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Date : 20080326

Dossier : IMM-2616-07

Référence : 2008 CF 383

Ottawa (Ontario), le 26 mars 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE ORVILLE FRENETTE

 

 

ENTRE :

SEYED AMIRHOSSEIN HEMMATI

 

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur, Seyed Amirhossein Hemmati, a saisi la Cour d’une demande de contrôle judiciaire de la décision en date du 5 juin 2007 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu qu’il n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi). L’autorisation de demander le contrôle judiciaire de la décision en question a été accordée le 14 décembre 2007.

 

I. Les faits

 

[2]               M. Hemmati est un citoyen de l’Iran qui demande l’asile au Canada parce qu’il craint d’être persécuté s’il retourne en Iran en raison de son homosexualité et de sa conversion à la foi Baha’íe.

 

A. Faits pertinents spécifiques

[3]               Suivant son Formulaire de renseignements personnels (FRP), M. Hemmati a été initié à la foi Baha'íe alors qu’il vivait en Iran. Après s’être documenté sur cette religion et avec la permission de ses parents, il a rencontré certaines personnalités religieuses baha'íes pour discuter de ses croyances. Finalement, au cours de l’été 2005, et après quelques discussions avec des représentants baha'ís, il s’est considéré comme un Baha'ís et il s’est informé au sujet des formalités à suivre pour adhérer officiellement à cette religion. On lui a expliqué que les demandes de conversion devaient être envoyées au siège baha'í à Haïfa, en Israël, et on l’a prévenu des risques qu’il courait s’il pratiquait le bahaïsme en Iran. On lui a toutefois expliqué que, s’il quittait l’Iran, il pourrait contacter directement les autorités religieuses baha'íes et participer aux activités baha'íes.

 

[4]               En Iran, M. Hemmati travaillait comme musicien. Cette activité lui a toutefois attiré des ennuis de la part des autorités iraniennes. Il a été arrêté alors qu’il jouait à l’occasion d’une réception en juillet 2006. Il n’a été relâché qu’après avoir signé un engagement aux termes duquel il ne devait plus prendre part à de telles activités.

 

[5]               M. Hemmati affirme aussi être homosexuel. Le 13 septembre 2006, alors qu’il se produisait dans une « soirée gaie », M. Hemmati a été battu jusqu’à ce qu’il s’évanouisse et a été arrêté à la suite de la descente effectuée par la police. Il a repris conscience à l’hôpital gouvernemental, mais il a pu s’échapper avec l’aide de sa mère et d’un ami. Il s’est ensuite enfui de l’Iran et il a réussi, avec l’aide d’un passeur, à entrer illégalement en Turquie. Il a pris un vol et a transité par la Thaïlande, Hong Kong et le Japon pour arriver finalement au Canada. Il a demandé l’asile au Canada le 27 septembre 2006.

 

B.         Décision à l’examen

[6]               La Commission a instruit la demande d’asile de M. Hemmati le 9 mai 2007. À l’audience, deux personnes ont témoigné en son nom. Le premier témoin, Suhail Abual Sameed, aide au fonctionnement d’un service de soutien pour les jeunes gays administré par l’intermédiaire du Sherbourne Health Centre de Toronto. Il a raconté comment il avait fait connaissance avec M. Hemmati. M. Sameed a également donné son opinion personnelle pour expliquer pourquoi il croyait que M. Hemmati est gay. Le second témoin, Amando Gose Montero (alias Sheri), a témoigné au sujet de ce qu’elle savait personnellement de la relation de M. Hemmati avec son (ex) petit ami au Canada.

 

[7]               Dans une décision de cinq pages rendue le 5 juin 2007, la Commission a examiné les allégations formulées par M. Hemmati sur le fondement de sa qualité de réfugié au sens de la Convention et de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi. La Commission a décidé ce qui suit au sujet des allégations de persécution religieuse du demandeur :

1.                  M. Hemmati avait des connaissances inadéquates de la foi Baha'íe;

2.                  Il était invraisemblable que les parents de M. Hemmati acceptent qu’il participe à des réunions de la foi Baha'íe ;

3.                  Aucune preuve corroborante ne permettait d’établir que M. Hemmati s’était converti au bahaïsme;

4.                  La véritable raison pour laquelle M. Hemmati craignait de retourner en Iran était sa présumée homosexualité.

 

[8]               En somme, la Commission a conclu que l’allégation de M. Hemmati suivant laquelle il s’était converti au bahaïsme n’était pas crédible.

 

[9]               Au sujet des allégations de M. Hemmati fondées sur son homosexualité, la Commission :

1.                  a signalé que M. Hemmati n’avait pas parlé de ses relations homosexuelles en Iran dans son FRP;

2.                  a tiré une inférence défavorable du fait qu’il n’y avait aucun document attestant qu’il avait fait des études en musique;

3.                  a tiré une inférence défavorable de l’absence d’éléments de preuve corroborants concernant son séjour à l’hôpital gouvernemental;

4.                  a estimé que le témoignage de M. Sameed « ne lui a rien appris de nouveau, sinon que le demandeur d’asile n’a été introduit au sein du groupe que par l’intermédiaire de Sheri et qu’il ne faisait qu’assister aux réunions, ce qui ne permet en rien de confirmer son orientation sexuelle »;

5.                  a estimé que le témoignage de Sheri n’était pas crédible compte tenu du fait que ce témoin : (i) n’était pas au courant de la situation de M. Hemmati; (ii) a affirmé avoir rencontré le petit ami de M. Hemmati mais ignorait son nom.

 

[10]           En somme, la Commission a estimé qu’en raison des doutes soulevés par la preuve au sujet de sa crédibilité, M. Hemmati n’avait pas établi son orientation sexuelle.

 

 

II. Questions à trancher

 

[11]           Dans son mémoire, M. Hemmati soulève plusieurs questions au sujet des conclusions tirées par la Commission en ce qui concerne la crédibilité :

A.   Foi Baha’ie

1.                  La Commission a-t-elle commis une erreur en tirant une inférence négative de l’absence de documents portant sur la foi Baha'íe de M. Hemmati?

2.                  La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que M. Hemmati avait des connaissances limitées de la foi Baha'íe?

3.                  La Commission a-t-elle commis une erreur en tirant une conclusion d’invraisemblance du fait que les parents de M. Hemmati n’auraient pas permis à M. Hemmati de participer à des réunions baha'íes?

4.                  La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que rien ne permettait de penser que M. Hemmati s’était converti?

5.                  La Commission a-t-elle fait preuve de trop de zèle en relevant l’absence de documents attestant les études en musique de M. Hemmati?

B.   Homosexualité

6.                  La Commission a-t-elle commis une erreur en ignorant le témoignage de M. Sameed suivant lequel, à son avis, M. Hemmati est gay?

7.                  La Commission a-t-elle négligé d’accorder quelque poids que ce soit au témoignage de M. Sameed au motif que la plupart des personnes qui appartenaient à son groupe de soutien étaient des demandeurs d’asile?

8.                  La Commission a-t-elle commis une erreur en rejetant le témoignage de Sheri sans préciser les raisons pour lesquelles elle estimait qu’elle n’était pas crédible?

9.                  La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que Sheri n’avait fourni aucun élément de preuve indiquant que M. Hemmati était actif au sein de la communauté gay?

10.              La Commission a-t-elle commis une erreur en tirant une inférence négative de l’omission du nom des petits amis de M. Hemmati dans son FRP?

 

III. Norme de contrôle

 

[12]           La principale raison invoquée par la Commission pour justifier son rejet de la demande d’asile de M. Hemmati était qu’il n’avait pas fourni d’éléments de preuve crédibles tendant à établir qu’il s’était converti à la foi Baha'íe ou qu’il était homosexuel. Dans le jugement Juan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 809, la juge Eleanor Dawson a statué que la norme de contrôle applicable aux conclusions tirées par la Commission en matière de crédibilité est celle de la décision déraisonnable. En conséquence, la Cour fera preuve de beaucoup de retenue en ce qui concerne les conclusions de fait tirées par la Commission et notamment celles relatives à la crédibilité.

 

IV. Analyse

 

            1.         La Commission a-t-elle commis une erreur en tirant une inférence négative de l’absence de documents portant sur la foi Baha'íe de M. Hemmati?

[13]           M. Hemmati soutient que la Commission a commis une erreur en tirant une inférence négative du fait qu’il n’avait pas de lettre des autorités baha'íes indiquant qu’il s’était converti à la foi Baha'íe, puisque sa conseil avait offert à l’audience de présenter des éléments de preuve pour démontrer que les autorités baha'íes n’avaient jamais produit pareille preuve écrite.

 

[14]           Il ressort de la décision de la Commission que M. Hemmati simplifie à l’extrême les conclusions de la Commission. En fait, la Commission écrit ce qui suit : « Le tribunal estime qu’aucune preuve corroborante ne permet d’établir que le demandeur d’asile s’est converti à la foi Baha'íe […] » En d’autres termes, abstraction faite du témoignage de M. Hemmati, il n’y avait aucun élément de preuve pour corroborer son affirmation qu’il pratiquait le bahaïsme. Compte tenu des nombreux doutes exprimés par la Commission au sujet de la crédibilité de M. Hemmati, je ne crois pas que la Commission ait agi de façon manifestement déraisonnable en cherchant des éléments de preuve – écrits ou non – pour corroborer qu’il était de foi Baha’íe. Bien que sa conseil ait affirmé qu’elle était disposée à produire des éléments de preuve documentaires démontrant que les autorités baha'íes n’avaient jamais produit pareille preuve, il n’en demeure pas moins que ces éléments de preuve n’auraient pas confirmé si M. Hemmati avait adhéré au bahaïsme, de sorte qu’ils n’auraient pas répondu aux préoccupations exprimées par la Commission. En somme, j’estime que la Commission n’a pas commis d’erreur déraisonnable sur cette question.

 

2.         La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que M. Hemmati avait des connaissances limitées de la foi Baha’íe?

[15]           M. Hemmati affirme que la Commission a commis une erreur en affirmant que ses connaissances de la foi Baha’íe, en plus d’être limitées, étaient inadéquates, sans préciser ce qu’elle entendait par « connaissances inadéquates ».

 

[16]           Suivant la jurisprudence qui existe en la matière, bien qu’il soit loisible à la Commission de conclure qu’un demandeur d’asile connaît mal la foi qu’il professe (Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 805, aux paragraphes 9 à 11; Paiani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 514, au paragraphe 20; Roy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1425, aux paragraphes 6 à 8 (C.F. 1re inst.) (QL)), elle doit éviter d’exiger du demandeur d’asile des connaissances religieuses très poussées (Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 270, au paragraphe 16; Feradov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 101, au paragraphe 16; Ullah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1918, au paragraphe 11 (C.F. 1re inst.) (QL)).

 

[17]           En l’espèce, en réponse aux questions qui lui ont été posées, M. Hemmati a donné des réponses générales au sujet des pratiques de la foi Baha’íe. Au sujet des fêtes religieuses célébrées dans le cadre du bahaïsme, il a répondu qu’il n’en connaissait pas beaucoup étant donné qu’il n’était pas autorisé à y participer. Vu ces éléments de preuve vagues et compte tenu de la retenue à laquelle il convient de faire preuve envers la Commission dans ce domaine, je ne peux conclure que la Commission a commis une erreur dans sa décision en tirant une inférence négative sur ce point.

 

3.         La Commission a-t-elle commis une erreur en tirant une conclusion d’invraisemblance du fait que les parents de M. Hemmati n’auraient pas permis à M. Hemmati de participer à des réunions baha’íes?

[18]           La Commission écrit, à la page deux de sa décision :

Le tribunal juge invraisemblable, vu la preuve documentaire relative à la discrimination dont les adeptes de cette religion sont victimes, que ses parents aient accepté qu’il participe à des réunions de la foi Baha’íe. 

 

 

[19]           M. Hemmati affirme que cette conclusion est fondée sur une opinion stéréotypée des parents en Iran. La juge Dawson écrit ce qui suit, dans le jugement Dosmakova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1357, au paragraphe 12 : « La Cour a affirmé à maintes reprises que l’on ne peut pas tirer de conclusions d’invraisemblance en se fondant sur des attitudes stéréotypées ou un comportement prévu que la preuve n’étaie pas ». M. Hemmati affirme qu’il n’y a aucun élément de preuve qui étaie cette conclusion.

 

[20]           Il ressort de la déclaration que M. Hemmati a faite à un agent d’immigration à son arrivée au Canada (à la page 118 du dossier du tribunal) qu’il a participé à une fête baha’íe avec l’approbation de ses parents. Il écrit aussi que la police de la ville de Mashhad avait arrêté un superviseur Baha’í et que, par la suite, la Basij avait interrompu une réunion et que la police l’avait tabassé. Dans son témoignage, il affirme qu’il ne croit pas que les autorités iraniennes sont au courant qu’il était un adepte du bahaïsme et qu’il pourrait retourner en Iran (page 175 du dossier du tribunal). Il ajoute par ailleurs, aux pages 179 et 180 du dossier du tribunal, qu’après son arrestation et son hospitalisation, sa mère est venue le voir à l’hôpital.

 

[21]           J’estime que ces éléments de preuve permettaient logiquement à la Commission de conclure que les parents de M. Hemmati n’auraient pas approuvé que leur fils adhère à la religion baha’íe s’ils avaient su qu’il pourrait être arrêté et torturé ou être victime de discrimination. Cette conclusion ne constitue donc pas une erreur justifiant notre intervention.

 

4.         La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que rien ne permettait de penser que M. Hemmati s’était converti?

[22]           M. Hemmati affirme que la Commission a commis une erreur en concluant, à la page trois de ses motifs, que « [M. Hemmati] ne s’est pas converti » puisque, selon son propre témoignage, il ne s’était pas converti officiellement à cette religion.

[23]           Sur cette question, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que M. Hemmati accorde trop d’importance au mot « converti » dans les motifs de la Commission. En revenant à la première page de la décision, je constate que la Commission a résumé avec exactitude les faits entourant sa « conversion » au bahaïsme. En conséquence, après avoir examiné la décision dans son ensemble, je suis convaincu que la Commission a cru comprendre que M. Hemmati se percevait uniquement comme un converti et qu’il n’avait pas encore officialisé sa conversion à cette religion.

 

5.         La Commission a-t-elle fait preuve de trop de zèle en relevant l’absence de documents attestant les études en musique de M. Hemmati?

[24]           L’inférence négative tirée par la Commission au sujet du manque de documents pourrait être considérée comme inutile sur un point aussi mineur, mais je n’irais pas jusqu’à dire qu’elle a fait preuve de trop de zèle et qu’elle s’est laissée aller à une analyse microscopique. Il semble étrange qu’une personne ayant étudié la musique islamique classique dans une école autorisée en Iran ne soit pas en mesure de produire une lettre attestant ce fait.

 

[25]           Même si M. Hemmati a expliqué qu’il avait abandonné ce cours pour suivre ensuite divers tutorats en musique et en chant, il n’a pas pu citer le nom de ses tuteurs. Pourtant, dans son FRP, il donne la liste de tous les autres établissements d’enseignement qu’il a fréquentés. À mon sens, cet aspect relève de l’analyse générale de la question de la crédibilité. Je ne décèle aucune erreur justifiant notre intervention sur ce point.

 

6.         La Commission a-t-elle commis une erreur en ignorant le témoignage de M. Sameed suivant lequel, à son avis, M. Hemmati est gay?

[26]           M. Hemmati affirme que la Commission a ignoré une partie du témoignage donné par son premier témoin, M. Sameed.

 

[27]           Il est de jurisprudence constante que la Commission est présumée avoir tenu compte de l’ensemble de la preuve dont elle disposait (Hassan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 147 N.R. 317, à la page 318 (C.A.F.)). Toutefois, lorsque la Commission omet de mentionner ou d’analyser des éléments de preuve importants dans ses motifs, la Cour peut conclure que la Commission a tiré une conclusion de fait erronée sans tenir compte de la preuve dont elle disposait (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1425, au paragraphe 17 (C.F. 1re inst.) (QL)).

 

[28]           Pour ce qui est de la décision contestée, voici ce que la Commission a déclaré au sujet de M. Sameed :

Le demandeur d’asile a déclaré lors de son témoignage qu’il avait été présenté à Suhail et à Sheri dans un club, deux ou trois mois auparavant. Il a ajouté qu’ils se rencontraient désormais tous les mardis lors de réunions de groupe. À la question à savoir en quoi consistaient ces réunions, Suhail a répondu que le but était de se faire des amis, d’entendre des conférenciers et d’organiser des excursions pour les jeunes.

 

Ce témoin a ajouté que les pratiques sexuelles sans risque étaient également discutées. Questionné à savoir s’il avait déjà rencontré le petit ami allégué du demandeur d’asile, il a répondu par la négative, ajoutant qu’il ne faisait pas partie du groupe.

 

Suhail a aussi été questionné à savoir s’il connaissait en détail les circonstances ayant amené à la situation actuelle du demandeur, ce à quoi il a répondu par la négative. Ce témoin a ajouté que 80 à 90 % des membres de ce groupe étaient des demandeurs d’asile, comme c’était le cas de l’autre personne qui devait témoigner en faveur du demandeur.

 

Le tribunal estime que ce témoignage ne lui a rien appris de nouveau, sinon que le demandeur d’asile n’a été introduit au sein du groupe que par l’intermédiaire de Sheri et qu’il ne faisait qu’assister aux réunions, ce qui ne permet en rien de confirmer son orientation sexuelle. Le témoin a d’ailleurs précisé que n’importe qui pouvait faire partie du groupe en question.

 

 

[29]           M. Hemmati reproche à la Commission de ne pas avoir exprimé son opinion au sujet du témoignage donné par M. Sameed en ce qui a trait à sa sexualité. La Commission consacre pourtant plus de trois pages de sa décision à analyser cette question, pour conclure en fin de compte que M. Hemmati n’est pas un homosexuel pour les raisons qu’elle explique. Elle a par conséquent bel et bien donné son avis sur ce point. Son raisonnement n’est entaché d’aucune erreur qui justifierait notre intervention. 

 

7.         La Commission a-t-elle négligé d’accorder quelque poids que ce soit au témoignage de M. Sameed au motif que la plupart des personnes qui appartenaient à son groupe de soutien étaient des demandeurs d’asile?

[30]           M. Hemmati affirme que la Commission a écarté le témoignage de M. Sameed au motif qu’il travaille pour un organisme composé surtout de demandeurs d’asile.

 

[31]           Dans l’arrêt Gonzalez c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] A.C.F. no 408 (C.A.) (QL), la Cour d’appel fédérale a statué que la Commission fait preuve de partialité lorsqu’elle écarte le témoignage d’un réfugié parce qu’elle le présume faux ou intéressé.

 

[32]           Pour ce qui est de la décision de la Commission, j’estime que, bien qu’elle ait formulé des commentaires au sujet de clientèle qui fréquentait l’établissement de M. Sameed, ces observations, bien que non pertinentes, n’étaient que des affirmations de fait et n’étaient ni positives ni négatives. En particulier, la déclaration suivante de la Commission : « Ce témoin a ajouté que 80 à 90 % des membres de ce groupe étaient des demandeurs d’asile, comme c’était le cas de l’autre personne qui devait témoigner en faveur du demandeur » ne permet pas de penser que la Commission n’a pas tenu compte du témoignage de M. Sameed ou l’a rejeté de quelque façon que ce soit. De même, l’affirmation de la Commission suivant laquelle Sheri était « une demandeure d’asile qui n’est pas parvenue à obtenir la qualité de réfugié » est neutre.

 

[33]           En résumé, je conclus que la Commission n’a pas commis d’erreur justifiant notre intervention sur cette question.

 

8.         La Commission a-t-elle commis une erreur en rejetant le témoignage de Sheri sans préciser les raisons pour lesquelles elle estimait qu’elle n’était pas crédible?

[34]           M. Hemmati affirme que la Commission a écarté sans explications le témoignage de son second témoin, Sheri. Il cite à cet égard l’arrêt Hilo c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] A.C.F. no 228 (C.A.) (QL).

 

[35]           M. Hemmati a tort de citer l’arrêt Hilo, dans le cas présent. Dans l’affaire Hilo, la conclusion tirée par la Commission au sujet de la crédibilité avait été annulée parce qu’elle était « exposée en termes vagues et généraux ». En revanche, dans le cas qui nous occupe, la Commission a invoqué deux raisons pour justifier son rejet du témoignage de Sheri : (i) Sheri ne connaissait pas le nom du petit ami de M. Hemmati malgré le fait qu’elle l’avait rencontré plusieurs fois; (ii) Sheri et M. Hemmati ne savaient rien l’un de l’autre. Bien que M. Hemmati puisse ne pas être d’accord avec les raisons invoquées, force est d’admettre qu’elles s’appuient sur la transcription des débats et je ne les trouve ni vagues ni générales. En conséquence, je conclus que la Commission n’a pas commis d’erreur qui justifierait notre intervention en ce qui concerne cette question.

 

9.         La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que Sheri n’avait fourni aucun élément de preuve indiquant que M. Hemmati était actif au sein de la communauté gay?

[36]           M. Hemmati affirme que la Commission a commis une erreur en concluant que Sheri n’avait fourni aucun élément de preuve indiquant que M. Hemmati était actif au sein de la communauté gay au Canada. Il signale certains passages de la décision contestée dans lesquels la Commission semble tenir pour avérée l’affirmation de Sheri suivant laquelle elle a vu M. Hemmati se livrer à des actes homosexuels avec son petit ami. Je suis d’accord pour dire, de prime abord, que la Commission semble s’être contredite au sujet du témoignage de Sheri. Toutefois, lorsqu’on lit la décision de la Commission dans son ensemble, il devient évident que la Commission s’est contentée de résumer le témoignage de Sheri, pour ensuite l’écarter au motif qu’elle ne le trouvait pas crédible :

À la question à savoir comment elle avait su qu’il s’agissait de son petit ami, elle a répondu qu’elle les avait vus s’embrasser quelques fois et qu’elle voyait cette personne deux ou trois fois par semaine. Invitée à dire si elle connaissait le nom du petit ami en question, Sheri a répondu par la négative. Le tribunal juge ce témoignage invraisemblable […] Le tribunal note que, même si elle avait déclaré avoir déjà rencontré le petit ami allégué du demandeur d’asile, elle ne connaissait pas son nom, bien qu’elle ait ajouté être en mesure de l’identifier à partir d’une photographie. Le tribunal estime que ce témoignage n’est pas crédible […] [Non souligné dans l’original.]

 

 

[37]           En d’autres termes, la Commission n’a à aucun moment considéré que le témoignage de Sheri confirmait que le demandeur d’asile est gay. Si la Commission est d’avis qu’un témoin n’est généralement pas crédible, il lui est loisible d’écarter son témoignage (Perjaku c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 496, au paragraphe 29; Sheikh c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 C.F. 238 (C.A.)). En conséquence, je conclus que la Commission n’a pas commis d’erreur qui justifierait notre intervention sur ce point.

 

 

10.       La Commission a-t-elle commis une erreur en tirant une inférence négative de l’omission du nom des petits amis de M. Hemmati dans son FRP?

[38]           Eu égard aux circonstances de la présente espèce, on peut longuement se demander si M. Hemmati aurait dû indiquer le nom de ses partenaires dans son FRP, mais j’estime que, compte tenu de l’évaluation générale de sa crédibilité au sujet de son homosexualité, la Commission pouvait tirer une inférence négative de cette omission. La Commission n’a pas commis d’erreur qui justifierait notre intervention sur ce point.

 

V. Résumé

 

[39]           M. Hemmati a plaidé des éléments de crédibilité et d’invraisemblance qui constituaient le fondement de la décision de la Commission. Les conclusions tirées sur ces questions relèvent de la compétence de la Commission qui, forte de l’expérience qu’elle possède en la matière est la mieux placée pour se prononcer sur ces éléments, d’autant plus que c’est elle qui a entendu et vu les personnes qui ont témoigné devant elle.

 

[40]           Il incombe au demandeur d’établir le bien-fondé de sa demande d’asile au moyen d’éléments de preuve crédibles. Les conclusions d'invraisemblance sont en soi des évaluations subjectives qui dépendent largement de l'idée que les membres individuels de la Commission se font de ce qui constitue un comportement sensé (Santos c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 937).

 

[41]           Il convient de faire preuve d’un degré élevé de retenue en ce qui a trait aux conclusions tirées en matière de crédibilité parce que la Commission a l’avantage d’entendre et d’observer les témoins et de tenir compte de leurs intérêts (Aguebor c. (Canada) Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, (1993), 160 N.R. 315, [1993] A.C.F. no 732 (QL) (C.A.F.)).

 

[42]           Bien que l’expression « manifestement déraisonnable » ne soit plus appropriée, les règles de droit sur cette question n’ont pas été modifiées par l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 de la Cour suprême du Canada. Elles ont plutôt été réaffirmées. Les conclusions de fait sont régies par une norme qui appelle la déférence et qui implique une norme de raisonnabilité : « La déférence inhérente à la norme de la raisonnabilité implique donc que la cour de révision tienne dûment compte des conclusions du décideur » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 49).

 

[43]           Les points soulevés par M. Hemmati au sujet des conclusions relatives à la crédibilité et à l’invraisemblance tombent sous le coup de ce principe. Dès lors que les conclusions reposent logiquement et rationnellement sur la preuve, le tribunal ne peut intervenir. Or, c’est effectivement le cas en l’espèce.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande soit rejetée. Aucune question à certifier n’a été soumise.

 

 

« Orville Frenette »

Juge suppléant

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2616-07

 

 

INTITULÉ :                                       SEYED AMIRHOSSEIN HEMMATI

                                                            c.

                                                            MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 13 MARS 2008

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SUPPLÉANT FRENETTE

 

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 26 MARS 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael Crane

 

POUR LE DEMANDEUR

Negar Hashemi

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Michael Crane

Avocat

166, rue Pearl, bureau 100

Toronto (Ontario) M5H 1L3

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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