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Date : 20080325

Dossier : IMM-2367-07

Référence : 2008 CF 373

Ottawa (Ontario), le 25 mars 2008

EN PRÉSENCE DU JUGE SUPPLÉANT BARRY STRAYER

 

 

ENTRE :

GREGORY BARRY GITTENS

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

Introduction

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision du 25 mai 2007 par laquelle la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (Section d’appel de l’immigration) a révoqué le sursis à l’exécution de la mesure d’expulsion prise contre le demandeur et a rejeté l’appel interjeté de la mesure d’expulsion prise contre lui.

 

Faits

 

[2]               Le demandeur est né à la Barbade vers 1968 et est arrivé au Canada en 1980 en compagnie de sa mère et de ses frères et sœurs. Il est un citoyen de la Barbade. Entre son arrivée au Canada et l’année 2000, il a été condamné au criminel une quarantaine de fois. Plus de la moitié des infractions dont il a été reconnu coupable concernaient des vols. En l’an 2000, après avoir été reconnu coupable de trafic de stupéfiants, il a fait l’objet d’une mesure d’expulsion à la Barbade pour cause de grande criminalité. Il a interjeté appel de cette mesure et, le 26 juin 2002, la Section d’appel de l’immigration (la SAI) a sursis à l’exécution de sa mesure d’expulsion pour une période de cinq ans à la condition qu’il garde la paix, ait une bonne conduite, ne commette pas d’autres infractions criminelles, signale sans délai tout changement dans sa situation professionnelle, signale sans délai par écrit toute déclaration de culpabilité au criminel et suive une thérapie avec un psychologue, M. Alex Russell. La requête en sursis a été examinée oralement le 24 février 2004 par la SAI, qui a fait observer que, dans l’intervalle, le demandeur avait été reconnu coupable de diverses infractions au Code de la route. Son sursis a cependant été prolongé. Le 24 mars 2006, la SAI a informé le demandeur qu’elle examinerait à huis clos la requête en sursis du demandeur les 29 et 30 mai 2006. Le ministre a toutefois informé la SAI qu’après l’audience de 2004, le demandeur avait été reconnu coupable de six autres infractions de vol, de conduite dangereuse d’un véhicule automobile, de défaut d'obtempérer à l'interpellation d'un agent de police et de voies de fait sur un agent de police. Il a été incarcéré pendant environ cinq mois entre août 2005 et le 30 janvier 2006. La SAI a décidé de procéder à un réexamen oral du sursis à l’exécution de la mesure de renvoi et, en juillet 2006, après avoir consulté l’avocate du demandeur, elle a fixé ce réexamen au 19 décembre 2006. Le 12 octobre 2006, l’avocate du demandeur, qui avait appris que M. Russell ne serait pas disponible le 19 décembre 2006 pour témoigner pour le demandeur, a réclamé un ajournement. L’avocate a ensuite proposé le 26 avril 2007, quelque quatre mois plus tard, comme date favorable. Elle a été informée par téléphone le 9 novembre 2006 que l’ajournement était refusé. Elle a présenté d’autres observations et a finalement été informée, le 13 décembre 2006, que l’audience aurait lieu le 19 décembre 2006. Avant cette audience, le demandeur a de nouveau rencontré M. Russell, qui a soumis un long rapport écrit. À la date fixée pour l’audience, l’avocate du demandeur a comparu. Elle a commencé son intervention en disant ce qui suit :

[traduction] Il ne s’agit en fait que d’une nouvelle demande d’ajournement de la présente affaire. Je me contenterai de vous dire que nous sommes prêts à procéder. Il s’avère que M. Gittens a un psychologue, qu’il lui a été ordonné de suivre une thérapie.

 

 

L’avocate cite le rapport du 14 décembre de M. Russell qui avait été porté à la connaissance de la SAI et elle poursuit en disant :

 

[traduction] … mais nous tenions beaucoup à ce que M. Russell vienne ici en personne pour témoigner de vive voix.

 

 

L’avocate a expliqué que, lorsque la date avait d’abord été choisie en juillet, c’était une date provisoire qui dépendait, selon elle, de la disponibilité de M. Russell. Après avoir analysé la question, le commissaire a déclaré ce qui suit :

 

[traduction] Vous avez produit un document. J’estime que c’est une façon raisonnable de présenter le témoignage d’une personne qui n’est pas disponible. Comme vous le savez, la SAI est maître de sa procédure. Il est nécessaire d’agir en temps utile. Je ne crois pas qu’il convienne de remettre éventuellement la présente affaire jusqu’à ce que … disons, pour un certain temps, jusqu’à ce que votre horaire vous le permette, en avril par exemple, ou jusqu’à ce que les autres accusations en instance contre le demandeur aient été jugées, ce qui, selon l’appelant, nous amènerait en juillet. J’estime que, dans ce type d’affaire, il est dans l’intérêt public de procéder avec célérité. Je vais donc accorder au ministre le temps d’examiner ce que j’estime être des éléments de preuve importants, le rapport du psychiatre, pardon du psychologue. Je vais donc accorder à Mme Henrique une demi‑heure pour prendre connaissance de ce document. Je crois que c’est ce que je voulais dire.

 

Nous allons procéder aujourd’hui.

 

 

[3]               La SAI a entendu le témoignage du demandeur et de sa femme, ainsi que celui d’un agent d’audience de l’Agence des services frontaliers du Canada, qui a témoigné pour le ministre. La SAI avait également en mains le rapport de M. Alex Russell, dans lequel celui-ci expliquait essentiellement que, malgré ses lourds antécédents judiciaires, le demandeur avait fait des progrès grâce aux thérapies qu’il avait suivies et aux relations qu’il avait développées. Il a eu un enfant en juin 2002 et a eu un autre enfant en octobre 2006 avec une autre femme qu’il a épousée en septembre 2006. M. Russell a reconnu qu’il n’avait pas rencontré la femme du demandeur, pas plus selon toute vraisemblance que son enfant, âgé alors d’environ deux mois. Il s’est toutefois dit d’avis que le demandeur avait [traduction] « des liens solides avec sa femme et ses enfants » (il avait observé le demandeur en compagnie de sa fille aînée Kanisha, née en 2002). Il a exprimé l’avis que les démêlés que le demandeur continuait à avoir avec la justice devaient être considérés comme des « rechutes » plutôt que comme une indication de récidive probable. Il a poursuivi en expliquant que le renvoi du demandeur du Canada [traduction] « aurait des conséquences désastreuses sur sa famille et sur le bien-être de ses enfants ». Il a souligné que le renvoi du demandeur romprait sa relation avec sa fille Kanisha, ce qui constituerait un facteur négatif. Il a toutefois ajouté ce qui suit : [traduction] « je n’aurais pas nécessairement la même opinion si M. Gittens sombrait à nouveau dans la criminalité […] ». Il termine son témoignage en affirmant qu’il n’a aucune hésitation à conclure que la présence du demandeur au Canada [traduction] « est plus positive que négative pour ce qui est de l’intérêt supérieur de ses enfants ».

 

[4]               Après avoir instruit l’affaire en décembre 2006, la SAI a rendu sa décision le 25 mai 2007. Elle a décidé de révoquer le sursis à l’exécution de la mesure d’expulsion prise contre le demandeur et de rejeter l’appel interjeté de la mesure d’expulsion prise contre lui. Elle a conclu qu’en raison de ses nombreuses récidives, le demandeur n’avait pas respecté les conditions de son sursis. Contrairement à M. Russel, la SAI n’était pas disposée à considérer ce comportement criminel comme une « rechute ». Le tribunal a énuméré un certain nombre des facteurs dont il a tenu compte, notamment le fait que le demandeur n’avait pas montré qu’il s’était réadapté, son incapacité à respecter les conditions qu’il devait respecter pour pouvoir demeurer au Canada, le fait que, par son comportement, il demeurait une menace pour la sécurité et le bien-être du public et, enfin, le fait qu’il résidait au Canada depuis longtemps et qu’il avait une femme et deux enfants nés au Canada. Le tribunal a analysé assez longuement la nature des infractions commises par le demandeur depuis la dernière audience sur le sursis en 2004 et il a conclu, pour les raisons qu’il a expliquées, que les infractions criminelles et les infractions au code de la route que le demandeur avait commises révélaient des violations répétées et délibérées de la loi qui démontraient qu’il n’avait aucun sentiment de responsabilité sociale. Après avoir examiné à fond sa situation familiale, le tribunal a reconnu que la relation du demandeur avec son épouse et ses deux enfants « est le facteur qui joue le plus fortement en sa faveur », ajoutant qu’il ne doutait pas que le renvoi du demandeur du Canada aurait des répercussions sur eux. Le tribunal a expressément cité les facteurs qui ont d’abord été énoncés dans la décision Ribic en ce qui concerne l’exercice de son pouvoir discrétionnaire et qui ont été confirmés par la Cour suprême du Canada dans les arrêts Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84, et Al Sagban c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 133. Le tribunal a expressément passé en revue chacun de ces facteurs dans sa décision. Il a expliqué qu’il accordait particulièrement du poids au fait que le demandeur avait récidivé après avoir été autorisé à demeurer au Canada à la suite de la mesure d’expulsion prise contre lui, et le tribunal a estimé que le demandeur n’avait pas démontré qu’il pouvait se réadapter. Il a conclu en disant ce qui suit :

Le tribunal doit prendre en considération la santé et la sécurité de l’ensemble de la collectivité et, compte tenu du comportement de l’appelant jusqu’à maintenant, sa conclusion en l’espèce est qu’il pourrait récidiver. Le sursis d’exécution est révoqué et l’appel rejeté.

 

[5]               Le demandeur invoque plusieurs moyens pour contester cette décision. Premièrement, il affirme que la SAI a nié son droit à l’équité procédurale en refusant d’ajourner l’audience pour permettre au psychologue de témoigner de vive voix. Deuxièmement, la SAI a mal interprété la preuve et a ignoré certains éléments de preuve en concluant que les récidives récentes du demandeur ne pouvaient être considérées comme de simples rechutes, parce que cette conclusion contredisait l’avis donné par le psychologue dans son rapport. Troisièmement, la SAI a commis une erreur de droit en minimisant l’intérêt supérieur des enfants du demandeur et en faisant fi des éléments de preuve contenus dans le rapport du psychologue. Quatrièmement, la SAI a commis une erreur de droit en exerçant son pouvoir discrétionnaire « de façon arbitraire et vexatoire », notamment en « faisant fi des observations de l’avocate » et en ne tenant pas compte de facteurs manifestement pertinents. Cinquièmement, la SAI a commis une erreur de droit en tirant des conclusions sans tenir compte des éléments de preuve portés à sa connaissance.

 

[6]               Lors de l’instruction de la présente demande de contrôle judiciaire, l’avocate du défendeur a tenté de soumettre de nouveaux éléments de preuve tendant à démontrer qu’après la décision rendue par la SAI le 25 mai 2007, le demandeur avait été accusé de nouvelles infractions et qu’on trouvait dans son casier judiciaire plusieurs infractions qui, en date de l’audience, n’avaient pas été révélées à la SAI avant que celle-ci ne rende sa décision. Il ressort de la preuve que le demandeur a été arrêté le 29 août 2007 et qu’il a par la suite été détenu pendant un certain temps. Je refuse d’admettre ces éléments de preuve dans le cadre du contrôle judiciaire de la décision du 25 mai 2007 de la SAI parce qu’ils ont trait à des faits survenus après l’audience de la SAI ou parce qu’ils portent sur des faits antérieurs qui n’avaient pas été portés à la connaissance de la SAI. Il ressort toutefois du dossier de la Cour que le renvoi du demandeur était prévu pour le 17 décembre 2007, que le demandeur a demandé qu’il soit sursis à l’exécution de ce renvoi et que la requête en sursis a été rejetée. On m’informe que le demandeur a effectivement été renvoyé du Canada.

 

Analyse

 

[7]               Je crois que la seule question de fond soulevée par le demandeur est celle de savoir si la SAI a pu nier son droit à l’équité procédurale en refusant d’accorder un ajournement pour permettre au psychologue de témoigner de vive voix. Les facteurs décisifs dont la SAI doit tenir compte pour se prononcer sur l’opportunité d’accorder ou non un ajournement sont énoncés au paragraphe 48(4) des Règles de la Section d’appel de l’immigration, qui est ainsi libellé :

 

48(4) Pour statuer sur la demande, la Section prend en considération tout élément pertinent. Elle examine notamment :

 

a) dans le cas où elle a fixé la date et l'heure de la procédure après avoir consulté ou tenté de consulter la partie, toute circonstance exceptionnelle qui justifie le changement;

 

b) le moment auquel la demande a été faite;

 

c) le temps dont la partie a disposé pour se préparer;

 

d) les efforts qu'elle a faits pour être prête à commencer ou à poursuivre la procédure;

 

e) dans le cas où la partie a besoin d'un délai supplémentaire pour obtenir des renseignements appuyant ses arguments, la possibilité d'aller de l'avant en l'absence de ces renseignements sans causer une injustice;

 

f) dans le cas où la partie est représentée, les connaissances et l'expérience de son conseil;

 

g) tout report antérieur et sa justification;

 

h) si la date et l'heure qui avaient été fixées étaient péremptoires;

 

 

i) si le fait d'accueillir la demande ralentirait l'affaire de manière déraisonnable;

 

 

j) la nature et la complexité de l'affaire.

 

 

48(4) In deciding the application, the Division must consider any relevant factors, including

 

 

(a) in the case of a date and time that was fixed after the Division consulted or tried to consult the party, any exceptional circumstances for allowing the application;

 

(b) when the party made the application;

 

(c) the time the party has had to prepare for the proceeding;

 

(d) the efforts made by the party to be ready to start or continue the proceeding;

 

(e) in the case of a party who wants more time to obtain information in support of the party's arguments, the ability of the Division to proceed in the absence of that information without causing an injustice;

 

 

(f) the knowledge and experience of any counsel who represents the party;

 

(g) any previous delays and the reasons for them;

 

(h) whether the time and date fixed for the proceeding were peremptory;

 

 

(i) whether allowing the application would unreasonably delay the proceedings; and

 

(j) the nature and complexity of the matter to be heard.

 

 

Je tiens d’entrée de jeu à signaler qu’on trouve dans les premiers mots du paragraphe précité, qui enjoint à la Section d’appel de l’immigration de tenir compte de « tout élément pertinent », certains des facteurs qui sont expressément énumérés. Il ne s’ensuit pas pour autant que la SAI doit explicitement examiner chacun des éléments énumérés et ce, qu’ils soient pertinents ou non dans un cas déterminé. Je n’interprète pas cette disposition comme une directive donnée à la SAI de reprendre systématiquement chacun des éléments énumérés, qu’ils soient pertinents ou non. L’esprit dans lequel cette appréciation doit se faire est, à mon avis, bien expliqué dans l’arrêt Siloch c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CAF), [1993] A.C.F. no 10, dans lequel le juge Décary, en parlant d’une situation analogue qui n’était pas régie par des règles précises, a expliqué que, pour exercer son pouvoir discrétionnaire d’accorder ou non un ajournement, le tribunal devrait tenir compte de certains facteurs, pour ensuite énumérer une liste de facteurs semblables à ceux prévus au paragraphe 48(4) des Règles de la Section d’appel de l’immigration.

 

[8]               J’estime qu’une lecture attentive de la décision de la SAI permet de penser que cette dernière a tenu compte des éléments pertinents mentionnés au paragraphe 48(4) des Règles de la Section d’appel de l’immigration. Pour ce qui est de l’alinéa a), la date provisoire du 19 décembre 2006 avait été fixée après avoir consulté l’avocate. Par la suite, l’avocate a réclamé à plusieurs reprises un ajournement en invoquant chaque fois la même raison, en l’occurrence que M. Russell ne pouvait se rendre disponible pour le 19 décembre. Il est évident que la SAI n’a pas jugé qu’il s’agissait d’une circonstance exceptionnelle qui justifiait un ajournement, compte tenu du fait que l’on pourrait consulter l’opinion écrite de M. Russell. L’alinéa b) n’était par conséquent pas important : la demande d’ajournement a été faite en temps utile et la SAI l’a rejetée sur le fond parce qu’elle estimait que le rapport écrit suffirait. Il n’est pas inutile, à cet égard, de rappeler que le demandeur et son avocat savaient depuis septembre que la SAI avait l’intention de procéder, de sorte qu’ils ont eu amplement de temps pour se préparer. Les facteurs prévus aux alinéas c), d) et e) ne sont donc pas pertinents. L’alinéa f) ne s’applique pas non plus : les connaissances et l'expérience de l’avocate du demandeur ne posaient pas problème et l’avocate était disponible en tout temps pour représenter son client à l’époque en cause. La SAI a de toute évidence tenu compte des facteurs énumérés aux alinéas g) et i), compte tenu des sept années pendant lesquelles le demandeur avait été sous le coup d’une mesure d’expulsion qui faisait l’objet de sursis répétés dont il n’a pas respecté les conditions. À sa lecture même, le facteur de l’alinéa h) n’est pas pertinent. La SAI a de toute évidence tenu compte du facteur prévu à l’alinéa j) compte tenu du fait que les questions que le psychologue pouvait utilement aborder pouvaient être traitées adéquatement dans le rapport écrit.

 

[9]               J’estime qu’il était loisible à l’arbitre des faits de tirer cette conclusion, compte tenu de la nature du tribunal et du fait qu’il reçoit souvent des éléments de preuve par écrit. L’avocate du demandeur laisse entendre que le résultat aurait pu être fort différent si le psychologue avait témoigné en personne. La question fondamentale à laquelle il faut répondre est celle de savoir si les nombreux manquements du demandeur aux conditions de son sursis qui se sont traduits par des actes criminels ou quasi criminels peuvent être traités comme de simples « rechutes ». Il était certainement loisible à la SAI de tirer sa propre conclusion sur cette question et elle n’était pas tenue d’adopter l’opinion verbale ou écrite du psychologue. Je ne suis pas convaincu que le demandeur a subi une injustice du fait que la SAI n’a pas entendu le témoignage de vive voix de M. Russell (voir le jugement Tripathi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1232).

 

[10]           La Cour n’a pas l’obligation de faire preuve de retenue envers le tribunal pour ce qui est des questions d’équité procédurale (Syndicat canadien des employés de la fonction publique (SCFP) c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539). Je suis toutefois convaincu que l’audience de la SAI était équitable sur le plan procédural même si elle a refusé d’accorder l’ajournement réclamé. Il ne faut pas oublier qu’il ne s’agit pas d’un cas dans lequel, en raison du refus d’accorder un ajournement, le demandeur s’est retrouvé sans avocat. Il existe un grand nombre de cas dans lesquels le refus d’ajourner l’audience parce qu’aucun avocat n’est disponible a été considéré comme une mesure injuste sur le plan procédural parce que la présence de l’avocat hausse le niveau du débat, ce qui ne serait peut-être pas le cas sans lui. Dans le cas qui nous occupe, le débat porte sur un seul témoin qui a par ailleurs donné son opinion par écrit, opinion dont le tribunal a de toute évidence tenu sérieusement compte. Je tiens par ailleurs à signaler que le tribunal avait en mains le curriculum vitae de M. Russell qui indiquait qu’il n’était pas une autorité sur la récidive chez les criminels mais plutôt une autorité en relations familiales. Il s’agit d’un facteur dont il faudrait tenir compte si l’affaire était renvoyée pour être examinée de nouveau, ce qui me donne à penser qu’il serait inutile de la renvoyer.

 

[11]           Les autres griefs que le demandeur formule au sujet de la décision reviennent en réalité à reprocher à la SAI de ne pas avoir tiré la bonne conclusion sur la preuve ou de ne pas avoir accordé le poids qu’il convenait à l’intérêt supérieur des enfants canadiens du demandeur. Alors que l’on croyait auparavant que la norme de contrôle applicables aux décisions de la SAI lorsqu’il s’agit d’examiner une mesure de renvoi pour des motifs d’ordre humanitaire était celle de la décision manifestement déraisonnable, la Cour d’appel fédérale a statué à la majorité dans l’arrêt Khosa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] A.C.F. no 139, que la norme applicable est celle de la décision raisonnable. Cette décision a été portée en appel. Je suis disposé à présumer que la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable, mais je ne trouve rien de déraisonnable dans les conclusions tirées en l’espèce par la SAI sur les questions de fond.

 

[12]           La principale question à trancher est celle de savoir si la SAI a bien tenu compte de l’ensemble de la preuve à la lumière des facteurs pertinents. Ces facteurs ont été énoncés dans la décision Ribic c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] S.A.A.I. no 4, et ont été approuvés par la Cour suprême du Canada qui les considère depuis comme étant les facteurs pertinents (voir l’arrêt Chieu, précité, au paragraphe 40). Le juge Nadon a repris ces facteurs dans le jugement Burgess c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1302, au paragraphe 16 :

(1)                    la gravité de l’infraction donnant lieu à l’ordonnance de déportation;

(2)                    la possibilité de réadaptation;

(3)                    le temps passé au Canada et le degré d'établissement du requérant au Canada;

(4)                    si le requérant possède de la famille au Canada, et la dislocation qui pourrait en résulter si l'ordonnance de déportation était émise;

(5)                    le soutien dont dispose le requérant, non seulement dans sa famille, mais aussi dans son entourage;

(6)                    L'importance des inconvénients qui pourraient être causés au requérant s’il devait être retourné dans son pays d'origine.

 

Une lecture attentive et raisonnable de la décision de la SAI permet de constater qu’elle a sérieusement tenu compte de tous ces facteurs. Le demandeur reproche à la SAI de ne pas s’être concentrée sur la gravité de l’infraction ayant conduit à la mesure d’expulsion. À la première phrase des motifs de sa décision, la SAI explique que le demandeur a fait l’objet d’une mesure d’expulsion le 1er décembre 2000 au motif qu’il avait été déclaré coupable « d’une infraction punissable d’une peine d’emprisonnement de dix ans ou plus, pour laquelle il a été incarcéré pendant six mois » […]. Il est implicite dans la critique qu’il formule que le demandeur reproche à la Commission de ne pas s’être concentrée sur la première partie de la description de l’infraction au lieu de la seconde et qu’il estime qu’elle aurait dû mesurer la gravité de l’infraction en fonction de la peine qui lui a été effectivement infligée et non en fonction de celle qui aurait pu lui être infligée. La SAI était de toute évidence au courant de la peine à laquelle le demandeur avait effectivement été condamné. Mais il lui était loisible de qualifier de « grave » l’infraction dont le demandeur avait été reconnu coupable et ce, indépendamment de la peine infligée. Ce n’était qu’un des facteurs dont le tribunal devait tenir compte. Compte tenu de l’historique de la présente instance et du fait que sept années s’étaient écoulées depuis la première mesure d’expulsion, le tribunal était légitimement davantage concerné par les défauts ultérieurs du demandeur d’observer les conditions qu’il devait respecter pour pouvoir demeurer au Canada. Pour examiner, par exemple, le facteur (2) « la possibilité de réadaptation », la SAI pouvait légitimement tenir compte de sa quarantaine de déclarations de culpabilité antérieures et de ses six condamnations survenues après le sursis de 2004 pour vérifier si le dossier du demandeur permettait d’espérer un changement en ce qui concerne ses nombreuses récidives.

 

[13]           Une grande partie des reproches que le demandeur adresse à la décision du tribunal portent sur le fait que le tribunal n’a pas tenu compte comme il le devait de l’intérêt supérieur des enfants du demandeur. Pourtant, la SAI discute de ces intérêts sérieusement et en profondeur. Elle estime en effet :

[…] qu’il est dans le meilleur intérêt des enfants de l’appelant que celui-ci joue un rôle actif dans leur vie, étant donné leur âge et le rôle qu’il a joué jusqu’à maintenant auprès d’eux  Le tribunal a longuement et soigneusement examiné ces facteurs.

 

 

La SAI poursuit toutefois en faisant observer que le demandeur n’a que lui à blâmer pour ses actes. Elle rappelle qu’il a commis d’autres crimes en étant parfaitement conscient des conséquences que pouvaient entraîner ses gestes. La SAI explique qu’elle devait prendre en considération la santé et la sécurité de l’ensemble de la collectivité et que, compte tenu de son comportement jusqu’à maintenant, le demandeur risquait de récidiver. Il aurait certainement été loisible à la SAI de conclure que la personne pour qui l’intérêt supérieur de ses enfants comptait le moins était bien le demandeur : après avoir fait l’objet d’une mesure de renvoi du Canada, il a eu deux autres enfants au Canada. En récidivant, il s’est lui-même aliéné la présence et le soutien de ces enfants. La garde de sa fille Kanisha lui avait déjà été confiée mais il l’a perdue lorsqu’il a été incarcéré en août 2005.

 

[14]           Il incombait à la SAI d’évaluer les divers facteurs et c’est bien ce qu’elle a fait. L’intérêt supérieur des enfants n’est pas nécessairement déterminant (Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (2002), 212 D.L.R. (4th) 139, au paragraphe 12 (C.A.F.)). Il m’est impossible de conclure que la décision de la SAI était déraisonnable.

 

Conclusion

 

[15]           Je vais par conséquent rejeter la demande de contrôle judiciaire. Les avocates ont demandé qu’on leur offre la possibilité de prendre connaissance des motifs avant de formuler des observations au sujet d’éventuelles questions à certifier. Elles auront quinze jours à compter de la date des présents motifs pour formuler ces observations, qu’elles peuvent soumettre par écrit à la Cour (par courriel si elles le préfèrent). Une copie des observations doit être envoyée à l’avocate de la partie adverse, qui aurait sept jours à compter de leur réception pour faire part de ses observations à la Cour.

 

 

 

« Barry L. Strayer »

Juge suppléant

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-2367-07

 

INTITULÉ :                                                   GREGORY BARRY GITTENS

                                                                        c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCEP :                          TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCEO :                        LE 13 FÉVRIER 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT   :                      LE JUGE SUPPLÉANT STRAYER

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 25 MARS 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jenny Friedland

 

POUR LE DEMANDEUR

Marina Stefanovic

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jenny Friedland

180, rue Dundas Ouest

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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