas satisfait. Quant au paragraphe 5(4) de la Loi, il prévoit que, afin de remédier à une situation particulière et inhabituelle de détresse ou de récompenser des services exceptionnels rendus au Canada, le gouverneur en conseil peut ordonner au ministre d’attribuer la citoyenneté à toute personne qu’il désigne.

 

À l’audience, aucune preuve de circonstances spéciales ne m’a été présentée qui justifierait que je fasse une recommandation en vertu des paragraphes 5(3) ou 5(4).

 

La décision

 

Je ne doute nullement que ferez un jour une excellente citoyenne canadienne, mais malheureusement, à ce moment‑ci, pour les motifs susmentionnés, il m’est impossible de faire droit à votre demande parce que vous n’avez pas satisfait à l’exigence prévue à l’alinéa 5(1)c) relativement à la résidence et parce que vous n’avez pas non plus satisfait à l’exigence énoncée à l’alinéa 5(1)e) de la Loi relativement aux connaissances […]

 

 

 

 

« Frederik E. Gibson »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Claude Leclerc, LL.B.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                       T-280-07

 

INTITULÉ :                                                      SHUK FONG CHIN

                                                                           c.

                                                                           LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                              LE 13 MARS 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                           LE JUGE GIBSON

 

DATE DES MOTIFS :                                     LE 27 MARS 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Robin Morch

 

POUR L’APPELANTE

Asha Gafar

 

POUR L’INTIMÉ

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Elliott Law Firm

Markham (Ontario)

 

POUR L’APPELANTE

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR L’INTIMÉ

 



[1] L.R.C. 1985, ch. C-29.

[2] Voir : Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, 7 mars 2008 aux paragraphes [60], [123], [124] et [128].

[3] Voir : Dunsmuir, précité, note 2, aux paragraphes 127 à 129, 146 et 147.

[4] [2001] 2 C.F. 25 (C.A.).

[5] [2005] A.C.F. no 1979 (QL).

[6] [2004] A.C.F. no 930, 2004 CF 741 (QL).

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.