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Date : 20080325

Dossier : T-323-07

Référence : 2008 CF 376

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 25 mars 2008

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SIMPSON

 

 

ENTRE :

M. M. ROBIN QUINN

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA JUSTICE

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

défendeurs

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

Le contexte

[1]               M. M. Robin Quinn (le demandeur), qui n’est pas représenté par un avocat, a présenté une demande en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. 1985, ch. A-1, en vue d’obtenir des documents du ministère de la Justice (la demande d’accès), lesquels renferment des avis donnés dans le cadre d’un examen portant sur le Règlement de la Commission de la capitale nationale sur les animaux, DORS/2002-164 (le Règlement), examen qui a été entrepris en application du paragraphe 3(2) de la Loi sur les textes réglementaires, L.R.C. 1985, ch. S-22, (la LTR).

La présente demande

[2]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision prise par le ministre de la Justice, dans laquelle il a refusé de communiquer certains documents que voulait obtenir le demandeur au moyen de la demande d’accès. Lors de l’audience relative à la présente demande, il est apparu clairement que les seuls documents qui intéressent le demandeur sont ceux qui n’ont pas été produits en raison du privilège avocat‑client (les documents protégés), dont la plupart font partie des documents qui se trouvent dans la pièce confidentielle no 33, déposée conjointement avec l’affidavit de Diane Leroux, lequel a été signé le 3 avril 2007. Cependant, il y a des documents supplémentaires envers lesquels les défendeurs veulent se prévaloir du privilège avocat‑client; ils ont été produits par les défendeurs au commencement de l’audience et consignés par le greffier de la Cour.

 

[3]               On n’a pas demandé à la Cour d’examiner les documents protégés pour s’assurer du bien‑fondé des demandes relatives au privilège avocat‑client. Le demandeur allègue plutôt qu’on ne peut se réclamer du privilège avocat‑client dans les circonstances de l’espèce.

 

Les documents protégés

[4]               La Loi sur l’accès à l’information (la Loi) dispose à l’article 23 que, lors d’une demande d’accès à l’information, la communication de documents protégés par le privilège avocat‑client peut être refusée. L’article 23 de la Loi se lit comme suit :

23. Le responsable d’une institution fédérale peut refuser la communication de documents contenant des renseignements protégés par le secret professionnel qui lie un avocat à son client.

23. The head of a government institution may refuse to disclose any record requested under this Act that contains information that is subject to solicitor-client privilege.

 

 

 

[5]               Les documents protégés comprennent des messages échangés entre deux avocats du ministère de la Justice (les deux avocats) et des avocats de la Commission de la capitale nationale (la CCN), lesquels ont été rédigés lors de la rédaction et de l’examen du Règlement effectué en application du paragraphe 3(2) de la LTR (l’examen). Ils renferment également des messages échangés entre des avocats du ministère de la Justice et le greffier du Conseil privé (le greffier) au sujet de l’examen de la version préliminaire du Règlement effectué en application du paragraphe 3(2) de la LTR.

 

La Loi sur les textes réglementaires

[6]               L’article 3 de la LTR se lit comme suit :

3. (1) Sous réserve des règlements d’application de l’alinéa 20a), l’autorité réglementante envoie chacun de ses projets de règlement en trois exemplaires, dans les deux langues officielles, au greffier du Conseil privé.

 

Examen

(2) À la réception du projet de règlement, le greffier du Conseil privé procède, en consultation avec le sous-ministre de la Justice, à l’examen des points suivants :

a) le règlement est pris dans le cadre du pouvoir conféré par sa loi habilitante;

b) il ne constitue pas un usage inhabituel ou inattendu du pouvoir ainsi conféré;

c) il n’empiète pas indûment sur les droits et libertés existants et, en tout état de cause, n’est pas incompatible avec les fins et les dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés et de la Déclaration canadienne des droits;

d) sa présentation et sa rédaction sont conformes aux normes établies.

 

Avis à l’autorité réglementante

(3) L’examen achevé, le greffier du Conseil privé en avise l’autorité réglementante en lui signalant, parmi les points mentionnés au paragraphe (2), ceux sur lesquels, selon le sous-ministre de la Justice, elle devrait porter son attention.

 

3. (1) Subject to any regulations made pursuant to paragraph 20(a), where a regulation-making authority proposes to make a regulation, it shall cause to be forwarded to the Clerk of the Privy Council three copies of the proposed regulation in both official languages.

 

Examination

(2) On receipt by the Clerk of the Privy Council of copies of a proposed regulation pursuant to subsection (1), the Clerk of the Privy Council, in consultation with the Deputy Minister of Justice, shall examine the proposed regulation to ensure that

(a) it is authorized by the statute pursuant to which it is to be made;

(b) it does not constitute an unusual or unexpected use of the authority pursuant to which it is to be made;

(c) it does not trespass unduly on existing rights and freedoms and is not, in any case, inconsistent with the purposes and provisions of the Canadian Charter of Rights and Freedoms and the Canadian Bill of Rights; and

(d) the form and draftsmanship of the proposed regulation are in accordance with established standards.

 

Advise regulation-making authority

(3) When a proposed regulation has been examined as required by subsection (2), the Clerk of the Privy Council shall advise the regulation-making authority that the proposed regulation has been so examined and shall indicate any matter referred to in paragraph (2)(a), (b), (c) or (d) to which, in the opinion of the Deputy Minister of Justice, based on that examination, the attention of the regulation-making authority should be drawn.

 

La preuve

[7]               Lorsque l’audience concernant la présente affaire s’est tenue, il n’y avait aucun renseignement au dossier qui révélait si l’on avait respecté l’article 3 de la LTR, le cas échéant, de quelle façon. J’ai donc demandé aux défendeurs de déposer, après l’audience, un affidavit décrivant l’examen qui avait été fait du règlement.

 

L’affidavit de Mme Tooke

[8]               Par suite de la demande d’affidavit de la Cour, les défendeurs ont déposé un affidavit signé par Tania Tooke le 31 octobre 2007. Les défendeurs y décrivent les étapes suivies lors de la rédaction, de l’examen et de la prise du Règlement. Le demandeur a refusé de profiter de l’occasion pour formuler des observations orales supplémentaires, préférant déposer des observations écrites le 6 décembre 2007.

 

[9]               L’affidavit de Mme Tooke révèle que les étapes importantes de la prise du Règlement ont été les suivantes :

1.                  En décembre 1999, par l’intermédiaire de son conseiller juridique, la CCN a fourni une version préliminaire du Règlement à la Section de la réglementation de la Direction des services législatifs du ministère de la Justice (la Section de la réglementation);

2.                  L’examen du Règlement, effectué en application de l’article 3 de la LTR, a été assigné à deux avocats de la Section de la réglementation;

3.                  De décembre 1999 à mai 2001, les avocats du ministère de la Justice ont rédigé et effectué l’examen de concert avec les juristes de la CCN;

4.                  La CCN a également fait parvenir le Règlement et la version préliminaire du Résumé de l’étude d’impact de la réglementation à la Division des affaires réglementaires du Secrétariat de la réglementation et des décrets du Conseil (le Secrétariat), qui représente le greffier en matière de règlement. Des fonctionnaires de la Division des affaires réglementaires ont effectué une analyse initiale du Règlement pour s’assurer qu’il respecte, entre autres, les conditions établies par le paragraphe 3(2) de la LTR;

5.                  Le Règlement a été estampillé à la suite de l’examen par la Division. Ici, l’estampillage avait pour but d’informer le Secrétariat que la Section de la réglementation avait terminé l’examen et qu’il ne restait aucun problème non résolu. Une lettre d’accompagnement, en date du 30 mai 2001, rédigée par la Section de la réglementation et adressée à la CCN, a confirmé que l’examen avait été effectué;

6.                  Le ministre du Patrimoine canadien a par la suite signé le Règlement, ce qui a eu pour effet de recommander formellement au Gouverneur en conseil de le prépublier dans la Gazette du Canada;

7.                  La CCN a ensuite envoyé les exemplaires estampillés du Règlement au Secrétariat où la Division des affaires réglementaires et la Division des décrets du Conseil privé (les Divisions) ont vérifié que l’examen était terminé;

8.                  Le Règlement et les documents pertinents ont par la suite été envoyés à un comité du Cabinet, nommé le Comité spécial du Conseil, qui a autorisé la prépublication du Règlement dans la Partie I de la Gazette du Canada, prépublication qui a eu lieu le 18 août 2001;

9.                  Le Règlement a été estampillé une seconde fois le 13 février 2002. Sur chaque page figure le symbole du ministère de la Justice et l’expression : « Examined by the Regulations Section of the Department of Justice – Examiné par la Section de la réglementation du ministère de la Justice »;

10.              Les exemplaires estampillés se sont vu accorder la recommandation nécessaire à la prise du Règlement par le ministre du Patrimoine canadien, et ils ont été renvoyés au Secrétariat avec l’ensemble des pièces justificatives. Les Divisions les ont de nouveau analysés. Dans le cadre de cette analyse, la Division des affaires réglementaires agissait au nom du greffier pour s’assurer que l’examen prévu au paragraphe 3(2) de la LTR avait été effectué. Le Secrétariat a ensuite rédigé une note d’information adressée au Comité spécial du Conseil, dans laquelle il recommandait au Gouverneur général que le Règlement soit pris;

11.              Le Gouverneur général a ensuite pris le Règlement. Enfin, il a été enregistré auprès du Registraire des textes réglementaires le 25 avril 2002 sous le numéro DORS/2002‑164 et publié dans la Partie I de la Gazette du Canada le mercredi 8 mai 2002.

 

[10]           Je suis d’avis, en me fondant sur l’affidavit, que les avocats du ministère de la Justice ont accompli deux tâches en tandem. Ils ont rédigé le Règlement pour la CCN et, en cours de rédaction, ils ont effectué l’examen prévu au paragraphe 3(2) de la Loi.

 

La question en litige

[11]           La question en litige est de savoir si les messages dans lesquels se trouve l’avis donné par les avocats du ministère de la Justice à la CCN lors de la rédaction et de l’examen du Règlement et les messages dans lesquels se trouve l’avis donné au greffier par le sous‑ministre de la Justice, ou en son nom, lors de l’examen, peuvent ne pas être communiqués en vertu de l’article 23 de la Loi en raison du privilège avocat‑client.

 

[12]           Il convient de souligner que le demandeur ne s’intéresse pas aux avis relatifs aux problèmes de rédaction. Son seul intérêt réside dans l’avis donné par les avocats du ministère de la Justice à la CCN et au greffier concernant la question de savoir si la CCN était habilitée à prendre le Règlement. La position du demandeur est que le Règlement couvre un large éventail de sujets sur lesquels la CCN n’a pas compétence.

 

La norme de contrôle

[13]           Le privilège avocat‑client est une question qui joue un rôle central dans l’administration de la justice et, pour cette raison, les décisions au sujet de son existence sont souvent contrôlées selon la décision correcte. Cependant, dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 60, la Cour suprême du Canada laisse entendre que même des questions si fondamentales peuvent être contrôlées selon la décision raisonnable si l’objet de l’affaire relève du domaine d’expertise de l’arbitre.

 

[14]           Dans la présente affaire, c’est le ministre de la Justice ou son représentant qui a décidé que les documents étaient protégés par le privilège avocat‑client. Une telle décision relevait certainement de leur domaine expertise et elle sera donc contrôlée selon la décision raisonnable.

 

Les arguments du demandeur

[15]           Le demandeur affirme qu’aucune relation entre avocat et client n’avait été créée entre la CCN et le greffier lorsque la CCN a fait examiner le Règlement. Pour ce motif, il soutient qu’aucun privilège avocat‑client n’existait lorsque les avocats du ministère de la Justice ont donné leur avis dans le cadre de l’examen.

 

[16]           Subsidiairement, le demandeur affirme que la lettre du greffier, datée du 30 mai 2001, dans laquelle il a avisé la CCN que l’examen était terminé et qu’aucun problème n’avait été soulevé, levait le privilège avocat‑client qui protégeait l’avis envoyé au greffier par les avocats du ministère de la Justice.

 

Analyse

[17]           Les quatre conditions essentielles qui permettent d’établir que les communications sont protégées par le privilège avocat‑client sont énoncées dans l’ouvrage Wigmore on Evidence, 3e éd., (Révision par McNaughton, 1961), vol. 8, au paragraphe 2285. La Cour suprême du Canada a fait siennes ces conditions dans la décision Slavutych c. Baker, [1976] 1 R.C.S. 254, où elle les a présentées de la façon suivante :

1.                  Les communications doivent avoir été transmises confidentiellement avec l’assurance qu’el­les ne seraient pas divulguées;

2.                  Le caractère confidentiel doit être un élément essentiel au maintien complet et satisfaisant des rela­tions entre les parties;

3.                  Les relations doivent être de la nature de celles qui, selon l’opinion de la collectivité, doivent être entretenues assidûment;

4.                  Le préjudice permanent que subiraient les relations par la divulgation des communications doit être plus considérable que l’avantage à retirer d’une juste décision.

 

 

 

[18]           À propos du caractère indispensable du privilège avocat‑client, je note un passage tiré de l’arrêt Pritchard c. Ontario (Commission des droits de la personne), 2004 CSC 31, [2004] 1 R.C.S. 809, rendu par la Cour suprême du Canada, dans lequel, au paragraphe 18, elle emploie une formulation qui avait été utilisée dans des décisions antérieures par les juges Arbour et Major :

[…] le secret professionnel de l’avocat […] doit être aussi absolu que possible pour assurer la confiance du public et demeurer pertinent.  Par conséquent, il ne cède le pas que dans certaines circonstances bien définies et ne nécessite pas une évaluation des intérêts dans chaque cas.  [Souligné dans l’original.]

 

 

 

[19]           En outre, au paragraphe 19 de l’arrêt Pritchard, la Cour suprême a considéré la position des avocats travaillant au sein de l’administration publique. Elle a affirmé ce qui suit :

Selon notre Cour, le privilège avocat-client s’applique lorsqu’un avocat salarié de l’État donne un avis juridique à son client, l’organisme gouvernemental : voir R. c. Campbell, [1999] 1 R.C.S. 565, par. 49. […] [L]e privilège avocat-client s’applique lorsque l’avocat du gouvernement donne au « ministère client » des conseils juridiques qui seraient habituellement protégés. […]

 

 

 

[20]           En appliquant ces principes à la présente affaire, je suis d’accord avec le demandeur : aucun privilège client‑avocat n’existait entre la CCN et le greffier. Cependant, cette conclusion ne tranche pas l’affaire parce que, à mon avis, les faits en l’espèce révèlent la présence de deux relations avocat‑client. La première s’est formée entre le greffier et les avocats du ministère de la Justice. Lorsque le greffier a reçu l’avis des avocats du ministère de la Justice concernant la question de savoir si le Règlement observait le paragraphe 3(2) de la LTR, il s’agissait d’une communication privilégiée. La seconde relation avocat‑client s’est formée entre la CCN et les avocats du ministère de la Justice concernant la question de savoir si le paragraphe 3(2) de la LTR était respecté dans le cadre de la rédaction du Règlement. Il s’agissait également d’une communication privilégiée.

 

[21]           Je me suis également demandée si la lettre du greffier à la CCN levait le privilège avocat‑client et j’en suis venue à la conclusion qu’elle ne constituait pas une renonciation parce qu’elle ne divulguait aucun des avis donnés par les avocats du ministère. Dans sa lettre, le greffier ne faisait qu’affirmer qu’il s’était acquitté de ses obligations légales prévues au paragraphe 3(2) de la LTR.

 

Les autres arguments

 

[22]           Le demandeur m’a également demandé de juger si l’examen avait été effectué de façon adéquate et si le greffier avait l’obligation de produire un rapport une fois l’examen terminé. Cependant, je conclus que ces questions ne sont pas pertinentes parce qu’en vertu de l’article 41 de la Loi, la présente demande est limitée au contrôle de la décision de ne pas communiquer les documents protégés.

 

Conclusion

[23]           Pour ces motifs, je conclus que la décision est raisonnable parce que les documents protégés font l’objet d’un privilège avocat‑client et que, en vertu de l’article 23 de la Loi, il n’est pas nécessaire qu’ils soient produits à la suite de la demande d’accès à l’information présentée par le demandeur.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande est par la présente rejetée.

 

 

 

« Sandra J. Simpson »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme,

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T-323-07

 

INTITULÉ :                                                   M. M. ROBIN QUINN c. LE MINISTRE DE LA JUSTICE ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 17 OCTOBRE 2007

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LA JUGE SIMPSON

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 25 MARS 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

M. Robin Quinn

Ottawa (Ontario)

 

POUR SON PROPRE COMPTE

Alexander Gay

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

M. Robin Quinn

 

Pour son propre compte

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

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