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Date : 20080327

Dossier : IMM-2505-07

Référence : 2008 CF 381

Ottawa (Ontario), le 27 mars 2008

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE DAWSON

 

ENTRE :

 

HUI MIN LIN

 

demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]        Hui Min Lin, âgée de 19 ans, est une citoyenne de la République populaire de Chine (la Chine) qui a présenté une demande d’asile au motif qu’elle craignait d’être persécutée par le Bureau de la sécurité publique (le BSP). La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SPR ou la Commission) a rejeté la demande de Mme Lin, concluant que les éléments de preuve présentés par la demanderesse n’étaient ni crédibles ni vraisemblables. La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie au motif que la majorité des conclusions relatives à la crédibilité tirées par la Commission comportaient des erreurs susceptibles de contrôle.

 

Demande de Mme Lin

[2]        Mme Lin a témoigné que, le 10 janvier 2006, l’administration locale avait envoyé un avis à son père indiquant que la terre familiale serait confisquée et que leur maison serait démolie pour que la terre puisse être utilisée pour la construction d’un nouveau chemin de fer. L’avis indiquait aussi que la famille obtiendrait une réparation intégrale pour la perte de leur terre. Cependant, la réparation réellement accordée correspondait seulement à environ un quart de la valeur de la terre. Des plaintes ont été déposées relativement à la somme obtenue à titre de réparation, mais en vain. Le père de Mme Lin s’est alors joint au Partie démocratique chinois (le PDC), puisqu’il était convaincu que l’administration était corrompue.

 

[3]        Le 2 septembre 2006, des agents du BSP ont fait une descente à une réunion du PDC à laquelle le père de Mme Lin assistait. Il a réussi à s’enfuir, mais est demeuré caché.

 

[4]        Le 3 septembre 2006, un agent du BSP est venu à la maison familiale et a interrogé Mme Lin, sa mère, son frère et sa sœur. L’agent voulait des renseignements relativement au lieu où se trouvait le père de Mme Lin.

 

[5]        Le 5 septembre 2006, un agent du BSP est retourné à la maison familiale. Mme Lin qui était seule à la maison à ce moment a été interrogée au sujet du lieu où se trouvait son père et des activités de celui-ci. Mme Lin a affirmé avoir discuté avec l’agent du BSP et lui avoir indiqué que l’administration était injuste et avait poussé son père à se joindre à un autre parti. Mme Lin a également affirmé que l’agent du BSP l’avait avertie qu’elle pourrait être considérée comme complice et qu’elle ne devrait pas essayer de s’enfuir.

 

[6]        Lorsqu’elle a eu connaissance de l’entretien avec l’agent du BSP, la mère de Mme Lin a envoyé sa fille vivre chez une tante.

 

[7]        Le 6 septembre 2006, un agent du BSP est retourné à la maison familiale et a indiqué que Mme Lin était considérée comme complice de son père. L’agent a ordonné que Mme Lin se présente au BSP.

 

[8]        La famille de Mme Lin a pris des mesures pour qu’elle quitte la Chine. Mme Lin est arrivée au Canada le 20 septembre 2006.

 

Décision de la Commission

[9]        La SPR a écrit :

            L’exposé circonstancié de la demandeure d’asile concernant la perte de la terre familiale, l’indemnisation inadéquate et le refus de l’administration à un certain nombre de paliers de donner suite à la demande de son père relative à une augmentation de l’indemnisation était étayé par de nombreux documents corroborants. Il n’y a aucune raison de douter de la véracité de l’exposé circonstancié de la demandeure d’asile à cet égard.

 

            Même si le Parti démocratique chinois (CDP) est pratiquement inexistant en Chine à la suite de la répression du gouvernement et parce que la demandeure d’asile n’a communiqué aucun élément de preuve corroborant, le récit de la décision de son père de se joindre au Parti, la descente présumée à une réunion du parti, la fuite de son père et le fait qu’il doive se cacher, ne peuvent être réfutés par aucun des éléments de preuve dont dispose le tribunal. Toutefois, la preuve documentaire et le témoignage de vive voix n’étayent pas le lien qu’établit la demandeure d’asile avec les présumés problèmes de son père et la prétendue poursuite dont elle fait l’objet de la part des agents du PSB. [Note de bas de page omise.]

 

[10]      La Commission a ensuite tiré deux conclusions principales d’invraisemblance :

 

1)      Premièrement, la SPR a jugé qu’il était raisonnable de croire que les agents du BSP auraient arrêté Mme Lin lors de leur deuxième visite le 5 septembre 2006 s’ils croyaient, comme l’a affirmé Mme Lin dans son témoignage, qu’elle était peut-être complice. À cet égard, la SPR a souligné que le BSP était bien connu pour arrêter les personnes qui, à son avis, se livraient à des activités illégales. La SPR a aussi souligné que Mme Lin n’avait fourni aucune preuve corroborante à l’appui de son allégation.

 

2)      Deuxièmement, selon la SPR, le manque d’intérêt du BSP à l’égard des autres membres de la famille de Mme Lin avait gravement miné son allégation selon laquelle elle était poursuivie par le BSP. La SPR a souligné que tous les membres de la famille de Mme Lin avaient été interrogés par le BSP, qu’ils avaient tous indiqué ne pas être au courant du lieu où se trouvait le père de la demanderesse, et que rien ne leur était arrivé. La SPR a aussi souligné que la preuve documentaire indiquait que les autorités chinoises arrêtaient et harcelaient parfois les membres de la famille des personnes étant poursuivies pour des activités illégales.

 

Norme de contrôle

[11]      La présente affaire a été plaidée avant que la Cour suprême du Canada ne prononce ses motifs dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9. Par conséquent, la Cour n’a pas eu l’avantage de prendre connaissance d’observations quant à savoir si la norme de contrôle appropriée à appliquer aux conclusions relatives à la crédibilité tirées par la SPR est celle énoncée à l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, ou celle de la raisonnabilité, ou si les deux normes sont semblables dans ce contexte.

 

[12]      Pour les besoins de la présente demande, je suis convaincue que la majorité des conclusions relatives à la crédibilité tirées par la SPR ne résistent pas à un examen approfondi, et ce, même si elles sont assujetties à la norme de la décision « abusive ou arbitraire ou [prise] sans tenir compte des éléments dont [la SPR] dispose ».

 

[13]      Je n’ai donc pas à trancher cette question pour le moment.

 

Application de la norme de contrôle à la décision de la Commission

[14]      Il est bien établi en droit que la SPR ne peut pas rejeter un témoignage sous serment lorsqu’il n’existe aucun motif valable de douter de sa véracité. La SPR commet une erreur lorsqu’elle conclut que le demandeur n’est pas crédible simplement parce qu’il est incapable de fournir des éléments de preuve documentaire corroborant ce qu’il avance. Voir, par exemple, la décision Ahortor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 65 F.T.R. 137 (1re inst.), au paragraphe 45.

 

[15]      Gardant ces principes à l’esprit, selon moi, les deux paragraphes de l’analyse de la SPR cités ci-dessus sont troublants puisqu’ils montrent que le témoignage de Mme Lin au sujet de l’expropriation de la terre et de la réparation insuffisante a été accepté puisqu’il était corroboré. Son témoignage au sujet de la façon dont a réagi son père a été accepté puisqu’il ne pouvait pas être réfuté. Cependant, son témoignage au sujet de ses propres difficultés a été rejeté puisqu’il n’était pas corroboré.

 

[16]      Ces motifs montrent que la SPR a commis une erreur de droit relativement à la façon dont elle a traité la preuve présentée par Mme Lin.

 

[17]      En ce qui concerne la première conclusion d’invraisemblance tirée par la Commission, vu la preuve documentaire sur la brutalité du BSP et son recours à l’arrestation et à la détention arbitraires, cette conclusion était étayée par la preuve et, par conséquent, il était loisible à la Commission de la tirer.

 

[18]      Cependant, la deuxième conclusion de la Commission – soit que le manque d’intérêt du BSP à l’égard des membres de la famille de Mme Lin avait miné son allégation – ne tenait pas compte du fait que Mme Lin était la seule membre de sa famille s’étant prononcée contre l’administration et étant considérée comme complice de son père. De plus, la preuve n’établissait pas que les membres de la famille de la personne étant poursuivie étaient harcelés par le BSP dans tous les cas. Cette conclusion d’invraisemblance n’était pas étayée par la preuve et est, par conséquent, abusive, arbitraire et déraisonnable.

 

[19]      La SPR a ensuite laissé entendre, bien qu’en passant, qu’après avoir été réprimandée par sa mère pour avoir osé parler à un représentant du BSP, Mme Lin et sa mère auraient pu se présenter au BSP afin d’expliquer que les commentaires de Mme Lin étaient simplement le reflet de la loyauté d’une fille envers son père et du mécontentement des membres de la famille relativement à la perte de leur terre.

 

[20]      Avec égards, cette observation ne tient pas compte de la preuve dont disposait la Commission relativement à la réputation du BSP. Il est difficile de comprendre comment la SPR pouvait raisonnablement s’attendre à ce genre de comportement. À l’époque, Mme Lin était une fille âgée de 17 ans et demi, possédant l’équivalent d’une huitième année de scolarité. Le BSP constituait une force de sécurité ayant la réputation d’exercer une coercition à l’encontre de ses victimes, d’arrêter des personnes sans motifs valables et de maltraiter psychologiquement et physiquement ses victimes et les contrevenants.

 

Conclusion

[21]      En raison de l’erreur de droit commise par la SPR en ce qui concerne le traitement de la preuve présentée par Mme Lin, et de sa conclusion d’invraisemblance erronée, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

 

[22]      Les avocats n’ont proposé aucune question aux fins de certification et je suis d’accord que le présent dossier n’en soulève aucune.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE QUE :

 

1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision de la Section de la protection des réfugiés datée du 6 juin 2007 est annulée.

 

2.         L’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Section de la protection des réfugiés pour qu’il rende une nouvelle décision conformément aux présents motifs.

 

 

 

« Eleanor R. Dawson »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Isabelle D’Souza, LL.B., M.A.Trad. jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                IMM-2505-07

 

INTITULÉ :                                                               HUI MIN LIN

                        c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 5 MARS 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                      LA JUGE DAWSON

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                                               LE 27 MARS 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Diane Coulthard                                                           POUR LA DEMANDERESSE

 

Bernard Assan                                                              POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Diane Coulthard                                                           POUR LA DEMANDERESSE

Avocate

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                         POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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